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La recherche du bonheur

Il y a trois choses extrêmement dures: l’acier, le diamant et se connaître soi-même.
– Benjamin FRANKLIN, homme d’État et de sciences

La première chose que je vous demande de faire est de mettre ce livre de côté. Beaucoup d’auteurs chevronnés m’ont dit que cette phrase est l’une des pires qui commencent un livre, mais je dois être honnête. Vous vous apprêtez à lire la définition du bonheur selon un tas de philosophes et de scientifiques. Avant que votre esprit ne soit rempli de concepts émis par des bolés et des gens qui ne sont plus de ce monde (et des bolés qui ne sont plus de ce monde), mettez ce livre de côté, prenez un stylo et écrivez pendant quelques minutes ce qu’est le bonheur pour vous.

Si vous avez encore ce livre en main et que vous vous dites: «Bof, je le ferai plus tard. Vous avez écrit tout un livre à ce sujet, alors pourquoi ne me dites-vous pas tout simplement ce qu’est le bonheur, petit malin?», alors c’est à vous que je m’adresse tout spécialement. Oui, vous. Faites ce que je vous demande. Quand d’autres idées que les nôtres embrouillent notre esprit, il est vraiment difficile de reconnaître celles qui nous sont propres. Après avoir lu ce livre, vous trouverez sans doute intéressant de pouvoir lire quelle était votre conception du bonheur avant de le commencer. Vous l’avez écrite? Parfait! Continuez votre lecture. Dans le cas contraire, ne me dites pas que je ne vous ai pas averti. Ce livre invite à un grand nombre d’explorations et, tôt ou tard, vous aurez à faire un cheminement intérieur.

Le pourquoi du bonheur

Tous les jours, je rencontre des gens qui se présentent pour la première fois à un cours de yoga et je leur pose toujours la même question: «Pourquoi voulez-vous faire du yoga?» Les réponses à cette question se comptent par centaines. Pour me mettre en forme, pour maigrir, pour être plus souple, plus centré sur moi-même ou, encore, ma réponse préférée, «pour survivre à l’Action de grâce sans avoir étranglé mes parents». Pendant toutes mes années comme professeur de yoga, jamais je n’ai entendu quelqu’un dire: «Je ne sais pas». La raison peut être simple ou compliquée, enfouie au fond de soi-même ou évidente, il n’en reste pas moins que, à mon avis, on ne s’assoit sur un tapis de yoga que si l’on veut que quelque chose change dans sa vie.

Aussi différentes ces raisons semblent-elles, d’un point de vue extérieur, en creusant un peu et en se demandant «Pourquoi? Pourquoi vouloir un tel changement?», on en arrive fatalement à une recherche du bonheur. C’est ce à quoi fait référence le professeur que j’ai rencontré à Harvard et au Centre Kripalu, Tal Ben-Shahar, en parlant du «pourquoi récursif à l’infini» (2007). Je veux faire du yoga pour être plus serein. Pourquoi? Pour ne pas bousculer ma famille. Pourquoi? Parce que si ma famille est heureuse, je le suis aussi. Mais pourquoi est-ce que je désire être heureux?

Le bonheur est l’aboutissement du pourquoi, même si depuis 1 000 ans, de grands esprits ont essayé de le faire aller plus loin. Selon Aristote, le grand philosophe de la Grèce antique: «Le bonheur est le principe et la raison d’être de la vie, le but et la finalité suprêmes de l’existence humaine». Il s’agit d’une émotion humaine fondamentale et, une fois que nous sommes heureux, aucun autre pourquoi ne saurait approfondir notre bonheur. En tentant de résumer l’idée du bonheur, le philosophe chrétien du XIIIe siècle, Thomas d’Aquin, le définit comme «la dernière fin de l’homme». Plus récemment, le dalaï-lama a résumé de façon éloquente la vision bouddhiste de l’inéluctable question du bonheur:

Une grande question sous-tend notre expérience, que nous y songions sciemment ou pas: Quel est le sens de la vie? (…) Je crois que le but de la vie est d’être heureux. Dès la naissance, tout être humain aspire au bonheur et ne veut pas souffrir (…) Du plus profond de notre être, nous voulons simplement être contents. Je ne sais si l’univers, avec ses innombrables galaxies, étoiles et planètes, a un sens plus profond ou non, mais au moins, il est évident que nous, humains qui vivent sur cette terre, avons pour tâche de nous faire une vie heureuse. (2011,2)

Une vie heureuse s’accompagne de nombreux avantages. Les gens heureux vivent plus longtemps et ont un meilleur système immunitaire. Ils font plus d’argent et sont plus aimables, plus optimistes et plus résilients. C’est une bonne chose pour eux, mais aussi pour tout leur entourage. Les gens heureux sont davantage politisés et engagés socialement. Ils sont plus productifs au travail et font preuve de plus de créativité pour résoudre les problèmes. Leur mariage est plus solide et leurs amis plus nombreux et plus sincères. Ils font aussi preuve de plus d’altruisme et de philanthropie. S’il est difficile de savoir si c’est le bonheur qui les rend ainsi, il n’en reste pas moins qu’il y a une forte corrélation entre le bonheur et ces avantages (Lyubomirsky, King et Diener, 2005). Bien entendu, il n’est pas nécessaire de faire de longues recherches pour comprendre l’une des conséquences du bonheur: il nous fait nous sentir magnifiquement bien.

