Tout ce qui ne vient pas à la conscience revient sous forme de destin.
– Carl JUNG, psychologue
Il était près de minuit. J’étais convaincu que quelqu’un allait voler mes bagages et je n’arrivais pas du tout à atteindre l’illumination, ce que j’essayais de faire avant d’aller me coucher. J’étais arrivé tard, circulation de Manhattan oblige, et c’était mon tout premier séjour à Kripalu – un ancien ashram devenu maison de retraite dans le Berkshire, au Massachusetts. Je faisais ma première retraite de méditation. Cinq jours sans parler, au lit de bonne heure, levé de bonne heure, dix heures de méditation par jour avec rien d’autre qu’un face à face avec la béatitude. Ou le vide intérieur total, selon les avis. Il s’agissait d’une traversée pour véritables aventuriers du cerveau dignes de ce nom.
Mon vilain secret, c’est que je n’avais jamais vraiment médité. À cette époque de ma vie, j’en étais simplement à m’efforcer de toucher mes orteils au yoga. Même en classe, quand mon professeur de yoga dirigeait une méditation, j’utilisais ce temps pour faire le tri des choses à faire et je profitais des dernières minutes pour faire une petite sieste. Malgré tout, pendant les premiers mois de ma pratique du yoga, les bienfaits de la méditation s’étaient fait sentir, séance après séance.
Les outils pour entraîner la conscience à réguler et à maintenir attention et émotions, ou les avantages de la méditation selon la publicité, comprennent tout ce qu’il y a entre réduction du stress et de l’anxiété (Baer, 2003), augmentation des affects positifs (mot de jargon signifiant «bonheur») et fonction immunitaire (Davidson et coll., 2003). Le tout, sans effets secondaires apparents et gratuit pour quiconque a le temps d’en faire. Plus de bonheur et moins de grippe? J’en suis! On dirait la carotte sans le bâton; je n’ai donc pas hésité à en prendre une bouchée. En plus, je me pensais meilleur que je le suis. J’étais certain d’arriver à méditer sans aucune difficulté.
Dès mon arrivée, toutefois, ma confiance a été juste assez ébranlée pour me laisser avec un frisson d’appréhension. J’avais donc décidé de me réserver du temps avant de m’endormir pour rattraper l’année de méditation que j’avais prétendu avoir faite quand je me suis inscrit. J’avais prévu que ça me prendrait une demi-heure et que rien n’y paraîtrait.
C’est comme ça que j’ai commencé à méditer. Libre à vous d’essayer de m’imiter, cependant je ne le recommande pas vraiment.
Comment ne pas méditer
Assoyez-vous confortablement.
Essayez de ne penser à rien.
Si vous pensez à quelque chose, effacez-le de votre esprit.
Continuez pendant une demi-heure ou jusqu’à ce que vous en ayez assez.
Quand je me suis présenté à l’accueil, j’ai demandé ma chambre et ma clé. On m’a souri en disant qu’il n’était pas nécessaire d’avoir de clé. Apparemment, l’un des vestiges de l’ancien ashram de Kripalu était qu’aucune chambre n’avait de serrure. Pour ma part, je trouvais que la confiance du personnel envers les bonnes vibrations avait un certain charme, mais elle me laissait indubitablement sceptique. Je vis à New York; les voleurs y sont tellement intrépides que les fenêtres de mon logement du quatrième à Manhattan étaient munies de barreaux et de trois verrous. Malgré tout, j’ai été victime de vol. Quoi qu’il en soit, j’ai décidé de me montrer accommodant.
Cette bonne volonté n’a duré que les cinq premières secondes de ma toute première méditation. Après, une voix familière en moi m’a dit: «Quelqu’un va voler ton portable…» Tais-toi. «Pourquoi l’as-tu apporté, de toute façon? Tu ne pourras même pas l’utiliser ici.» Je t’ai dit de te taire. «Comment ça, tais-toi? Je ne saurais me taire.» Sérieux, reste calme seulement une petite demi-heure, s’il te plaît. «Tu es sur mon terrain, là, et si tu veux rester assis pendant une demi-heure, tu fais mieux de te taire, parce que j’ai beaucoup de choses à dire.» Et ce dialogue intérieur a duré pendant les vingt-neuf minutes qui restaient. J’étais prêt à faire mes valises et à partir, mais le prochain autobus n’arriverait que le lendemain après-midi. J’étais donc obligé de rester. Seul avec… moi-même.
Je ne saurais assez répéter que c’est une mauvaise idée d’espérer que la méditation nous rende plus heureux. La première chose que ma tentative dévoyée en méditation a montrée, c’est que, dès que j’essayais de faire le vide dans mon esprit, mes pensées se multipliaient les unes après les autres et s’agitaient comme des rats dans un navire en perdition. Non seulement mes pensées s’accumulaient-elles, mais je formulais en plus des pensées sur mes pensées. Plus j’essayais de faire le vide, plus mes pensées pullulaient.
Depuis mon enfance, j’étais convaincu que mon corps n’était qu’un simple tacot; mais, dans l’univers de la conscience où je me trouvais, je devais conduire une voiture de course. Et voilà que, dès que je lui demandais de se ranger sur le côté pour un petit moment, mon esprit supérieur me lâchait, lui qui m’avait si bien guidé pour résoudre des équations complexes et avoir de géniales idées. Je devais me rendre à l’évidence et accepter que la méditation que je faisais me révélait que je n’avais aucune idée de ce qui guidait mes pensées. Quoi qu’il en soit, j’avais appris une chose: ce n’était pas moi.
