IV

Dans l'arbre au-dessous de sa fenêtre, les petits moineaux piaillaient. Dans la rue, des autos cornaient. Tout le trafic de la circulation lançait sa rumeur par la fenêtre grande ouverte. Il devait être assez tard, déjà. Tout d'un coup, les piafs qui se disputaient s'envolèrent en bande, droit vers le ciel. Yvonne qui ouvrait les yeux les vit passer.

Elle resta quelques instants immobile, dans la position même où elle avait dormi, en chien de fusil. Son regard seul était actif. Un gros pigeon qui voltigeait, assez loin, ne sut lui échapper. Puis, les oiseaux voisins ayant terminé leur querelle redescendirent dans leur arbre, où ils se remirent à ramager, éperdument. Le rectangle bleu du ciel ne se laissait ainsi tacher que par des vols passagers, parfois presque imperceptibles. Yvonne aimait sa fenêtre sans paysage, qui ne lui imposait rien. Elle avait grandi devant : douze ans lorsque, pour la première fois, elle avait couché dans cette chambre, dix-neuf maintenant.

Du temps eut lieu. Un réveil le démontrait avec application, de la course mesurée de ses aiguilles, – un réveil silencieux, et, la nuit, lumineux, perfectionné. Yvonne, tournée de son côté, le regarda, l'examina ; et puis elle se mit à faire du calcul mental, avec vélocité. Le problème résolu (l'emploi de sa matinée), elle s'étendit sur le dos et commença à s'étirer. Elle sentait tous ses muscles s'éveiller et s'ébrouer comme une meute de petits chiens de chasse, vifs et nerveux. Alors, elle déboutonna la veste de son pyjama et se caressa la poitrine tout en s'appliquant à contrôler sa respiration, suivant les conseils des meilleurs journaux de mode. Décidément, il était l'heure de la culture physique.

D'un geste large et cinégraphique, elle rejeta ses draps ; sauta hors du lit, et, s'allongeant sur un tapis ad hoc, commença les quelques mouvements qui donnent à la femme un ventre plat, des seins menus et arrogants, une taille fine, des cuisses fuselées et un postère bien ferme. Cela dura vingt bonnes minutes ; elle s'appliquait tant qu'elle ne pouvait songer à autre chose, et les poses étranges qu'elle prenait ne suscitaient en elle aucune des mauvaises pensées qu'elles eussent inspirées à un spectateur mâle. Ce n'était pas d'ailleurs les seuls soins que réclamait son corps ; sans parler de l'accomplissement de ses fonctions naturelles, qui présentaient chez elle la même régularité et la même perfection que son rythme purement féminin, Yvonne devait le bouchonner, ce corps, le baigner, le doucher, le parfumer, lui donner la meilleure présentation possible, à lui aussi bien qu'à ses compléments, ongles, cheveux, sourcils. Il le fallait nourrir, avec grand appétit. Il le fallait vêtir, ce qui demandait choix et précision. Il le fallait regarder, en des miroirs.

Ce n'est que lorsqu'elle dut attendre qu'au bout de ses doigts séchât un vernis plus noirâtre que sanglant, qu'Yvonne eut quelque loisir de penser à un autre être qu'elle-même. Et tout de suite ce fut le fils Perdrix qui se présenta. Ah ! bien, celui-là, elle en avait assez. Pas même du plaisir qu'il lui donnait. Et si bête, sans imagination. Beau, il faisait un bien piètre amoureux, presque une gourde. Et ça durait déjà depuis trois jours. Trois jours de perdus. Elle avait été suffisamment bonne fille avec lui, elle pouvait maintenant lui donner congé. Elle se re-voyait avec lui dans la barque de la Rivière Magique, – et la peur qu'elle avait eue qu'ils ne chavirassent avec la nacelle. Il y avait de quoi rire ; et elle rit. Lorsqu'elle eut fini de rire, et comme le vernis n'était pas encore sec, elle en revint à la personne du fils Perdrix : falote. Elle, Yvonne, n'avait aucun goût pour elle, cette personne. De tous les amants qu'elle avait essayés, c'était sûrement le moins rigolo : impardonnable. Et puis, il n'y avait aucune poésie chez ce garçon : non, ce n'était pas encore la grande amour. Ah ! la grande amour, ça vient, on ne sait pas quand, on ne sait pas comment, et qui mieux est, on ne sait pas pour qui. Du moins, à ce qu'il paraît. Alors ce ne sont plus que clairs de lune, gondoles, ivresses éthérées, âmes sœurs et fleurs bleues. Marrant.

