VI

Pierrot fut réveillé vers les sept heures par la bonne de l'hôtel. Elle venait de voir annoncé, en une dernière heure en caractère gras, que l'Uni-Park avait été, cette nuit même, incendié. La nouvelle intéressa vivement Pierrot, qui craignit un instant pour Yvonne ; mais on n'annonçait pas de victimes. Le journal terminait son rapport en informant ses lecteurs que la cause de ce sinistre demeurait inconnue ; mais que des spécialistes allaient s'efforcer de résoudre ce problème.

– Alors, vous voilà sans place, monsieur Pierrot, dit la bonne qui le croyait toujours employé là-bas.

Elle le regardait avec sympathie et compassion. Lui n'avait que la tête au-dessus des draps ; pour le reste, il était à poil. Comme il s'était couché bien tard après avoir un peu plus bu que de coutume, il avait bien de la peine à ouvrir les deux yeux à la fois.

– Hélas ! oui, répondit-il. Il faut que j'aille voir ce qui se passe.

Mais il n'avait pas envie de se précipiter sur le champ du désastre, et, s'il dit « je me lève », ce ne fut que pour décider la bonne à sortir. Le résultat obtenu, il referma les yeux et se rendormit pour encore une petite heure. Cette dose supplémentaire de sommeil, il l'avait ressentie comme nécessaire.

Son vêtissement et sa toilette ne s'accompagnèrent que de vagues rêveries accompagnées du chantonnement spasmodique de refrains connus. Ce n'est que devant son jus au bistrot voisin qu'il jugea tout à fait nécessaire, et peut-être urgent, d'aller voir quelle gueule faisait l'Uni-Park après une nuit de combustion. Il s'y rendrait donc le matin même, mais il n'en allongea point cependant pour cela le pas et s'en fut sans manifester cette agitation qui ne convient qu'aux âmes un peu balourdes qui ne savent pas se défendre contre la mobilité du destin.

Il suivit son itinéraire habituel et, comme de coutume, s'attarda devant les roulements à billes. Il ne ratait jamais ce spectacle mécanique et distrayant. Puis il s'avança dans l'avenue de Chaillot et constata en tout premier lieu que la tour aux avions avait disparu. Des foyers mal éteints fumaient encore.

Des flics gardaient les décombres. Des gens se mettaient ensemble pour mieux voir et plus discuter.

Les femmes en stuc en avaient pris un sacré coup. En une nuit, elles avaient vieilli de cinquante ans ; leur chignon s'était éméché et leurs nichons leur dégringolaient sur les cuisses. Mieux même, elles avaient changé de race : un substantiel postère noirci les affectait d'une stéatopygie hottentote.

Tout comme la tour aux avions, la superstructure de l'Alpinic-Railway s'était effondrée.

Pierrot se joignit à un groupe de commentateurs parmi lesquels il reconnut quelques philosophes. Un gros père disait à un petit vieux :

– C'est une véritable catastrophe ! Et vous savez, vous, monsieur, comment c'est arrivé ?

– Il paraît qu'un court-circuit...

Un personnage qui bavardait un peu plus loin avec de grands gestes se précipita :

– Jamais de la vie, monsieur ! Jamais de la vie ! J'ai tout vu. J'habite là.

Il désigna l'une des directions de l'espace.

– De ma fenêtre j'ai tout vu, continua-t-il. C'est un attentat.

On n'attendait pas moins.

– Voilà ce qui s'est passé : j'ai eu l'estomac dérangé cette nuit par des conserves qui ne devaient pas être fraîches, du cassoulet. Ça m'a donné la migraine, sans compter la colique, et comme je n'arrivais pas à dormir, j'étouffais à moitié, je me suis mis à la fenêtre, et ma fenêtre, monsieur, donne là.

Il désigna la même direction, à peu près, que tout à l'heure.

– J'ai une vue splendide sur l'Uni-Park. Vue splendide, mais c'est bruyant. Naturellement tout était éteint. Il était dans les trois heures. Je respire le bon air du soir, ça me fait du bien, quand tout à coup les avions se mettent à tourner, s'enlèvent de terre, et les voilà qui volent en rond. Je regarde ça pas mal étonné, lorsque, ça c'est plus fort, les voilà tout à coup qui s'enflamment, ça je vous assure que c'était beau : je n'en revenais pas. Mais le mieux ça a été quand ils se sont un à un décrochés et ont été choir en des points différents de l'Uni-Park où ils ont collé le feu partout. Ça je vous fiche mon billet que ça valait le coup, dame oui, grands dieux. En moins de deux, ce magnifique parc d'attractions n'était plus qu'un brasier. Et quelques instants plus tard un tas de braises au milieu desquelles s'écroulait avec un bruit infernal, oui messieurs, le réseau spiraloïde et mouvementé des montagnes russes. Ce n'est qu'à ce moment-là que je compris que j'assistais à l'un des plus terribles incendies des temps modernes.

