que la scène représentait un espace à conquérir, à habiter, à maintenir. C’est ce petit carré de territoire sur lequel l’acteur s’installe, où il se met en bouche ces mots que quelqu’un lui a demandé de dire et où parfois prend place une complicité et une émotion qui déplacent les montagnes. Seulement, cette notion de non-territoire qu’on ne cesse de nous appliquer a fait que nous n’avons jamais considéré la scène comme ce genre d’espace. En tout cas, sûrement pas comme un lieu qui pourrait nous convenir et sur lequel nous pourrions intervenir en format réduit, un peu comme une maquette d’un plus grand espace, voire d’un pays, où la vie serait moins angoissante que les rapports d’assimilation de Statistique Canada qu’on ne cesse de nous brandir tous les quatre ans. Pour la collectivité rassemblée, le théâtre est un geste et une parole qui appellent une place publique. Vivant en marge de la société québécoise et faisant face à une pénurie d’institutions, cette place publique se révèle souvent comme le seul endroit sur lequel la collectivité peut se rabattre pour partager ses désirs et faire le point sur ses craintes et ses défaites. Il ne faudrait pas croire qu’il en est toujours

 

même si cela ressemble à toutes les autres défaites, à toutes les autres craintes accumulées en raison de cette impossibilité de partager une vision à soi où l’on pourrait se retrouver, se rabattre, dans le but d’habiter un lieu heureux où l’on voudrait retourner souvent, une sorte de conscience publique dont on aurait évacué la pénurie et le malin plaisir de s’affronter dans un face-à-face, une société où il faut céder sa place en échange du droit de parole, se monter un théâtre, un espace dans lequel la collectivité viendrait se dire, se concilier pour élaborer et brandir les éléments de sa défense, remettant sans cesse devant le public le désarroi et les causes de son assimilation, une sorte de bilan, les rapports de la vie telle qu’on la conçoit dans une sorte de déception tolérable où tôt ou tard l’on finit par transiger avec le format géant de l’aigreur qui empoisonne à la longue, ce climat ombrageux avec lequel il faut constamment composer, ce besoin de circonvenir la réalité, d’y circuler, de la court-circuiter pour lui trouver un espace acceptable et viable dans l’imaginaire, loin des lieux où la honte et la douleur nous réclament comme une dimension incontournable