Yvonne jugea inutile de considérer plus longtemps ce mystère et décida, en tout cas, de liquider ce soir même le fils Perdrix. Il s'amènerait, la bouche en cœur, pour quêter son plaisir, alors elle lui dirait « bas les pattes, jeune homme », il s'étonnerait, et cætera ; enfin ça ne présenterait aucune difficulté. D'ailleurs le vernis était sec : en route. Elle fit de menues retouches à sa toilette, se plaça un chapeau sur la tête, et, d'un coup d'œil jeté par-dessus son épaule, s'assura que la couture de ses bas s'élevait bien perpendiculairement le long de ses jambes ; puis elle sortit de sa chambre et descendit l'escalier, fraîche et légère comme un printemps d'été.

Elle passa devant la loge de la concierge, et cette personne lui cria « bonjour, mademoiselle Yvonne », tout en pensant dans le dedans de son for intérieur, « cette allure qu'elle a, c'est pas d'une fille honnête. » Elle lui aurait pu dire ces choses à haute voix, cela n'aurait pas étonné Yvonne qui n'ignorait rien de ce qu'on pensait d'elle dans la maison, et cela ne l'aurait pas vexée non plus, car ce qu'elle pouvait s'en fiche, non, c'était rien que de le dire. Sur le pas de la porte, elle s'arrêta brusquement, comme si elle s'était heurtée au mur de lumière qui se dressait là devant elle. Elle fixa de sa toilette les points qui avaient pu attendre cet instant où une femme va devenir pour les hommes dans la rue la somme, abstraite, de leurs désirs.

Elle demeura quelques moments immobile toute à la joie d'elle-même et de la vie qui brillait devant elle.

Elle allait faire un premier pas lorsqu'elle se rendit compte que l'espèce de murmure alterné qu'elle entendait, mêlé au bruit normal de l'avenue vers les onze heures du matin, provenait d'une des chambres du rez-de-chaussée, dont la fenêtre était ouverte, ses volets fermés. Il lui suffit de s'avancer très légèrement pour percevoir les mots prononcés à voix basse qui composaient cette sourdine. Ces voix basses étaient deux, et dans l'une Yvonne reconnut celle de Léonie. Elle disait :

– Je me demande pourquoi vous vous cachiez de moi.

L'autre voix dit – et ce ne pouvait être que celle de Crouïa-Bey dont Yvonne savait qu'il occupait cette chambre, mais dont elle reconnaissait mal l'accent :

– Je ne savais pas que vous aviez connu mon frère.

– Je vous ai tout de suite reconnu.

– Je trouve cela extraordinaire.

– C'est comme ça, sidi Mouilleminche. Je suis une physionomiste.

– Phénoménal.

– Mais pourquoi ne pas me dire tout de suite que vous étiez son frère ?

– J'ai un rôle à jouer, ne l'oubliez pas, madame.

– C'est vrai. C'est la seule raison ?

– Sans doute.

– Alors, il est mort ?

– Je vous l'ai dit.

– Et comme vous me l'avez dit ?

– Comme je vous l'ai dit.

– Dans ses lettres, il ne vous a jamais parlé de moi ?

– Il était très discret sur ses affaires de cœur.

– Un jour, il a disparu brusquement. Il y a de cela vingt ans.

– Oui.

– Je l'ai cherché partout. J'étais folle. Mon premier amour !

– Je comprends.

– Je n'en ai jamais plus entendu parler.

– Il avait changé son nom de théâtre. Il s'appelait alors Torricelli.

– Il faisait des tournées ?

– Oui. Je voyageais aussi. Je n'avais pas beaucoup de nouvelles de lui.

– Et c'est à Palinsac que ça s'est passé.

– Oui.

– Et cette jeune fille, qui était-elle ?

– Il en a connu d'autres entre vous et elle, permettez-moi de vous le dire.

– Il ne s'agit pas de ça. La femme pour laquelle, à cause de laquelle il est mort, qui est-elle, où est-elle ?

– Comment pouvez-vous encore penser à ces vieilles histoires ? Le passé n'est bon qu'à oublier, allez.

– C'est votre avis. Ce n'est pas le mien.

– Vous avez tort, croyez-moi.

– Je l'aimais.

– Alors, excusez-moi d'avoir ravivé en vous de pénibles souvenirs.

– Je vous remercie de m'avoir parlé de lui. Très sincèrement : merci. Adieu, sidi Mouilleminche.

Yvonne entendit Léonie qui ouvrait la porte de la chambre. Elle s'éloigna.

Elle imaginait mal ce qu'elle pourrait être dans vingt ans, encore moins pensant à – par exemple – Perdrix fils, qui, il est vrai, n'était pas le premier. Ce qui la frappait tout d'abord dans le dialogue qu'elle venait de surprendre, c'était la dénomination de « sidi Mouilleminche » que Léonie donnait à Crouïa-Bey, ce qui impliquait une intimité, qui était invraisemblable ; ce ne pouvait donc être qu'une nouvelle preuve de l'excentricité de cette personne. Puis ce qui retint Yvonne, ce fut la précision et la force du souvenir qui rattachait Léonie à son premier amant, force et précision qui semblaient aussi absurdes qu'un comportement de rêve. Fallait-il qu'elle ait eu le béguin pour en être encore troublée ! Drôle de femme ! Marrant !