– Pourquoi ? demanda Pierrot, vous croyiez tout d'abord que c'était une inondation ?

Tout le monde trouva la repartie excellente, et Pierrot en fut d'autant plus satisfait qu'il lui arrivait rarement d'en réussir d'aussi bonnes. Ce n'était pas dans son caractère, et il venait de lancer celle-ci sans s'être bien rendu compte de ce qu'il faisait.

Après avoir envisagé pendant quelques instants la possibilité d'une vengeance immédiate et sauvage, telle que le bris total des lunettes et des trente-deux dents ou la trituration du mastoïdien et la saponification du thymus, le témoin, réflexion faite, se contenta de passer outre.

– Vous rigolez, vous, continua-t-il, mais vous ne vous rendez pas compte. C'était impressionnant au possible : des flammes hautes comme des maisons, de la fumée tant et plus, et puis surtout enfin : c'était un crime, un attentat, car vous n'irez pas me raconter que ces avions se sont mis en marche tout seuls et décrochés tout seuls. Moi j'ai vu, je n'ai pas rêvé.

Comme il avait l'air très exalté, les gens qui l'écoutaient n'osèrent pas proposer des versions différentes, et ils commentèrent la sienne. Qui ? Pourquoi ? Comment ? On épiloguait. Le directeur ? Un ennemi ? Vengeance ? Intérêt ? Complicités ? On rappela l'incident de la veille au Palace de la Rigolade. On envisagea diverses hypothèses, mais à chacune quelqu'un se récriait.

Pierrot écoutait, badaud intéressé, lorsqu'il songea tout à coup à se rendre compte des choses par lui-même.

Il voulut d'abord s'assurer que la maison où habitait Mlle Pradonet n'avait pas été détruite. Il remonta le boulevard Extérieur. Des voitures de pompiers stationnaient encore le long du trottoir et ces militaires arrosaient des débris informes qui prétendaient flamber encore. Des noyaux de curieux se tenaient çà et là ; de temps à autre, la police les faisait rouler, et ils s'arrêtaient un peu plus loin. Au coin de l'avenue de la Porte-d'Argenteuil, ça n'avait pas brûlé. On discutait ferme aussi de ce côté-là. Mais on ne savait pas grand-chose. Pierrot leva le nez s'attendant vaguement à voir Yvonne à une fenêtre, mais personne ne se montrait, pas même une bonne secouant ses tapis. Il continua son tour d'Uni-Park et, après l'avenue de la Porte-d'Argenteuil, s'engagea dans la rue des Larmes. Il eut la satisfaction de constater que la chapelle avait été épargnée. Au moment où il passait devant, il aperçut Mounnezergues qui sortait de chez lui. Ils se reconnurent.

– Alors, jeune homme, cria-t-il de l'autre côté de la rue, c'est une veine ! Le feu s'arrêta quelques mètres avant le tombeau !

Il traversa la chaussée et s'empara de la dextre de Pierrot en manifestant une grande cordialité.

– J'ai vu tout l'incendie, continua-t-il. Spectacle grandiose, monsieur. J'étais inquiet pour mon prince, mais le vent a tourné quand il l'a fallu. Tout le quadrilatère est en cendres, sauf ceci... (Il montra la chapelle.) Vous devez penser si je me réjouis. Non que je me félicite de cette catastrophe, quoique... Enfin, nous en reparlerons. Je vous exposerai mes idées là-dessus. Mais ce que je me demande, c'est ce que Pradonet va faire maintenant. Pradonet, c'est le directeur de l'Uni-Park.

– Je le sais, dit Pierrot, j'y ai travaillé.

– Tiens, dit Mounnezergues. Qu'est-ce que vous faisiez ?

– Je tenais les bonnes femmes sur un courant d'air au Palace de la Rigolade. Mais je n'y suis resté qu'une soirée. Et une autre soirée comme servant d'un fakir. C'est tout.

Mounnezergues parut satisfait par cette réponse.

– Le Palace de la Rigolade, remarqua-t-il, est-ce qu'on n'avait pas déjà commencé à y mettre le feu hier soir ?

– Il paraît. Les deux copains qui travaillaient avec moi ont été mis à la porte.

– Des idées de vengeance ?

Pierrot ne comprit pas. Mounnezergues s'en aperçut.

– Qu'est-ce que vous en pensez ? lui demanda-t-il.

– De quoi ?

– De cet incendie.

Il désigna les décombres de l'Uni-Park.

– Je m'en fous, répondit Pierrot.

Il sourit, parce que tout à coup il découvrit que, si Yvonne n'avait plus à tenir son stand, elle pourrait, espérait-il, sortir avec lui de temps en temps, même si elle continuait à voir Paradis.

Mounnezergues insista.

– Vous croyez que c'est naturel, ou bien que c'est voulu ?

– Je n'ai pas d'idée là-dessus.

Et après réflexion :

– En tout cas, ce n'est pas moi, dit Pierrot.

