VII

Quelques jours plus tard, sur la R.N.X bis, Pierrot menait aussi bon train qu'elle le pouvait la camionnette du cirque Mamar. Parti de Paris vers les sept heures, il espérait arriver à Butanges pour le déjeuner. Maintenant hors de la banlieue, il respirait un bon air de vacances et de campagne, constamment perverti d'ailleurs par les multiples autos et camions aux moyennes supérieures à la sienne, et ils étaient nombreux. Cependant, il se sentait bien joyeux, il chantonnait « l'air est pur, la route est large » et « la soupe et le bœuf et les fayots ». À côté de lui, Mésange, la casquette en arrière et bien emmitouflé dans une peau de chèvre, regardait attentivement le paysage, droit devant lui. De temps à autre, il se tournait vers Pierrot qui lui adressait alors son plus charmant sourire. À côté de Mésange, Pistolet, penché à la portière, examinait également avec application le paysage qui lui était proposé. À l'intérieur enfin, le calme étendait son silence, et, même aux passages à niveau ou aux cassis un peu trop bossus, Pierrot n'y entendait naître aucune protestation. Comme il savait à peine conduire, il n'était pas mécontent que sa camionnette ne fût qu'un tacot, ce qui lui permettait d'appuyer à fond sur l'accélérateur sans dépasser le quarante. Il se voyait constamment dépassé sans haine ni envie, et jubilait silencieusement de tout ce qui lui paraissait sympathique se présentant à sa vue : la route lorsqu'elle est bien droite, et la route lorsqu'elle serpente, les cantonniers et les boqueteaux, les petits villages bien calmes et, dans leurs pâturages, les vaches philosophiques ; sans compter Mésange et Pistolet qui lui plaisaient infiniment.

Vers les midi, il se trouvait encore fort loin de Butanges. Il s'arrêta dans la campagne pour, contre un arbre, aller pisser et, par la même occasion, réfléchir en regardant sa carte Taride. Il aurait évidemment du retard sur son horaire et décida de s'arrêter pour déjeuner à la prochaine localité qui se dénommait Saint-Mouézy-sur-Eon. Il y trouva devant la vieille halle une auberge qui lui parut convenable, et derrière un camion gigantesque il gara sa voiture. Il en examina le contenu : personne n'y avait souffert du voyage, mais tout le monde y avait faim. Pierrot consulta le petit papier que lui avait remis Psermis, distribua les pitances suivant les instructions reçues et n'oublia point de donner à boire. Pendant ce temps, mitocans et mocofans, gosses ou adultes, avaient découvert la présence de Mésange qui s'était installé au volant ; ils ne savaient trop qu'en penser, mais s'apprêtaient à rire.

Lorsqu'il eut fini de s'occuper de ses pécores, Pierrot entra dans le bistrot, et, après avoir salué la compagnie, s'enquit d'un repas possible. Mais oui, on pouvait le nourrir. Il retint une table et trois couverts, et alla chercher ses deux compagnons qui sautèrent gaiement à terre. La foule ne manifesta pas moins sa joie. Dans le café, il se fit un impérieux silence lorsqu'ils entrèrent, et, de les voir se mettre à table tous les trois, tout le monde s'ébaudit.

Pierrot s'installa devant son assiette avec une grande satisfaction : il avait bien faim. Mésange, après avoir jeté sa pelisse dans un coin, s'assit en face de lui et Pistolet s'empara de la troisième chaise, au bout de la table, entre eux deux. Les gens qui les regardaient, c'était (en dehors de la servante qui circulait à travers la salle et d'une mafflue matrone dont la graisse frémissait derrière le comptoir) le conducteur du camion gigantesque et un acolyte, un livreur d'un grand magasin, en uniforme, avec son chauffeur (Pierrot n'avait pas remarqué leur voiture), un cycliste qui ne s'était pas débarrassé des pinces de homard qui serraient le bas de son pantalon et un gros monsieur qui devait être du pays et qui avait l'air d'aller à la chasse. Tout ce monde-là regardait donc le trio sans mot dire. Pierrot faisait mine de ne pas s'apercevoir de leur attention soutenue.

La servante s'approcha de lui.

– C'est pour déjeuner ? demanda-t-elle d'une voix émue.

– Non, dit Pierrot, c'est pour dîner. Mais aujourd'hui nous dînerons de bonne heure, c'est-à-dire maintenant.

Mésange parut apprécier la plaisanterie et lança du côté de la servante un coup d'œil à la fois lubrique et goguenard qui la confondit. Elle bégaya :

– Bien, monsieur.