Yvonne traversa la rue des Larmes, se dirigeant vers la rue du Pont, et, quelques pas plus loin, un jeune homme vint marcher à sa hauteur. Il avait couru. Yvonne, qui avait été accostée plus d'une fois, le regarde avec décision et reconnaît en lui un garçon qui, depuis plusieurs jours, lui fait du plat, à son stand de l'Uni-Park. Une fois même, il lui avait offert une tournée d'auto à ressorts, tournée qui s'était terminée d'une drôle de façon.

Qu'est-ce qu'il va raconter ?

– Je vous ai aperçue de loin. Je me promenais dans la rue des Larmes. Je vous attendais plus ou moins, comme vous me l'aviez dit.

– Qui ça ? Moi ?

– Vous m'aviez dit que vous passiez quelquefois dans cette rue, le matin.

– Ça m'étonne.

– Si, si, je vous assure, vous me l'avez dit. Ça vous ennuie si je vous accompagne un bout de chemin ?

– Vous avez l'air bien décidé à le faire.

– Avec votre permission. Avec votre permission. À propos, savez-vous ce qui m'est encore arrivé hier soir ?

– Pourquoi ? Il vous arrive habituellement des choses extraordinaires ?

– Je ne sais pas si elles sont extraordinaires, mais en tout cas elles ne sont pas ordinaires. Votre père ne vous en a pas parlé ?

– Non.

– Eh bien, il avait été assez chic, après ce que je lui avais fait, vous vous souvenez ?

– Ah ! c'est vrai.

– De me faire entrer comme aide chez le fakir, la nouvelle attraction, à droite de la grande entrée. Et figurez-vous que, sur la scène, j'ai été tellement ému de le voir s'enfiler des épingles à chapeau dans les joues que je me suis évanoui. Il n'était pas content, le fakir. Ça fait que je suis encore sans situation.

– Ce n'est pas moi qui vous en trouverai une.

– Je ne vous demande pas ça ! La preuve, c'est que je me suis débrouillé jusqu'à présent. Non, je vous racontais ça histoire de causer. Et aussi pour vous dire qu'il était pas très prudent pour moi de me représenter à l'Uni-Park. Vous avez vu comme j'ai été enlevé l'autre jour ?

– Non.

– Vous vous appelez bien Yvonne, non ?

– Tiens, d'où vous tenez ça ?

– Les copains. Vous savez que vous êtes la plus jolie, la plus belle, la plus luxueuse jeune fille à qui j'ai jamais osé causer ?

– C'est l'audace qui vous vient avec l'âge ?

– Je pense pas. C'est pas moi la cause, c'est vous. Quand je vous regarde, je me crois au cinéma. Vous avez l'air descendue de l'écran. C'est impressionnant, je vous assure.

– Et quelle est votre star préférée ?

– Vous.

– Ah ! Et dans quels films m'avez-vous vue ?

– Dans des films pour moi tout seul, en rêve. Sans blague.

– Quelle histoire !

– Je vous jure. Mais naturellement, c'est beaucoup plus intéressant d'être à côté de vous dans la réalité.

– Pour moi aussi : je peux me défendre. Est-ce que je sais ce que vous faites de moi dans vos rêves ? Un drôle de type comme vous... Dites donc, il se les enfonce pour de bon, le fakir les épingles ?

– Je veux : j'en ai eu le cœur chaviré.

– C'est un vrai fakir, alors ?

– Probable, du moment qu'un fakir, c'est un type qui fait des trucs comme ça. Vous n'avez pas été le voir ?

– Je ne peux pas quitter mon stand.

– C'est vrai. À propos, on s'est bien amusé l'autre jour dans les petites autos. Non ?

– Si. Assez.

– Je ne pourrais pas vous réinviter un de ces jours ? Pas à l'Uni-Park, mais ailleurs. On irait au cinéma, ou danser.

– C'est que je ne suis pas libre le soir en ce moment. Durant toute la saison.

– Une copine voudrait pas vous remplacer pour une fois ?

– Pensez-vous. Et mon père ? Il en ferait un foin.

– Mais alors vous n'êtes jamais libre !

– C'est ce que je me tue à vous répéter.

– Mais le matin, tôt ? C'est gentil de se promener à ce moment-là, et puis c'est hygiénique.

– Merci, j'aime bien me lever tard.

Elle s'arrêta brusquement.

– Ici, il faut me quitter. Je vais voir quelqu'un dans cette rue. À bientôt. Je passe quelquefois par ici.

Elle lui tendit la main, qu'il garda dans la sienne.

– Alors, pas moyen de se voir un peu plus longuement, un de ces jours ?

