CHAPITRE 2

À LA RECHERCHE DES PROFONDEURS : LES GRANDS RELIEFS OCÉANIQUES

1. LA CARTOGRAPHIE DES OCÉANS : UNE QUÊTE LONGUE ET DIFFICILE

2. LA MORPHOLOGIE DES FONDS OCÉANIQUES

Pour simplifier, on peut dire que la connaissance de la nature du fond des océans revêt deux aspects nettement différents : la simple quête topographique d’une part, recherche longue et minutieuse, qui n’a réellement porté des fruits qu’à partir de la fin du xixe siècle, que l’on pourrait qualifier de partie « descriptive » ; et la recherche d’une explication structurale, qui fut une découverte par saccades, apportant des résultats tangibles dans le dernier tiers du xxe siècle, partie que l’on pourrait qualifier de « génétique ».

1. LA CARTOGRAPHIE DES OCÉANS : UNE QUÊTE LONGUE ET DIFFICILE

On distingue les termes suivants selon trois variables, l’éloignement du rivage, la profondeur et les pentes :

A. selon l’éloignement du rivage :

– pélagique : se dit des organismes marins et/ou des sédiments de haute mer ;

– néritique : idem pour les organismes et sédiments côtiers.

B. selon la profondeur :

– sublittoral : 0 à – 130 m ;

– bathyal : – 130 à – 4 000 m env. ;

– abyssal ou benthique : – 4 000 à -5 500 m env. ;

– hadal : en dessous de 5 500 m.

C. Selon les pentes :

– plateau continental : pente très faible ;

– talus continental ;

– glacis continental ;

– plancher océanique.

1.1 LE HMS CHALLENGER (1872-1876)

La méthode traditionnelle de mesure des profondeurs sous marines à la sonde, abordée au cours de l’expédition océanographique du Challenger, donna pour la première fois une idée de l’existence de grands bassins océaniques, de fosses comme celle des Mariannes ou de la dorsale médio atlantique (Charnock, 1996). Avec 492 sondages en mer profonde et un périple de 127 500 km (68 850 milles) dans les trois océans, la campagne exceptionnelle du Challenger dirigée scientifiquement par Sir Charles Wyville-Thomson (1830-1882), ne pouvait cependant donner qu’une image imprécise des topographies des fonds marins : le plancher de l’océan apparaissait lisse et doté de peu d’aspérités, les crêtes sous marines étant encore considérées comme des accidents peu représentatifs, et les fosses restaient un mystère.

1.2 L’EXPÉDITION DU MÉTÉOR (1925-1927)

Cette campagne océanographique allemande permit un bond considérable des connaissances. Y furent effectués 67 000 sondages sonar sur un parcours de 67 000 milles marins, essentiellement dans l’Atlantique entre 20°N et 60°S. On confirma à cette occasion l’existence d’une large mais vague élévation du plancher océanique depuis l’Atlantique nord jusqu’à l’Atlantique sud ainsi que de sa prolongation dans l’océan Indien au-delà du cap de Bonne-Espérance.

Mais à l’issue de cette campagne sans précédent, il était encore trop tôt pour qu’une synthèse des reliefs océaniques et surtout de leur genèse, voie déjà le jour. Nous étions il est vrai, déjà illuminés par la géniale contribution d’A. Wegener « Die Entstehung der Kontinent und Ozeane » (1915), mais la conception de la partie océanique restait très conjecturelle et sera démentie par la suite. La connaissance restait encore ponctuelle, les concepts flous.

1.3 LES TRAVAUX DE MAURICE EWING

Entre 1947 et 1949, Maurice Ewing (1906-1974) avec le navire Atlantis fait effondrer la théorie, dominante à l’époque, d’une topographie des fonds marins monotone, résultant d’une simple accumulation de sédiments.