Pierrot examina la carte et demanda :

– Il y a encore de tout ça ?

– Oui, monsieur.

– Alors, dit-il, hors-d'œuvre variés pour tout le monde. Ensuite, pour moi des tripes, pour monsieur (il désigna Mésange) un gigot flageolets.

– Ça te va ? lui demanda-t-il (Mésange donna quelques petits coups de poing sur la table en signe d'évidente approbation) – et pour lui (Pierrot désigna Pistolet), une bonne soupe avec des croûtons et des navets, double portion : il est végétarien. Pas vrai, vieux frère, demanda-t-il à Pistolet qui ne répondit pas, indifférent sans doute à ce genre de qualification.

La servante restait là, sans bouger, comme une idiote.

– Une bonne bouteille de rouge pour moi, ajouta Pierrot, et de l'eau pour ces messieurs.

La servante s'éloigna, éperdue. Elle alla du côté de la patronne.

Cependant, Pierrot se frottait les mains avec satisfaction, Mésange essuyait activement son assiette et Pistolet, ayant réussi à rapprocher de lui la salière, en absorbait le contenu à petits coups.

Bientôt la servante revint, porteuse d'un message. Qu'elle formula de la sorte :

– On va vous servir à déjeuner, dit-elle à Pierrot, mais la patronne elle a dit qu'elle laisserait jamais des bêtes manger dans de la vaisselle pour les gens.

– Gourde, va, dit Pierrot.

– Non, mais dites donc, qu'elle dit la bonne.

– Mais oui, gourde. Va dire à ta patronne qu'on bouffera ici tous les trois, avec le respect qui nous est dû, et dans de la vraie vaisselle, pas dans des auges, et puis suffit. Je paie.

Il se tapa sur la poitrine, dans la direction du portefeuille.

– C'est pas pour vous qu'elle dit ça, insista la serveuse, mais à cause d'eux. On attrape des maladies des bêtes, c'est sûr.

– Et toi, lui répliqua Pierrot à voix basse, de quel animal que tu l'as attrapée, ta vérole ?

Il lui pinça les fesses, et Mésange lui dénoua le ruban de son tablier, réinventant dans un éclair de génie cette plaisanterie d'un usage courant dans les caboulots à troufions.

– Allez, dit Pierrot, sers-nous rondement, et sans façon.

Elle s'éloigna de nouveau, mais cette fois-ci du côté de la cuisine où se démenait le patron. Mésange la regarda s'éclipser derrière la porte, puis, se retournant vers Pierrot, il lui tendit la main, sans doute pour le féliciter de l'énergie de ses propos et de la fermeté de sa riposte. Naturellement Pierrot la lui serra. Le reste de la salle demeurait silencieux, et presque immobile : l'étonnement se lisait en chaque trait de leur physionomie, et l'épatement jusqu'au bout de leur nez. Dehors, de jeunes badarans s'écrasaient contre les fenêtres. Mésange les ayant aperçus leur destina quelques grimaces ; il eut tôt fait d'ailleurs de les mépriser. Il entreprit alors de déguster le pot de moutarde, mais la première cuillerée lui ayant paru démontrer que cette substance tirait son origine de la malice de quelque farceur, il voulut projeter le récipient à travers une glace où s'agitait une image qui semblait indiquer la présence d'un second Mésange. Pierrot le retint à temps. Mais l'autre, privé de son plaisir, le regarda d'un œil féroce : il était mauvais. Pierrot repéra aussitôt une carafe d'eau, bien décidé à écrabouiller la tête de Mésange si ce dernier réalisait les mauvaises intentions qu'il paraissait être en train de concevoir. Heureusement que la serveuse surgit de la cuisine avec le plateau de hors-d'œuvre ; l'attention de Mésange fut détournée, sa mauvaise humeur se dissipa, Pierrot saliva joyeusement. Pistolet, durant ce temps, était resté bien calme.

– J'ai apporté des hors-d'œuvre pour tout le monde, dit la bonniche.

– C'est bien ce que je vous avais demandé, répliqua Pierrot qui se mit à servir ses deux compagnons, ne mettant cependant dans l'assiette de Pistolet que des substances végétales.

Mésange, maniant avec adresse fourchette et couteau, attaqua sa portion avec entrain, ce que fit également Pierrot. Pistolet, après avoir reniflé suspicieusement son assiette, jeta un coup d'œil circulaire sur l'assistance (ce qui ne laissa pas d'inquiéter quelque peu celle-ci), examina la bonne de la tête aux pieds d'un œil glauque et bistre ; enfin, il se décida. Et l'on entendit craquer le céleri rave et le radis rose sous des dents aussi puissantes que jaunâtres.