Beaucoup, beaucoup de gens qui méditent pour la première fois réagissent ainsi. Nombreux sont ceux qui préféreraient ne pas avoir du tout à plonger dans leur conscience. De fait, le chercheur Timothy Wilson a décrit une série d’expériences au cours desquelles il a demandé aux sujets de rester seuls avec leurs pensées pendant six à quinze minutes, dans une pièce ne contenant rien pour les distraire. La plupart ont trouvé cette expérience ennuyante et déplaisante. Mais à quel point? Dans une version subséquente de cette expérience, il a donné aux sujets une décharge électrique à l’avant de la tête. Les sujets ont déclaré que l’expérience leur a tant déplu qu’ils étaient prêts à payer pour ne pas avoir à subir cette décharge une autre fois. Par la suite, il leur a demandé de rester seuls avec leurs pensées, mais cette fois-ci, devant un bouton sur lequel ils pouvaient appuyer pour recevoir la même décharge qu’ils avaient dit tant détester. Plus de 25 pour cent des femmes et 66 pour cent des hommes ont appuyé sur le bouton, et certains plusieurs fois, dont un homme qui devait crouler sous les pensées puisqu’il a appuyé sur le bouton 190 fois (Wilson et coll., 2014). Les sujets n’étaient pas obligés de se donner une décharge électrique, et ils détestaient en recevoir une. Ils ont simplement décidé qu’ils préféraient cela à rester assis et penser. Si être seul avec vos pensées pendant quinze minutes vous pousse à appuyer sur le bouton, il pourrait être utile de comprendre que vous n’êtes pas seul avec vos pensées. Une fois que nous savons mieux ce qui occupe vraiment notre esprit, nous pouvons opter pour une pratique de la méditation qui pourrait réellement faire une différence.
Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, votre attention consciente – le «vous» qui plonge en votre for intérieur – est le résultat d’une récente évolution du cerveau. Elle est écrasée par une montagne d’automatismes plus anciens et de processus conscients faisant leur petit bonhomme de chemin bien en dessous de la surface de votre concentration. C’est aussi une bonne chose, parce que si vous deviez être responsable de tout ce qui meuble votre esprit, la journée qui s’annonce risquerait d’être très occupée. Dès maintenant, vous auriez à vous rappeler de faire douze respirations par minute, tout en étant attentif aux soixante-dix battements de votre cœur qui doivent irriguer votre organisme. Ensuite, vous auriez à rassembler plus de six cents muscles et à les organiser pour qu’ils puissent tenir convenablement ce livre. Qui, soit dit en passant, apparaît à l’envers sur votre rétine située à l’arrière de l’œil, et votre cerveau doit consciemment le mettre à l’endroit à tout moment juste pour que vous voyiez les mots écrits à l’endroit. Vous auriez aussi à rassembler minutieusement tous vos souvenirs pour vous rappeler des personnes que vous aimez et pour rentrer à la maison à la fin de la journée. Je sais que c’est beaucoup de choses à penser, mais si vous avez mangé aujourd’hui, n’oubliez pas de digérer aussi. Sinon, vous risqueriez d’avoir des problèmes.
Inutile d’ajouter, je crois, qu’il est pratique que toutes ces activités organiques soient prises en charge automatiquement. C’est comme avoir une femme de ménage et un majordome responsables de toutes les tâches en coulisses pendant que votre attention consciente peut jouir des plaisirs et trouver un sens à votre vie. S’il s’agissait là de toutes les tâches de votre inconscient, je vous encouragerais à donner un gros pourboire au personnel et de passer aux choses agréables. Mais il y a bien plus que de l’entretien ménager à faire.
Dans quelle mesure l’inconscient gère-t-il tous les aspects de la vie quotidienne? Dans The User Illusion, Tor Nørretranders répond à cette question en calculant le nombre de bits (en informatique, la plus petite unité d’information) qui bombardent le cerveau chaque seconde et en dressant le schéma de notre activité cérébrale:
Le nombre de données est énorme. Chaque seconde, l’œil envoie au moins dix millions de données au cerveau, la peau en envoie un million, l’oreille en envoie cent mille, l’odorat en envoie un autre cent mille et nos papilles gustatives en envoient mille. Tout compte fait, chaque seconde, nos organes sensoriels envoient au cerveau plus de onze millions de données. (1998, 125)
Et combien de données retiennent notre attention consciente? Nørretranders en évalue le nombre à 40. Oui 4, suivi d’un 0. C’est notre inconscient qui gère les 10 999 960 autres infos qui parviennent au cerveau à chaque moment. Si votre conscience proteste en disant qu’elle peut gérer bien plus de 40 données, Nørretranders a la réponse toute prête:
Justement parce que notre conscience peut passer d’un objet à un autre en un instant, nous ne la percevons pas comme limitée. Pendant un instant, vous savez que vos chaussures sont trop étroites, l’instant d’après vous pensez à l’expansion de l’univers. La conscience est d’une agilité sans pareille, ce qui ne change rien au fait que vous ne pouvez avoir conscience de beaucoup de choses en même temps. (127)
Des estimations comme celle de Nørretranders sont sommaires, tout au plus; et il est impossible d’évaluer avec précision la quantité de données qui envahissent le cerveau chaque seconde. Il n’en reste pas moins évident qu’en tout état de cause, ce type de schémas milite en faveur de l’inconscient. L’attention consciente traite une petite quantité de données de façon séquentielle, les unes après les autres, alors que l’inconscient traite une grande quantité d’information, en parallèle et simultanément. C’est là l’une des plus importantes distinctions entre conscient et inconscient: l’attention consciente ne peut s’attarder qu’à une seule chose à la fois, tandis que l’inconscient traite une multitude de données à la fois. Pour les gérer, l’inconscient compte sur une énorme quantité de structures diverses qui s’entrecroisent et travaillent en tandem.