– Non.

Elle retira sa main et s'en fut. Pierrot la regarda s'éloigner. Elle entra, un peu plus loin, dans une petite papeterie-mercerie, à la devanture de laquelle s'empoussiéraient des réglisses, des Pères La Colique, des bobines de fil et des publications illustrées gauloises ou enfantines. Des soldats de plomb éclopés se menaçaient de leurs sabres ou de leurs fusils tordus tandis que jaunissaient à en roussir d'authentiques images d'Épinal. À l'extérieur, des pinces à linge proposaient aux passants les journaux du jour. La marchande se tenait habituellement dans son arrière-boutique et écoutait au son du carillon qui pendait derrière la porte.

Aussi s'élança-t-elle lorsque sa fille entra.

– B'jour m'man, dit Yvonne en effleurant légèrement des lèvres le front de la dame pour ne pas lui mettre du rouge.

– Eh bien, dit joyeusement Mme Pradonet, te voilà ! Ça faisait bien trois mois que tu ne m'avais pas fait l'honneur de venir me voir. Si j'ai bien compris ton petit mot, tu restes déjeuner avec moi ?

– Oui, m'man, dit Yvonne qui s'était mise à feuilleter une gazette cinégraphique.

– Qu'est-ce qui t'a décidée à venir ?

– Rien, répondit Yvonne.

Elle leva les yeux et offrit à sa mère un regard dont la candeur n'était pas à discuter.

– Absolument rien, ajouta-t-elle, et elle se remit à regarder les images.

– Tu n'as jamais été très menteuse, dit Mme Pradonet. Comment va l'Eusèbe ?

– Bien.

– Et la Léonie ?

– Elle a des secrets avec le fakir.

Mme Pradonet s'esclaffa :

– Le fakir ? Quel fakir ?

– Je te raconterai ça tout à l'heure.

– Et toi, Vovonne, j'oubliais de te le demander. Ça va ?

– Magnifiquement.

Elle avait fini son journal. Elle le reposa sur la pile de ses analogues.

– On déjeune ? demanda-t-elle.

– Tout de suite, si tu veux. Je te ferai une grillade. Tu fais toujours attention à ta ligne ?

La table était mise dans l'arrière-boutique. Sur le fourneau à gaz, quelque chose mijotait dans une casserole. Les deux femmes se mirent à croquer des radis. Mme Pradonet racontait de vagues choses de sa vie quotidienne, le propriétaire qui était discourtois, le chat qui était foirard, la clientèle enfantine qui avait du goût pour la mystification et la chapardise ; bref, tous les petits empoisonnements d'une vie tranquille. Mme Pradonet, menue personne assez mal soignée, en parlait d'ailleurs sans conviction, et ne s'attendait certainement pas à ce que sa fille s'y intéressât. Elle bavardait pour le plaisir d'abord, pour meubler le silence ensuite, car Yvonne ne semblait pas encore disposée à raconter l'histoire du fakir. Tout en causant, elle se taillait de larges tranches de pain, et les arrosait de petit blanc. Yvonne remarqua que, malgré ses dimensions moindres, sa mère avait un appétit à peu près égal à celui de Léonie. Ce qui la surprit.

– Qu'est-ce que tu regardes comme ça ? lui demanda sa mère.

– Tu ne laisses pas rouiller tes dents, répondit Yvonne.

– Qu'est-ce que tu veux, à mon âge les plaisirs se font rares. Plus jeune, j'en avais d'autres. Si tu crois que c'est drôle, ma vie. Ah ! ton père est un beau salaud. Avoir installé cette femme à mon foyer, et ensuite m'avoir jetée dehors comme une indigne.

– Tu m'as raconté ça cent fois. Il ne fallait pas te laisser faire : il y a le revolver, le vitriol, les procès.

Mme Pradonet haussa les épaules.

– Ce n'est pas mon genre, dit-elle. Mais Pradonet paiera ça un jour, d'une façon ou d'une autre, et tu vois, Vovonne, je ne m'en réjouirai même pas. Quant à Léonie... celle-là...

– Ah ! c'est vrai, il faut que je te raconte l'histoire du fakir.

– Attends, je te fais ta grillade.

Tandis que sa mère cuisinait, Yvonne rangeait rêveusement en cercle autour de son assiette les queues de ses radis. Mme Pradonet, qui se trouvait de la psychologie, lui demanda :

– Tu es amoureuse ?

– Moi ? Ah ! bien !

– Qu'est-ce que ça aurait d'étonnant ? C'est arrivé à d'autres qu'à toi. Moi-même, si je n'avais pas gardé pour ton père un sentiment profond...

Elle leva solennellement en l'air la fourchette qui avait transpercé le bifteck.

– J'ai quelquefois l'impression que ça pourrait encore m'arriver.

