Épilogue
Le 2 juillet, cinq ans après

Pendant plusieurs minutes, je reste silencieuse, perdue dans mes pensées. Nous voilà, Loulou, David et moi, réunis sous le bouleau, cinq ans exactement après cette terrible histoire. Tout cet été me revient en mémoire : la boîte à souvenirs, notre baiser chez Loulou, un matin de juillet, le gardiennage chez les Dubuc, le déménagement de David, ma visite en prison… Les images se bousculent dans ma tête et m’étourdissent.

— Ravie de te voir, David ! s’exclame Loulou, mettant fin au silence. Nous n’étions pas sûres que tu allais venir.

— On l’avait pourtant juré, non ? Le 2 juillet, à 16 heures pile, quoi qu’il arrive, répond David d’une voix grave, ses yeux fixés sur moi. Je ne vous laisserais jamais tomber.

Je frissonne en entendant ces mots… Difficile à croire, mais David est encore plus beau qu’avant. Et moi, je reste là, ridicule, de grosses larmes dévalant mes joues, incapable de parler. C’est une fois de plus Loulou qui me sort de ce mauvais pas.

— Alors, on l’ouvre, cette boîte ?

Exactement comme cinq ans auparavant, David s’empare de la pelle. Il creuse quelques minutes, puis sort la petite caisse du trou et l’ouvre d’une main fébrile. Je le regarde et je meurs d’envie de lui demander ce qu’il est devenu, comment il va, s’il a une amoureuse… Mais je me tais.

David sort un premier sac de la boîte.

— C’est celui de Loulou ! dit-il en le tendant à mon amie tout en rouge et noir. À toi l’honneur !

Loulou ouvre le sac et en sort des petits mots de David et moi ainsi que les quatre papiers qu’elle avait écrits à l’époque. Elle les déplie et lit :

— Réussi ! Et… trêve de modestie, ça va plutôt bien !

C’est peu dire : Loulou est l’étoile du conservatoire ! Elle compte même déjà à son actif des rôles dans des théâtres professionnels. Tout le monde tombe sous son charme ! Elle continue en lisant un second papier :

Mon amie fait une moue déçue.

— Hum… objectif plus ou moins atteint. Je suis allée en Gaspésie avec mes parents il y a deux ans ! Est-ce que ça compte ?

Nous éclatons de rire tous les trois pendant qu’elle ajoute :

— Mais nous avons de gros projets pour cet été, pas vrai, Marie ?

Elle me lance un clin d’œil et ajoute pour David :

— Dans exactement treize jours, Marie et moi prenons l’avion et nous allons passer un mois en France. Et ce n’est qu’un début ! J’ai plein de projets de voyages en tête. Disons donc que cet objectif est en cours de réalisation !

Elle prend un troisième papier.

— Oh là là ! Grand projet ! Disons que ça aussi, c’est en cours de réalisation ! Je ne sais pas si c’est possible de l’être tout à fait, mais j’y travaille ! Bon, un dernier…

Loulou déplie le quatrième papier et lit :

David me lance un regard de côté, je lui réponds par un sourire embarrassé.

— Tu as réussi, Loulou, dit-il, avant de la prendre dans ses bras. Tu as toujours été là pour nous deux.

Je l’avoue, je leur envie un peu cette complicité, ces cinq années d’amitié auxquelles je n’ai pas eu droit. Tout ce temps, il n’y a eu entre David et moi qu’un long et lourd silence. Entièrement par ma faute, mais quand même…

Le cœur serré, je regarde David mettre fin à l’étreinte et prendre un autre sac dans la boîte.

— Marie-Pierre, celui-ci est à toi.

Il me le tend et ajoute d’un air moqueur :

— Dire que tu avais failli mettre Miquette dans la boîte… Rassure-moi, dis-moi que tu n’as plus cette horreur !

Je fais semblant d’être offusquée :

— Bien sûr que non, pour qui tu me prends ? Un toutou de vingt ans !

En pensée, je vois mon vieux toutou souris avachi sur mon lit, presque en lambeaux maintenant. Désolée pour le mensonge, Miquette, mais j’ai ma fierté ! À mon tour de lire les papiers rédigés jadis. J’en déplie un premier :

— On peut dire que c’est réussi ! affirme Loulou.

— Tu étudies à l’Université Laval pour être avocate, c’est bien ça ? Sur les traces de ta mère, alors ? demande David, me signifiant du coup qu’il a continué à se tenir informé ces dernières années.

— Oui, j’ai choisi de me spécialiser dans le droit des enfants. J’adore ça. J’ai l’impression de pouvoir changer les choses. De donner un sens à ma vie.

Mes deux amis me regardent d’un air entendu, comprenant parfaitement pourquoi j’ai choisi ce domaine. Je n’ai pas envie de briser la magie du moment en reparlant tout de suite de cette nuit-là. Je m’empresse de lire mon second et dernier papier.

Encore une fois, un léger malaise plane. Heureusement que je n’avais pas précisé avec qui ! J’affirme :

— Alors là, on peut dire que c’est complètement raté !