Alors, que fait l’inconscient avec tout ce matériel? Timothy Wilson, qui donnait des décharges électriques la dernière fois que nous avons parlé de lui dans ces pages, a écrit que l’inconscient «rassemble rapidement et efficacement l’information, l’interprète et l’évalue, et peut établir des objectifs (2002, 35). Mais attendez, une minute! N’est-ce pas exactement la même chose que devrait faire le conscient? Absolument. En effet, le conscient et l’inconscient traitent les mêmes tâches «administratives», même si le conscient aime penser qu’il dirige seul notre esprit. Le problème, selon Wilson, ce n’est pas seulement que l’inconscient a la main sur le volant, mais aussi qu’il conduit selon une série de règles différentes:
L’inconscient (…) est un système ancien conçu pour examiner rapidement ce qui nous entoure et y détecter des tendances, surtout celles qui peuvent présenter un danger pour l’organisme. Il enregistre facilement des tendances, mais ne sait pas très bien les inverser; c’est une fabrique de déductions assez rigide et inflexible. [Le conscient] se développe lentement et ne peut le rattraper (…), mais il contrôle et équilibre la rapidité et l’efficacité de l’apprentissage non conscient, ce qui permet de penser et de planifier l’avenir de façon plus réfléchie. (66)
Il s’agit donc de deux systèmes très distincts, fondés sur les aptitudes différentes et guidés par des priorités différentes. Et, comme nous allons le voir, le conscient a tendance à s’attirer des ennuis quand il essaie de conduire comme le fait l’inconscient.
Grâce aux miracles de la technologie moderne, nous pouvons aujourd’hui regarder la télévision tout en écrivant un courriel, tout en écoutant de la musique, tout en textant à nos copains, tout en parlant au téléphone en mains libres à notre grand-mère, tout en feuilletant un menu pour décider des plats à commander pour faire livrer. Comment avons-nous appris à déployer ainsi notre précieuse attention consciente et faire autant de choses en aussi peu de temps? Nous ne l’avons pas appris. J’ai le regret de vous annoncer que vous être un incorrigible «multitâche». Tout comme moi! Bienvenue dans le club!
Nous avons déjà vu que l’attention consciente est programmée pour s’occuper d’une tâche à la fois, peu importe les efforts que nous fassions pour lui apprendre à jongler. Ce que vous et moi appelons multitâche – l’impression que notre conscience se répartit de façon égale et astucieuse entre plusieurs tâches distinctes – est en réalité une illusion. Une illusion que nourrit notre attention, qui saute d’une tâche à l’autre de façon rapide, séquentielle et à de multiples reprises, exactement comme nous croyons qu’un film se déroule. Or, un film n’est en fait qu’une suite d’images immobiles se suivant rapidement l’une après l’autre. Et heureusement que nous continuons d’appeler ça un film, parce qu’inviter quelqu’un à aller voir le déroulement rapide d’une suite d’images immobiles n’a rien de romantique!
Les psychologues appellent cette danse de l’attention l’alternance des tâches, et quand nous nous y prêtons, nous faisons mal chacune des tâches en question. Appelés à résoudre des problèmes mathématiques, des sujets ont vu leur rapidité d’exécution diminuer de 40 pour cent quand ils avaient d’autres tâches à faire en même temps (Rubinstein, Meyer et Evans, 2001). Le multitâche augmente le stress (Mark, Gudith et Klocke, 2008), et plus nous nous y adonnons, moins nous réussissons à bien faire chaque tâche (Ophir, Nass et Wagner, 2009). Ce que la conscience apprend alors à faire au lieu de traiter les tâches simultanément, c’est de faire un va-et-vient incessant d’une idée à l’autre, ce qui crée l’illusion d’un courant d’attention constitué de milliers de petites gouttes que sont nos pensées et nos émotions. Pendant le processus, notre attention en délaisse plus qu’elle n’en retient et elle aplanit les angles pour se donner l’impression qu’elle n’a rien oublié. Notre attention consciente est si limitée que, la plupart du temps, elle ne voit même pas ses propres limites. Le plus vilain tour que puisse jouer l’esprit, c’est de se berner lui-même.
Pour survivre au déluge sans finir noyée, l’attention consciente compte sur trois importantes aptitudes: détenir de l’information, la mettre à jour en recevant de nouvelles données et rechercher de la stimulation (Hanson, 2009). Dans quelle mesure notre attention arrive à le faire dépend de l’utilisation que nous en faisons. C’est ce que nous cherchons. Alors allons faire un tour au cinéma.
