toujours vécu en français. Vivre en français. Curieuse expression. Vivre tel qu’en cette langue. On pourrait s’y arrêter longtemps, un peu à la manière des enfants qui répètent les mêmes mots, comme pour en savourer la sonorité nouvelle ou pour éprouver la patience de leurs aînés. Vivre en français, une fascination qui tient du vertige quand on pense aux nombreux espaces où cette langue se manifeste comme autant de lieux qui nous sont propres, ce que d’aucuns appellent le génie de la langue, cette sorte de dimension magique qui dépasse la simple mécanique de la communication. Le vivre ensemble, la convivialité qui nous regroupe, accessible à plus ou moins grande échelle à tous ceux et celles qui se reconnaissent dans cette langue, dans ses indices, dans ses mots, dans ses structures et qui peuvent ainsi décoder cette série de sons, de silences qui autrement s’évanouissent dans la musique, la musique du français. La sonorité francophone prolongée dans l’écriture et la pensée qui l’enclenche, ce système de communication reconnaissable par plus de cent millions de personnes disséminées sur tous les continents fait de nous les porteurs et les instigateurs d’une des grandes
aimerais croire que le vécu s’étend à d’autres moments comme ceux-là, tous ces mots coincés d’une manière qu’on ne peut faire autrement que d’en éprouver le poids sur la langue, une fascination pour ces lieux gris, leur dimension prolongée et l’aveu d’une communication accessible à travers d’autres indices permettant d’en décoder les silences interminables, une relation confinée à l’absurdité de conversations dont le vide enclenche une expression prévue et depuis trop longtemps consentie pour permettre d’en savourer le contenu dans la patience, des espaces dépourvus de génie s’étalant dans la vision fataliste d’un regard nonchalant et désabusé comme à travers le rideau de nylon d’un hôtel de fortune, une impossible convivialité répandue à l’échelle de la planète, des structures qui se mettent en place en dehors de nous, des sons incongrus où l’on s’acharne en vain à retrouver la rigueur du français avant de s’annuler dans l’écriture, ce système où l’on cherche en vain la confirmation d’une délivrance promise et salutaire comme le vent ou la verdure sous la neige, la fin d’un rêve et le début d’un été long comme une promesse et réel comme la pluie.