– Vous vous appelez comment ? demanda Pierrot à la fille qui demeurait là stupide à reluquer le trio.

– Mathurine, monsieur, répondit-elle.

– Eh bien, Mathurine, dit Pierrot, débarrasse le plancher on a envie d'être tranquille. Compris ? Quand on voudra la suite, on te sonnera.

– Bien, monsieur, dit-elle, et elle s'enfuit.

Les spectateurs prirent ça pour eux, aussi, et firent semblant d'avoir une attitude normale, dégagée. D'ailleurs les deux types du camion gigantesque, ayant terminé leur pousse-café, payèrent et s'en furent. Le gros monsieur qui avait l'air d'être du pays partit également. Deux personnages peu définis entrèrent et se partagèrent une chopine en discutant le coup, et sans paraître remarquer la table de Pierrot. Tout cela redonnait à cette salle toutes les apparences de quotidianité. Puis Mathurine apporta les tripes et le gigot flageolets et, pour Pistolet, une soupe et des navets. Plus tard, on tailla dans des fromages, et des fruits complétèrent le repas. Pierrot prit du café, mais non les deux autres. Mésange accepta cette privation de bon cœur, car il ne l'aimait pas ; l'interdiction du vin lui était plus dure, car il n'avait droit qu'à l'eau rougie. Pistolet, lui, ne montrait aucun signe de rouspétance.

Pierrot, tout en vidant sa bouteille de rouge, sentait son crépuscule intérieur traversé de temps à autre par des fulgurations philosophiques, telles que : « la vie vaut d'être vécue », ou bien : « l'existence a du bon » ; et, sur un autre thème : « c'est marrant la vie », ou bien : « quelle drôle de chose que l'existence ». Quelques fusées sentimentales (le souvenir d'Yvonne) montaient au plus haut pour retomber ensuite en pluies d'étincelles. Un projecteur poétique, enfin, balayait parfois ce ciel de son pinceau métaphorique, et Pierrot, voyant la scène qui se présentait à lui, se disait : « on se croirait au cinéma ». Et il souriait à ses deux compagnons qui semblaient décidément le trouver de plus en plus sympathique. Après tout, ils ne se connaissaient que depuis le matin.

Au moment où Mathurine apportait le café, le patron sortit de sa cuisine, et, après avoir salué le cycliste et les deux livreurs (il les connaissait sans doute), il se dirigea d'un pas décidé vers les trois représentants du cirque Mamar.

– Alors, demanda-t-il à Pierrot, ça a été ?

– Pas mal, pas mal, dit Pierrot.

– Et... ces messieurs... ils sont contents ?

– Vous êtes contents ? leur demanda Pierrot.

Tous deux balancèrent la tête de haut en bas.

– Eh bien, tant mieux, dit l'aubergiste. Je n'ai pas tous les jours l'honneur de soigner des clients de marque. Permettez-moi de vous offrir un verre de kirsch. Mathurine ! La bouteille de kirsch, celle que je me réserve, et deux verres.

– Ce sera difficile de ne pas en offrir à Mésange, dit Pierrot. Je préfère ne pas le contrarier.

– Trois verres, cria l'aubergiste.

– Pistolet, lui, est naturiste : ni viande, ni alcool.

L'aubergiste prit une chaise, et s'assit à côté de Pistolet qui lui inspirait plus confiance que Mésange qui l'observait en plissant les yeux

– C'est à vous la camionnette qui est dehors ?

– Oui.

– Vous appartenez au cirque Mamar ?

– Oui.

Mathurine apporta le kirsch. On trinqua. Mésange ne trouva pas ça mauvais. L'aubergiste fit de nouveau remplir les verres.

– Où est-il donc en ce moment le cirque Mamar ? demanda l'aubergiste.

– À la porte de Chaillot, en face de l'Uni-Park. Qui a brûlé, les journaux en ont parlé.

– J'ai vu ça, dit l'aubergiste. Une catastrophe. Est-ce qu'il y a eu des maisons détruites aux alentours ?

– Non, il n'y a eu que les baraques et les attractions qui ont flambé.

– Vous connaissez le quartier ?

– Je veux, dit Pierrot.

Pistolet, que la conversation ennuyait, s'était endormi. Mésange avait sorti un cigare de sa poche, l'avait allumé et fumait placidement.