Au moment du début de l’âge d’or du cinéma, dès les années 1930, la durée moyenne d’un plan ou d’une image était de dix secondes. Aujourd’hui, elle est d’environ quatre secondes et bon nombre de films d’action tiennent le haut du pavé avec un fantastique deux secondes. Résultat: les longs métrages sont passés d’environ trois cents à sept cents plans à quelque chose entre deux à quatre milles (Bordwell, 2002). Autrement dit, les cinéphiles d’aujourd’hui traitent presque dix fois plus d’images différentes que les premiers adeptes du septième art.
Même sans la saturation médiatique qui caractérise l’époque actuelle, nous ne saurions échapper au va-et-vient des données auquel notre attention est soumise. Vous absorbez une quantité incalculable de données, que vous écoutiez la télé-réalité L’incroyable famille Karashian ou que vous regardiez de la peinture sécher. L’effet que n’a pas un pot de peinture sur votre cerveau, mais qu’ont les faits et gestes de la famille Karashian, c’est de le bombarder de nouvelles données et de le stimuler, tout en ignorant le besoin de retenir l’information fournie.
En soi, ce n’est pas mauvais – être capable de traiter de nouvelles données et d’être stimulé a toujours fait partie des aptitudes assurant la survie et qui sont de plus en plus essentielles dans le monde d’aujourd’hui. Mais au fur et à mesure que le rythme de vie s’accélère et que les sources de stimulation prolifèrent, vivre une journée suffit à nous permettre d’acquérir ces aptitudes. Au cours du processus, notre habileté à retenir l’information et à rester concentré s’atrophie peu à peu. À tel point que les neuroscientifiques ont découvert que, inactif ou en état de repos, le cerveau tend à favoriser de façon automatique une activité neuronale non pertinente s’il n’a pas à effectuer une tâche suffisamment intéressante qui lui donnerait de nouvelles données qu’il pourrait triturer à satiété (Mason et coll., 2007). Les chercheurs ont donné à ce phénomène le joli nom de pensée indépendante de tout stimulus. Vous et moi les voyons comme les bonnes vieilles rêveries, et il semble bien que ce soit ce que la majorité d’entre nous font quand ils pensent ne rien faire. Tout compte fait, presque la moitié de temps, nous pensons à autre chose qu’à ce qui se passe, et c’est une grande partie de ce temps-là qui nous rend malheureux (Killingsworth et Gilbert, 2010). Évidemment, la rêverie a ses bons côtés – une peu de rêve éveillé peut favoriser la créativité et faciliter la planification, par exemple, et semble jouer un rôle important dans l’intégration de notre moi passé et futur (Baird et coll., 2012; Smallwood et Andrews-Hanna, 2013); mais, en fin de compte, un esprit qui ne peut s’attarder à l’ici et maintenant est condamné à être malheureux.
C’est exactement où j’en étais au milieu de la nuit à Kripalu. Avec un cerveau qui ne savait pas comment ralentir ou rester en place ou cesser de chercher la prochaine révélation. C’est là que la méditation nous attend au détour. Si nos habitudes et les limites de notre attention consciente sont en grande partie responsables du pétrin dans lequel nous nous trouvons, c’est la force de l’attention consciente qui nous permettra d’en sortir. D’un point de vue fondamental, la pratique de la méditation amorce le remodelage du cerveau en l’entraînant et en renforçant notre aptitude innée mais sous exercée à concentrer notre attention. Même si nous passons toute notre vie dans le manoir de notre esprit, si nous voulons y faire un peu de rénovations, le moins que nous puissions faire, c’est de parler à un professionnel.
Heureusement pour nous, nous avons maintenant mis Patanjali sur appel. Revoyons ensemble les quatre premiers préceptes de ses Yoga sutras:
Maintenant, nous allons explorer le yoga.
Le yoga fige les mouvements de la pensée.
C’est seulement alors que le Moi apparaît dans son essence.
Autrement, les mouvements de la pensée se substituent au Moi. (I, 1-4)
Ces premiers sutras nous aident à éviter le piège dans lequel tombent beaucoup de débutants en méditation qui, bien installés, essaient de cesser de penser. Patanjali ne commence pas en nous disant d’arrêter de penser – il nous invite plutôt à commencer à contrôler les pensées en mouvement. S’obliger à ne plus penser est le plus sûr moyen de laisser notre cerveau s’enliser. En fait, tout un recoin de votre système neuronal, le cortex cingulaire antérieur (CCA), a pour tâche de voir à ce que vous atteigniez vos objectifs et de s’assurer que votre attention s’adapte en conséquence. Ainsi, si votre objectif est de ne pas penser, d’emblée le CCA s’anime et commence à penser à ne pas penser. Bravo, si vous réussissez à sortir de cette ornière.
Le premier défi, quand il s’agit de méditation, n’est pas de vider l’océan, mais de calmer les vagues. Pour y arriver, nous devons permettre au conscient de s’agripper à quelque chose, comme à un dispositif de flottaison, pour qu’il arrive à se concentrer. Nous avons vu comme notre esprit aime passer d’une idée à l’autre, à quel point il les inverse s’il ne trouve rien d’intéressant. Dans la pratique du yoga, le voyage méditatif commence en donnant à l’esprit une seule idée qu’il doit apprendre à garder. Ce type de méditation est parfois simplement appelé concentration, et la première chose sur laquelle nous devons nous concentrer est la respiration.