En 1949, avec le Lamont Earth Observatory et un nouveau navire dédié à la recherche océanographique, le Vema, il collectionne les données magnétiques, gravimétriques, sismiques et topographiques : on découvre alors que la croûte océanique a une épaisseur bien plus faible (5 km) que la croûte continentale (30 km). L’existence d’abysses, sortes de plaines très plates séparées par de longues dorsales formées de roches volcaniques récentes, la présence d’immenses fosses périocéaniques, la multitude de fractures transversales aux dorsales sont parmi les découvertes les plus spectaculaires. Marie Tharp et Bruce C. Heezen réalisèrent à partir de ces données le premier essai systématique d’une cartographie du plancher océanique (Tharp, 1989).

Confirmant les résultats partiels apportés par l’expédition du Meteor, l’analyse des données du Vema révèle que la dorsale océanique médioatlantique se poursuit dans tous les autres océans, ceinturant la Terre sur plus de 60 000 km, semblable dans une première approximation à la suture d’une balle de tennis, malgré certaines complications dont les principales sont l’existence de « points triples » ou « triple junctions » (TJ). Cette dorsale médio-océanique mondiale est le seul élément morphologique commun à toute la planète, sorte de colonne vertébrale sur laquelle vont se greffer les différentes pièces du puzzle global.

En contrepartie de cette « suture » fondamentale, une autre pièce morphologique de taille est la présence des fosses océaniques entourant essentiellement l’océan Pacifique. L’aspect lié et complémentaire de ces deux pièces majeures devint évident dans les années 1960 à partir à la fois de l’étude des propriétés magnétiques du plancher océanique, de la répartition des tremblements de terre, et de la répartition des flux de chaleur. À la fin des années 1960 l’hypothèse selon laquelle le nouveau plancher océanique se forme dans les dorsales médio-océaniques, et se meut vers les fosses où il plonge pour y être recyclé, devient une hypothèse plus que séduisante. Il n’en manquait que la confirmation.

1.4 LA RÉVOLUTION DES SCIENCES DE LA TERRE (1960-1968)

1.4.1. LA THÉORIE DE L’EXPANSION OCÉANIQUE (HESS, 1962 ET DIETZ, 1961)

Harry H. Hess (1906-1969), professeur à Princeton et, lors de sa période de commandement durant la Seconde Guerre mondiale d’un navire de transport équipé d’un sonar, laissa durant les patrouilles l’instrument branché en permanence, accumulant ainsi des quantités impressionnantes de données sur la topographie du fond de l’océan Pacifique : il y mit en évidence l’existence de guyots, volcans sous-marins à fond plat. L’ensemble de ces données permit d’avancer la théorie de l’expansion océanique (« sea floor spreading » : Dietz, 1961) selon laquelle la croûte océanique se forme en permanence au droit des dorsales, cellesci « sécrétant» des laves neuves s’écoulant comme deux tapis roulants de part et d’autre par translation horizontale (figure 2.1). Le fond des océans, à la différence des continents, est donc très jeune (post 200 m.y).

Les dorsales seraient ainsi les régions de production de croûte océanique, dites régions « d’accrétion ». Les continents (croûte continentale granitique peu dense) et les fonds océaniques (croûte océanique basaltique dense) sont portés par les « tapis roulants » se mouvant en deux directions opposées, la lithosphère neuve ainsi créée se déplaçant latéralement à la même vitesse que le manteau. Les continents s’écartent ainsi progressivement les uns des autres, la croûte océanique se trouvant augmentée chaque année de 3 km2 de laves (Bott, 1981, 1982).

FIGURE 2.1 LE PHÉNOMÈNE D’ACCRÉTION DE L’ATLANTIQUE CENTRAL

image

Cette théorie est maintenant considérée comme la découverte géophysique la plus importante du xxe siècle, réhabilitant ainsi l’essentiel de la théorie ancienne d’Alfred Wegener de « dérive des continents » (1915).