– Vous voyez un petit café au coin de la rue des Larmes et de l'avenue de la Porte-d'Argenteuil ? demanda l'aubergiste.

– Non, répondit Pierrot. Il n'y en a pas.

– Il n'y en aurait plus alors ? dit l'aubergiste. Le café Posidon ? C'est mon nom.

– Non, dit Pierrot. Ça n'existe plus. C'est un garage maintenant.

– Je m'en doutais, dit l'aubergiste. Tout change vite sur cette terre. Rien ne dure. Tout ce qu'on a vu quand on est jeune, quand on est vieux ça a disparu. On ne se lave jamais deux fois les pieds dans la même flotte. Si on dit qu'il fait jour, quelques heures après il fait nuit, et, si on dit qu'il fait nuit, quelques heures après il fait jour. Rien ne tient, tout bouge. Ça ne vous fatigue pas à la fin ? Mais il est vrai que vous êtes trop jeune pour comprendre ça, encore que vous n'ayez qu'à faire la révision de vos souvenirs et vous sentirez bien vite tout foutre le camp autour de vous, ou avoir foutu le camp. Mais... c'est bien vrai que le café Posidon n'existe plus ?

– Comme je vous le dis. C'est marrant, ça, si vous avez habité le coin. C'est une rencontre ! Moi, je le connais très bien, le coin.

– J'ai tenu un bistrot par là pendant vingt ans. Je l'ai lâché il y a cinq ou six ans.

– Alors vous devez connaître la chapelle ! s'exclama Pierrot.

– Quelle chapelle ? demanda Posidon.

– Mais la chapelle poldève, dans la rue des Larmes, derrière l'Uni-Park.

– Je ne vois pas ça, dit Posidon.

– Il y a un petit square autour.

– Je ne vois pas.

– Ça ne fait rien, dit Pierrot.

– Vous êtes sûr qu'il y a une chapelle dans cette rue ?

– Ça ne fait rien, dit Pierrot.

Il demanda l'addition et paya. Tandis que Mathurine s'éloignait en emportant son pourboire, Mésange lui dénoua une seconde fois le ruban de son tablier.

– C'est tout de même un drôle de hasard, dit Pierrot, que vous ayez habité de ce côté-là.

– Mais c'est étrange, cette chapelle, je ne vois pas...

Pierrot lui serra la main et réveilla Pistolet qui saute à bas de sa chaise.

Mésange était allé chercher sa pelisse.

– B'soir m'sieurs dames, dit Pierrot.

Ils s'en allèrent tous les trois, et la camionnette reprit bientôt la route de Butanges qu'elle traversa vers les quatre heures de l'après-midi. À cinq heures, elle entra dans la forêt de Scribe, dont elle sortit à six heures. À sept, on fut dans Antony, grosse cité industrielle. Pierrot décida de continuer son chemin et de passer la nuit à Saint-Flers-sur-Caillavet. Il s'arrêta devant un certain hôtel du Cheval blanc, qui lui parut correspondre à sa situation sociale. Après avoir casé sa voiture dans le garage et y avoir inspecté sa cargaison, qui lui parut en bonne condition et supporter convenablement les fatigues du voyage, il se mit à la recherche de l'hôtelier qui se trouve être une grande femme maigre, plus que maigre, qui faisait sa caisse derrière un comptoir aux deux tiers vitré. À la demande par Pierrot d'une chambre à deux lits, la dame, entendant une agitation dans les régions inférieures, se dressa sur son siège et se pencha hors de son aquarium. Elle aperçut Mésange et Pistolet. Elle ne s'en étonna point. Mésange la salua d'un coup de chapeau plein de dignité. Pistolet la regarda plein d'indifférence de son œil bistre et glauque.

– Et lui ? demanda-t-elle en le montrant d'un doigt mince et noueux.

– Pour lui, répondit Pierrot, j'aimerais avoir un matelas.

– Il est propre ?

– Autant que vous et moi, répondit Pierrot.

Elle eut un rire squelettique, assez difficile à interpréter.

– Oh ! vous savez, dit-elle, à mon âge, on ne m'épate plus.

– C'est pas dans mes intentions, dit Pierrot. D'ailleurs, ajouta-t-il, quel âge ?

– Farceur, rétorqua-t-elle.

Elle appuya sur un timbre. Une domestique s'amena ; elle poussa un petit cri en voyant les trois compagnons.

– Le 43 pour ces messieurs, lui dit sa patronne, avec un matelas en supplément.

À Pierrot elle demanda :

– Vous dînez ici ?