Méditation et respiration
Trouvez un moment et un endroit où vous pouvez vous asseoir sans être dérangé pendant quinze minutes; il peut être pratique de régler un chronomètre pour ne pas avoir à vérifier le temps qu’il vous reste. Assoyez-vous confortablement et prenez une position permettant à votre colonne vertébrale de rester droite. Si vous vous assoyez au sol, n’hésitez pas à utiliser un coussin pour soutenir vos hanches. Sur une chaise, assurez-vous de ne pas vous incliner vers l’arrière ou de courber le dos. Déposez les mains sur vos genoux ou vos cuisses. Prenez le temps d’adopter la bonne position, et fermez ensuite les yeux.
Prenez d’abord conscience de ce qui vous entoure. Les bruits que vous entendez. Les sensations qui parcourent votre corps. Les pensées et les sentiments qui traversent votre l’esprit. Pour le moment, ne repoussez aucune pensée et n’essayez pas d’en suivre une en particulier. Si vous devez ajuster votre position, faites-le. Si une pensée attire votre attention, ne faites que la reconnaître. Observez ce que vous observez, rien de plus.
Maintenant, portez graduellement attention à votre respiration. Prenez quelques secondes pour trouver et suivre le rythme de votre respiration, et concentrez-vous sur elle. Autant que possible, ne faites rien pour la modifier et laissez l’air entrer et sortir normalement. Remarquez les endroits où vous la sentez dans votre corps. Le ventre? La poitrine? Pouvez-vous la sentir à l’avant du corps? Et dans le dos? À quels autres endroits la sentez-vous agir sur votre corps? Remarquez le type et la cadence de votre respiration. Est-elle paisible? A-t-elle de la difficulté à passer? Est-elle égale ou y a-t-il des mouvements respiratoires qui sont plus importants que d’autres? Y a-t-il une pause entre l’inspiration et l’expiration, ou ces dernières se suivent-elles sans interruption? Votre respiration déclenche-t-elle des pensées ou des impressions dans votre corps ou dans votre esprit? Observez tout ce qu’il y a à observer en ce qui concerne votre respiration. Si vous avez l’impression que vous ne pouvez rien observer, que ce soit ce que vous observez.
Ensuite, portez une attention soutenue à votre respiration. Rassemblez toutes vos observations à son sujet et laissez-les partir. Que votre esprit s’attarde au seul fait de respirer et, autant que faire se peut, observez votre respiration aller et venir sans chercher à la décrire ou à l’expliquer.
De temps en temps, des pensées ou des sensations vous traverseront l’esprit et nuiront à votre concentration. Dans ce cas, observez la pensée ou la sensation. Reconnaissez-la et accordez-lui votre attention pendant un moment, et choisissez ensuite de reporter votre attention sur votre respiration. Ne vous inquiétez pas si votre attention se détache souvent de votre respiration. C’est normal. Chaque fois que c’est le cas, reconcentrez-vous sur votre respiration sans porter de jugement. Si elle se détache cent fois, reconcentrez-vous cent fois.
À la fin des quinze minutes, prenez une profonde respiration, imaginez que vous regroupez tous les éléments de cette méditation et laissez-les s’en aller dans un soupir. Laissez lentement votre attention se porter sur autre chose que votre respiration, à d’autres sensations, sons et pensées. Quand vous vous sentez prêt, ouvrez les yeux et retournez à vos activités quotidiennes.
La méditation commence souvent en s’attardant à la respiration parce qu’elle est à la fois familière et non familière. Prenez une bonne respiration en lisant cette ligne, et accordez-vous quelques secondes pour remarquer les sensations que vous éprouvez. Il y a de fortes chances que vous observiez toutes sortes de détails au sujet de cette respiration. Vous pourriez même avoir choisi d’en prendre une plus profonde ou de soupirer, simplement pour avoir observé les effets de cette respiration. Mais qu’en est-il de la respiration qui la précédait? Elle doit avoir eu lieu… Ou vous avez perdu connaissance. Mais parce que votre attention consciente était ailleurs quelques secondes plus tôt, vous ne vous souvenez d’aucune sensation ou d’aucun aspect en particulier. La respiration précédente, tout comme les quelque quinze milliers de respirations que vous prenez dans une journée, était entièrement contrôlée par votre cerveau inconscient pendant que votre conscient était occupé à autre chose. Reportez encore une fois votre attention sur votre respiration, et votre respiration sera prise en charge par une autre partie de votre cerveau (Corfield, Murphy et Guz, 1998).
D’une certaine manière, la respiration peut facilement être l’objet de votre attention. Vous avez respiré au moins des millions de fois. Donc, quand je vous demande de prendre une seule respiration et d’observer, c’est facile. Mais quand la méditation exige que vous demande de continuer d’observer, là, c’est plus difficile. Par conséquent, d’un autre côté, nous sommes tellement habitués à respirer qu’il est difficile d’en faire l’objet de notre attention et, celle-ci étant attirée par une certaine stimulation ou une certaine nouveauté, tôt ou tard (généralement plus tôt que tard), elle s’égare.
Surtout au début de l’apprentissage de ce type de méditation, quand l’esprit peut difficilement s’arrêter pour un moment, persévérer à reporter son attention sur la respiration est l’essentiel de la méditation. Dans son livre publié en 2006, The Wisdom of Yoga, le fondateur de l’Institut Kripalu pour une vie extraordinaire, Stephen Cope, compare l’esprit à un jeune chiot qui renifle partout et qui gruge tout ce qu’il trouve. Si vous entraînez ce chiot à s’asseoir et à rester assis, si vous le tenez pour qu’il reste en place, dès que vous lâchez prise, il se remet à fureter. Quand nous commençons à entraîner notre esprit, lui apprendre à rester en place n’est pas ce qui est important. L’important, c’est de lui apprendre à se reconcentrer.
