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Charles au camp des Trois-Perchaudes

— Je pensais que tu serais contente !

Ouais, il pense toujours à ma place. Je le contourne, entre dans la bâtisse et marche jusqu’au placard qui contient la trousse de secours que nous a montrée monsieur Chouinard.

— Je suis contente, mais là je suis pressée, il y a une petite fille de mon groupe qui a le genou en sang.

Charles recule de quelques pas et enfouit ses mains dans les poches de son bermuda beige. Il soupire. Trop pour moi. Je n’aime pas quand il essaie de faire pitié. C’est évident qu’il est déçu de mon accueil. Je peux comprendre. Il voit bien que je me sens mal. Je suis la pire des pas fines. Ça ne me ressemble pas, je ne suis pas une fille comme ça… Mais je n’ai pu me comporter autrement. Après s’être fait embaucher en cachette par mon père, il répète la même manigance pour me retrouver au camp, et ça me met en colère.

J’ouvre la trousse et y fouille pour trouver les pansements.

En fait, ça me fait un peu peur de constater tout ce que Charles est prêt à faire pour être avec moi. Est-ce à dire que je ne peux pas partir quelques semaines sans qu’il puisse se passer de ma présence ? La boule qui se forme dans ma poitrine est bien lourde en comparaison du sentiment de légèreté que j’ai éprouvé lorsque j’ai cru voir Mike un peu plus tôt.

Là, je me sens prise au piège. Comme les poules dans leur cage. Et les lapins dans leur enclos.

— Et tu vas faire quoi ? que je lui demande, prête à retourner voir mes sauterelles.

La mine basse et le dos courbé, Charles me lance un regard douloureux qui me fait tiquer.

— Je vais aider celui qui s’occupe du groupe des onze et douze ans.

Donc il travaillera avec le gars qui se tient toujours à l’écart du groupe. Le seul qui a vraiment l’air gentil. Tabasco.

Nous nous dévisageons quelques instants. Ses yeux noirs qui ont toujours l’air un peu tristes depuis quelque temps me fixent avec une telle intensité que je suis sur le point de céder et de le prendre dans mes bras. Pourtant, je passe devant lui sans rien ajouter. Je me mords la lèvre et retiens mes larmes pendant que je descends les marches en bois. Il me semble que ce n’est pas de cette façon qu’une fille reçoit son chum qui se pointe à l’improviste. Je bouillonne. Même mes amies m’ont fait remarquer que j’ai perdu mon sourire depuis un bon moment et que je me plains de tout. C’est vrai, encore tout à l’heure, c’était les douches, les poules, les moustiques. J’ai mis ma mauvaise humeur des dernières semaines sur un paquet d’excuses : les règles, les examens de fin d’année, les boîtes de croquettes… Je ne savais pas ce qui m’arrivait.

Je crois que je commence à comprendre d’où vient mon humeur de cheval. Ou plutôt mon humeur de poule enragée. Ma relation avec Charles ne mène à rien.