– Je veux, répondit Pierrot. J'ai une de ces dents. Et mes copains aussi... Pas vrai les gars ?

À la perspective de boustifaille, Mésange réagit joyeusement en s'asseyant d'un mouvement souple et élégant sur le bureau. Il entreprit aussitôt d'approfondir la nature de certain encrier en y fourrant ses doigts. Pistolet s'était installé sur le derrière et attendait patiemment repas et matelas ; il faisait à Pierrot une absolue confiance.

Sans s'émouvoir, la dame tendit à Mésange une feuille de papier buvard, pour que, avec, il s'essuyât les mains. Ce qu'il fit, très compréhensif.

– Non, dit la dame reprenant la conversation à un stade antérieur, ce n'est pas à un vieux singe comme moi qu'on apprend à faire des grimaces. Songez donc, monsieur, que, pendant les trois ans de son existence, j'ai été caissière de l'Admirable's Gallery à l'Uni-Park de Paris.

Décidément, se dit Pierrot, on a fait exprès d'en semer la route, des gens qui ont vécu dans ce coinstot.

– Ça n'existe plus, dit-il.

– Je sais. Hélas, quand on arrive à un certain âge, il ne reste plus grand-chose de ce qu'on a connu dans sa jeunesse.

Décidément, se dit Pierrot, ils sont tous comme ça.

– Vous êtes trop jeune pour avoir visité l'Admirable's Gallery, continua la dame. En dehors de banalités comme la femme à barbe et l'homme-squelette...

– Je l'ai rencontré celui-là, interrompit Pierrot.

– Lequel ? Celui du cirque Mamar ?

– Oui.

– Je ne pouvais pas le sentir. Il était d'un prétentieux. La dernière fois que le cirque Mamar est venu dans la région, il est venu me dire un petit bonjour, Pautrot, c'est son nom. Je l'ai revu sans plaisir. Entre nous, il avait le béguin pour moi, il était même bien pincé. Mais moi, je n'ai jamais pu le souffrir. Les antipathies, ça ne s'explique pas, vous ne trouvez pas ?

– Sûrement, dit Pierrot qui s'enquit aussitôt de l'emplacement de la salle de restaurant.

Mésange s'impatientait et commençait à dévorer le papier buvard gracieusement offert par la direction.

La patronne les laissa s'en aller. Et ils pénétrèrent dans une pièce où se trouvaient une douzaine de tables garnies de nappes, de fleurs et d'objets en ruolz. « Ça va me coûter cher, se dit Pierrot. Puis : tant pis, j'avais pourtant choisi le plus modeste, ce sera ça de moins sur mon bénéfice. » Mésange, lui, était manifestement impressionné par ce luxe. Mais non Pistolet : il aurait agi avec le même naturel au Ritz que dans une guinguette.

Il n'y avait dans la salle qu'un sous-officier de spahis, dont le brillant uniforme intrigua vivement Mésange ; ce sous-officier était en compagnie d'une mouquère fardée. Tout au fond, un monsieur seul montrait un cou épais et un dos massif ; il ne daigna point se retourner. Quant au militaire et à sa poule, trop absorbés l'un par l'autre, ils ne s'intéressèrent que peu de temps aux nouveaux arrivants. Le garçon, lui, prit un air dégoûté ; cependant, il fit son service avec abnégation. Pierrot lui lâcha un gros pourboire, le repas terminé.

Le soldat et sa conquête étaient partis. Pistolet somnolait. Mésange fumait son cigare vespéral avec quelque nervosité ; il était temps pour lui d'aller se reposer. Pierrot terminait une cigarette, en se demandant vaguement comment allait se passer la nuit avec ces deux lascars-là dans la même chambre que lui. En même temps, il s'étonnait que le monsieur du fond, qui payait son addition lorsqu'ils arrivaient, s'attardât ainsi sans cependant manifester de la curiosité. Poursuivant dans ce sens ses investigations, il s'aperçut qu'une certaine glace avait dû renseigner ce personnage sur son identité à lui, Pierrot ; il compléta ces remarques par un examen approfondi de la face dorsale de cet individu. Le résultat de toutes ces cogitations fut que : il connaissait ce type-là.

Il fit alors à Mésange une série de signes, de l'œil et de la main. L'autre comprit admirablement (mais que ne peut-on expliquer par gestes ? quel luxe superfétatoire que l'emploi des cordes vocales ! – à de telles hauteurs s'éleva lors la pensée de Pierrot). Mésange posa délicatement son cigare dans la soucoupe qu'il utilisait comme cendrier, descendit de sa chaise, et, d'un pas souple et balancé, il se dirigea vers le solitaire du fond.