Et notre façon de nous reconcentrer sur notre respiration fait toute la différence. Souvent, quand nous le faisons, tout comme un chiot, notre esprit recommence à s’embourber de pensées. Notre inaptitude à nous concentrer est frustrante; des pensées banales ou insignifiantes peuvent prendre des proportions gigantesques quand l’esprit essaie de justifier l’égarement de ses pensées au lieu de s’attarder à l’ennuyante respiration. Si nous réagissons à chaque nouvelle pensée ou sentiment qui nous vient à l’esprit, c’est comme si nous disions au chiot qu’en se remettant à fureter, il fait quelque chose de nouveau ou d’intéressant, et qu’il peut continuer de le faire ou de jouer.
Nous punir n’aide pas non plus. Si nous obligeons notre esprit à se reconcentrer, non seulement nous nous tapons sur le nez, mais nous créons un nouveau mouvement dans notre esprit. Réprimander notre esprit permet à nos pensées et sentiments de s’ébattre encore davantage et, en conséquence, la vague prend de plus en plus d’ampleur. Tôt ou tard, si nous voulons reporter notre attention sur notre respiration, nous devons aussi abandonner ces pensées négatives. Nous savons que l’inconscient est programmé pour retenir nos sentiments d’échec, les menaces et les punitions par le truchement de vieilles structures cervicales que sont le cortex cingulaire antérieur et le complexe amygdalien du cerveau. Une fois activées, ces zones peuvent créer des vagues mentales beaucoup, beaucoup plus difficiles à gérer ou à détecter par notre attention. Quand notre concentration s’égare, c’est parfois le coup de pied que nous nous donnons pour la ramener qui fait le plus de dommages.
Quand nous observons que nos pensées sont attirées dans une certaine direction et qu’elles nous distraient de l’objet de notre méditation, il vaut mieux les ramener fermement mais délicatement et sans jugement. Nous aidons ainsi notre esprit à cesser d’être attiré par la nouveauté et les stimulations. En plus, nous renforçons notre aptitude à simplement faire briller la lumière de l’attention, quelle que soit la direction que nous lui donnons. Observer que notre esprit s’égare n’est pas un constat d’échec; cela fait partie de l’exercice. Avoir à nous reconcentrer n’est pas accepter une défaite; c’est la pratique de l’exercice. Ramener notre attention sur l’objet de la méditation sans porter de jugement – disons-le ensemble, maintenant – c’est la pratique de l’exercice.
Reconcentrer notre esprit sans porter de jugement nous empêche d’aggraver les choses et nous permet d’observer les vagues de nos pensées aller et venir sans être engloutis dans le processus. En pratiquant une méditation de concentration, nous affûtons simplement un aspect de notre conscience souvent inné, mais fréquemment sous-utilisé. L’objet de notre concentration a moins d’importance que l’exercice de la concentration. Dans ses Yoga sutras, Patanjali propose beaucoup de sujets à méditer tout en observant les réactions qu’ils suscitent:
La conscience s’installe tandis que rayonnent gentillesse, compassion, amitié et équanimité envers toutes choses, agréables ou difficiles, bonnes ou mauvaises.
Ou en s’attardant dans l’espace entre les respirations.
Ou en observant de manière constante les sensations qui se présentent.
Ou en se concentrant sur les pensées lumineuses et exemptes de peine.
Ou en vous arrêtant à quoi que ce soit qui n’inspire aucun attachement.
Ou en vous arrêtant à la contemplation des rêves et du sommeil.
Ou en pratiquant la méditation sur tout objet de votre choix.
Votre conscience peut alors s’absorber en toute chose, du plus petit à l’infiniment grand. (I, 33-40)
Selon Patanjali, les émotions, la respiration, les sensations, les souvenirs et même les rêves peuvent être des terreaux fertiles pour la méditation. Si ces suggestions ne nous aident pas vraiment au début, il termine sa liste en ajoutant que nous pouvons apprendre à apaiser l’esprit en fixant notre attention sur n’importe quel objet ou sur tout objet. La respiration n’est que l’un des terreaux avec lesquels nous pouvons commencer. Patanjali nous fait savoir ainsi que les portails s’ouvrant sur la concentration sont sans aucun doute infinis. Si notre attention peut s’arrêter sur l’un d’eux, alors nous pouvons entraîner notre esprit à s’en tenir à celui-ci.
Après ma première méditation si désastreuse au centre Kripalu, j’ai eu la chance de mettre les promesses de Patanjali à l’épreuve dès le lendemain matin, à l’heure du petit déjeuner. Une autre leçon tirée de mon séjour à l’ashram de Kripalu, c’est que le petit déjeuner en silence permet à tous de commencer la journée en mangeant en toute quiétude et avec sérénité. La plupart du temps, la cafétéria baignait dans une atmosphère adoucie par une musique d’ambiance qui réduisait le tintement des verres et des assiettes. Par contre, depuis des années, mon sommeil étant la plupart du temps bercé par les sirènes de la grande ville, ce silence me semblait assourdissant. Quoi qu’il en soit, ce matin-là, je me suis consciencieusement assis pour pratiquer ma méditation devant mon petit déjeuner.