Le bonheur est éloquent et la recherche du bonheur s’immisce dans tout ce que nous faisons. Qu’il s’agisse de toucher nos orteils ou de chercher la lumière, chacun de nous est, d’une façon ou d’une autre, en quête de bonheur. Dans ce cas, pour nous aider à le trouver, il vaut mieux savoir ce que nous cherchons.

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Le pourquoi rétrospectif à l’infini

Prenez une minute pour écrire vos désirs – tous ceux qui vous viennent à l’esprit. Il peut s’agir d’un but à atteindre, d’objets à acquérir, d’émotions ou de quoi que ce soit d’autre. Pour le moment, n’essayez pas de les évaluer ou de les analyser, et ne vous demandez pas s’ils sont réalistes ou non. Laissez seulement vos pensées émerger et consignez-les au fur et à mesure qu’elles se présentent.

Choisissez-en trois qui vous motivent aujourd’hui et tentez de trouver leur origine. Pourquoi les voulez-vous? Pourquoi est-ce cela que vous désirez? Notez dans quel sens vous mène votre exploration. Y a-t-il des points communs entre chacun de ces désirs? Se présentent-ils avec la même intensité?

Trois bonheurs

Une fois circonscrit le fondement de notre bonheur en ayant répondu à la question «pourquoi?», d’autres questions émergent déjà. «Comment savoir vraiment si je suis heureux? Qu’est-ce que le bonheur, de toute façon?» Cette dernière est ma préférée. Si vous voulez vraiment gâcher une agréable conversation entre amis, demandez à ceux qui vous entourent quelle est leur définition du bonheur et observez le malaise les envahir. Demander à quelqu’un de définir le bonheur, c’est comme lui faire remarquer qu’il a un énorme grain de beauté: il sait qu’il devrait prendre des mesures pour savoir s’il est cancéreux ou non, mais ça l’inquiète trop et l’idée de savoir à quoi s’en tenir le rend nerveux. Le dire à haute voix est, pour lui, tout simplement impensable.

Pourtant, les philosophes se font une joie de parler de la nature du bonheur lors des soirées entre amis et c’est pourquoi ils ne sont jamais invités. Quoi qu’il en soit, si les trois philosophes dont nous avons déjà parlé sont unanimes quant au rôle primordial du bonheur, les définitions qu’ils en donnent se ressemblent à peine. Aristote utilise le mot eudemonia, qui signifie littéralement «béatitude», et a généralement le sens de «vivre en agissant conformément aux vertus». Il décrit l’eudemonia comme un comportement plutôt que comme une façon d’être – non pas quelque chose que vous ressentez, mais quelque chose que vous faites pour exprimer les plus hautes aptitudes de l’homme en action. En tant que chrétien, Thomas d’Aquin considère que le bonheur est «la dernière fin de l’homme» dans la contemplation de Dieu, un état qui ne peut être atteint qu’après la mort. Le dalaï-lama, quant à lui, axe sa compréhension bouddhiste du bonheur sur la culture de la compassion autotranscendante et l’altruisme dans l’ici et maintenant.

Ces trois conceptions du bonheur reposent sur de mûres réflexions, elles mais diffèrent: Aristote parle de l’expression des aptitudes et de la moralité de l’homme dans l’action et dans le monde, Thomas d’Aquin met l’accent sur un lien avec le divin qui transcende le monde, et le dalaï-lama favorise lui aussi une autotranscendance, mais qui prendrait racine dans la compassion envers autrui. Ces subtiles distinctions soulèvent toutefois des questions: Où trouver le bonheur? En moi? Chez les autres? Auprès d’une divinité?

Ajoutez d’autres philosophes à ce mélange et la conversation devient rapidement chaotique. Donc, si votre propre réponse à la question «Qu’est-ce que le bonheur?» reste confuse, bienvenue dans le club! Mais contournons la difficulté pour le moment en nous référant à l’ordonnance du juge de la Cour Suprême, Potter Stewart, qui devait définir le mot obscénité en cour et dont la phrase reste mémorable: «Je la reconnais quand je la vois». Peut-être qu’on reconnaît le bonheur quand nous le ressentons. Ou le ressentons-nous?

Si vous êtes heureux et que vous le savez…

Si vous avez déjà partagé un lunch en grinçant des dents pendant qu’une amie débordait d’enthousiasme en répétant qu’elle est «tellement heureuse» avec son dernier flirt mal assorti, vous savez que votre bonheur et celui de la personne assise en face de vous n’ont rien en commun. Si nous naviguons tous vers la félicité sur nos propres embarcations, certains d’entre nous sont à bord du Titanic et semblent l’ignorer. Mais si nous sommes si certains que notre copine n’a aucune idée à quel point elle est malheureuse, savons-nous vraiment dans quelle mesure nous sommes nous-mêmes heureux?

