DessinRideauTheatre.tif

CHAPITRE 9

LES JOUEURS

Lorsqu’ils descendent du train à Kirkton, ils n’ont pas l’air d’artistes de cirque. Pas de maquillage de clown, pas de vêtements à paillettes. Will songe qu’ils doivent sembler aussi solennels que s’ils assistaient à une veillée funèbre. M. Dorian lui-même, dans son costume que complètent un haut-de-forme et une canne à pommeau argenté, ressemble à un corbeau aux ailes lustrées ; les nattes de Maren sont modestement glissées sous le col d’un pardessus marine qui lui descend jusqu’aux chevilles. Quant à Will, il porte un veston de laine foncé sur sa chemise et son pantalon ; une casquette recouvre ses cheveux noirs. Seul M. Beaupré se distingue par sa taille formidable. Même s’il ne participera pas aux spectacles donnés à bord du Prodigieux, le géant a insisté pour les accompagner jusqu’aux wagons des colons et transporter leurs bagages. Will se demande s’il n’espère pas secrètement jeter quelqu’un en bas du train.

Il risque d’être déçu. Pendant qu’ils marchent sur le gravier, Will aperçoit quelques serre-freins qui fument au sommet d’un wagon couvert ou inspectent des attelages, mais ils restent à bonne distance.

L’après-midi porte la promesse froide de la neige. Si loin au nord, les arbres sont plus grêles. Le sol est rocailleux et âpre. Aucun signe d’une ville au loin, non plus que d’un marché improvisé en bordure de la voie. Will se dit que l’escale est trop brève ou qu’il n’y a pas assez d’habitants à Kirkton.

Avec Maren à ses côtés, Will marche derrière M. Dorian en essayant de ne pas trahir sa hâte. Ils progressent, un wagon à la fois. Malgré la présence de M. Beaupré, Will craint à tout moment d’être attaqué par Brogan et ses sbires.

Qu’on ne l’ait pas reconnu lui semble incroyable. Son visage a la même forme, ses yeux, la même couleur. Personne ne l’a regardé d’assez près, sans doute. Comme le dirait peut-être M. Dorian : « Nous nous laissons facilement tromper par nos yeux. »

Pourtant, Will jurerait que certains serre-freins le regardent passer avec un grand intérêt. Peut-être sont-ils simplement curieux de voir les artistes du cirque. Les serre-freins ne sont quand même pas tous à la solde de Brogan. À en juger par la bande qui a investi les wagons du cirque, cependant, ils sont nombreux. Comment distinguer les bons des méchants ?

Son déguisement n’est pas son seul sujet d’inquiétude. Il doit se rappeler de se taire en présence d’autrui, autant dire presque tout le temps. Comme il est d’un naturel plutôt taciturne, ce sera peut-être plus facile qu’il l’imagine. Mais il n’est pas trop timide avec Maren. C’est l’une des raisons qui expliquent qu’il soit si bien avec elle.

Pendant qu’ils cheminent, M. Beaupré claironne gaiement le nom de tous les arbres qu’ils croisent et des oiseaux qui volettent entre les branches. Du toit d’un wagon à bestiaux, un serre-frein siffle Maren.

— Viens me siffler, moi, si tu l’oses, espèce de monstre d’effronterie ! rugit M. Beaupré.

Le serre-frein a un mouvement de recul et s’éclipse.

Maren ne semble pas irritée. Will se rend compte qu’elle doit avoir l’habitude de susciter ce genre de réaction. Pour la première fois, il comprend que le monde n’est pas de tout repos pour une fille. Une fille sans parents, par-dessus le marché. Au moins, Maren a ses frères, mais elle sera privée d’eux au cours des prochains jours. Elle ne pourra compter que sur M. Dorian et Will  protection à première vue dérisoire contre les types peu recommandables qui peuplent le train.

Will lui jette un coup d’œil. Il ne doute pas qu’elle sache bien se défendre toute seule, mais, en ce moment, une révélation lui vient : j’aimerais la protéger. Pour un peu, il rirait de lui-même. N’est-ce pas plutôt elle qui le protège, lui ? Il voudrait bien pouvoir lui parler. Il a encore beaucoup de choses à lui dire et à lui demander. Depuis trois ans, il accumule les questions. Pour l’heure, il se contente d’étudier son profil. Elle a un nez très intéressant.

Après une courbe dans la voie, Will aperçoit une foule immense. Pas de vendeurs ni d’étals. Que des colons qui s’étirent les jambes et respirent du bon air à proximité du train.

Près du fond du dernier wagon des colons, un beau jeune commissionnaire apparaît sur les marches. À la vue de cet homme, impeccable et officiel dans son uniforme du Prodigieux, Will éprouve un immense soulagement.

— Vous êtes M. Dorian ? demande-t-il au maître de piste.

— Pour vous servir.