– Ni moi, dit Mounnezergues, quoiqu'on puisse me soupçonner, puisque j'ai un motif. Mais comment aurais-je pu réaliser ? Peut-être un court-circuit suffit-il à expliquer la chose. Peut-être aussi faut-il supposer que Pradonet a des difficultés et qu'il compte sur une assurance qui lui permettra de requinquer ses affaires ?

– Ça je n'en sais rien, dit Pierrot. Pour la façon dont ça s'est passé, j'ai entendu, devant la porte principale, un drôle de type qui prétendait avoir vu le comment de la chose : les avions auraient pris feu, et se sont décrochés en pleine vitesse. C'est eux qui auraient mis le feu partout. Mais il y a une chose que je me demande, c'est le motif que vous pourriez bien avoir de provoquer cet incendie.

– Oh ! pour ça, vous pouvez vous tranquilliser, jeune homme. Jamais un tribunal n'admettra qu'une telle pensée puisse mener à une aussi grande extrémité. Je ne parle pas du simple souci de tranquillité, il faudrait que je vous raconte mes rapports avec votre ex-patron, mais il y a une chose qui me réjouit, je vais vous le dire entre nous... c'est là mon motif... Mais gardez cela pour vous. Juré ?

Pierrot cracha par terre.

– Juré, dit-il.

– Eh bien, dit Mounnezergues, maintenant le prince Luigi va pouvoir dormir tranquille. Avez-vous déjà songé à l'indécence qu'il y avait à ce qu'un parc d'attractions vienne s'installer près d'un sépulcre ? Désormais le dernier sommeil du prince ne sera plus troublé par les chansons des haut-parleurs, les cris des femmes et le ronflement des manèges.

– Mais Pradonet va peut-être reconstruire ? suggéra Pierrot.

– Alors, vous voyez que ce n'est pas le bon motif ! Quant à l'histoire des avions brûlots, c'est une fantasmagorie. Je n'ai rien aperçu de semblable. Et pourtant, j'ai été réveillé par les premières flammes. Oui, je crois que je les attendais depuis longtemps. Je dormais, la fenêtre ouverte du côté de l'Uni-Park. Je dormais, il était peut-être trois heures, trois heures et demie. Et cela m'a réveillé, comme l'aube et le chant du coq. Mais d'avions voltigeant, point.

Pierrot, ne sachant comment continuer la conversation, se taisait. Après un silence, Mounnezergues reprit :

– On pourra soupçonner aussi ces gens qui ont déjà voulu mettre le feu la veille au Palace de la Rigolade : ça les a peut-être mis en train. Ils ont pris le goût des flammes, quoi. On pourra soupçonner des employés injustement chassés, comme vous et vos amis. Ou encore un rival. Qui sait ? Mamar lui-même dont le cirque vient de s'établir en face. Au fait, ça me fait me souvenir que je dois y aller pour serrer la pince d'un vieux copain qui travaille là. Venez donc avec moi, jeune homme, je vous présenterai à quelqu'un d'intéressant, vous vous ferez des relations, vous pourrez même peut-être y trouver du travail. Vous ne faites rien en ce moment, n'est-ce pas ?

– Non, dit Pierrot. Je cherche.

– Eh bien, accompagnez-moi.

Mounnezergues avait fini son bouchonnage quotidien de la chapelle et du jardin circonvoisin. Il rentra chez lui remiser ses ustensiles et prendre son chapeau. Puis il emmena Pierrot. Ils descendirent la rue des Larmes vers l'avenue de Chaillot, qu'ils traversèrent, après avoir laissé sur leur gauche les ruines du dancing de l'Uni-Park.

Au cirque Mamar, on était calme. Mounnezergues interpella un employé qui brossait un zèbre. Il lui demanda où nichait Psermis. L'autre répondit qu'il était sorti, ou plutôt qu'il n'était pas encore là, car il couchait à l'hôtel. Et Burmah, son aide ? Il était en train de soigner ses bêtes.

– Vous ne connaissez pas Psermis ? demanda Mounnezergues à Pierrot. Non ? Vous n'êtes donc jamais allé au cirque ou au music-hall ?

Non. Pierrot allait plus communément au cinéma. Il n'avait absolument pas la moindre idée de ce que pouvait être Psermis, à plus forte raison Burmah, qu'en compagnie de Mounnezergues il allait dégoter dans un coin de la ménagerie.