C’est l’une des questions centrales d’une nouvelle science appelée psychologie positive, proposée par Martin Seligman, en 1998, qui étudie ce qui constitue et qui cause le bonheur et l’épanouissement chez l’humain. Si les philosophes ont trituré les outils de la recherche scientifique pour établir les sources d’insatisfaction et de désespoir pendant plus d’un siècle, les philosophes et les poètes n’ont pu, dans une large mesure, que défaire le bonheur en morceaux. Si on ne peut pas le mesurer, généralement les scientifiques ne veulent pas se pencher sur la question, et la subjectivité radicale inhérente au bonheur semble être hors de portée de la norme en recherche empirique: l’étude à répartition aléatoire contrôlée. Mais d’intrépides chercheurs s’y sont quand même attardés pour découvrir que les mêmes outils et les mêmes méthodes, qui nous permettent de comprendre les raisons pour lesquelles nous pensons que les choses vont mal, peuvent donner un éclairage surprenant sur les raisons pour lesquelles les choses vont bien.

S’il est difficile de savoir comment l’expérience du bonheur d’une personne se compare à celle d’une autre, en comparant beaucoup, beaucoup de gens, toute équivoque disparaît. Des comparaisons de grands nombres de personnes à l’aide de plusieurs échelles simples ont montré que nous pouvons effectivement nous fier à l’évaluation que nous faisons de notre propre bonheur (Lyubomirsky et Lepper, 1999; Krueger et Schkade, 2008). D’autres recherches effectuées à l’aide d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ou de tomographie par émission de positrons (PET) pour mesurer l’activité cérébrale ont observé une réaction importante dans une partie du cerveau, appelée cortex préfrontal gauche, quand les sujets étaient heureux (Davidson, 2004). Il a fallu un bon million de dollars pour y arriver, mais les chercheurs ont été capables de situer le siège du bonheur dans le cerveau et de montrer qu’il restait le même d’une personne à l’autre.

Il ne faut pas oublier qu’en dépit d’un équipement coûteux, tout le processus se limite en fin de compte à un chercheur qui fixe l’image de votre cerveau s’allumer à l’écran en même temps qu’il vous demande: «Maintenant, quel sentiment ressentez-vous en ce moment précis?» Mis à part les graphiques et les machins-trucs, la science du bonheur continue de reposer sur ce que vous dites des sentiments que vous ressentez. L’autre choix que vous avez, c’est de vous présenter terriblement déprimé aux portes d’un laboratoire, de vous glisser dans le tube d’un appareil d’IRMf pour entendre un chercheur aux sourcils froncés vous dire: «Bon. Vous dites que vous vous sentez misérable, mais votre cortex préfrontal gauche montre une effarante activité. Je regrette, mais vous être en ce moment parfaitement heureux». Cela n’a pas de sens. Si vous êtes heureux et que vous ne le savez pas, c’est que le bonheur devient quelque chose dont vous n’avez pas conscience, un état indépendant de votre capacité à vous en rendre compte ou non. Si on fait abstraction de la conscience du bonheur, les énoncés à ce sujet deviennent absurdes. Comme Daniel Gilbert, psychologue à Harvard, le fait remarquer, cela n’a pas vraiment de sens de dire quelque chose comme «Suzanne était heureuse dans le coma», parce que la notion même de bonheur repose sur le fait qu’une conscience qui s’appelle Suzanne est la seule à pouvoir vivre une telle émotion (2006). Quand on est inconscient, comme en cas de coma, l’expérience du bonheur s’évanouit. Il n’y a pas de conscience, là.

Faites-vous partie des «WEIRD»?

Si ce livre se réfère souvent à des études rigoureuses, il est important de savoir que toutes les études scientifiques ne sont pas sans défaut. Selon une étude publiée dans l’une des plus importantes revues de psychologie, environ 95 pour cent des recherches ont été menées auprès de gens «WEIRD», traduction de l’acronyme (Western, Educated, Industrialized, Rich and Democrat) qui signifie occidentaux, éduqués, industrialisés, riches et démocrates, et plus des deux tiers de ces recherches ont été effectuées en Amérique seulement (Arnett, 2008). Si vous étudiez dans une université américaine, la psychologie a un œil sur vous presque sans arrêt depuis les années 1950. En comparaison, bien peu de recherches ont été effectuées sur l’autre 88 pour cent de gens qui n’ont rien de WEIRD. Dans le monde, les humains peuvent se ressembler à plusieurs égards, mais les principales caractéristiques des cultures qui n’entrent pas dans le moule de l’acronyme WEIRD varient considérablement, de la perception visuelle et la logique spatiale à la collaboration et au sens de l’équité, en passant par le caractère héréditaire du quotient intellectuel (Henrich, Heine et Norenzayan, 2010).