— Je m’appelle Thomas Drurie. Nous vous attendions. Je peux voir votre passeport, monsieur ?

— Bien sûr.

M. Dorian produit un livret et le tend à Drurie.

— Vos noms, je vous prie ? demande-t-il à Maren et à Will.

— Maren Amberson.

Drurie regarde Will avec une certaine méfiance.

— Et vous ?

— Je vous présente Amit Sen, notre artiste spirite, dit M. Dorian. Il comprend un peu d’anglais, mais n’en dit pas un mot.

— Quelle langue parle-t-il ?

— L’hindi, répond le maître de piste.

122981.png, dit poliment Will, ainsi que le lui a enseigné un des artistes, une heure plus tôt.

Drurie écarquille les yeux.

— Qu’est-ce qu’il a dit ?

— Il s’est excusé de ne pas parler anglais, dit M. Dorian.

— Et cet… imposant monsieur ? demande Drurie avec une certaine méfiance.

— M. Eugène Beaupré. Il ne restera pas avec nous.

— Très bien. Montez, je vous prie.

— Merci, monsieur Beaupré, dit Maren en serrant dans ses bras la taille du géant, pareille à un tronc d’arbre.

— On se revoit dans la ville de la Porte des lions, Petite Merveille, répond-il avec affection.

Il regarde autour de lui, comme s’il mettait quiconque au défi d’importuner sa protégée, et repart vers les wagons du Zirkus Dante en sifflant.

Will monte dans le train. Il se souvient d’avoir été tassé comme une sardine dans des wagons de troisième classe, quand il était petit, mais rien qui se compare à ce qu’il a sous les yeux. D’abord, il croit se trouver dans un fourgon à bagages, car il y a là une multitude d’objets, des valises et des sacs et des ballots de forme bizarre, retenus par de la ficelle. Mais, parmi ces objets, il y a des gens, trop nombreux pour qu’il les compte ! Malgré tous ceux qui sont descendus, les lieux semblent incroyablement bondés.

Au même moment, la puanteur assaille Will. Celle des saucisses et des vêtements mal lavés et d’une latrine qui déborde. Les cornichons, la sueur, les bottes mouillées et l’encens ajoutent tous au fracas des odeurs.

De part et d’autre d’une allée étroite s’alignent des rangées de bancs en bois. Un vieil homme fait sauter sur son genou un bébé qui pleure et lui chante une comptine dans une langue étrangère. Quatre hommes penchent la tête sur une partie de cartes. Une femme angoissée égrène son chapelet. Deux hommes se disputent en frappant du doigt une carte géographique étendue devant eux.

Au-dessus des bancs en bois se trouvent deux rangées de couchettes escamotables. Sur l’une, une femme et un bébé dorment blottis l’un contre l’autre ; sur l’autre, un homme solidement charpenté se gratte le gros orteil. Deux garçons sautent de couchette en couchette, tandis que leur mère, sur le sol, leur crie après. On voit partout des couvertures élimées et des oreillers de fortune pleins de bosses. L’encombrement est tel qu’on peut à peine bouger. D’autres enfants courent dans les allées et grimpent sur les dossiers des bancs, transforment le wagon en terrain de jeux. La seule lumière provient des étroites fenêtres pratiquées près du plafond et de quelques lampes à huile fixées aux murs.

D’abord lentement, puis de plus en plus vite, les gens commencent à remarquer Will et les autres.

— Cirque…

Zirkus…

Sirkuksen…

Cirkuszi…

Dans le wagon, le mot, murmuré en plusieurs langues, se répand. La plupart des passagers semblent contents. Quelques-uns reculent au passage du trio. Une petite fille se met à pleurer à la vue de M. Dorian dans son haut-de-forme et son manteau noirs à l’aspect austère  jusqu’à ce qu’il sorte une sucette de sa poche et la lui tende. Soudain, les artistes ont à leurs trousses un essaim d’enfants qui tirent sur leurs vêtements avec des yeux implorants. Le maître de piste extrait d’autres sucettes et bonbons durs de ses poches apparemment sans fond. Les passagers applaudissent, poussent des acclamations.

— Vous allez devoir dégager cette allée, lance Drurie inutilement, car personne ne l’écoute. Aucune entrave ne sera tolérée ! Est-ce une poule que je vois là ?

Dans un coin du wagon, un poêle ronfle. Pas moins de sept marmites bouillonnent dessus. Will suppose que c’est ainsi qu’ils se restaurent : profiter d’un espace libre et manger quand c’est possible.

— Il y a seulement un poêle ? demande Maren à Drurie.

Il pose sur elle un regard confus et ignore la question, comme si elle ne méritait pas qu’on s’y intéresse.

— Désolé de vous infliger une telle épreuve, dit Drurie à M. Dorian. Ça sent plutôt mauvais.

— Pas étonnant puisqu’il semble y avoir un seul cabinet d’aisances par wagon, répond sèchement le maître de piste.

