TRÉSOR

Samuel Grabber & Associates

Avocats d’affaires

Droit commercial, industriel et financier

Affaires internationales

Gestion de biens et de fonds

Consultants auprès de l’OMC, du TCI

et de la Banque mondiale

<grabber.com>

Vous êtes dans votre droit, Grabber le prouve.

— Bonjour, Grabber & Associates à votre ser– oh, monsieur Fuller ! Comment allez-vous ?

— Très bien. Pouvez-vous me passer Sam ? Je n’arrive pas à le joindre en direct.

— Monsieur Grabber est en rendez-vous, et je crains de ne…

— Allons, Martha. Sam a toujours une oreille disponible pour moi. Dites-lui que c’est urgent.

— Je vais faire mon possible.

— Parfait, Martha. Rappelez-moi de vous inviter à dîner, un de ces soirs.

— Heu… oui, entendu, monsieur Fuller.

— Anthony ! Comment allez-vous ?

— Ça va, Sam, on tient le coup.

— Vous voulez des nouvelles de votre courrier au Burkina-Faso, j’imagine ?

Burkina-Faso. Il faut que Fuller se rentre ce nom barbare dans la tête. Quelle idée de donner un nom pareil à un pays !

— Oui, alors ?

— Votre lettre est bien arrivée. Pas par la Poste, parce que j’ai une confiance très limitée envers les services postaux américains, mais par TransWorld Express. Ça coûte un peu mais ça vaut le coup. Elle a été remise en mains propres à la présidente.

— C’est une présidente ?

— Oui. Une femme coriace, d’après mes informations. Elle peut nous donner du fil à retordre.

— Qu’a-t-elle répondu ?

— Rien. Elle a juste renvoyé l’accusé de réception par e-mail sécurisé.

— Ils sont connectés, dans ce pays perdu ?

Un silence.

— Anthony, vous êtes très naïf ou vous plaisantez ?

Samuel Grabber est noir et très susceptible au sujet des gens de sa couleur, quels que soient leur ethnie ou leur pays d’origine, même s’il est chargé de leur intenter un procès. Fuller a gaffé par ignorance.

— Je plaisantais, bien sûr. Rien d’autre ? Pas le moindre commentaire ?

— Non, mais c’est normal. Il faut leur laisser le temps de réagir. De réaliser que cette nappe phréatique ne leur appartient pas.

— Vous êtes certain de ça, Sam. Cette nappe m’appartient vraiment.

— Oui. En fait, selon les lois internationales, un trésor – car c’en est un – découvert dans un sous-sol public revient pour moitié à son « inventeur » – en l’occurrence GeoWatch, donc Resourcing – et pour moitié à l’État où se trouve le sous-sol en question.

— Oui, mais alors…

— Laissez-moi finir, si vous permettez. Or, en étudiant de près le Code du commerce burkinabé, j’y ai découvert une vieille loi datant de 2013 et apparemment non abrogée qui prévoit de céder le terrain et ses ressources à toute entreprise étrangère promettant de s’implanter et d’investir dans le pays. Vous allez investir dans le pays, Anthony ?

— Eh bien…

— Procéder à des forages, construire une usine de pompage, des pipelines, des routes peut-être. Faire travailler la population locale. Je me trompe ?

Fuller n’a pas encore réfléchi à l’aspect technique du problème, qu’il va de toute façon déléguer à l’une de ses filiales, Kubotaï ou Vivendi par exemple.

— Non, Sam, vous avez raison.

— Donc, ipso facto, cette nappe vous appartient. L’affaire me paraît très simple en vérité.

— Vous pensez qu’il est inutile de la porter devant le Tribunal de commerce international, comme on le menace dans la lettre ?

— Tracasseries superflues à mon avis, d’autant que le TCI n’est pas toujours favorable aux intérêts américains. Le Burkina va s’incliner : ses propres lois sont contre lui.

— C’est une très bonne nouvelle que vous m’annoncez là, Sam.

— Par contre, j’ai dans mon bureau Grant Morrison, qui me demandait quelle attitude adopter vis-à-vis de SOS et de leur piratage de l’image-satellite de GeoWatch.

— Un procès, bien sûr. Il faut leur montrer qui a le pouvoir, qu’on ne rigole pas avec le cyberterrorisme.

— Vous en êtes certain, Anthony ? SOS est une ONG très populaire, surtout dans les PPP. Un procès risque de ternir l’image de Resourcing…

— Qui vous parle de Resourcing ? Cette image appartient à GeoWatch, or personne ne connaît GeoWatch, qui n’a donc rien à fiche d’être impopulaire. Passez-moi Grant.

— Hello, Grant.

— Hello, monsieur Fuller.

— C’est quoi cette histoire ? Vous hésitez à attaquer SOS-Europe ?

— Eh bien, monsieur Grabber me suggérait que ce n’était peut-être pas une bonne idée, et que je devrais plutôt…

— C’est qui votre patron, Grant ? Sam Grabber ou moi ?

— C’est vous, monsieur Fuller. (Soupir.)

— Alors vous allez me faire le plaisir de traîner SOS-Europe en justice. Je veux que son président se chope des dommages-intérêts qui le laisseront en slip, et que leur hacker finisse ses jours en taule. Il a été arrêté, au fait ?

— Eh bien, aux dernières nouvelles, les decybs de NetSurvey auraient repéré son domicile quelque part en France, mais il semblerait qu’il se soit évaporé dans la nature…

— Il faut le retrouver. Je n’ai pas acquis GeoWatch à prix d’or – sans compter son passif – pour voir ses découvertes diffusées sur Internet. Au contraire. Donc vous corrigez le tir ou c’est vous qui sautez, Grant. Est-ce que je me fais bien comprendre ?

— Oui, monsieur Fuller.

— Repassez-moi Sam.

— Oui, Sam, une dernière question : que pensez-vous de la Kansas Water Union ?

— Pas grand-chose de bon a priori. Pourquoi, vous voulez en faire votre filiale d’exploitation ?

— Je vois que vous pensez aussi vite que moi. Alors ?

— Faites gaffe, vous marchez sur les plates-bandes de John Bournemouth.

— Le gouverneur ? Je le connais bien. (Surtout sa femme…) La KWU lui appartient ?

— Il détient personnellement trente-huit pour cent des parts. Une minorité de blocage.

— Je vois. J’irai lui parler.

— La négociation est toujours préférable au conflit, surtout entre gens de bonne compagnie.

— Comme vous dites. Excusez-moi, j’ai de la visite. On reparlera de tout ça.

— Entendu, Anthony. Mes amitiés à votre épouse.

— Je n’y manquerai pas. (Clic.) Consuela, tu peux entrer.