Analysons le phénomène de supériorité illusoire, aussi connu sous le nom amusant d’effet du Lac Wobegon. Ce nom étant celui d’un village fictif dans le cadre d’une émission de radio diffusée les samedis soir, A Prairie Home Companion, où, malgré cette impossibilité statistique, «tous les enfants sont plus intelligents que la moyenne». Ainsi, en comparaison avec leurs homologues dans le monde, la majorité des Occidentaux se pensent supérieurs sous de nombreux aspects qu’ils considèrent comme désirables, par exemple le QI, la popularité, l’aptitude au travail et les compétences en conduite automobile, pour ne nommer que ceux-là. Maintenant, vous vous dites sans doute que ce n’est pas votre cas, mais bien celui de personnes que vous connaissez. La recherche vous a devancé: elle a montré que la plupart des gens pensent qu’ils sont davantage à l’abri de ce biais que la moyenne, même une fois que le concept leur a été clairement expliqué (Pronin et Kugler, 2007). L’illusion de la supériorité est tellement ancrée en nous que nous ne nous rendons même pas compte qu’elle imprègne notre façon de voir. C’est si vrai que certaines personnes qui ont les pires aptitudes dans certains cas pensent tout de même qu’elles sont exceptionnelles (Kruger et Dunning, 1999), un phénomène auquel nous devons un nombre incalculable d’épisodes fastidieux de l’émission American Idol. En comparaison avec la nette prévalence de ce phénomène dans les pays occidentaux, cette tendance à l’autovalorisation semble manifestement absente dans beaucoup de cultures qui prévalent en Asie de l’Est (Heine et Hamamura, 2007).

Si vous n’êtes pas WEIRD, quelques-uns des résultats présentés ici pourraient ne rien signifier pour vous. Même si vous l’êtes, gardez à l’esprit que la science travaille à estomper un très grand nombre de rides sur le front de la subjectivité et à tirer des enseignements sur le bonheur de l’homme en tant qu’être humain et individu moyen. Mais l’individu moyen n’existe pas, et pour votre bonheur, vous vous distinguez des autres en fonction de vos failles et de vos subtilités. Ce sont elles qui font que vous êtes vous. Tout ce que vous trouverez dans ce livre devrait faire l’objet d’une vérification dans le laboratoire de votre propre vie. Certaines choses feront l’affaire, d’autres tomberont à plat. Les moyens que vous prendrez pour briser le moule seront tout aussi éloquents que ceux qui auront servi à constituer votre moule. Aussi sophistiquée que soit la science, la romancière Jane Austen a le mot qu’il faut: «Vous devez être le meilleur juge de votre propre bonheur».

Un juge qui n’est pas impartial

Ce n’est pas parce que vous êtes le meilleur juge pour évaluer votre bonheur que vous ne vous trompez pas. Le phénomène de la supériorité illusoire n’est que l’une des façons que nous avons pour nous décevoir à propos de nous-mêmes. Nous adoptons des douzaines et des douzaines d’autres biais cognitifs, ou erreurs de jugement, chacun brouillant à sa façon notre fenêtre sur le monde et nuisant à la perception que nous avons de nous-mêmes.

L’un des biais particulièrement importants pour ceux qui sont à la recherche du bonheur est le biais de négativité, qui fait surface parce que notre cerveau est programmé pour accorder plus d’importance aux mauvaises expériences plutôt qu’aux bonnes, et à celles qui ont le plus d’emprise sur notre équilibre psychologique. Ce biais relativement inné commence à se manifester aussi tôt qu’à l’âge de trois mois (Hamlin, Wynn et Bloom, 2010). En vieillissant, il s’étend à un grand nombre de comportements et de préférences. Lors d’expériences qui leur ont valu un prix Nobel en 2002, Daniel Kahneman et Amos Tversky ont montré que, généralement, les gens détestent les pertes économiques au moins deux fois plus qu’ils apprécient les gains de mêmes montants (1979, 1984). Selon une recherche effectuée par John Gottman, les mariages qui durent et qui sont heureux reposent sur cinq interactions positives pour chaque interaction négative, avant de glisser lentement vers le divorce (1994). Dans son article au titre lugubre, Bad is Stronger than Good (Le mal est plus fort que le bien), le psychologue Roy Baumeister étend l’ombre du biais de négativité bien au-delà de l’argent et des divorces, et l’applique aux fonctions de base, comme à ce qui a de l’importance pour nous, à notre façon d’apprendre ou de se rappeler quelque chose, et à presque tous les aspects de notre comportement, pour finalement conclure que «Le moi semble plus fortement motivé à éviter le mauvais qu’à accueillir bon» (2001, 355).

Si ce biais a quelque chose de décevant, il reste indubitablement un facteur de survie. Si vous ne vous arrêtez pas pour admirer le coucher du soleil la prochaine fois que vous êtes sur la route par une soirée magnifique, sachez que demain est un autre jour. Mais si vous ne vous arrêtez pas à temps quand une voiture vous fonce dessus dans la circulation, dites-vous bien qu’il pourrait bien ne plus avoir de couchers de soleil pour vous. En tant qu’adaptation inhérente à l’évolution, le biais de négativité peut nous permettre d’éviter une menace perçue, qu’elle soit réelle ou non. Derrière la lorgnette de la négativité, un grand nombre de bonnes choses nous glissent entre les mains sans toutefois nous faire sombrer. Le neuropsychologue Rick Hanson fait une analogie entre le biais de négativité et le cerveau qui serait comme du Velcro pour le bon et du Téflon pour le mauvais (2013). Dans les prochains chapitres, nous parlerons des nombreuses façons de rester dans le bonheur et de nous préserver de la négativité.