En traversant le wagon, Will se rend compte que ces gens disposent de moins d’espace que les animaux du Zirkus Dante. Il est injuste que certains occupent des quartiers aussi exigus, tandis que d’autres, à l’avant, voyagent dans le luxe. Son père sait-il comment ces gens sont traités, à l’arrière ?

— Ils ont bien de la chance d’être à bord du Prodigieux, ceux-là, dit Drurie avec une moue. Ce sont les plus pauvres d’entre les pauvres, échoués sur les rivages de notre pays pour s’approprier nos terres.

— Intéressant, dit M. Dorian. Ma mère est une Indienne crie. Ce sont peut-être des gens comme vous qui ont échoué sur nos rivages. Idée stimulante, ne trouvez-vous pas ?

Drurie se racle la gorge et continue d’avancer.

— Selon certaines rumeurs, il y aurait un meurtrier à bord du train, dit-il, et je parierais n’importe quoi qu’il se trouve parmi ces gens-là. À votre place, j’ouvrirais l’œil.

M. Dorian soulève son chapeau pour saluer une dame portant une coiffe.

— Bien le bonjour, madame. Maintenant, Drurie, auriez-vous l’obligeance de nous indiquer l’endroit où nous donnerons notre spectacle ?

— Nous vous avons fait un peu de place, quelques wagons plus loin, répond-il. J’espère que ce sera satisfaisant.

— Je n’en doute pas, dit M. Dorian.

Ils aboutissent dans un wagon dont toute une section, au fond, a été délimitée par des rideaux.

Will s’attend à découvrir une scène de théâtre. Lorsque Drurie ouvre, Will a plutôt sous les yeux un petit magasin pourvu de multiples tablettes : miches de pain de seigle noir, jambons cuits, boîtes de légumes, quelques fruits frais, des pains de savon, des serviettes, des bouteilles de formes et de couleurs différentes, fermées par des bouchons de liège. À leur entrée, un homme bien mis, assis sur un banc rembourré, lève les yeux.

— Ah ! Vous devez être les artistes chargés de nous divertir, dit-il avec un accent châtié qui, aux oreilles de Will, est celui de l’aristocratie anglaise. Je m’appelle M. Peters.

Tout de suite, Will remarque l’extrême propreté des ongles de l’homme. En fait, ils sont aussi polis et parfaitement incurvés.

— Vous êtes le chef commissionnaire ? demande M. Dorian.

— Non, non, un simple passager payant. N’est-ce pas, Drurie ?

— Oui, monsieur Peters.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne ressemble pas aux autres passagers. Il dispose de tout un coin du wagon pour lui tout seul, l’équivalent de trois rangées de bancs, délimité par d’épais rideaux. À chacune des entrées, devant et derrière, est assis un barbu portant un lourd manteau, une carabine appuyée sur sa chaise.

— Vous êtes aussi marchand, dirait-on, constate M. Dorian en examinant les articles réunis.

— Eh bien, comme vous le savez, Le Prodigieux ne fournit pas de repas à ces pauvres gens. Alors je fais ma part.

— Deux dollars pour une miche de pain ? dit Maren en lisant un écriteau.

— Oui, mademoiselle.

— C’est beaucoup, observe-t-elle.

— C’est le juste prix à bord du Prodigieux, jeune demoiselle. Avant de monter sur vos grands chevaux, laissez-moi vous poser une question : combien d’hommes de ma condition accepteraient de voyager en compagnie de personnes de cette catégorie ? Je m’y résous à seule fin de les secourir.

— Ah ! s’exclame M. Dorian. C’est très noble de votre part.

— Nous sommes dans le wagon suivant, dit Drurie, pressé de les emmener.

— C’est dégoûtant, marmotte Maren dès qu’ils sont sortis.

— Le chef de train sait-il qu’il y a un profiteur à bord du train ? demande M. Dorian à Drurie, visiblement mal à l’aise.

— Il a payé pour toutes les places qu’il occupe, répond-il. Et les passagers sont heureux de pouvoir compter sur lui lorsqu’ils ont besoin de quelque chose.

Aux oreilles de Will, cette réponse semble avoir été préparée à l’avance. Il se demande si son père sait ce qui se trame à bord du Prodigieux.

— Nous avons demandé aux passagers de dégager un espace ici, explique sèchement Drurie en les guidant vers le centre du wagon.

Will imagine sans mal comment des hommes comme Drurie s’y sont pris pour forcer des passagers à renoncer à leur siège. Il est toutefois surpris d’être accueilli par de grands sourires enthousiastes et des applaudissements de la part des déplacés.

— Merci, merci, dit M. Dorian avec grâce. Vielen Dank. Thank you. Grazie. Nous vous promettons un spectacle des plus divertissants, et vous serez aux premières loges. Nous débutons dans une heure !