Tout d’un coup, j’entends une sorte de sourd murmure, assez lointain, envahir la cafétéria. Je n’avais jamais rien entendu de pareil. À bien y penser, je ne peux que le décrire comme le bêlement que ferait à mon avis une chèvre qu’on étrangle lentement, subissant une sorte de torture dont l’intensité faiblit: «BHAAaaaaahhhh». À ma grande surprise, tous ceux qui m’entouraient conservaient une attitude très zen, comme si j’étais le seul à l’entendre. J’ai donc reporté mon attention sur mon petit déjeuner, sans porter de jugement. Une minute plus tard, ce bêlement se refait entendre; puis, encore et encore, avec irrégularité, pendant toute la durée du repas.
Depuis ce temps, j’ai assez épluché de revues de psychologie pour savoir que si vous voulez que quelqu’un devienne fou, il suffit de lui faire entendre un son irritant sur lequel il n’a aucun contrôle, puis de le lui faire écouter à intervalles irréguliers. Le son que j’entendais agissait comme un sortilège. À la fin du petit déjeuner, mon humeur en avait pris un coup et j’avais l’urgent besoin de me plaindre au personnel, sauf que j’avais fait vœu de silence et pour quatre autres jours. Le centre Kripalu était hanté par le fantôme d’une chèvre que je ne pouvais qu’entendre, ce qui avait bousillé ma méditation matinale, et je ne pouvais en parler à personne.
Le lendemain et le surlendemain, le même son fantomatique se fit entendre, le même «BHAAaaaaahhhh» qui ponctuait ces moments de calme que je recherchais dorénavant et que mon esprit réclamait. Je me suis convaincu que ce son était délibéré, qu’on chantait un chant traditionnel, mystique qui devait apaiser, mais ce à quoi les amateurs de spiritualité comme moi n’avaient pas droit.
Avec les préceptes de Patanjali en tête, je me résous à méditer sur le son émis par cette chèvre sacrée jusqu’à ce que la toute dernière circonvolution de mon esprit se calme. Ne dit-on pas que «si vous ne pouvez pas les vaincre, joignez-vous à eux»? «BHAAaaaaahhhh». Après ma dernière bouchée, je suis resté sur place longtemps, déterminé à calmer les vagues de mon esprit. Pendant les autres méditations de la journée, le souvenir de ce bêlement entrait par tous les interstices de ma concentration pour me déranger de nouveau. «BHAAaaaaahhhh».
Le jour suivant, je l’attendais avec impatience. Non plus comme un ver d’oreille, mais simplement comme l’objet de mon attente. Mais, étrangement, il ne s’est pas fait entendre et il m’a manqué. Pas bon ça. J’étais sorti des griffes de l’aversion pour tomber dans les bras de l’affection. «BHAAaaaaahhhh». Le lendemain, j’avais la certitude d’avoir trouvé le secret entourant ce bruit. C’était Swami Kripalu lui-même qui entonnait un quelconque chant divin de l’univers. Pas bon, non plus, ça. Ce n’était qu’une autre histoire que mon esprit se racontait pour conjurer mon sort. «BHAAaaaaahhhh».
Le dernier matin, j’étais plus ou moins résigné. Plus tard dans la journée, notre retraite dans le silence prendrait fin et je monterais dans l’autobus qui me ramènerait à la maison. J’avais observé ma conscience voguer de-ci de-là, sans trouver la quiétude. Bref, il ne me restait qu’à faire mes valises et à dire au revoir au fantôme de la chèvre que j’avais recherché toute la semaine. J’ai fermé mes yeux. «BHAAaaaaahhhh». Il était là, juste au bon moment, émergeant du chœur tranquille des sons de la cafétéria, puis s’évanouissant encore. Je l’ai simplement écouté pendant un certain temps, tant qu’il a duré…
Quand mes yeux se sont rouverts, j’ai constaté que la cafétéria était presque vide. J’ai eu l’impression d’avoir traversé une sorte de tunnel qui ne mène nulle part. Cela me semblait impossible, mais une bonne demi-heure venait de s’écouler. Je ne m’étais pas endormi, j’étais resté là pendant tout ce temps, à m’écouter écouter.
Juste comme j’avais abandonné d’essayer, j’avais réussi à méditer.
Coïncidant parfaitement à mon moment de fierté et de découverte, mon regard s’est porté sur l’un des employés de la cafétéria qui, après avoir nettoyé une table, prenait une tasse pour se faire un thé. Il a longé le comptoir vide du buffet jusqu’à la distributrice automatique d’eau chaude, tout au bout, et a appuyé sur le levier pour remplir sa tasse. Je crois que je l’ai entendu avant même qu’il ne se produise: «BHAAaaaaahhhh».
Je venais de passer quatre jours à méditer sur le son émis par une distributrice dont le mécanisme était défectueux.
J’avais du mal à l’admettre, mais Patanjali avait raison. Tout objet peut retenir notre attention, du plus petit à l’infiniment grand. Même si c’est vrai, je ne vous recommande pas de briser votre théière et de la mettre sur le feu juste pour voir comment ça se passe pour vous. Il est inéluctable que certains portails s’ouvrent devant chacun de nous pour faciliter notre méditation, des portails qui peuvent sembler infranchissables pour tout autre que nous. Il y a toutes sortes de techniques de méditation et s’il est possible de méditer sur n’importe quoi, ce qui fonctionnera pour vous dépend largement des habitudes et des tendances que votre esprit unique a déjà développées. Il est logique de commencer par méditer sur quelque chose qui vous tente et qui est accessible; vous n’avez donc pas à perdre du temps à vous frapper la tête sur les murs à attendre pour qu’il s’ouvre comme une porte.