1.4.2. LA THÉORIE DE LA TECTONIQUE DES PLAQUES (VINE ET MATTHEWS, 1963 ; LE PICHON et al., 1968)

Malgré l’accumulation de présomptions militant en faveur de l’expansion océanique, il faut remarquer qu’un certain nombre d’observations concernant les découvertes du fond de l’océan (géomorphologie, flux de chaleur, activité sismique…) pouvaient trouver une autre explication. Il est cependant un seul constat pour lequel aucune autre explication n’est possible, malgré les nombreuses tentatives faites à ce sujet : les anomalies magnétiques du plancher de l’océan.

Les anomalies magnétiques (cartographiquement semblables à des « codes-barres ») furent pour la première fois mises en évidence par les géophysiciens R. G. Mason, A. D. Raff et V. Vacquier, mais leur signification restait obscure, principalement en raison du lieu d’observation, entre le cap Mendocino et l’île Vancouver, région tectoniquement très complexe. Les Britanniques Frederick Vine et Drummond Matthews, par leurs travaux sur la dorsale Carlsberg au nord-ouest de l’océan Indien (1963) apportèrent la preuve scientifique qui manquait à Wegener ainsi que la mesure de la vitesse de l’expansion qui manquait à H. H. Hess et R. S. Dietz. Vine et Matthews émirent l’hypothèse que les anomalies magnétiques observées sur les flancs des crêtes médio-océaniques étaient en corrélation avec les inversions des pôles magnétiques démontrées à la même époque par A. Cox ; R. R. Doell et G. B. Dalrymple (1963) illustrant l’aimantation thermorémanente des basaltes sur le plancher océanique acquise au cours de leur refroidissement et de leur passage en dessous du point de Curie (525 °C). Comme ce champ varie de façon périodique, le plancher océanique ressemble à une bande magnétique qui aurait enregistré le champ magnétique terrestre alterné au cours des âges. La séquence magnétique de chaque côté des rides médio-océaniques se trouve être identique aux coulées de lave continentales datées. Même si ce « magnétophone » naturel ne donne pas des bandes d’une extrême qualité, il a été malgré tout possible de dresser une carte de l’âge du plancher de l’océan.

Au fur et à mesure du déroulement des tapis roulants de part et d’autre des dorsales, la lithosphère se refroidit, s’affaisse par détumescence thermique, et est progressivement recouverte de sédiments qui l’alourdissent. Un principe physique montre que la différence de profondeur entre le plancher océanique et la crête correspondante (Dc-Df) est une fonction directe de l’âge (T) selon le rapport :

Dc-Df = K x √ T,

où la constante K = ± 320

Dc-Df : en mètres

T : en millions d’années (106 y).

On peut ainsi calculer l’âge moyen du plancher de l’océan à partir de sa profondeur moyenne (après correction de l’épaisseur de la couverture sédimentaire).

2. LA MORPHOLOGIE DES FONDS OCÉANIQUES

2.1. LES DORSALES MÉDIO-OCÉANIQUES

60 000 km de long, une surface atteignant 33 % de la surface du plancher océanique et 25 % de la surface du globe terrestre dans son ensemble, telles sont les caractéristiques des dorsales dont la disposition technique a toujours, dans la littérature technique, occupé le devant de la scène aux dépens de la disposition géographique, très souvent considérée comme secondaire. Les deux aspects seront donc successivement examinés.

2.1.1. UNE MORPHOLOGIE TRANSVERSALE VARIABLE

Les dorsales médio-océaniques ne présentent pas un aspect uniforme dans leur profil transversal :

– La forme la plus « classique » des dorsales est l’association d’un rift central, généralement de 30 à 50 km de large, profond d’environ 1 000 m ou plus, et ceinturé de deux « lèvres ». Le centre du rift est accidenté d’un volcan axial, discontinu, formé de pillow lavas, sur 200 à 300 m de hauteur. Autant la morphologie du rift est tourmentée, marquée par des pentes fortes et parfois même des surplombs, autant la morphologie du revers est en pente douce, lissage accentué par les dépôts sédimentaires. Le rift médio-atlantique en est un exemple très démonstratif.