En guise de rideaux, on a épinglé des draps qui séparent les « coulisses » des quelques rangées de sièges inoccupés. Drurie leur dit au revoir et sort par la porte à l’avant du wagon.

Les yeux de Will s’attardent sur cette porte. Au-delà, il y a un wagon qui transporte des colons, puis des centaines d’autres, avant les wagons de troisième classe, puis ceux de deuxième et enfin ceux de première. Le trajet est là, qui l’attend.

— Quel duo dégoûtant, déclare Maren en posant son sac derrière les rideaux. Peters et ce lâche de commissionnaire… Ça ne devrait pas être permis.

— Il en va ainsi depuis toujours, dit M. Dorian. Je ne vois pas de changement à l’horizon.

Tout autour d’eux, on entend le brouhaha des passagers. Will croit donc pouvoir chuchoter sans danger.

— Je vais en parler à mon père. C’est un homme juste. Il ne tolérera pas une telle situation.

M. Dorian sourit faiblement.

— Tu sais mieux que quiconque comment le chemin de fer s’est construit, Will. Sur le dos d’ouvriers mal payés. Un dollar par jour pour risquer sa vie. Moins pour ceux qui n’étaient pas blancs.

— En tout cas, rétorque Will, obstiné, mon père était du nombre. Il n’aimerait pas savoir que des gens sont maltraités à bord de son train.

L’évocation de son père avive son impatience.

— J’ai réfléchi… Je pense que je pourrais me débrouiller tout seul, à partir d’ici.

Maren le dévisage, surprise.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Vous n’avez pas besoin de moi. Je n’ai qu’à remonter vers l’avant.

— Mais ce n’est pas le plan dont nous avons convenu.

M. Dorian le regarde calmement.

— Je te le déconseille, William. Tu n’as ni billet, ni passeport pour aller d’un wagon à l’autre. On ne te laissera pas passer. Et tu peux être sûr que les hommes de Brogan sont aux aguets. J’ai l’impression qu’il a mis Drurie dans la confidence, peut-être d’autres commissionnaires aussi. Ils cherchent un meurtrier et ils signaleront à Brogan tout comportement jugé suspect. Tu risques beaucoup moins en attendant d’atteindre la première classe avec nous.

— Encore deux nuits seulement, Will, lui rappelle Maren.

Elle semble sincèrement inquiète.

— Tu es plus en sécurité avec nous.

Se mordant la lèvre, Will fixe une fois de plus la porte. Et si Brogan tente de dérober la clé de son père et qu’ils engagent le combat ? Son père est fort, mais sait-il se servir de ses poings ? Se défendre contre un couteau ? Dans ses récits, il a souvent évoqué des batailles qu’il avait interrompues. Ayant survécu pendant trois ans à la construction du chemin de fer, il saura sûrement se défendre contre des types comme Brogan.

— D’accord, dit Will en se détournant de la porte.

Il s’inquiète toujours pour son père, et il est tout aussi terrifié à l’idée d’exécuter un numéro. Il n’a jamais rien fait de tel. À l’école, quand il devait présenter des exposés oraux, il en était malade des jours à l’avance. Le moment venu, il éprouvait une terreur telle, en prenant place devant les autres élèves, qu’il craignait de s’évanouir. Les réflexions et les mots utiles désertaient alors son cerveau.

— Tout ira bien, chuchote Maren, qui a lu dans son esprit. Tu n’es plus Will Everett. Tu es complètement différent. C’est ce qu’il y a de plus merveilleux dans ce métier : c’est un autre qui se produit. Un autre qui possède des habiletés et des pouvoirs dont tu n’aurais jamais osé rêver.

Pendant un moment, il éprouve, une fois de plus, la liberté d’habiter un corps qui n’est pas tout à fait le sien.

— Tu vas adorer, lui promet Maren.

Brogan court sans effort sur le toit des wagons en fonçant vers l’avant. Il est chez lui sur cette route cahoteuse, en mouvement constant, qu’il connaît comme le fond de sa poche. Malgré un léger boitement, il a le pied aussi sûr qu’une chèvre de montagne.

Le boitement n’est pas le produit des années qu’il a passées comme dynamiteur ou comme poseur de rails. Des hommes, des Chinois surtout, mouraient à tout bout de champ, mais lui était protégé par une sorte d’enchantement. Il était le meilleur dynamiteur de la bande, et il n’a été blessé que le dernier jour, lorsque le sasquatch l’a attrapé par la jambe et catapulté dans la gorge. Il aurait dû mourir, ce jour-là. Mais quelques buissons poussaient au bord du précipice et il a réussi à s’y accrocher. Il est resté là, invisible, jusqu’à ce que la voie soit libre. Puis il est remonté et, clopin-clopant, il a gravi la montagne pour se donner une nouvelle identité. Un nouveau nom et le tour était joué.