Il s'approcha silencieusement de lui.

Il saisit un des pieds de la chaise du monsieur, et d'une poigne puissante la tira vers lui. Un peu comme ces garçons de café qui, d'une secousse brusque, enlèvent une nappe en laissant la table servie. Le monsieur resta pendant quelques fragments de seconde suspendu en l'air. Puis il chut. Il se releva en jurant tandis que Mésange revenait flegmatiquement à sa place. Son cigare n'avait pas eu le temps de s'éteindre. Il le reprit, et savoura une bonne bouffée.

– Alors, dit Pierrot, on ne reconnaît plus les copains ?

Petit-Pouce montra enfin son visage.

– Tu en as de ces farces idiotes, dit-il à Pierrot.

– C'est à toi que je cause, ajouta-t-il aussitôt en s'adressant à Pierrot.

C'était par prudence qu'il avait spécifié l'intentionnalité de sa phrase : parce que Mésange l'avait regardé en fronçant les sourcils.

– Tu te cachais de moi ? demanda Pierrot.

– Je ne t'avais pas vu, dit Petit-Pouce décidé maintenant à prendre la chose à la blague. On peut s'asseoir sans danger à ta table ?

– Ce sont de braves petits potes, dit Pierrot qui fit les présentations : Pistolet... Petit-Pouce... Mésange... Petit-Pouce...

– Alors qu'est-ce que tu deviens ? demanda Petit-Pouce.

– On gagne sa petite vie, dit Pierrot. Et toi ?

– On se défend, répondit Petit-Pouce. À propos, dis donc, il paraît que l'Uni-Park a flambé ?

– Oui. N'en reste plus rien. Mais c'était déjà fini pour toi comme pour moi.

– Tu n'as pas été long à retrouver du boulot. Un drôle de boulot, qu'on dirait.

– Y a pas de sot métier, dit Pierrot.

– En quoi ça consiste au juste ?

Pierrot se demanda un instant ce qu'il fallait lui répondre ; mais l'autre s'empressa :

– Je vois, je vois... Mais je ne te connaissais pas ce talent-là...

– On fait ce qu'on peut, répondit modestement Pierrot. Et toi ? Tu ne me dis rien.

Petit-Pouce se pencha vers lui et murmura :

– Je fais une enquête.

Mésange s'est également penché pour mieux entendre.

– Te voilà dans la secrète ? demanda Pierrot.

– Non. Non. Police privée.

Mésange se rejeta en arrière, écrasa dans une soucoupe la braise de son mégot de cigare, qu'il dévora incontinent tout en surveillant Petit-Pouce d'un œil sévère. Pistolet, que le chuchotement de Petit-Pouce avait également sans doute indisposé, se gratta le menton contre un coin de table, puis se mit à circuler dans la pièce, silencieusement.

– Naturellement, dit Pierrot, tu ne peux pas me dire ce que c'est que ton enquête.

– Naturellement, acquiesça Petit-Pouce. Tu comprends, c'est confidentiel.

– Il s'agit de gens que je connais ?

– Non.

– Je connais des gens qui les connaissent ?

– Oui. Moi, par exemple.

Cela les fit rire. Le garçon, agacé de les voir demeurer si longtemps après avoir payé leur addition, les pria de passer dans la salle de café. Ils se levèrent.

– Je les emmène se coucher, dit Pierrot à Petit-Pouce, et je te rejoins. On boira une chopine ensemble.

– C'est ça, dit Petit-Pouce.

Pierrot monta dans la chambre qui leur était réservée, et s'étonna de voir le matelas promis. Pistolet comprit aussitôt qu'il lui était destiné, et s'y lova incontinent. Ne dit point bonsoir. Ferme l'œil et s'endort. Mais le coucher de Mésange présenta quelques difficultés ; après s'être déshabillé, Mésange essaya un lit, puis le second, revint au premier, bondissait d'un plumard à l'autre. Pierrot, sans être un grand raffiné, répugnait cependant à se coucher dans les mêmes draps que cet énergumène, aussi songea-t-il à lui donner de la trique ; réflexion faite, il se décida pour la fuite, et s'en alla brusquement en éteignant derrière lui. Il ferma la porte à clef.

En bas, la salle de café était déserte. Presque, la patronne fabricotait quelque chose derrière la caisse.

– Pardon, madame, dit Pierrot à cette personne, vous n'avez pas vu le monsieur seul qui dînait tout à l'heure au restaurant : un monsieur pas très grand et assez fort...