– Dans d’autres cas, la dorsale se présente sous la forme d’un simple bombement où le rift est peu perceptible, bordé de deux lèvres peu esquissées. En ce cas, la partie centrale, discontinue, est constituée de pillow lavas de 50 à 80 m de commandement, disposées en segments disposés en échelon.

– Le troisième cas est formé par des linéaments parallèles s’étendant sur des dizaines de kilomètres, où le volcan axial, formé de laves très fluides est accidenté d’un très mince rift (graben axial linéaire) (McDonald, 1982 ; Juteau et Maury, 1997, p. 157).

Cette distinction correspond à la différence de vitesse d’accrétion : dorsales lentes, dorsales intermédiaires et dorsales rapides auraient ainsi des réponses morphologiques distinctes, les premières grandissant à une vitesse de l’ordre de 1 cm.y-1, les dernières à une vitesse de l’ordre de 10 cm.y-1, parfois davantage.

Quoi qu’il en soit, ces dorsales sont en général immergées à une profondeur constante, de l’ordre de 2 500 à 3 000 m. Il faut cependant noter quelques exceptions, en particulier dans l’Atlantique nord, où la dorsale est plus élevée, allant même jusqu’à émerger en Islande.

2.1.2 DES FORMES ORIGINALES

Géographiquement parlant, ces lignes de relief sous-marins se révèlent complexes et ce pour plusieurs raisons :

– la non-symétrie des océans de part et d’autre de la dorsale, comme dans l’océan Pacifique, où la dorsale est très largement déportée vers l’est, au point de disparaître au contact du continent nord-américain. De même pour l’océan Indien où la dorsale de la mer Rouge court à partir de Djibouti à l’intérieur du continent africain lui-même ;

– l’existence de « points triples » (triple junctions = TJ) qui voient trois dorsales se rencontrer (McKenzie et Morgan, 1969) : Rodriguez TJ dans l’océan Indien, Açores TJ et Bouvet TJ dans l’Atlantique nord et sud respectivement, Juan Fernandez dans le Pacifique oriental, ou le point triple Boso au large du Japon ;

– la « torsion » de la plupart des dorsales médio-océaniques, particulièrement visible dans l’Atlantique équatorial, comme si la Terre avait subi une rotation différentielle entre ses deux hémisphères, ou mieux comme si la rotation avait été différentielle entre hautes et basses latitudes.

La théorie communément admise voudrait que les dorsales soient le simple résultat de la convection. Si les relevés de terrain confirment les traits généraux de ce modèle, il faut cependant en remarquer les insuffisances. La seule convection engendrerait une direction aléatoire des dorsales alors que l’observation montre une orientation méridienne dominante dans les basses latitudes, comme dans l’Atlantique central, le Pacifique oriental, l’océan Indien septentrional, et au contraire une orientation est-ouest dominante dans les hautes latitudes : dorsales sudest et sud-ouest indiennes, dorsale américano-antarctique. Les raisons de cet arrangement géographique sont jusqu’à présent mal cernées, mais une direction de recherche est apportée par l’étude des synergies Terre-Lune, argument avancé par Bn. P. Melchior (1983) et R. C. Bostrom (2000), arguments repris sur le plan géographique par J. Coutant (à paraître).