Brogan ignore si le jeune Everett est à bord du train. Peut-être est-il tombé, cette nuit-là. Tout ce que Brogan sait, c’est qu’il ne remettra jamais les pieds dans les wagons du Zirkus Dante, tant et aussi longtemps que le sasquatch sera dans les parages. Il n’a pas peur de grand-chose, mais ces bêtes réduisent ses entrailles en bouillie.

C’est sans importance, cependant. Car il existe une autre clé. Cet idiot d’ivrogne lui en a donné l’assurance.

Brogan atteint l’avant de la première classe et descend sur la plate-forme. En principe, les serre-freins ne doivent pas entrer dans ces wagons sans vêtements élégants. Il jure dans le décor. Mais il n’a pas l’intention de s’attarder.

Il entre dans le wagon et passe la tête dans le bureau du steward. Vide. À un mur sont accrochées les clés des wagons de première, toutes bien identifiées pour la durée du voyage. Il s’empare de celle sous laquelle est écrit EVERETT. Le compartiment est le premier du wagon. Deux secondes plus tard, il est à l’intérieur.

Il tend l’oreille. Personne ne bouge à l’étage. Il se dirige vers le bureau à cylindre, ouvre les tiroirs, fouille dans les papiers. Rien. Examinant les surfaces, les tablettes et les débarras, il traverse le séjour et grimpe à l’étage.

On dirait que la chambre principale n’a jamais été utilisée. Il inspecte la commode, en vain. Puis la chambre du garçon. Avec le même résultat.

Fou de rage, il a envie de claquer les portes, de tout saccager. Il prend un moment pour calmer sa respiration.

James Everett a sans doute la seule autre clé sur lui.

Il laisse le compartiment tel qu’il l’a trouvé, sort du wagon et grimpe sur le toit.

Ce sera plus sanglant. Mais il ne peut plus revenir en arrière.

Pendant le long retour vers la queue du train, un nouveau plan s’échafaude dans son esprit.

Will jette un coup d’œil entre les rideaux.

Le Prodigieux roule de nouveau. Maintenant que tous les passagers sont remontés, le wagon est rempli à craquer. De part et d’autre de l’estrade de fortune, des gens sont assis par terre, sur les genoux ou sur les épaules d’autres passagers, accrochés aux couchettes qui ploient dangereusement.

Sur scène, M. Dorian vient d’hypnotiser un homme qui pépie comme un oiseau. La foule hurle de rire.

Will laisse retomber les rideaux et avale sa salive.

— Ça va ? lui demande Maren, tout bas.

Il hoche la tête. Il n’a pas envie de parler.

Quatre portraits. Voilà tout ce qu’on attend de lui. Mais il a peur de vomir. Dans sa poche, sa main trouve la dent de sasquatch et frotte sa surface grêlée.

— Je vais être à côté de toi, dit-elle en lui serrant la main entre les siennes.

Pendant un moment, il est distrait par le contact de la peau de Maren contre la sienne, puis la voix de M. Dorian retentit. C’est son signal.

— Et maintenant, mesdames et messieurs, un phénomène des plus singuliers vous attend. Nombreux ont été, au cours de l’histoire, les artistes capables d’exécuter des portraits. Mais l’un d’eux aurait-il été en mesure d’exercer son art sans voir ses sujets ? Le jeune homme qui suivra est né dans le royaume de l’Inde et a étudié pendant des années pour parfaire son don. Quatre heureux spectateurs choisis au hasard auront ainsi le privilège d’être dessinés. Je vous présente Amit, l’artiste spirite !

Will perd la majeure partie du boniment. Dans sa tête, les mots ne font que s’entrechoquer. Maren le pousse doucement. Il déglutit et sort. Par chance, il entrevoit l’auditoire pendant quelques secondes seulement, masse solide de corps et de têtes et de chaleur et d’expectative. Il est heureux que Maren le guide vers le tabouret sur lequel il s’assoit, face au mur.

— Qui sera le premier à se faire dessiner ? demande M. Dorian.

Un véritable rugissement ébranle le wagon.

— Vous, monsieur. Approchez, s’il vous plaît. Mettez-vous là. Voilà, juste derrière lui. Regardez bien, maintenant. Pour avoir la certitude que notre artiste ne voit rien…

À ce signal, Maren brandit le foulard devant les spectateurs. Passant derrière Will, elle le noue sur le visage du volontaire.

— Vous voyez quelque chose, monsieur ?

Nyet. Ri-yenne.

— Bandons les yeux de notre artiste spirite, dans ce cas, enchaîne M. Dorian, et laissons-le commencer !

Le foulard est noué sur le visage de Will. Il voit parfaitement à travers. Il avance les mains à tâtons et Maren lui tend son carnet à dessins et son crayon. Puis elle recule de quelques pas et se poste devant lui.