– C'est un vieil ami à moi, dit Mounnezergues, un des rares, le seul. Je l'ai connu alors qu'il bonimentait à l'Anatomic-Hall que mon père fournissait en figures de cire. Il avait à peine dix-huit ans et il avait déjà un bagout du tonnerre de Dieu pour exhiber ses saloperies. Et figurez-vous, jeune homme, que je l'ai retrouvé plus tard sergent au 3e zouaves où je fis mon temps, en Algérie. C'est là qu'il commence à s'intéresser au dressage d'animaux : il étudie les charmeurs de serpents et lui-même apprend à un sanglier à marcher sur des échasses, ce qui ne s'était jamais fait jusqu'à lui. Ce premier succès l'incite à continuer, et, lorsqu'il fut rentré en France, il adopta ce métier. Comme vous l'ignorez, il est devenu le plus fameux montreur d'animaux savants des deux hémisphères. Je dis montreur, car le succès l'autorise maintenant à se contenter d'acheter les animaux tout dressés.

À l'entrée de la ménagerie, un paillasse leur apprit que Burmah venait de sortir. Ils firent demi-tour.

– C'est embêtant ça, dit Mounnezergues, j'aurais voulu que vous connaissiez Psermis, il vous aurait peut-être trouvé du travail. Cela vous dirait quelque chose de suivre un cirque ambulant ?

– J'aimerais mieux rester à Paris, répondit Pierrot. Mais un petit boulot pour quinze jours, trois semaines, ça ferait mon affaire, surtout dans le coin.

Il pensait à Yvonne, naturellement, elle qui habitait tout près.

– Il ne faut pas être trop exigeant, dit Mounnezergues.

Mounnezergues était tout prêt maintenant à considérer Pierrot comme son fils. Il le trouvait sympathique. Ça l'avait pris comme ça. C'est une passion comme une autre, l'amitié. Car Mounnezergues n'était luxurieux ni de corps ni de consentement. Il regarda Pierrot du coin de l'œil, et cessa son bavardage. Il était en train de faire germer en lui pour la chérir, cette pensée qu'il aimerait bien que Pierrot lui succédât comme gardien du tombeau du prince Luigi, bref en faire son héritier.

Tout en entretenant ce train d'idées, Mounnezergues demandait à tout cirqueux qu'il rencontrait si celui-ci ne saurait lui dire où il aurait des chances, lui Mounnezergues, de rencontrer Psermis. Plusieurs personnages restèrent sans réponse ; mais l'homme-squelette leur indiqua comme assez vraisemblable Le Cocher Fidèle, un bistrot de laquais au coin de l'avenue de Chaillot et du boulevard Victor-Marie-Comte-Hugo. Ils n'eurent pas à aller jusque-là : non loin du monument de Serpollet, ils rencontrèrent Psermis. Le voilà, dit Mounnezergues en désignant un grand sécot grisonnant qui s'avançait, mains dans les poches en sifflotant un air coquin. Pierrot reconnut le phénomène qui pérorait devant la porte principale de l'Uni-Park. « Et moi qui m'en suis déjà fait un ennemi », songea Pierrot ; mais il espéra que l'autre ne le reconnaîtrait point.

– Psermis ! s'écria Mounnezergues en ouvrant les bras.

Le montreur d'animaux arrêta sa marche et sa chanson pour examiner la situation. Quelques instants se passèrent. Le temps tenait les deux personnages aux extrémités d'un fil élastique tendu. Il relâcha son effort et Psermis se précipita vers Mounnezergues. Ils se donnèrent l'accolade.

– Ce vieux Mounnezergues, disait Psermis.

Ils se tapaient dans le dos et souriaient abondamment.

– Figure-toi, disait Psermis, que j'avais l'intention d'aller te voir. Je me souvenais que tu habitais dans ce quartier. Mais j'ai perdu ton adresse. Ce n'était pas de veine. Ce vieux Mounnezergues. Hein, où est le 3e zouaves ; et Constantine ? Agi mena ! chouïa barca !

Il riait à plein gosier.

– Et les chameaux, tu t'en souviens ? Ce vieux Mounnezergues.

Il regarda Pierrot.

– C'est ton fils ?

– Non pas du tout. Tu sais bien que je ne suis pas marié.

L'autre, dans le tuyau de l'oreille, demanda :

– Un péché de jeunesse ?

– Mais non, voyons. C'est un jeune employé de l'Uni-Park qui prend plaisir à ma conversation.

– Eh bien, le voilà sans emploi.

– Justement. Est-ce que tu ne connaîtrais pas quelque chose pour lui chez Mamar ?

Psermis réfléchit, ou fit semblant.

– Je ne vois pas pour le moment, mais je te ferai signe s'il y a quelque chose en vue.

Ayant ainsi joué son rôle d'employeur dans un style d'une pureté classique, Psermis revint à son commencement, évoquant de nouveau Constantine, le 3e zouaves et les chameaux de Biskra, bled également connu pour ses dattes. Mounnezergues lui donnant la réplique, Pierrot eut tôt fait de s'ennuyer. Il réussit sans peine à s'esquiver, malgré l'amitié que Mounnezergues avait maintenant pour lui, mais qu'obombraient en ce moment les sournois échos de sa jeunesse.

– Je vous ferai signe si je connais quelque chose, lui cria Psermis.

Pierrot se demanda comment.

Il s'éloigna.