Le bonheur, hier

Peu importe dans quelle mesure la perception de votre copine est déformée, nous n’avons pour le moment aucun moyen de prouver que votre copine frappée par l’amour n’est pas «vrrrraiment heureuse». Mais avant que votre copine si enchantée décroche complètement, examinons son cas de plus près. Si notre estimation imparfaite de notre bonheur ici et maintenant est le mieux que nous puissions faire, quand notre esprit vagabonde vers le passé ou l’avenir, toutes sortes de choses commencent à aller de travers.

Dans le cadre d’une expérience que seul un psychologue peut concevoir, Daniel Kahneman a étudié le cas de patients subissant une colonoscopie. Une colonoscopie, comme tous ceux qui en ont subi une vous le diront, est un examen médical fort désagréable effectué à l’aide d’un tube de plusieurs centimètres qu’un médecin insère dans vos intestins. Cet examen peut durer de cinq minutes à une heure. Si je vous demandais de choisir entre l’examen de courte durée et celui de longue durée, lequel choisiriez-vous? Moi aussi. Quoi qu’il en soit, lors de son évaluation des patients après cet examen, Kahneman a été étonné d’observer que l’inconfort rapporté par les patients n’avait pratiquement aucun lien avec la durée de l’examen, mais qu’il était en étroite corrélation avec l’intensité de la douleur ressentie à la fin l’examen. Tout compte fait, l’expérience a démontré que, si le médecin ajoutait une minute ou deux de plus à l’examen sans faire bouger la sonde, les patients préféraient cette façon de faire plutôt qu’un examen plus court avec une fin plus abrupte (Redelmeier, Katz et Kahneman, 2003). Pour le cerveau, la fin d’une activité modifie de façon importante le souvenir qu’on en garde dans l’ensemble. Par conséquent, la prochaine fois que vous devrez subir une colonoscopie, demandez au médecin de le terminer avec délicatesse. L’expérience de Kahneman, et de nombreux autres comme celle-ci, a montré un biais cognitif appelé effet pic-fin, selon lequel notre mémoire se rappelle beaucoup mieux les derniers moments d’une activité, au point d’éclipser tout ce qui a précédé. Qu’il s’agisse de feux d’artifice ou de numéros de cirque, voilà une bonne raison de finir en beauté.

Quand je vais au restaurant avec ma femme, j’ai une sorte de rituel qu’elle appelle affectueusement ma «dernière bouchée de saveur». Où que nous mangions, nous goûtons au plat de l’autre, nous nous offrons des bouchées l’un à l’autre et grappillons dans l’assiette de l’autre pendant toute la durée du repas. Mais à un moment donné, je me prépare une bouchée spéciale, pleine des meilleurs morceaux, que je me réserve dans un coin de mon assiette pour la toute fin. Personne d’autre que moi n’a le droit d’y toucher et voler la «dernière bouchée de saveur» de quelqu’un est le pire crime de trahison qui soit chez nous. Prenez garde: si vous commencez sérieusement à étudier le bonheur, ce genre de comportements névrotiques risque bien de faire partie de votre routine au quotidien.

Le bonheur, demain

Malheureusement, quand il s’agit de nos émotions, nous ne faisons pas mieux en voyant les choses de l’autre côté de la lorgnette. Les psychologues Timothy Wilson et Daniel Gilbert ont analysé les prévisions affectives, ou comment nous anticipons bien ce que nous ressentirons après un événement à venir. Leurs études ont porté sur presque toutes les joies et toutes les déceptions imaginables, qu’il s’agisse d’un échec amoureux, d’une insulte personnelle, d’une victoire sportive, d’une défaite électorale, d’un saut en parachute, de l’échec d’une perte de poids, de la lecture d’un article sur un événement tragique ou des résultats d’un test de grossesse ou de dépistage du VIH (2003, 353). À de rares exceptions près, ils ont découvert que nous avons tendance à croire que nos joies et nos peines sont plus intenses et plus durables qu’elles ne le sont en réalité.

Ce phénomène, appelé biais de l’impact, reste vrai même dans le cas d’événements qui ont souvent été vécus auparavant. Peu importe le nombre de fois que notre équipe a gagné ou perdu, nous avons tendance à exagérer l’ampleur d’une défaite imminente ou l’excitation d’une victoire prévisible. Wilson et Gilbert ont appelé cette aptitude «système immunitaire psychologique», une tendance programmée de l’esprit à se rappeler du bon et du mauvais, puis de trouver un certain équilibre entre les deux. Ils ont observé que nous avons tendance à sous-estimer davantage notre système immunitaire psychologique dans le cas des événements négatifs. Nous savons très bien anticiper les blessures, mais nous avons du mal à anticiper la guérison.

Il ne s’agit là que de quelques-uns des biais cognitifs qui faussent notre perception du passé, du présent et de l’avenir. Ceux-là et des douzaines d’autres colorent tous les recoins de notre conscience. Malgré cela, nous faisons notre chemin dans la vie en nourrissant l’illusion que notre réalité n’est pas filtrée et que le moi que nous connaissons est exactement tel que nous le percevons. Rien ne saurait être plus loin de la vérité. Quand il s’agit de nos d’émotions, nous pouvons dire quand le soleil illumine notre vie, mais pour ce qui est des prévisions, nous sommes de piètres météorologistes.