Il se concentre sur les ingénieuses paillettes réfléchissantes de la robe de Maren. Ensemble, elles forment une sorte de mosaïque. L’image, bien qu’imparfaite, suffit. Will et Maren ont convenu d’une méthode. Il se gratte l’oreille, elle se tourne vers la droite ; il tape du pied, elle pivote sur sa gauche. Il voit le visage de l’homme : un solide rectangle de chair et d’os. Des sourcils touffus, d’un seul tenant.

Will est nerveux et il craint que les spectateurs voient sa main trembler. Il se souvient alors de son truc d’enfance. Son œil est le crayon. Et il se met au travail, parcourt le petit territoire de rides et de courbes, hachure ici et là. Il travaille rapidement, conscient de ne pas pouvoir faire attendre l’auditoire trop longtemps.

Le portrait n’est pas très réussi, mais, au bout d’une minute, M. Dorian le lui arrache et le brandit devant les spectateurs.

— La ressemblance n’est-elle pas saisissante ? s’écrie-t-il.

Will entend un vaste murmure d’approbation, des applaudissements et des bruits de bousculade. Chacun veut avoir son tour. Will exécute un nouveau dessin, avec plus de confiance, cette fois. Dans le reflet des paillettes de Maren, il est témoin de la joie de la femme à qui M. Dorian remet son croquis. Elle le montre à son mari et à ses enfants. Elle ne veut même pas le plier. Il se demande si elle a déjà été photographiée.

Deux portraits encore et soudain il a terminé sa prestation. Il salue, soulevé par les applaudissements. Lorsque Maren et lui se retirent derrière les rideaux, il se sent électrisé, incapable de rester immobile.

Maren rit.

— Ce n’était pas si difficile, après tout, non ?

— Ça m’a plu !

Il y a tant de bruit autour d’eux qu’il ne craint pas d’être entendu.

— Je te l’avais bien dit. Tu finiras par joindre les rangs du cirque !

— Tu es encore nerveuse, toi, sur scène ? lui demande-t-il.

— Parfois.

Puis Maren est appelée pour son numéro et Will l’observe avec attention par une fente entre les rideaux.

Elle est calme et posée. Dans sa main, elle tient une bobine de fil bien compacte, semblable à celle d’une canne à pêche. Elle tourne la petite manivelle et le fil, rigide, se déroule à l’horizontale. Il se termine par un grappin. Elle continue de tourner et le fil s’allonge. Les spectateurs s’écartent pour le laisser passer. Will n’a jamais vu un appareil de la sorte, en soi un tour de magie. Lorsque le fil atteint l’autre bout du wagon, Maren imprime une légère torsion à son poignet et le crochet se fixe à une saillie, à environ trois pieds du sol.

Maren court alors jusqu’à l’autre bout du wagon et accroche la bobine au mur. Elle a créé sa propre corde raide au milieu du wagon. Elle saute dessus, sa tête frôlant le plafond.

La foule pousse une grande acclamation. Sur le fil, Maren est transformée. Soudainement, Will ne la connaît plus du tout. Émerveillé, il la voit gambader, exécuter des sauts périlleux, fermer les yeux, marcher à reculons, s’allonger sur le ventre et feindre le sommeil.

Malgré la liesse, Will remarque les regards que certains hommes posent sur elle, des regards furtifs et avides qui ne lui plaisent pas du tout.

Maren invite les passagers à lui lancer des objets et elle les attrape l’un après l’autre : un chapeau, une bouteille, un saucisson. Puis elle s’en sert pour jongler. Après avoir relancé les objets à leurs propriétaires légitimes, elle descend, rembobine le fil et regagne la scène en faisant la roue dans l’allée.

C’est l’heure de la Disparition. Will voit un spectateur enchaîner Maren, puis on la recouvre d’un foulard géant. Il l’observe attentivement dans l’espoir de comprendre le truc  et il sursaute lorsqu’elle lui tape sur l’épaule derrière le rideau.

— Comment as-tu fait ? demande-t-il.

— Je ne te le dirai jamais, répond-elle, les joues roses, essoufflée.

Comme il voudrait pouvoir la dessiner ainsi !

M. Dorian tire les rideaux pour les révéler aux spectateurs et on entend un véritable tsunami d’applaudissements. Même ceux qui ont eu la chance d’assister au spectacle assis sont debout, applaudissent et crient « Bravo ! » et « Brava ! » et d’autres mots que Will ne comprend pas. Il sent un étourdissant bonheur éclore en lui.

Les spectateurs foncent vers eux et Will se dit qu’ils risquent d’être écrasés. On les saisit, tous les trois, et on les hisse sur des épaules, puis on les conduit dans un autre wagon où il y a un poêle sur lequel des marmites bouillonnent.

On déplace des ballots, des gens se poussent, et Will se retrouve sur un banc, à côté de Maren. Elle semble aussi abasourdie que lui. Dès qu’il est assis, on lui pose un bol de nourriture sur les genoux et une cuillère dans la main. Et Will comprend qu’on les invite à souper.