– Tu me fais rire, dit Yvonne d'un ton neutre.

Elles attaquèrent la bidoche, bien rôtie à l'extérieur et qui, en dedans, saignait.

– Et ce fakir ? demanda Mme Pradonet.

– Il s'appelle Crouïa-Bey. Il travaille en ce moment dans la première baraque à droite après la grande entrée. Pas très sympathique, barbu, quarante ans environ, basané, l'œil magnétique.

– Je vois, dit Mme Pradonet. J'en ai connu des tas des comme ça. Faut s'en méfier.

– Eh bien, dit Yvonne, figure-toi, que quand je suis sortie pour te voir, j'ai surpris une conversation entre Léonie et lui.

– Ah ! ah ! écoutons voir ça.

– J'aurais du mal à te la répéter, mais en gros il s'agissait d'un type que Léonie a aimé il y a une vingtaine d'années, qui l'a plaquée et qui, depuis, est mort. Et que Crouïa-Bey connaissait.

– Tu dis une vingtaine d'années ?

– Il m'a semblé.

Mme Pradonet fit, mentalement, quelques calculs.

– À cette époque-là, Léonie et moi on était intimes. On dansait ensemble le kékouok à la Boîte à Dix Sous près de la République. On était jeunes, elle plus que moi, et on avait des robes à paillettes courtes au-dessus du genou, avec des bas noirs, aussi les amoureux on n'en manquait pas. Mais on leur tenait la dragée haute. On n'était pas des dévergondées. On savait choisir. Je me demande lequel ça peut bien être.

– Je ne sais pas. Mais ce qui me paraît le plus drôle, c'est qu'elle appelle Crouïa-Bey Sidi Mouilleminche.

– Mouilleminche ! s'écria Mme Pradonet. Que je suis bête de ne pas y avoir pensé tout de suite. Mouilleminche ! Mais naturellement ! Elle en était complètement toquée, et elle le faillit devenir complètement, toquée, quand il la plaqua. C'était un beau garçon qui avait une voix splendide. Il chantait à la Boîte à Dix Sous, un ténor c'était, et qui poussait la romance à vous en remuer les tripes. Toutes les filles couraient après lui, pas moi, mais c'est Léonie qu'il choisit. J'ai dit, pas moi, parce que les artistes, ça ne m'a jamais paru sérieux. Je me suis bien trompée, en ce sens que les pas artistes peuvent aussi bien ne pas être sérieux, ton père par exemple.

– Pauvre papa, dit Yvonne. Il se croit un grand homme d'affaires.

– Il faut reconnaître que, parti de rien, le voilà directeur de l'Uni-Park. Tu auras une belle dot, et un bel héritage.

– Oui, dit Yvonne avec indifférence, mais sans Léonie il ne serait pas arrivé là.

Mme Pradonet se tut. Elle mit le fromage sur la table, et des fruits.

– Avoue-le, dit Yvonne.

Du bout de son couteau, Mme Pradonet malaxait du beurre et du roquefort.

– Avoue-le, dit Yvonne.

– C'est possible.

– C'est comme ça. Tu le sais mieux que moi.

– Je ne suis tout de même pas la personne indiquée pour prôner les louanges de Mme Léonie Prouillot ! s'exclama Mme Pradonet.

– Non bien sûr. Pauvre maman.

Elles se turent et terminèrent le repas en silence. Avec le café, Mme Pradonet prenait toujours une petite liqueur. Yvonne n'aimait pas ça. Elle alluma une cigarette anglaise.

– Elle l'a reconnu le Crouïa-Bey, reprit-elle d'une voix indifférente à la teneur des propos qu'elle supportait. Je ne sais pas où elle l'avait vu avant. C'est le frère de ce Mouilleminche.

– Je ne sais pas s'il avait un frère.

– Ça t'intéresse ce que je te raconte ? Parce que moi, tu sais...

– Qu'est-ce que tu as encore entendu ?

– Oui. Ce qui intrigue Léonie, c'est la fille pour laquelle il est mort, ce Mouilleminche.

– Comment ça ?

– Oui. Ce Mouilleminche est mort, paraît-il, à cause d'une certaine jeune fille de Palinsac, et Léonie se demande qui ça pouvait bien être. Et remarque qu'il y a une dizaine d'années de ça, si j'ai bien compris. J'ai eu l'impression que ça l'intéressait plus que tout, cette jeune fille. Marrant.