– Je vois. Non, il est parti.

– Il ne couche pas ici ?

– Non, monsieur. Vous vouliez lui parler ?

– Oui. Il devait m'attendre. C'est un copain. Je me demande pourquoi il ne m'a pas attendu.

– C'est un lâcheur, comme on dit.

– On a travaillé ensemble à l'Uni-Park.

Alors la dame voulut bien montrer quelque animation. Elle s'enquit des dates d'entrée ; elle ne pouvait avoir connu Pierrot bien qu'il se vieillît outrageusement dans le service ; quant à Petit-Pouce, dont il estime approximativement l'ancienneté, elle ne se souvient pas de lui.

– Je l'aurais reconnu, dit-elle. J'ai l'œil américain.

– Il est dans la police maintenant, dit Pierrot.

Et tout d'un coup, il s'aperçoit qu'il y a peut-être un rapport entre la mission de Petit-Pouce et l'existence de cette dame. Mais elle ne semble pas s'émouvoir.

– Je sais, dit-elle avec calme. Il m'a tout raconté. Il est à la recherche d'une fille pour laquelle s'est tué le premier amant de la maîtresse de Pradonet. Quelle histoire ! C'est la veuve Prouillot qui l'a chargé de cette enquête. Mais il n'a rien trouvé. À son avis même, elle n'a jamais existé, cette femme. Moi, je ne lui demandais rien.

– Non ? fit Pierrot.

– Non. Vous la connaissez vous, la veuve Prouillot ?

– Pas spécialement.

– Drôle de bonne femme. Je me demande ce qu'elle peut penser de l'incendie de l'Uni-Park. Et Pradonet ? Qu'est-ce qu'il peut bien dire !

– Il a des projets.

– Qui vous l'a dit ?

– Lui.

– Lui ?

La dame était bien étonnée : Pierrot la snobait.

Il lui expliqua le plan de Pradonet.

– Mais, conclut-il, la chapelle poldève l'empêche d'arrondir son carré.

– Qu'est-ce que c'est que ça, la chapelle poldève ? demanda distraitement l'ex-caissière de l'Admirable's Gallery.

Il lui donna des indications topographiques, mais elle ne se souvenait pas du tout d'avoir jamais vu ce truc-là. Ce qui l'intéressait, c'était Pradonet.

– Au fond, dit-elle, c'est peut-être lui qui a fichu le feu à la cambuse.

– Il y a une enquête, dit Pierrot. Vous l'avez bien connu, Pradonet ?

– Vous me demandez cela ? à moi ? Un homme charmant, délicat ! fin, spirituel ! modeste.

– Capable de provoquer un incendie ? demanda Pierrot.

– Quand on a ses raisons, on peut tout faire, dit l'hôtesse qui se leva, ferma sa caisse, éteignit les lumières.

– Bonsoir, madame.

Il monta dans sa chambre, assez déçu par la fin brusquée de cette conversation. Arrivé à son étage, le second, il avait d'ailleurs réussi à se persuader que la psychologie de Pradonet, c'était pas ses oignons, non plus que celle de son hôtesse. Il ouvrit la porte de sa chambre et fut aussitôt offusqué par la poignante fragrance de fauve qui s'étalait en nappes épaisses dans l'atmosphère de la pièce, une pathétique odeur de colique rentrée. Mésange avait fermé la fenêtre, sans doute pour échapper à la tentation d'aller se promener sur les toits. Il dormait paisiblement, ainsi que Pistolet. Un lit vide, mais légèrement chiffonné par Mésange, attendait Pierrot. Celui-ci trébucha jusqu'à la fenêtre qu'il ouvrit doucement. Un air pur l'exalta. La petite ville roupillait éperdument, sous un semis d'étoiles. Le train classique lança son cri connu.

Pierrot comprit qu'il ne pourrait passer la nuit là. Mais sa fatigue était grande, il imagina de se reposer quelque temps sur un des bancs du square qui entourait l'hôtel de ville. Il referma la fenêtre et descendit. Pour sortir, il dut aller alerter un veilleur de nuit, qui le regarda bien méchamment.