Le bol dégage un parfum divin, mais Will a tout juste le temps de prendre une bouchée que déjà on le touche et le bombarde de questions dans plusieurs langues. Il sait qu’il ne doit pas répondre en anglais. Il se contente donc de sourire et de répéter les quelques mots d’hindi qu’il a mémorisés.

De l’autre côté de la masse grouillante de corps, il aperçoit un homme qui a l’air indien et tente désespérément de s’approcher de lui. Que se passera-t-il s’il essaie de converser avec Will ? Il sera démasqué ! Par chance, des instruments de musique apparaissent soudain. D’étranges objets à cordes, des guimbardes, un machin qui ressemble un peu à un accordéon.

Les colons offrent leur propre spectacle, peut-être pour remercier les artistes. Will se sent un peu écrasé et assourdi, mais ils sont si gentils qu’il ne s’en formalise pas.

Un homme lui glisse un verre dans la main et le regarde avec tant d’attente que Will n’a d’autre choix que de le vider d’un trait. Le liquide lui brûle la gorge. La foule l’acclame.

Lorsque la danse débute, Will, qui a sifflé deux autres verres, est convaincu que danser est justement la chose la plus extraordinaire du monde. Il se glisse dans une masse confuse de bras en sueur et martèle le sol ; il n’a plus toute sa tête. Tout près, il voit Maren, qu’on fait virevolter et qui forme une tache de couleur vive. Il a envie de l’agripper, de l’arrêter de bouger, de sentir une fois de plus sa peau sur ses mains.

Brusquement, on les pousse l’un contre l’autre, puis les colons se pressent autour d’eux en battant des mains.

— Ils veulent qu’on danse ensemble, dit Maren.

Il est sur le point de lui répondre en anglais, de lui dire qu’il ne sait pas danser, mais il est trop tard. Elle a saisi ses mains et l’entraîne dans une valse approximative. Après quelques pas, il tente de mener et lui marche sur les pieds, puis elle recommence à mener, et bientôt ils rient comme des fous.

Soudain, un cri de consternation poussé par une femme s’élève au-dessus de la musique. Les instruments se taisent. On entend une rafale de mots durs. La foule se déplace, se tourne vers la commotion.

Will aperçoit alors l’un des gardiens de M. Peters. Il domine un homme de petite taille, dont le visage est congestionné et envahi par l’indignation. Une femme, son épouse peut-être, invective le gardien, tandis qu’un petit garçon, accroché à elle, observe la scène, le visage blême de peur.

Le gardien pousse l’autre homme contre le mur, glisse la main dans son veston et en sort une mince bouteille. L’homme essaie de l’attraper, mais le gardien lui assène une violente gifle.

Pendant un moment, toutes les personnes présentes restent silencieuses. Puis quelques colons crient et s’avancent vers le gardien d’un air menaçant, mais l’homme de Peters arme sa carabine, et ils battent en retraite.

— Y a-t-il un problème ? demande M. Dorian au gardien à son passage.

— Rien qui vous concerne, grogne l’homme en sortant du wagon.

La femme pleure ouvertement, à présent.

— Leur petit garçon être malade, explique un homme à M. Dorian. M. Peters vendre médicament. Le père ne pas avoir argent. M. Peters vendre médicament mais vouloir argent plus tard. Le père essayer vendre choses pour avoir argent, mais il ne pas réussir. Alors Peters reprendre médicament.

— Il n’a pas d’argent du tout ? demande M. Dorian.

— Seulement nourriture pour voyage, mais M. Peters ne pas vouloir nourriture. Il vouloir titre.

Maren fronce les sourcils.

— Quel titre ?

— Titre sur terre. Famille venir pour ça.

— Ah ! s’écrie M. Dorian. Les concessions immobilières offertes par le gouvernement…

Will est au courant. La plupart des colons font le voyage pour prendre possession des terres qu’on leur a accordées et y créer une ferme ou un ranch. Le titre est leur preuve de propriété. Sans lui, ils n’ont rien.

— On dirait bien que M. Peters fait aussi de la spéculation immobilière, constate M. Dorian.

William regarde le petit garçon au visage crispé. Il n’a jamais ressenti un tel élan d’indignation fiévreuse. Sans réfléchir, il s’élance aux trousses du gardien de Peters.

Maren le suit de près.

— Qu’est-ce que tu fabriques, Amit ? chuchote-t-elle.

Il l’ignore, fonce jusque dans le wagon de Peters. Il est conscient de la présence de Maren à ses côtés et de M. Dorian, juste derrière. Elle lui glisse à l’oreille :

— Surtout, pas de bêtises !