2.2. LES ZONES DE FRACTURES TRANSVERSALES

Les fonds sous marins sont accidentés de fractures étroites (Fracture Zones = FZ), « saucissonnant » les dorsales ; ces accidents ne sont pas nécessairement perpendiculaires aux dorsales mais forment avec elles deux angles supplémentaires aux alentours de 70°-110°, et sont irrégulièrement espacés, les dimensions courantes allant de 50-100 km jusqu’à 300 km. Ces zones de fracture sont le siège de séismes d’intensité très variable, plus fréquents et plus nombreux lorsque la torsion de la dorsale est maximale. Cette fréquence sismique peut être aisément expliquée en examinant deux bandes limitrophes du « tapis roulant » crustal (figure 2.1) :

– si deux tapis roulants voisins s’écoulent avec des vitesses respectives de 2 et 2,5 cm.y-1, mais dans le même sens, le différentiel de vitesse (0,5 cm.y-1) sera faible et les séismes légers ;

– au contraire, au voisinage du rift central, si l’alignement de l’axe de symétrie n’est pas respecté, les deux tapis roulants s’écoulent en sens inverse, ce qui donne, avec les mêmes valeurs, un différentiel de vitesse de 2 + 2,5 = 4,5 cm.y-1, prélude à des séismes de plus forte intensité.

2.3.LES FOSSES PÉRI-OCÉANIQUES

La carte de Tharp et Heezen donne une répartition des fosses très inégale :

– La quasi totalité du Pacifique est ceinturée par une ligne de fosses continue depuis le détroit de Béring à la Terre de Feu pour la partie orientale, depuis ce même détroit de Béring jusqu’à la fosse Tonga Kermadec pour la partie occidentale de l’océan, ces fosses étant parfois dédoublées comme devant les Mariannes. L’océan Indien ne connait qu’une double fosse (fosses de la Sonde et de Java), et l’Atlantique deux également, autour des Caraïbes et autour de la plaque Scotia. Ces fosses se trouvent pour leur plus grande part en périphérie des océans, notamment dans le Pacifique.

– Localement les fosses ont rarement plus de 100 km de large alors qu’elles s’étendent sur des milliers de kilomètres de long comme la fosse des Aléoutiennes (2 900 km), ou la fosse du Pérou (7 000 km) et atteignent des profondeurs considérables (Kermadec, 10 080 m ; Philippines, 10 050 m, Tonga 10 800 m ; Mariannes 10 915 m), un peu moins dans le Pacifique sud-est (Chili, 7 635 m ; Pérou, 6 200 m), dans l’Atlantique (Porto Rico, 8 600 m ; South Sandwich, 8 260 m) ou dans l’océan Indien (Sonde, 7 135 m).

Le profil transversal des fosses, en V, est parfois obscurci par des fonds plats, témoignages d’une accumulation sédimentaire en strates horizontales, particularité qui a fait longtemps douter de l’hypothèse de la subduction. Les flancs de la fosse sont en pente marquée (8° à 15° le plus souvent, mais pouvant atteindre 45°).

Selon la théorie de l’expansion océanique, les fosses ont pour origine la subduction du plancher océanique qui plonge à travers l’asthénosphère. La lithosphère subsidente apporte du matériau aux continents en rabotant les sédiments et par fusion partielle, qui contribue à son tour à l’accrétion continentale.

2.4.GUYOTS, HOTSPOTS, CRÊTES

Les guyots, découverts et nommés par H. H. Hess (voir p. 38) à partir de 1942, sont des édifices volcaniques à sommet tronqué (Vanney, 2002, p. 54) d’un commandement d’un millier de mètres, à pente s’échelonnant entre 5° et 15°, très fréquents dans le Pacifique occidental, et qui ont posé un problème difficile à résoudre (Blondel et Murton, 1997).

La première explication de Hess était que les guyots étaient des édifices volcaniques, tronqués par l’érosion marine, et entrés lentement en subsidence. Leur âge aurait été très ancien et l’explication de Hess aurait ainsi rejoint dans ses grandes lignes l’extrapolation de Darwin au sujet de la formation des atolls. La surprise vint du fait que, contrairement à la théorie, aucun échantillon plus ancien que le Crétacé, ne put être récolté sur ces guyots.