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L’almanach des émotions

Pensez à un ou deux moments de votre vie où vous vous attendiez à ce que les choses se passent mal, mais qui se sont finalement terminés mieux que vous ne l’aviez prévu. Que manquait-il à vos prévisions sur le plan des émotions? Quelles stratégies d’adaptation, quels systèmes de soutien ou quels aspects de votre système immunitaire psychologique ont produit une différence à laquelle vous ne vous attendiez pas?

Maintenant, penser à un événement à venir au sujet duquel vous avez des inquiétudes. Imaginez comment vous vous sentiriez s’il devait arriver. Maintenant, imaginez comment vous pourriez utiliser quelques-unes des mêmes stratégies ou quelques-uns des mêmes systèmes de soutien.

Qu’est-ce que le bonheur?

Tout comme les philosophes, les spécialistes de la psychologie positive ont différentes façons de rendre compte des composantes du bonheur. Des émotions positives passagères, comme la joie, la curiosité et la satisfaction sont de toute évidence des facteurs de bonheur (ce qui est rassurant, puisque quiconque ne ferait pas de la joie un élément du bonheur serait tout simplement un rabat-joie). Des concepts plus larges, comme l’épanouissement personnel, la vertu et avoir un objectif dans la vie, jouent aussi un rôle important dans la conscience du bonheur. Nous pourrions en ajouter d’autres, mais pour faciliter notre exploration, adoptons l’approche du pionnier de la psychologie positive, Martin Seligman, qui répartit ces concepts en trois catégories fonctionnelles: le plaisir, le sens et l’engagement (2005) ou investissement personnel.

Le plaisir

Les plaisirs vont de soi. Toutes les bonnes choses entrent dans cette catégorie: la première bouchée de crème glacée, un bon bain chaud, une danse sur sa musique préférée. Les plaisirs se vivent dans le présent et sont souvent physiques. Nul besoin de lire un livre pour comprendre ce qu’est le plaisir (chercher à le comprendre, c’est le contraire du plaisir). La simple évocation du mot envoie notre esprit vagabonder et le fait penser aux choses que nous aimons (ou nous fait déposer le livre que nous lisons pour aller à la cuisine et nous offrir une sucrerie). Mais il y a un revers: les plaisirs ont une étrange emprise sur notre esprit, et nous sommes prêts à faire des pieds et des mains pour les vivre et les revivre, allant même parfois jusqu’à nous rendre malheureux.

Ceci est dû en partie au caractère éphémère inhérent au plaisir et au fait que, au lieu de s’accumuler, le plaisir diminue au fur et à mesure que nous en jouissons. Les économistes, qui peuvent donner des noms compliqués à n’importe quoi, parlent de diminution de l’utilité marginale. Les psychologues ont donné à ce processus le nom plus élégant d’adaptation hédonique, du nom de la divinité grecque du plaisir, Hédoné, reconnue dans l’Olympe comme une amie volage. Mieux que quiconque, Marcel Proust a immortalisé l’adaptation hédonique dans une scène de À la Recherche du temps perdu qui décrit comment il déguste un petit gâteau court et dodu, appelé madeleine, qu’il trempe dans une tasse de thé:

Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi (…) II m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse (…) Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. II est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. (1954, 45)

Proust explique comment les plaisirs sollicitent un réseau complexe d’éléments historiques et biologiques propres à chacun de nous, ce qui leur donne une intensité toute personnelle et d’une grande puissance. Pour ma part, si vous voulez savoir, je trouve que prendre une grosse bouchée d’un gâteau détrempé, c’est se goinfrer; mais, offrez-moi une madeleine au lieu d’un lait frappé, et je me sens tout à fait comme lui.

L’adaptation hédonique s’empare du cerveau dans le cas des plaisirs éphémères, mais aussi dans le cas des grands moments de la vie. Une étude ayant eu une grande influence et portant sur des gagnants à la loterie a montré que, un an plus tard, les gagnants revenaient à leur niveau de bonheur habituel, n’étant pas plus heureux que les personnes d’un groupe témoin de la même région et n’ayant rien gagné (Brickman, Coates et Janoff-Bulman, 1978). Vous vous souvenez du système immunitaire psychologique? Dans des moments comme ceux-là, il travaille fort pour nous ramener à un certain équilibre entre les hauts et les bas. Peu importe ce qui vous rend heureux, tout ce qui monte redescend à un moment ou un autre. Même si cet effet n’est pas immédiat, il est inévitable, tôt ou tard. Nous reviendrons aux paradoxes du plaisir dans ce livre, mais pour le moment, n’observez que les réactions associées aux gâteaux raffinés ou aux billets de loterie à gratter.

À la recherche du quelque chose de plus?