Loulou éclate d’un rire nerveux. David, lui, sourit d’un air ravi, il me semble…

— Pas de petit copain dans les parages ?

Je me contente de faire non de la tête.

— Penses-tu ! me taquine Loulou. Il y en a eu quelques-uns, mais jamais longtemps. C’est qu’elle est difficile, notre Marie, elle attend le vrai prince charmant !

Les taquineries de Loulou, les doux regards de David… J’ai l’impression de replonger dans le passé ! Émue, je contemple longuement mes deux meilleurs amis. Je crois que c’est la première fois depuis cinq ans que je me sens aussi bien. Cette chaleur, cette amitié incomparable m’ont tellement manqué… Loulou déclare :

— Allez, il ne reste que toi, David.

David prend son sac de plastique, en sort une carte que sa jumelle Carmen lui avait offerte, des photos… et une seule bandelette de papier. Il la déplie soigneusement, toussote d’un air un peu gêné, puis lance d’une traite :

Il n’ajoute rien. Il garde les yeux obstinément posés sur son papier. Il me semble même qu’il a un peu rougi. Je suis bouche bée.

— Quoi ? ! s’exclame Loulou. C’est tout ce que tu avais écrit ? Rien d’autre ?

— C’est ce que je trouvais le plus important à l’époque, répond David.

Personne ne parle pendant de longues secondes. Loulou murmure enfin d’un air embarrassé :

— Euh… bon… j’imagine que c’est le moment où Loulou déclare : « Je vais me retirer un petit instant », pas vrai ? Je vous laisse. Je vais… me chercher un verre d’eau. Ou vérifier si j’ai eu des messages sur mon cellulaire. Ou aller à la toilette. Enfin, bref, j’ai mille et une choses à faire, je reviens dans quinze minutes.

Attachante Loulou, qui entre dans la maison en coup de vent. David me sourit.

— Elle n’a pas changé du tout !

Je réponds :

— Elle est encore mieux !

— Toi aussi, ma douce. Tu es encore plus belle que dans mon souvenir.

Mon cœur bondit. J’aurais envie de lui dire tant de choses, mais j’ai la gorge si serrée que je n’y arrive pas. Comment revenir sur cinq ans de silence d’un seul coup ? Je prends une grande inspiration. Exactement au même moment, David et moi disons :

— J’aurais dû…

Nous éclatons d’un rire bref et gêné.

— Je suis désolée, David. J’aurais dû t’écouter, cette nuit-là. Ou reprendre contact avec toi après. Mais je ne savais pas quoi te dire, comment passer par-dessus cette histoire… J’avais honte, tellement honte…

— J’ai tourné tout ça dans ma tête pratiquement chaque jour depuis. J’aurais dû tout te dire, ma belle, dès que j’ai reconnu ton père. Tout aurait été beaucoup plus simple… Mais je ne savais pas quoi faire, tu comprends ? Même si tu n’étais plus très proche de lui, c’était ton père… Je savais à quel point ça te ferait mal, je voulais te protéger…

Il prend ma main dans la sienne, la serre bien fort et ajoute d’une voix rauque :

— Je t’aimais tellement. Mais j’ai tout fait rater. Ça a été encore pire pour nous deux ensuite. Surtout pour toi. J’imagine ce que tu as dû vivre…

J’ai du mal à me concentrer sur le reste de sa phrase. Je t’aimais. Je reste accrochée à cet imparfait qui me fait mal. Je baisse la tête sans répondre. David m’oblige doucement à la relever en glissant sa main sous mon menton.

— Et j’ai bien peur de t’aimer encore autant aujourd’hui…

Doucement, tendrement, ses lèvres se posent sur les miennes. Le temps s’arrête. Comme si les dernières années n’avaient pas existé. Je me perds dans les bras de David, je m’abandonne à son baiser. Je voudrais y rester toujours, mais je m’oblige à m’éloigner quelques secondes, le temps de murmurer :

— Je t’aime aussi, tu sais…

Il me serre encore plus fort et répond :

— On ne se quittera plus, mon aimée…

David a cette charmante habitude de donner des surnoms affectueux à tout le monde, mais je ne l’ai jamais entendu appeler personne ainsi. Des frissons parcourent mon dos, mes jambes tremblent, mon cœur s’affole. Je ne sais plus pendant combien de temps nous nous embrassons quand un petit rire retentit derrière nous.

— Je peux revenir ? demande Loulou, faussement timide. Ou vous préférez peut-être que je m’en aille chez moi ?

— Allez, viens, Loulou !

Nous voilà réunis sous le bouleau, tous les trois, le soleil brille, nous avons réalisé en partie nos rêves. Nous nous sentons forts, invincibles et inséparables. Exactement comme cinq ans plus tôt. Mais en mieux.

— J’ai une bonne nouvelle pour toi, Loulou, annonce David, en reprenant la bandelette de papier qu’il a lue tout à l’heure. Objectif atteint !