Will n’a ni trucs, ni pouvoirs. Mais il a presque trois dollars dans sa poche. Il entre dans la pièce délimitée par des rideaux, où M. Peters mange sur une belle assiette en buvant du vin. En le voyant surgir, les deux gardiens bondissent.

— Ah ! Le garçon de cirque, dit-il. Désolé d’avoir raté votre spectacle. Je n’ai jamais été porté sur les divertissements bon marché.

Will sort les pièces de sa poche et les pose devant M. Peters.

— Médicament, dit-il.

— Ah ! Tu parles donc un peu d’anglais, finalement !

Will, conscient d’avoir commis une erreur, n’ajoute rien. Mais il est normal qu’Amit ait grappillé quelques mots d’anglais, ici et là.

— Il veut le médicament pour ce garçon, explique Maren.

M. Peters étudie Will avec amusement… et curiosité.

— Je suis heureux de constater que ton maître de piste te rémunère généreusement. Je me suis laissé dire qu’ils étaient parfois d’horribles exploiteurs. J’accepte avec plaisir de te vendre le médicament.

Il fait signe au gardien, qui prend la petite bouteille sur la tablette et la lance à Will.

Celui-ci l’attrape et l’empoche.

— Riche et bon Samaritain par-dessus le marché, dit M. Peters. Voilà qui réchauffe le cœur. Nous sommes pareils, tous les deux. Par chance, j’avais en main le médicament dont a besoin ce garçon. Si le chef de train apprend qu’il y a des voyageurs malades à bord, il risque de les obliger à débarquer. Dans un tel cas, leur situation serait encore plus désespérée. Mieux vaut que le problème soit réglé par des hommes débordants de compassion comme nous.

Will sait qu’il s’agit d’une menace : tenez votre langue à propos de ce que je manigance ici, sinon cette famille risque d’en pâtir.

Will se tourne vers Maren en feignant de ne pas avoir saisi un traître mot et s’aperçoit qu’elle a le visage blanc de rage. Cette fois, c’est lui qui pose une main sur son bras, de crainte qu’elle commette une imprudence.

— N’oublie pas ta monnaie, dit M. Peters.

Will se retourne et accepte les pièces que l’homme lui tend. Avant de prendre congé, M. Dorian, qui a observé la scène à l’abri des rideaux, salue Peters en portant la main à son chapeau.

Will traverse les wagons jusqu’à la famille du garçon et tend la bouteille à la mère qui, sous l’effet de la surprise, écarquille les yeux.

— Cet homme, il ne va pas venir la reprendre ? demande nerveusement le père.

— Non, répond Maren.

Le garçon fixe la bouteille et éclate en sanglots.

— Pourquoi pleure-t-il ? demande Maren.

— Le goût, répond la mère. Il n’aime pas.

Le garçon pleurniche un mot qui sonne comme « bateau ».

— Qu’est-ce qu’il dit ? demande Maren.

— Un jouet, un bateau, nous l’avons laissé derrière nous, explique la mère. Et il est encore triste.

À l’oreille de Maren, Will chuchote :

— Demande-lui de le décrire.

Maren obtempère et Will attend que la mère traduise la question pour son fils. Le garçon sourit et son visage pâlot s’anime. Il babille longtemps. Tandis que la mère fournit les détails à Maren, Will sort son carnet à dessins. Il travaille rapidement tout en ayant soin d’ajouter le plus de détails possible.

Enfin, il arrache la page de son carnet et la tend au garçon.

Celui-ci fronce les sourcils et montre du doigt la cheminée.

Sa mère lui adresse quelques mots sévères et les yeux du garçon se mouillent de nouveau.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? demande Maren.

— Il est trop exigeant, répond la mère.

Will voit le garçon tracer le contour d’une cheminée plus grande. Will tend la main et, en quelques traits rapides, grossit la cheminée, puis il ajoute un généreux panache de fumée.

Le garçon adresse un large sourire à Will, qui se sent comme un héros.

— J’espère que votre fils ira bientôt mieux, dit Maren.

— Merci, leur dit le père. Merci.

— Cirque…

Zirkus…

Sirkuksen…

Cirkuszi…

Le mot qui a salué l’arrivée de Will marque aussi son départ, au milieu des applaudissements et des acclamations. Maussade, Drurie leur fait traverser les derniers wagons des colons. Will, qui trimballe sa petite valise, se sent épuisé, tout à coup. Il n’a jamais eu une envie aussi pressante de se coucher. Drurie les conduit devant une porte qui exige deux clés. Lorsqu’elle s’ouvre, le vacarme des rails envahit l’espace. L’air froid frappe Will en plein visage. Il fait très noir dehors.

De l’autre côté de l’attelage, un commissionnaire se tient devant une fenêtre éclairée. Il adresse un signe de tête à Drurie et ouvre la porte. Puis, à la suite de Maren et de M. Dorian, le corps de Will, aussi lourd que du plomb, s’engage sur la plate-forme frémissante de la troisième classe.