Si l’on ne tient compte que du plaisir seul, le bonheur ressemble à une piscine peu profonde. Si vous voulez aller en eau plus profonde, saluez le philosophe Robert Nosick. Dans le cadre du fameux exercice mental tiré de son livre Anarchie, État et utopie, il nous demande d’envisager la possibilité d’être rattaché à une machine à expérience en mesure de nous faire vivre tout ce que nous voulons, en tout temps. Vous pouvez vivre toutes les expériences que vous voulez, à volonté, et le plus fantastique, c’est que vous ne savez même pas que vous êtes rattaché à une machine et que vous vous croyez en pleine réalité. Si vous vous dites «Je voudrais essayer!», sachez ceci: le plus près que la science a pu parvenir à la machine de Nosick est une expérience effectuée par James Olds et Peter Milner. Dans le cadre de cette expérience, des rats étaient autorisés à stimuler directement le centre du plaisir de leur cerveau, la zone septale, en appuyant sur un levier rattaché à une électrode. Les rats ont appuyé sur le levier jusqu’à 700 fois à l’heure, oubliant toute nourriture et toute eau, jusqu’à ce qu’ils s’effondrent d’épuisement (1988). Faites attention à ce que vous désirez.

Si le plaisir était la seule source de bonheur, une ligne interminable d’intéressés défilerait devant la machine de Nosick, mais la plupart des gens croient qu’ils déclineraient une telle offre. Selon Nosick, l’une des principales raisons pour lesquelles nous hésiterions à essayer sa machine imaginaire est qu’«il n’y a pas de contact véritable avec une réalité plus profonde, bien que l’expérience puisse en être simulée. Bien des personnes désirent rester ouvertes à de tels contacts et pouvoir sonder des significations plus profondes» (1988,65). De toute évidence, les plaisirs s’évanouissent et nous font courir sur le tapis roulant des émotions tant qu’ils nous permettent de continuer. Nous voulons faire partie d’un monde extérieur à nous-mêmes, et ne pas seulement croquer des gâteaux et boire du thé à longueur de journée. La «signification plus profonde» qui va au-delà des plaisirs, selon Nosick, suppose que le bonheur nous met en contact avec autrui et va plus loin qu’un moment évanescent. La recherche d’un tel bonheur nous amène aux concepts du sens et de l’engagement.

Le sens

Le sens est le sujet à partir duquel les psychologues explorent le sentiment d’avoir un objectif dans la vie qui soit plus important que l’expérience intérieure de chacun, et les moyens que nous prenons pour atteindre cet objectif. Si les plaisirs nous permettent de nous sentir bien, le sens nous donne l’impression que nous avons apporté une contribution dans la vie de ceux qui nous entourent ou agit sur le monde en général d’une façon ou d’une autre. Ce concept est brillamment décrit par Viktor Frankl, un psychiatre et un survivant de l’Holocauste, dans son ouvrage intitulé Découvrir un sens à sa vie, qui croit que ce n’est pas du tout la satisfaction du plaisir mais un but significatif pour nous qui est à la base de notre bonheur:

Ce dont l’humain a besoin, ce n’est pas de vivre sans tension, mais bien de tendre vers un but valable, de réaliser une mission librement choisie. Il a besoin, non pas de se libérer de sa tension, mais plutôt de se sentir appelé à accomplir quelque chose (2013, 104).

Comme Aristote et son eudemonia, la naissance du sens, selon Frankl, suppose une action, une entrée dans le monde qui exige aussi de cultiver notre capacité d’introspection: «Écoutez ce que votre conscience vous dicte et agissez au meilleur de votre connaissance» (2013, 18), conseille-t-il. Découvrir le sentiment d’un but à atteindre et tout mettre en œuvre pour y parvenir joue un rôle primordial dans notre bien-être émotif (Zika et Chamberlain, 1992; Reker, Peacock et Wong, 1987). Tout comme les plaisirs, il y a autant de sens différents qu’il y a d’individus, et ils naissent tous de la même alchimie secrète de notre biologie, de nos antécédents et de nos comportements.

Trouver une voie qui a du sens en tant que projet de vie est l’un des aspects fondamentaux de la pratique du yoga. Il s’agit aussi de la pierre angulaire de la deuxième partie de ce livre, qui commence par un chapitre sur le dharma et dont les suivants portent sur nos relations avec autrui, notre passé et notre avenir.

L’engagement

Dans l’engagement, plaisir et sens se chevauchent. Nous pratiquons tous des activités que nous aimons, qu’il s’agisse de loisirs ou de sports de prédilection, ou de longues conversations avec un ami sincère au cours desquelles nous mettons tout notre cœur et qui nous comblent. Les engagements que nous prenons sont similaires au plaisir parce qu’ils nous font nous sentir bien intrinsèquement, mais, comme le sens, ils nous mettent au défi de grandir en misant sur les forces et les aptitudes qui nous définissent.