– Tu sais que Léonie, malgré son apparence de femme d'affaires, a toujours eu de temps en temps des idées bizarres. Quand ça ne serait que d'avoir pris Pradonet comme amant. Mais à part ça, je la comprends. Quand tu auras un passé, Vovonne, tu t'apercevras quelle drôle de chose que c'est. D'abord y en a des coins entiers d'éboulés : plus rien. Ailleurs, c'est les mauvaises herbes qui ont poussé au hasard, et l'on y reconnaît plus rien non plus. Et puis il y a des endroits qu'on trouve si beaux qu'on les repeint tous les ans, des fois d'une couleur, des fois d'une autre, et ça finit par ne plus ressembler du tout à ce que c'était. Sans compter ce qu'on a cru très simple et sans mystère quand ça s'est passé, et qu'on découvre pas si clair que ça des années après, comme des fois tu passes tous les jours devant un truc que tu ne remarques pas et puis tout d'un coup tu t'en aperçois. Léonie s'intéresse à la femme pour laquelle est mort un homme qui l'avait aimée elle, c'est bien naturel. Des idées comme celle-là et même des plus baroques, il en pousse tous les jours sous le crâne de tout le monde, tu le sauras quand tu auras mon expérience.

– Pas gai tout ce que tu me racontes là, m'man.

– Et toi, ma fille, dis-moi un peu ce qui t'a passé par la tête ces temps-ci.

– Rien de bizarre, va. Rien du tout même à proprement parler.

– Toujours pas d'idées de mariage ?

– Oh ! non.

– Des amoureux ?

– Peuh !

– Je sais ce que c'est. À l'Uni-Park, on doit t'en faire des propositions. Enfin, ça t'apprend à connaître les hommes : des flambards dont pas un sur dix peut faire un amoureux potable.

– Là, je crois que tu dois avoir raison.

– Tu apprendras que le proverbe « un de perdu, dix de retrouvés » ne s'applique pas aux types bien. Si tu en perds un, tu n'as pas beaucoup de chances d'en dégoter un autre. On ne gagne jamais deux fois le gros lot. C'est pour ça que moi, après Pradonet – sans parler des sentiments profonds que j'ai gardés pour lui –, je ne cherche pas. Pourtant je pourrais si je voulais. Mais quoi ? Partager les rentes et le pieu d'un retraité raplapla dont je devrais plus tard soigner la prostate ? Merci ! J'aime mieux être fidèle.

Yvonne écoutait ces discours sans marquer beaucoup d'émotion. Mme Pradonet reprit :

– Et toi ? Tu ne dis rien. Tu ne te confies pas à moi. Raconte-moi un peu quelque chose de toi, enfin. Je suis ta mère, bon dieu !

Yvonne se demanda si un tout petit verre de liqueur suffisait à faire jurer une personne polie. À quoi tenait la dignité des gens...

Mais Mme Pradonet n'était pas saoule ; elle exprimait ses sentiments avec force et invoquait la divinité tout comme un poète lyrique.

– Mort dieu ! continua-t-elle, tu viens me voir une fois tous les trois mois et tu ne trouves rien à ton sujet sur quoi causer.

Le carillon de la porte d'entrée tinta. Mme Pradonet se précipita. Yvonne la suivit ; elle terminait sa cigarette.

Deux galopins étaient entrés dans la boutique, avec des mines futées et hypocrites. Trois ou quatre autres collaient leur nez contre la vitre.

Mme Pradonet demanda :

– Alors, mes petits, qu'est-ce que vous désirez ?

L'un des deux morveux sortit un soldat de plomb de sa poche et demanda :

– Vous n'auriez pas pour lui une capote, m'dame ? Vous voyez, m'dame, c'est un Anglais.

– Une capote ! s'étonna Mme Pradonet. Pour un Anglais ! Un soldat de plomb ! Mais je n'aurai pas cela !

– Mais, m'dame, c'est pour remplacer une chaude pelisse.

L'autre gamin était en extase devant les astuces de son collègue, et se pouffait. Il profitait d'ailleurs des événements pour glisser sous sa veste un numéro de Toto-Bonne-Bille, journal pour enfants énormément prisé par les plus loustics représentants de cette catégorie sociale.

Yvonne intervint.

– Voulez-vous bien fiche le camp, petits salauds, s'écria-t-elle.

Les petits salauds battirent en retraite et se bousculèrent vers la sortie. Le numéro subtilisé de Toto-Bonne-Bille reprit sa place.

– Mais, mamz'elle, pleurnicha le plus audacieux des deux, on n'a rien dit de mal.

– Allez ouste, cria Yvonne.

Elle les prit par le bras et les secoua jusque sur le trottoir, à la grande et impitoyable joie de leurs camarades qui attendaient les résultats de la farce. Yvonne referma la porte. Ils s'étaient enfuis.

– Ce que ça peut être bête les gosses, soupira Mme Pradonet.

– On s'amuse comme on peut, dit Yvonne. Alors, m'man, merci du bon déjeuner, contente de t'avoir vue en bonne santé, et à bientôt.

Elle l'embrassa.

– Au revoir, ma Vovonne, dit Mme Pradonet, et ne te fais pas trop désirer.