Comme il était dans les midi, l'Uni-Bar s'imposait. Pierrot remonta donc le boulevard Extérieur. Devant le parc d'attractions, des gens stationnaient encore. Dans les autobus qui passaient, on se levait pour voir les décombres, cendres et charbons.

Pierrot espérait voir Paradis ou Petit-Pouce, mais ni l'un ni l'autre ne se trouvaient dans le bistrot. Il fit le tour de l'établissement, puis, après avoir commandé un apéritif au zinc, il s'installa devant un appareil à billes et, y ayant coulé ses vingt ronds, commence une partie. Un groupe d'habitués bavardait avec la caissière ; naturellement, ils parlaient de l'incendie. Devant la cage de l'homme du P.M.U., des hippophiles faisaient la queue.

Pierrot perdit. Sans doute le loueur de l'appareil, voyant qu'on y gagnait trop souvent, était-il venu la veille pour en modifier le niveau et limer quelques aiguillages dans la mauvaise direction. Pierrot n'insista pas. Il but son apéritif, en écoutant les conversations des gens ; lesquelles ne lui apprirent pas grand-chose ; sinon que les uns croyaient au court-circuit, et que d'autres disaient que la police s'occupait de l'affaire.

Comme Paradis non plus que Petit-Pouce n'apparaissaient, Pierrot déjeuna debout : d'un sandwich. Il alla passer le reste de la journée le long de la Seine ; il se paya même une piscine et nagea consciencieusement. À l'aller comme au retour, il guigna les fenêtres de l'immeuble Pradonet, mais sans rien y voir d'intéressant. Le soir, à l'Uni-Bar, il n'y avait toujours pas de copains. Pierrot dîna dans un restaurant où l'on ne met même pas de nappes en papier sur les tables parce que, sans doute, la cuisine y est dite bourgeoise. Il se paya ensuite le cinéma (justement on jouait L'Incendie de Chicago, c'était une coïncidence), puis revint à son hôtel à travers la nuit. Durant ce trajet, il pensa notamment qu'il fallait qu'il commence à se démerder pour trouver du boulot. Il ne s'attarda pas à cette pensée, cependant, plus rapide que l'éclair ; et le reste du temps, il pensa un peu à Yvonne, et beaucoup à rien.

Durant les jours qui suivirent et qui furent quatre, il fit ce même aller et retour de l'hôtel au pont d'Argenteuil et du pont d'Argenteuil à son hôtel, avec quelques boucles autour de l'Uni-Park. Il ne revit Yvonne non plus que ses amis, bien qu'il les cherchât, ni Mounnezergues non plus que Psermis, parce qu'il les évitait. C'est au soir de ce quatrième jour, dégarni de rencontres et d'amitiés, alors qu'il revenait lentement des bords de la Seine où il avait vu pêcheurs et nageurs se partager un bonheur compact avec tant de modération qu'il en restait encore pour les chauffeurs de camions qui, malgré leur strict horaire, s'arrêtaient au coin du pont pour boire le dernier verre de vin rouge avant d'entrer ou de sortir de Paris, et tandis qu'il réfléchissait en lui cette image allégorique, que Pierrot revint à considérer de nouveau l'éclair qui l'avait frappé quelque temps auparavant, à savoir qu'il était temps qu'il se démerde pour gagner sa croûte, car il ne lui restait pas grands fonds en poche et sa masse de manœuvre pour le P.M.U. avait été anéantie la veille même par l'imbécile emballement d'un trotteur à grosse cote que la vue d'un parapluie rouge brusquement ouvert avait énervé. Cette notion théorique acquise, il fallait passer à la réalisation pratique. Pierrot envisagea ses possibilités : un lointain cousin qu'il voyait en des circonstances difficiles analogues lui trouverait sans doute une place de démonstrateur à la Foire de Paris ; un ancien employeur le reprendrait peut-être pour toucher les cotisations de l'Assurance à la Petite Semaine de la Grande Banlieue ; les journaux offraient leurs colonnes d'offres et de demandes ; des gens divers pouvaient être visités. Pierrot préféra tout d'abord revoir le père Mounnezergues.

Accoudé à sa fenêtre, le père Mounnezergues fumait sa pipe. Presbyte, il avait repéré Pierrot dès que celui-ci avait apparu au coin de la rue des Larmes et de l'avenue de la Porte-d'Argenteuil : aussi avait-il eu le temps de maîtriser sa joie ; il voulait annoncer paisiblement la bonne nouvelle au jeune homme, la bonne nouvelle qu'il lui avait trouvé un petit travail amusant à faire. Pierrot, qui y voyait clair lui aussi, grâce à l'épaisseur des lentilles de ses lunettes, s'était senti examiné par l'autre et s'avançait d'une marche encore plus négligente que de coutume. Cependant, lorsqu'il fut à distance raisonnable, il sourit aimablement et porta deux doigts à son chapeau. Mounnezergues l'interpella :

– Entrez donc ! J'ai justement à vous parler ! Entrez sans frapper ! La porte est ouverte. Entrez à droite dans le jardin et prenez le couloir. Je vous attends ici.