Par exemple, si j’adore les laits frappés, je n’ai pas besoin d’aptitudes particulières pour ça. Tant que je sais quoi faire avec une paille et comment ne pas renverser de liquide sur mes vêtements, je n’ai pas besoin d’être super intelligent pour le boire. Il s’agit clairement d’un plaisir que je m’offre. Mais j’aime aussi apprendre d’une façon différent et plus palpable que les laits frappés. En grandissant, j’étais fasciné par mes professeurs et j’admirais ceux qui pouvaient modeler une idée complexe de manière à ce que je «clique». J’étais émerveillé de constater comment une nouvelle idée porteuse de sens pouvait remodeler ma vision du monde. Aujourd’hui, à titre de professeur de yoga, je passe des heures à revoir et à remodeler les cours que je donne, cherchant à utiliser les bonnes expressions ou à imaginer des exemples éloquents pour que ça «clique» aussi pour mes élèves. Dans ce cas, je sens un enchantement envahir mon corps au fur et à mesure que mon pouls augmente et qu’une sorte de courant électrique traverse ma colonne vertébrale. Quand je manque mon coup, je désire instantanément me reprendre et opter pour une autre approche. Ce défi inhérent à l’enseignement est l’une des raisons qui justifient le mieux mon engagement comme professeur. L’enseignement met à l’épreuve et raffine les aptitudes que j’aime en moi et qui, je l’espère, font une différence pour les gens qui m’entourent.

L’une des études les plus exhaustives et les plus innovantes sur l’engagement est due au travail de Mihaly Csikszentmihalyi, qui veille à faire une distinction entre un plaisir simple et quelque chose de plus engageant, qu’il appelle la joie:

La joie survient lorsqu’une personne dépasse les attentes ou les besoins programmés et réalise quelque chose de plus, de mieux, d’inattendu (jouer une partie de tennis qui exige toute son habileté, lire un livre qui apporte une nouvelle compréhension d’une question, avoir une conversation qui fait avancer les idées (…) Après de tels événements, nous sommes contents, satisfaits ou enchantés et avons conscience d’avoir changé; notre moi est devenu plus complexe (…) Le plaisir et la joie sont deux expériences différentes, mais elles peuvent être complémentaires (…) Le plaisir peut être éprouvé sans effort (si le centre approprié du cerveau est stimulé par un courant électrique ou un produit chimique), mais la joie et l’enchantement exigent une pleine concentration sur l’activité. (2004, 56)

L’engagement exige de s’investir dans une concentration et un effort qui vont au-delà du plaisir, et cet investissement procure en retour un sens de l’accomplissement qui remodèle aussi notre perception de qui nous sommes. Csikszentmihalyi utilise le terme flow ou «expérience optimale» pour décrire l’ensemble de ce processus de profonde immersion transcendantale de soi. Il en a observé cette présence dans presque toutes les activités qui rendent les gens plus heureux, d’après leurs dires. Se concentrer est aussi une habileté inhérente à la pratique du yoga; en fait, une définition traditionnelle du yoga se résume simplement à: une concentration soutenue et profonde. À travers les exercices proposés dans ce livre, nous établirons une feuille de route pratique et efficace pour maîtriser notre concentration et cultiver le genre d’expériences optimales qui sont essentielles à une vie heureuse.

Nous commencerons à dessiner cette feuille de route grâce aux outils offerts par la méditation dans le troisième chapitre, puis nous les mettrons en pratique pour transformer notre moi et jouir du moment présent dans les quatrième et cinquième chapitres.

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Quelques-unes de nos choses préférées

Prenez une feuille de papier et un crayon, et réglez une minuterie à cinq minutes. Écrivez autant de sources de bonheur, dans votre vie, auxquelles vous pouvez penser. N’importe quoi. Des personnes aux lieux, aux choses, aux activités, aux idées. Comme lors des explorations précédentes, ne vous censurez pas et ne remettez rien en question; laissez simplement vos pensées émerger et consignez-les au fur et à mesure qu’elles se présentent.

Ensuite, prenez une autre feuille et séparez-la en trois colonnes: plaisir, sens et engagement. Distinguer les éléments qui vous rendent heureux en les plaçant dans la colonne qui convient le mieux. Le plaisir, le sens et l’engagement ne sont pas mutuellement exclusifs, et certains éléments peuvent être placés dans plus d’une colonne. Il se pourrait même que vous découvriez que vos sources les plus précieuses de bonheur peuvent être placées dans les trois colonnes. En fin de compte, y a-t-il certains aspects de votre vie qui vous rendent heureux? Sous d’autres aspects, sentez-vous que vous l’êtes moins? Faites du mieux que vous le pouvez, dressez cette liste sans porter de jugement, en acceptant simplement vos pensées comme elles se présentent.

Ensemble, plaisir, sens et engagement offrent une plus grande palette d’émotions et d’expériences et, à l’aide des trois, nous pouvons dresser une infinité de portraits de ce qu’est le bonheur. Les exercices présentés dans ce livre offrent des pinceaux pour chaque couleur de cette palette à utiliser pour exprimer votre propre définition du bonheur. Dans les chapitres qui suivent, nous verrons comment agencer ces couleurs. Certaines pourraient devenir des outils fiables au quotidien, quelques-uns pourraient être utilisés pour des moments particuliers, et vous pourriez mettre les autres de côté pour le moment. Après tout, goûter au bonheur ne peut se comparer à la peinture à numéros. Comme Proust le disait lui-même quand il n’avait pas sa délicieuse madeleine en bouche: «On ne reçoit pas la sagesse, il faut la découvrir soi-même, après un voyage que personne ne peut entreprendre pour nous ou nous épargner». Décider du tableau que nous allons peindre est le grand défi et le privilège d’une vie. Et la toile attend que nous la couvrions de couleurs.