La disposition géographique des guyots, très souvent alignés sur des milliers de kilomètres (Hawaii-Empereur ou archipel de La Société par exemple) a pu suggérer une autre interprétation : il se serait agi d’alignements volcaniques sur une zone de faiblesse de l’écorce qui aurait permis la remontée du magma. Cette hypothèse se heurtait cependant à un obstacle de taille, la chronologie des éruptions qui, loin d’être aléatoire, présentait une séquence géographiquement ordonnée ; comme par exemple dans l’alignement Empereur-Hawaii où le volcanisme est actif au sud-est (Hawaii), totalement éteint au nord-ouest (Empereur), alors que les laves donnent une datation intermédiaire de 43 m.y. au milieu de l’alignement. Les grandes îles sont jeunes, et les guyots immergés de plus en plus anciens selon leur profondeur.

Une explication plus satisfaisante a été suggérée par J. T. Wilson (1963) et W. J. Morgan (1981) qui introduisent la notion de « hotspot» ou « point chaud », site d’un panache de magma fixe par rapport au manteau, au dessus duquel glisse la lithosphère. Ainsi, semblable à un chalumeau perçant verticalement une plaque de tôle en déplacement, le hotspot laisserait une cicatrice en surface de la lithosphère. Chaque changement de direction de la plaque se répercuterait ainsi sur la géométrie des alignements insulaires, comme le cas est visible dans Hawaii-Empereur.

2.5. LE PLATEAU CONTINENTAL

Fond océanique à pente relativement faible, compris entre le littoral et des profondeurs voisines de 200 m où se marque habituellement une rupture de pente, la plateforme continentale ou plateau continental occupe 10 % de la surface des océans mais de manière extrêmement inégale : parfois réduit à un maigre trottoir littoral, il s’étend en revanche démesurément en quelques lieux spécifiques :

– à la jonction entre l’Asie du Sud-Est et l’Australie : en mer de Java et au nord de la Baie de Carpentarie ;

– entre Irlande et Scandinavie, englobant mer d’Iroise, mer d’Irlande, mer du Nord et Baltique ;

– le grand Banc de Terre-Neuve qui se prolonge au sud par une large plate-forme atteignant la Floride et les Bahamas ;

– la plate forme sud-américaine depuis Rio de Janeiro jusqu’aux Falkland, et dont l’extension maximale est face à la presqu’île Valdés le long de la bordure de l’Argentine méridionale ;

– le golfe d’Alaska ;

– sur toute la marge nord du Canada, en particulier dans la baie d’Hudson.

Ces plateformes continentales révèlent des structures immergées, ne sont accidentées que de reliefs modestes, parfois empâtés par des sédiments, et sont découpés par des canyons sous marins souvent impressionnants.

C’est dans la pente continentale qui en constitue la frontière vers le large qu’il faut reconnaitre la véritable transition morphologique continent-océan. La partie haute ou « talus continental », souvent de forte inclinaison (de 4 à 5°vers le large), se prolonge par le « glacis continental » zone d’accumulation de sédiments terrigènes parfois considérables comme devant l’Amazone, le Saint-Laurent, le Mississipi. Les deux entités, talus et glacis forment la « pente continentale ».

Plateau et pente sont entamés et ravinés par des canyons sous-marins, et parfois ensevelis par des cônes de déjection. Pentes et canyons sont des lieux privilégiés des courants de turbidité dont la vitesse est exceptionnelle (20 < V < 30 m.s-1). Les « goufs », sortes de dépressions entamant fortement la pente continentale, ont fait l’objet de discussions considérables sur leur origine.

Au contact du plateau continental enfin, les bordures émergées sont de deux types essentiels : les marges dites « passives » ou « de type atlantique », constituées par les bordures soulevées par l’intumescence thermique de l’accrétion, nommées « bourrelets marginaux » et dont elles ont gardé la mémoire. Et les marges actives dites de « type pacifique », où se trouvent juxtaposées fosse océanique profonde, et chaîne bordière volcanique, la croûte océanique plongeant sous la croûte continentale.