– Merci, monsieur Mounnezergues, dit Pierrot.

Il est mieux de le remercier d'avance, pensa Pierrot, qui se voyait déjà, et sans enthousiasme, en train de balayer du crottin sur la piste de Mamar. D'ailleurs, il n'était pas obligé d'accepter ce qu'allait lui offrir Mounnezergues. En traversant le jardin, il était à peu près décidé à ne pas se laisser embringuer dans un cirque ambulant. En entrant dans la maison, il l'était tout à fait. Cette vie de remue-ménage loin d'Yvonne et de la porte d'Argenteuil ne lui disait vraiment rien.

Mounnezergues l'attendait debout au fond du couloir. Il le regardait en souriant. Pierrot fut surpris de constater comme il avait rajeuni en si peu de jours. Il avança en ôtant, poliment mais dignement, son feutre mou.

– Je cherchais du travail dans d'autres quartiers, lui dit-il, ça fait que je ne suis pas venu vous voir ces jours-ci.

Mounnezergues continuait de lui sourire, mais ne lui répondit pas. Pierrot s'arrêta, n'osant pas lui tendre la main, ce silence lui faisant présager une déclaration d'une nature tellement importante qu'elle excluait la vile banalité des saluts quotidiens, mais, comme il pensait bien que cette déclaration concernait son embrigadement, à lui Pierrot, dans le cirque Mamar, cirque ambulant, il jugea que ce serait de sa part faire preuve d'un tact extrême en montrant qu'il ne répugnerait point à suivre cet établissement dans ses pérégrinations, quoiqu'il fût profondément attaché à sa terre parisienne.

– L'autre jour, continua-t-il avec une timidité feinte qu'il estimait de la plus grande délicatesse, ce monsieur qui est votre ami vous a dit qu'il connaîtrait peut-être quelque chose pour moi... Je venais voir si... Enfin, à Paris, on ne trouve pas de travail en ce moment... Comme vous aviez eu l'air de vous intéresser à ma situation, je venais voir si, ... si...

Mais Mounnezergues semblait bien décidé par son mutisme souriant à lui extraire une supplique entièrement énoncée. Pierrot accoucha donc :

– Je venais voir s'il n'y aurait pas du boulot pour moi au cirque Mamar.

– Ah ! vous êtes là, dit une voix derrière lui. Je me demandais ce que vous étiez devenu.

C'était Mounnezergues. Pierrot se retourna et le vit.

– Celui-là, dit Mounnezergues en désignant le mannequin, je l'ai fabriqué il y a une dizaine d'années, pour m'amuser. Drôle d'amusement, me direz-vous. Mais entrez donc.

Pierrot entre, assez satisfait de s'être entretenu pendant au moins quelques instants avec une figure de cire.

– Qu'est-ce que vous allez prendre ? demanda Mounnezergues. Un kirsch ?

– Je veux bien, dit Pierrot.

Il y avait devant lui un grand portrait, pendu au mur

– Le prince Luigi, dit Mounnezergues en remplissant deux petits verres. C'est un agrandissement d'une photo parue dans les journaux de l'époque. Elle est ressemblante. C'est un artiste qui a fait ça. Une fois, j'ai eu l'idée de faire sa tête en cire. Je l'ai bien réussie. Je l'ai gardée peut-être trois mois, et puis ensuite je l'ai refondue, j'avais trouvé que c'était manquer de respect pour le prince. Mais il ne s'agit pas de tout ça. Il est bon, mon kirsch ?

– Oui, monsieur Mounnezergues.

– Monsieur Mounnezergues ? Pas de monsieur entre nous. Mais voilà de quoi il retourne, et pourquoi je suis content de vous voir. Je vous ai trouvé un petit travail, quelques jours seulement mais c'est toujours ça, et puis ça vous amusera, j'en suis sûr.

Quelques jours seulement, ça allait.

– Merci, dit Pierrot. Merci, monsieur Mounnezergues.

– Pas de monsieur, sacré nom d'une pipe ! s'écria Mounnezergues.

Pierrot était maintenant curieux de savoir ce que Mounnezergues pouvait bien juger « amusant », – au moins pour lui, Pierrot. Mais on sonna.

Mounnezergues se pencha par la fenêtre pour voir qui c'était.

– C'est Pradonet, dit-il à Pierrot.

– Bon, je m'en vais, dit Pierrot. Je reviendrai une autre fois.

– Mais non, mon garçon, restez donc, vous ne me dérangez pas.

Et il s'empressa d'aller ouvrir.

