Chapitre 17

— Pourquoi tu m’as pas dit qu’on avait un test de français ? chuchoté-je à Louis tandis que Coupal distribue les copies d’examen.

Louis jette un coup d’œil alentour pour s’assurer que Coupal ne nous voit pas. Je ne comprends pas pourquoi il est aussi nerveux. On n’a même pas encore vu la question de l’examen.

— J’ai essayé, mais ta mère m’a raconté une histoire à propos des liens à renforcer entre ton père et toi.

— Je lui ai parié dix piastres que le joueur des Lakers réussirait le dernier panier.

— Quoi ? T’as fait un pari avec ton père ?

Pendant une seconde, Louis oublie de chuchoter.

— Est-ce que ces messieurs au fond de la classe ont un problème ? demande Coupal en nous fixant par-dessus ses lunettes à monture métallique.

— Non, monsieur, répond Louis en se redressant.

— Bien. Vous pouvez retourner votre copie à présent, poursuit Coupal.

En retournant ma feuille, j’entrevois la chevelure blonde de Clara. Comme d’habitude, elle est assise en avant. Pendant un instant, je regrette de ne pas avoir écouté plus attentivement durant les cours. J’aimerais bien réussir le test haut la main, juste pour l’impressionner.

Coupal nous demande d’analyser un poème qui parle d’un tournesol. Je me souviens vaguement qu’on en a discuté en classe. « Dans le titre du poème, pourquoi William Blake met-il un point d’exclamation entre les mots “Ah” et “Tournesol” ? » Aucune idée. Ça, c’est du Coupal tout craché de nous coller une question de ponctuation. Je parie qu’il aurait rêvé que cet idiot de Blake place aussi un point-virgule dans son poème. Ça aurait vraiment fait son bonheur, à Coupal.

Je dépose mon stylo sur le pupitre et pousse un gros soupir. Assez fort pour que Coupal l’entende. Puis je porte la main à mon front qui est chaud et moite. Parfait.

Quand je sens que Coupal se tourne vers moi, je grimace. Je sais que c’est un bon gars. Je mise sur le fait que, voyant que je suis souffrant, il ne m’obligera pas à faire mon examen. Trois secondes plus tard, il est penché au-dessus de mon bureau comme une mère poule.

— Vous allez bien, monsieur Leclerc ?

Les choses se passent mieux que prévu à vrai dire. Je vois des rides d’inquiétude sur son front. Si j’étais plus gentil, je pourrais presque me sentir désolé pour lui.

Je reprends mon stylo, histoire de lui montrer que je veux vraiment faire mon examen. Puis je le lâche, comme si j’étais trop faible pour le tenir.

Ensuite, je porte le coup final. Un coup subtil, mais payant. Je mords ma lèvre inférieure et je balbutie :

— Je ne me sens pas très bien.

Les autres élèves sont déjà occupés à écrire, penchés sur leur copie d’examen. Coupal se baisse pour que sa tête soit à la hauteur de la mienne.

— Êtes-vous certain que cela n’a rien à voir avec le test, monsieur Leclerc ?

Je le regarde droit dans les yeux.

— Bien sûr que non, monsieur.

— Dans ce cas, j’aimerais que vous descendiez à l’infirmerie. Faites-vous examiner. Vous passerez l’examen demain, à l’heure du dîner. Si vous vous sentez assez bien.

— Merci, dis-je tout bas en ramassant mes affaires.

Je fais attention de ne pas sortir trop vite de la classe. Je ne veux pas que Coupal pense que je suis guéri. Quand j’ouvre la porte du local, Coupal est penché sur ma copie d’examen. Je ne comprends pas ce qui le tracasse autant. Tout ce qu’il y a dessus, c’est mon nom.

***

— Ne me dis pas que tu as encore un accès de fièvre, Tommy, me dit Mme Brunet en m’ouvrant la porte de son bureau.

Mme Brunet était déjà infirmière au collège Hilltop quand j’y suis entré, en maternelle.

— Ça a commencé tout d’un coup, sans prévenir.

— Laisse-moi deviner… Ça t’a frappé durant un examen ou une présentation orale ?

Elle ouvre le tiroir où est rangé le thermomètre.

— J’espère que vous le lavez de temps en temps, lui dis-je en m’assoyant sur la chaise à côté de son bureau.

— Dis « aaah », ordonne l’infirmière en me fichant le thermomètre dans la bouche.

Du coin de l’œil, je remarque la lampe en laiton qui trône sur son bureau. Si jamais Mme Brunet quitte son bureau comme elle le fait parfois pour aller chercher un message ou pour parler au directeur, je pourrais tenir le thermomètre près de l’ampoule afin de le faire grimper de quelques degrés, histoire de me donner une fièvre légère. C’est un truc vieux comme le monde, mais qui fonctionne bien. Je le sais d’expérience.

Mais Mme Brunet n’a aucun message, et son téléphone ne sonne pas. Quand le thermomètre émet un bip, elle le retire de ma bouche et le tient à la lumière pour en faire la lecture.

— Trente-sept ! lance-t-elle, l’air triomphal.

— C’est ma tête, lui dis-je en touchant mon front comme je l’ai fait en classe. Ça élance.

L’infirmière se lève et se dirige vers la pharmacie fixée au mur, de l’autre côté de son bureau. Elle en sort un contenant de Tylenol.

— Avale deux comprimés avec un peu d’eau. Tu peux retourner en classe à la prochaine période… quand ce que tu voulais éviter sera passé.

On cogne à la porte.

— Il doit y avoir un virus qui court, lui dis-je.

Mais ce n’est ni un autre élève malade… ni un qui fait semblant de l’être. C’est Louis.

— Je suis venu voir comment il allait dès que j’ai eu fini mon examen de français, explique-t-il en me désignant du regard.

— Aaaah ! Un examen de français, fait-elle.

Elle examine ensuite Louis de la tête aux pieds, s’arrête à l’endroit où son ventre déborde de son pantalon et lui demande :

— Essaies-tu de couper les calories comme on en avait discuté la dernière fois ?

Louis devient aussi rouge qu’un homard. S’il n’était pas venu prendre de mes nouvelles, il n’aurait pas eu à se taper les conseils de
Mme Brunet sur la perte de poids. Dans quelques secondes, garanti, elle va lui parler vitamines. Au même moment, réglée comme une horloge, elle lève la tête et nous demande à tous les deux :

— Prenez-vous vos multivitamines, au moins, vous deux ?

***

— Aucune chance qu’il te donne le même test demain, affirme Louis tandis qu’on longe le corridor en direction du labo d’informatique.

— J’le sais, mais au moins, j’aurai le temps d’étudier ce soir.

— As-tu vraiment parié avec ton père hier soir… ou c’était une blague ?

— On a seulement parié dix piastres.

Je me demande bien ce qui l’excite autant.

— Les paris sportifs, c’est énorme, ajoute-t-il, la voix haletante. Y a des gars qui gagnent des milliers de dollars à faire ça…

Je regarde Louis et je souris. Je n’arrive pas à croire que je n’y ai jamais pensé avant. Bien sûr, j’ai entendu des gars parler de paris sportifs, mais pour une raison qui m’échappe, je n’ai jamais pensé y participer. Trop occupé avec le Texas Hold ’em, j’imagine. Ça pourrait être une toute nouvelle avenue pour moi. Je remarque tout à coup que je ressens en moi la bonne vieille montée d’adrénaline.

— … ou qui perdent des milliers de dollars, ajoute Louis.

Mais je ne l’écoute déjà plus.