Le carillon tinta, et Yvonne se retrouva dans la rue du Pont, ainsi nommée parce qu'elle mène à l'ancien pont d'Argenteuil, maintenant démoli. Le soleil donnait à bloc, peu de gens se déplaçaient.

Yvonne descendit cette rue du Pont vers l'avenue de la Porte-d'Argenteuil, qu'elle atteignit peu de temps après, car deux cents mètres à peine séparaient la boutique de sa mère du point de conjonction de ces deux voies. Alors, un caillou volant à travers l'espace lui passa devant le nez ; ce caillou était animé d'un dynamisme puissant. Yvonne s'arrêta. Elle regarda autour d'elle. Deux ou trois pierres vinrent rouler à ses pieds en faisant de petits nuages par terre. Les jeunes farceurs expulsés menaient ardemment leur vengeance ; ils occupaient une position stratégique très forte, embusqués derrière les arbres, tout près d'un tas de munitions préparé pour la réfection de la chaussée.

Les garnements ajustaient leur tir, et les projectiles devenaient de moins en moins approximatifs. Yvonne, quand elle était môme, se battait autant que les garçons, et souvent avec eux ; elle savait ce que c'était, et, sans fausse honte, courut s'abriter derrière un gros platane. Profitant de ce premier succès, les assaillants esquissèrent une attaque latérale ; une partie de leurs effectifs traversa l'avenue et s'avança d'arbre en arbre en opérant des tirs transversaux. Yvonne recula de plusieurs platanes ; elle attendait patiemment qu'un passant courageux dispersât la bande de ces petits emmerdeurs. Elle connaissait suffisamment la vie pour savoir qu'il ne pouvait manquer d'apparaître et que le nombre des chances pour qu'il en fût ainsi était si considérable que cette probabilité devenait à l'échelle humaine une certitude.

Et en effet, il apparut. Il attaqua par-derrière le gros des forces enfantines, et le dispersa. Il distribua généreusement les gifles et les coups de pied au derrière. Ce fut la fuite. Le justicier retint par le collet celui qu'il supposait être le chef et lui cogna plusieurs fois la tête contre un tronc d'arbre, pour lui apprendre. Puis il l'envoya dinguer ; le gosse s'écorcha les genoux sur l'asphalte, ensuite détala.

Le type s'approcha d'Yvonne ; elle le reconnut. C'était un des employés de l'Uni-Park qui s'amenait tout doucement à son travail. Il n'avait pas l'air ému par sa bataille contre les moustiques ; d'ailleurs, ce grand zèbre blond conservait son sang-froid devant la plupart des événements, bien que la « fatalité » (fatalitas) ait voulu que, malgré sa bienveillance habituelle à l'égard des humains, il ait été condamné à plusieurs reprises pour coups et blessures.

Paradis souleva de quelques millimètres la partie antérieure de son couvre-chef et s'exclama simulant la surprise :

– Tiens, mademoiselle Yvonne !

Il ajouta d'un air intéressé :

– C'est à vous qu'ils en avaient, les moujingues ?

Il termina son entrée en matière par cette interrogation amusée :

– Qu'est-ce que vous pouvez bien leur avoir fait ?

– Je leur avais tiré les oreilles. Mais ça n'a aucune importance.

Paradis comprit que quelques remarques blasonnières sur les enfants en général et sur les chenapans de la porte d'Argenteuil en particulier eussent été accueillies avec indifférence et même impertinence, et qu'Yvonne désirait changer de sujet de conversation. Il trouva donc à dire ceci :

– Vous allez maintenant à l'Uni, mademoiselle Yvonne ?

– Oui.

– Ça ne vous fait rien si j'y vais avec vous ?

– Non.

Ils marchèrent quelque temps en silence.

Paradis cherchait quelque chose à lui dire. Il trouvait bien des phrases comme « dis donc, belle gosse, tu dois en avoir du beau linge » ou bien encore « le père Pradonet, ton radin de papa, quand est-ce qu'il se décide à nous accorder une augmentation ? », mais il sentait bien que ce n'était pas ce qu'il fallait lui dire à Mlle Yvonne, et qu'il devait se donner la peine de chercher quelque chose de plus relevé. Il essaya tout d'abord du temps qu'il fait, bien qu'il sût et tout en sachant que ça ne mènerait pas très loin.

– Fait beau aujourd'hui, dit-il.

– Oui, dit-elle.

Elle le regarda.

Elle le trouvait bien. Elle l'avait remarqué plus d'une fois à l'Uni-Park, mais il n'avait jamais fait attention à elle.

Lui, après sa tentative de conversation météorologique, continuait à se demander ce qu'il pourrait bien sortir, en dehors d'appréciations tendancieuses sur la direction de l'Uni-Park ou des invites directes à la copulation. Évidemment, il n'avait jamais fait attention à Yvonne : il savait bien que ce n'était pas du gibier pour lui. Conscient de son infériorité sociale, il n'osait lever les yeux sur elle : il ne voulait pas péter plus haut qu'il n'avait le derrière, ni se risquer dans une aventure larmoyante comme on en voit au ciné ou dans les feuilletons lorsque des gars dépérissent pour l'amour d'une inaccessible, qu'à la fin on veut faire croire qu'ils épousent.