Pierrot se mit à son tour à la fenêtre. De ce rez-de-chaussée un peu surélevé, il pouvait voir non seulement la chapelle tranquille et encagée avec son square rectangulaire, mais encore le grand champ de charbons et de cendres qui représentait l'état actuel de l'Uni-Park. Tordues, cuites, recuites et menaçant le ciel, les poutrelles de l'Alpinic-Railway prétendaient seules à quelque tragique. Le reste n'avait l'air guère plus anéanti qu'à l'époque où ça fonctionnait sous le titre d'attractions, et demeurait presque aussi agréable à regarder, surtout si l'on y ajoutait le charme du jeu des identifications : ici était le manège Untel, et là se trouvait la huche de la cartomancienne. Pierrot cherchait l'emplacement du stand d'Yvonne lorsque Pradonet entra dans la pièce. Il se retourna.

– Entrez donc, disait Mounnezergues, et ne vous occupez pas de ce jeune homme. Nous pouvons causer devant lui. Un verre de kirsch ?

– Bien volontiers, dit Pradonet.

Après avoir examiné Pierrot qui lui avait fait un bonjour poli de la tête, il ajouta :

– Il me semble l'avoir rencontré quelque part, ce garçon. Et à Pierrot :

– Je ne vous ai déjà pas vu ailleurs, jeune homme ? Je suis Pradonet, le directeur de l'Uni-Park.

– J'y ai été employé, dit Pierrot. C'est peut-être là que vous m'avez vu.

– Peut-être, dit Pradonet.

Il examina encore une fois Pierrot, mais sans arriver à se faire une opinion. Puis il se tourna vers Mounnezergues :

– J'ai à vous parler de choses sérieuses, Mounnezergues.

– Je vous écoute, dit Mounnezergues. Goûtez-moi ce kirsch.

– Ce jeune homme me dérange, dit Pradonet. Vous ne pouvez pas lui dire de s'en aller ?

– Je m'en vais, monsieur Mounnezergues, dit Pierrot.

– Mais non, reste donc, fiston, lui dit Mounnezergues qui ajouta pour Pradonet : Vous pouvez parler devant lui, c'est mon fils adoptif, je n'ai rien à lui cacher.

Cette déclaration stupéfia Pradonet. Il en resta silencieux quelques instants, se demandant si cela pouvait apporter quelque modification à leurs positions respectives.

– Véritablement adoptif ? demanda-t-il à Mounnezergues. Il hérite de vous ?

– Sans doute.

– Mais il n'y a pas seulement un an, vous m'aviez assuré que vous n'aviez pas d'héritiers.

– Eh bien, j'en ai un maintenant.

– Non, non, non, s'écria Pradonet. Je ne marche pas. Vous m'avez toujours fait lanterner à propos de ce terrain en m'assurant que vous n'aviez pas d'héritiers et maintenant en voilà un qui surgit de je ne sais où.

– Ça, dit Mounnezergues, c'est mon affaire. Ma vie privée ne vous regarde pas, n'est-ce pas ? Tout ce que je peux faire, c'est de vous conseiller de tenir compte dans vos projets de l'existence dudit héritier.

– Vous arrangez drôlement ça, dit Pradonet qui se mit à regarder Pierrot d'un air furibard.

Pierrot lui sourit d'un air aimable.

– À propos, dit Mounnezergues, et cet incendie ?

– Vous avez vu ça hein, dit Pradonet très fier, quelle catastrophe ! Tout a flambé. Il ne reste rien.

– C'est un sale coup pour vous, dit Mounnezergues.

– Plutôt, dit Pradonet. Surtout à un début de saison, c'est une calamité. Mais je suis assuré.

– L'assurance paiera ? demanda Mounnezergues.

– Pourquoi pas ? On enquête en ce moment. Mais peu m'importe le résultat. Je serai payé.

– Ça n'a pas l'air de vous intéresser beaucoup, pourquoi l'Uni-Park a brûlé, remarqua Mounnezergues.

– Là, Mounnezergues, vous vous trompez. J'y ai même beaucoup réfléchi.

– Et qu'est-ce que vous avez trouvé ?

– Rien, dit Pradonet. En tout cas, ce n'est pas moi, et l'assurance paiera, et avec cet argent et d'autre, je construirai un Uni-Park qui ne. sera plus une foire, mais un monument, et c'est pour cela que je suis venu vous voir, Mounnezergues. Parce que pour que mon monument soit un vrai monument, il faut qu'il soit carré, et, pour qu'il soit carré, il me faut votre terrain, Mounnezergues, et démolir la chapelle de votre prince.

– Non dit Mounnezergues.

– Écoutez-moi, Mounnezergues. Le futur Uni-Park aura sept étages, et des étages de six mètres de haut. À chaque étage, il y aura des attractions, des manèges, de tout. Et un Alpinic-Railway courra à travers tout l'établissement. Et sur la terrasse, il y aura une piscine, un dancing et une tour à parachute. Tout ça c'est bien peu de chose, faut que je vous dise, à côté de tout ce que je vais encore imaginer. Ce sera donc un truc unique, on viendra exprès à Paris pour voir ça, il n'y aura rien de comparable dans le monde entier, et à cause d'un prince poldève vous voudriez empêcher ce projet de se réaliser ? Et priver Paris de sa plus grande curiosité ? Non, Mounnezergues, vous n'allez pas faire ça. Pour moi, pour Paris, pour la France, je vous le demande en grâce.