Nous avons déjà parlé des trois principales aptitudes de l’attention consciente: détenir de l’information, la mettre à jour en recevant de nouvelles données et s’y intéresser. Si vous vous sentez plus à l’aise avec les nouvelles données, par exemple envisager de mettre l’accent sur les aspects de la méditation qui demandent que vous remarquiez de subtils détails au sujet de vote propre expérience – pas seulement le rythme de votre respiration, mais les endroits précis où elle se répand dans votre organisme et le moment précis où vos muscles s’activent. À l’inverse, si vous êtes souvent aux prises avec l’anxiété, choisir un endroit éliminant les distractions et un sujet qui suscite moins votre intérêt peut faire une grande différence pour vous. Au fur et à mesure que nous arrivons à comprendre l’alchimie de notre propre conscience, nous pouvons développer des techniques de méditation qui nous sont propres et qui nous conviennent tout à fait.
En même temps, admettons-le, comme n’importe quelle habileté, la méditation peut mettre un certain temps à trouver son équilibre. Ma femme est une violoniste extraordinaire et joue du violon depuis qu’elle a quatre ans. Aujourd’hui, l’instrument avec lequel elle joue a environ deux cents ans, mais son tout premier était une boîte de carton avec un manche qui tenait à l’aide de papier collant. Son professeur, qui voulait apprendre à ses élèves comment placer leurs bras et leurs doigts, les faisait toujours commencer à apprendre avec une boîte de carton. Elle savait pertinemment qu’à la longue, ses élèves se sentiraient frustrés et qu’ils détruiraient leur instrument. Et, aux dires de ma femme, elle ne compte plus le nombre d’instruments qu’elle a détruits. Le problème n’était pas l’instrument, mais l’impatience toute naturelle d’un enfant de quatre ans. Son professeur ne s’attendait à rien d’autre que ça: que ma femme agisse alors comme une enfant. Petit à petit, elle a ajusté l’instrument en fonction des besoins de l’enfant. Avec compassion, elle a laissé son élève accumuler les frustrations inévitablement associées à une pratique non habituelle et difficile. En ce qui nous concerne, nous et la méditation, faire la même chose ne peut que nous rendre service.
Alors que nous nous engageons dans les recoins difficiles d’accès de notre esprit et avec lesquels nous sommes peu familiers, Patanjali nous offre une paire d’outils à emporter dans nos voyages et qui sont tirés des sutras:
C’est avec la pratique et le détachement que la conscience trouve le calme. (I, 12)
En matière de méditation, les vertus de la pratique et du détachement peuvent d’abord sembler contradictoires, comme si on nous disait de tenir un objet et de le lâcher en même temps. Il reste toutefois que les façons qu’ont la pratique de la méditation et le détachement d’être interdépendants, tout comme les subtiles tensions entre les deux, constituent la base de la méditation. Avec la pratique (abhyasa), Patanjali fait remarquer que, comme tout autre entraînement, la méditation vient avec l’assiduité, la répétition et le temps. Comme Joseph Campbell nous le rappelle, «il se peut qu’au début rien ne se passe». Pratiquer la méditation avec assiduité nous permet de revenir, encore et encore, à la respiration ou à l’étape où nous en sommes. Le détachement (vairagya) nous empêche de détruire notre instrument avant que la méditation devienne une habitude ancrée. Selon Patanjali, quand nous nous centrons trop sur les résultats, tous nos efforts pour atteindre la sérénité ne font qu’engendrer des tumultes. C’est là que nous retrouvons Krishna sur le champ de bataille de la Bhagavad Gîtâ et qu’il fait écho aux encouragements de Patanjali:
Sans nul doute, Arjuna, l’esprit est sans repos et difficile à maîtriser.
Mais, avec la pratique et le détachement, tu y parviendras. (VI, 35)
Comme Patanjali, Krishna ne dit rien qu’on ne sache déjà: changer notre façon de voir est difficile. Quand nous commençons à explorer les excentricités de notre conscience et les profondeurs de l’inconscient qu’elle recouvre, on peut penser que les chances sont contre nous. Dans le Bhagavad Gîta, il y a une raison pour laquelle Arjuna et ses quatre vertueux frères s’opposent à leurs cent méchants cousins. Pour nous, dans notre bataille, l’attention consciente est comme l’arc d’Arjuna, notre arme pour mener la bataille, et la méditation nous montre comment nous en servir.
Au fur et à mesure que nous apprenons à maîtriser notre esprit avec la pratique, dans une main, et le détachement, dans l’autre, la méditation ouvre une voie qui transformera notre esprit, le polissant jusqu’à ce qu’il reflète une partie de notre essence; un lieu au-delà de la respiration, des pensées ou des sentiments, un lieu où il n’y a pas d’autre endroit où aller et rien d’autre à faire. Voilà le Moi promis par Patanjali, non troublé par un océan de pensées. Pour permettre l’évolution de cette conscience, nous devons comprendre comment se fait la transformation.