Cependant le voisinage de cette belle fille commençait à l'émouvoir, et, tout en cherchant son sujet de conversation inoffensif, il essayait de tourner un madrigal.

Comme penser deux choses à la fois dépassait ses capacités, il en conçut un certain trouble et n'osait ouvrir la bouche de peur de bafouiller.

Mais Yvonne lui demanda :

– Vous êtes toujours au Palace de la Rigolade ?

Ah ! Il y a de quoi causer là-dedans.

– Oui, toujours, répondit-il.

– C'est dur le boulot ?

– Les samedis et dimanches, et jours de fête, c'est esquintant, mais les autres jours on est assez peinard, tellement même qu'on va quelquefois donner un coup de main aux copains des manèges.

– Qu'est-ce que vous y faites, vous ?

– Eh bien, je...

Mais Paradis hésita. Tout d'un coup, il s'aperçut, ou crut s'apercevoir, que c'était assez difficile à expliquer sans insinuer des choses contraires à la décence ; et, comme il imaginait à l'instant même qu'il faisait subir à la fille du patron, celle-là même qui marchait à côté de lui, l'érotique humiliation qu'il infligeait chaque soir à toutes les femmes qui s'aventuraient dans le Palace, il eut quelque mal à trouver une réponse sans implications concrètes précises.

– Vous savez, il y a des trucs, des attrapes. J'aide les dames dans les passages difficiles.

– Je n'ai jamais mis les pieds dans votre Palace, dit Yvonne.

Cette phrase transforma aussitôt Yvonne dans l'esprit de Paradis.

Tous les ragots qu'il avait entendu raconter sur elle se dissipèrent, et elle apparut rayonnante de pureté, de chasteté, de virginité.

– Mais, continua-t-elle, je suppose que ça ne doit pas être désagréable comme labeur.

Les ragots reprirent aussitôt consistance, comme des nuages noirs et lourds évoqués par les conjurations d'un sorcier. Paradis jugea Yvonne perverse et décida sur-le-champ qu'elle serait à lui, et pas plus tard que ce jour même.

– Non, bien sûr, dit-il négligemment, mais ce sont surtout les spectateurs qui en profitent.

– Je sais, dit Yvonne.

Cette remarque le déconcerta, mais tout de même, il se lança :

– Il y a un coup de vent qui soulève les jupes des dames et même des jeunes filles (il fut assez content de ce : « et même des jeunes filles »). Alors vous comprenez, il y a un tas de satyres, c'est le mot, qui viennent exprès pour se rincer l'œil. Nous, on les appelle les « philosophes ». C'est des vicieux.

– Et vous, demanda Yvonne en riant, ça ne vous intéresse pas ?

– Je ne dis pas, dit-il très rapidement, mais enfin passer son temps à ça, faut être malade ou un peu sinoque.

– Vous aimez les plaisirs plus consistants ?

Paradis, très gêné, se demanda ce qu'il allait encore pouvoir répondre. Si elle faisait les avances, alors il n'aurait plus le mérite de la « séduire ». Comme c'était ce qu'il avait l'intention de faire, et ce dont il avait de plus le désir de se vanter, il éprouva quelque rage à se voir ainsi devancer.

– Comme tout le monde, quoi, dit-il sans chercher de finesses.

– Qu'est-ce que vous en savez ? demanda Yvonne.

Il la regarda de côté. Elle le mettait en boîte, c'était pas possible.

– Qu'est-ce que j'en sais : quoi ? Ce qu'aiment les autres, ou ce que j'aime, moi ?

Il avait l'air furieux, ce qui fit rire Yvonne.

– Enfin, conclut-elle, vous ne les trouvez pas sympathiques, ces philosophes.

– Bah ! dit-il, tout d'un coup très las, je ne sais pas. Je gagne ma croûte, quoi. Il y en a qui font pire.

– Je ne vous reproche rien, dit Yvonne.

Du moment qu'il ne serait plus question du Palace de la Rigolade, il se sentait soulagé. Du coin de l'œil il admira Yvonne. Quelle belle gosse ! Et il n'avait pas l'air de la dégoûter. Quoiqu'il ne fût pas encore très sûr qu'elle ne se foutît point de lui.

Ils avaient traversé la rue des Larmes et longeaient les murs de l'Uni-Park. Ils approchaient de l'immeuble Pradonet.

– Si on se promenait encore cinq minutes ? proposa Paradis.

Yvonne le regarda droit dans les yeux.

– C'est ça, dit-elle. Cinq minutes.