– Des clous, dit Mounnezergues.

– Vous êtes un... dit Pradonet. Vous êtes un... dit Pradonet. Vous êtes un..., dit Pradonet, insensé. Oui, un insensé.

Il s'était levé et agitait ses grands bras au risque de casser des bibelots ou de décrocher le portrait du prince Luigi. Puis il se rassit, et but son kirsch.

– Pas mauvais, dit-il d'un air très calme. En tout cas, Mounnezergues, réfléchissez à ma proposition. Je vous en offre deux cent mille francs, moitié comptant, moitié dans six mois. D'accord ?

– Mais non, dit Mounnezergues.

Pradonet soupira.

Il regarda rêveusement son verre vide, puis se leva. Il serra la main de Mounnezergues en lui disant « on en recausera », et il serra aussi la main de Pierrot, distraitement.

Il s'en alla.

En attendant le retour de Mounnezergues qui était allé reconduire le visiteur, Pierrot regarda de nouveau le portrait du prince Luigi. C'était une belle œuvre d'art, bien ressemblante sans doute, les cheveux et les cils dessinés au poil, aussi bien qu'une photo. Quant au sujet lui-même, ç'avait dû être un beau garçon, avec quelque chose d'un peu rasta tout de même. À la réflexion, Pierrot ne le trouva pas spécialement sympathique, et ce n'est que lorsqu'il se souvint que ce pauvre jeune homme était mort dans la fleur de l'âge, et d'un stupide accident, qu'il lui pardonna ses rouflaquettes, ses yeux trop bistrés et sa gomina argentina, et qu'il voulut bien admettre que Mounnezergues gardât sa tombe avec cette parfaite quoique inexplicable fidélité.

– Pauvre garçon, hein ? dit Mounnezergues revenu. Mourir comme ça : à la fleur de l'âge, quelle pitié ! Vous vous demandez sans doute comment je peux être ainsi attaché à quelqu'un que je n'ai jamais connu qu'agonisant, au point de lui sacrifier une jolie somme d'argent – vous avez vu comme je l'ai rabroué le Pradonet, ma réponse était nette au moins ! – eh bien, qu'est-ce que je vous disais ?

– Vous étiez en train de vous imaginer que ça m'épatait de vous voir aussi dévoué à la cause du repos de l'âme des princes poldèves.

– Pourquoi « imaginer » ? Vous ne le pensiez pas ?

– Oh ! je ne suis pas indiscret, moi. C'est comme cette conversation avec Pradonet, si vous voulez que je ne l'aie jamais entendue, c'est fait. Je ne m'en souviens plus du tout, maintenant, si ça vous arrange.

Mounnezergues regarda Pierrot avec sérieux.

– Vous êtes encore un drôle de type, vous. Mais je veux en tout cas vous dire, que si vous aviez voulu que je réponde à la question que je m'imaginais que vous vouliez me poser, eh bien, je n'avais pas de réponse à vous donner. Voilà.

– D'ailleurs, je ne suis pas venu pour vous embêter, dit Pierrot.

– Vous êtes gentil, dit Mounnezergues distraitement.

Il réfléchissait.

– Ah ! s'écria-t-il. Et votre place ! Pradonet nous a interrompus. Ça vous intéresse ?

– Oh ! oui, sans doute, dit Pierrot. Mais en quoi ça consiste ?

– Je ne vous l'ai pas expliqué ?

– Ça durera que quelques jours, que vous m'avez dit.

– En effet. Voilà. D'abord : vous avez votre permis ?

– Naturellement, dit Pierrot.

– Je m'en doutais. Vous sauriez conduire une camionnette ?

– Je veux, dit Pierrot.

– Eh bien, voilà de quoi il s'agit. Je vous ai parlé de Psermis. Vous l'avez vu même. Je vous ai dit que c'était un montreur d'animaux savants. Il les achète à des dresseurs, principalement à Voussois, qui habite dans le Midi. Quelquefois les animaux ne conviennent pas. C'est ce qui est arrivé avec le dernier lot qu'il a envoyé. Vous aurez à reconduire ces bêtes à Voussois, et vous ramènerez un lot de nouveaux sujets pour Psermis. Mamar lui prête une camionnette. C'est elle que vous conduirez. Bref, on vous offre un petit voyage.

– Et je serai payé pour ça ?

– Gentiment même. Mais ça ne vous emploiera qu'une huitaine de jours.

– C'est toujours ça, dit Pierrot, qui, sur ce, éprouva le sentiment appelé gratitude.

À ce moment-là, il ne pensait naturellement pas à l'héritage de Mounnezergues.