Dehors, il constata que la température était douce et qu'il ne serait pas tellement gênant de dormir en plein air. Il essaya de s'orienter ; mais un poteau indicateur lui indiquant la direction de la gare, il suivit ce conseil, abandonnant au moins provisoirement son intention première ; il pensait que, par là, il trouverait quelque café ou buffet ouvert où il pourrait boire un liquide quelconque qui lui désinfecterait les narines ; il se dit encore que, si Petit-Pouce évitait toute rencontre avec lui, peut-être allait-il prendre un train de nuit ; auquel cas, il aurait des chances, lui Pierrot, de le rejoindre. Ce n'était pas qu'il s'intéressât particulièrement aux faits et gestes de ce personnage ; mais il pourrait toujours lui parler, pour voir, de cette patronne d'hôtel qui avait travaillé à l'Uni-Park, et qui était peut-être la cause de la présence de Petit-Pouce ici.

Mais, devant la gare, tout était aussi noir et chargé de silence que dans le reste de la ville ; Pierrot traversa la place ; un employé lui dit que l'express pour Paris était passé depuis vingt minutes et qu'il n'y avait plus de départ de train avant l'aube. Dans les salles d'attente, ne se trouvait qu'un groupe de Kabyles, et pas de Petit-Pouce. Le cheminot indiqua la route qu'il fallait prendre pour retrouver l'hôtel de ville.

Ce silence, cette nuit, ces rues étroites, tout disposait Pierrot à ne penser à rien de précis, par exemple à de vagues supputations sur l'heure qu'il finirait bien par être dans quelque temps. Il regardait à droite, à gauche, comme pour accrocher quelque part ses petites curiosités, mais ne trouvait rien – tout au plus les enseignes, et qui ne valaient pas les billes de l'avenue de Chaillot. Il songea un instant, souvenir de la vie militaire, à visiter le bobinard de cette sous-préfecture, mais il ne rencontrait personne pour le renseigner. Finalement il se perdit. Il traversait maintenant une petite banlieue ouvrière, avec des manufactures ici et là. L'une d'elles était éclairée, il y ronronnait des machines. Plus loin, Pierrot atteignit une route assez large, avec un double liséré d'arbres, peut-être nationale ? peut-être départementale ? Il marche encore quelques instants.

Il entendit tout près de lui un grand cri, un cri de femme, un cri de peur.

Il envisagea tout d'abord, comme première possibilité immédiatement réalisable, de cavaler à toute pompe dans une direction opposée. Mais ayant réfléchi à l'origine féminine de cette clameur, il reprit courage et regarda. Il y avait des tas d'étoiles dans le ciel, mais l'ensemble ne donnait pas beaucoup de lumière. Pierrot s'approcha du fossé. La femme de nouveau hurla de terreur. Il fit de nouveau quelques pas ; et l'aperçut. Mieux même, il distingua un vélo non loin de là.

« Faut pas avoir peur », ce fut ce qu'il commença par dire. On ne répondit pas. Il répéta sa phrase. Convaincue sans doute par la douceur de sa voix, la femme sortit du fossé.

Elle s'avança en disant :

– C'est idiot, mais j'ai eu une de ces trouilles. Ça fait deux heures que je suis là, à mourir de peur.

Pierrot entendait la voix d'Yvonne. Elle était maintenant tout près de lui. Un rayon, venu, fatigué par une course millénaire, d'une étoile de première grandeur, éclaira péniblement le bout du nez de cette jeune personne. C'était bien elle : Yvonne.

– Ne craignez plus rien, mademoiselle Pradonet, dit-il solennellement.

– Ça alors..., dit-elle émerveillée.

Elle l'examina.

– Il me semble que je vous reconnais, dit-elle sans conviction.

– J'ai travaillé à l'Uni-Park, dit-il. On s'est même vu plusieurs fois, vous et moi.

– Alors, on n'a pas besoin de faire connaissance, dit Yvonne. Mais sortez-moi de là.

– C'est à vous, la bécane ?

– Oui. Mais je suis à plat. Et puis je suis perdue.

– Moi aussi, dit Pierrot.

– Ça ne va pas mieux, dit Yvonne. Décidément, c'est la poisse. Alors, comme ça, vous êtes perdu ?

– Oui.

Tout en allant chercher le biclo dans le fossé, il ajouta même que ça ne le gênait pas autrement.

– Au fait, dit Yvonne, vous êtes un copain de Gontran.

– Gontran ?

– Vous ne connaissez pas Paradis ?

– Ah ! il s'appelle Gontran. Première nouvelle. On en apprend tous les jours.

– Eh bien, c'est un fameux crétin, dit Yvonne.

– Non ? Pourquoi ?

Il inspectait le métallique coursier de la fille Pradonet, mais il n'y avait pas grand-chose à en tirer. Il remarqua que le porte-bagages était copieusement chargé.

– Vous alliez faire du camping avec lui ? demanda Pierrot.

– Toutes mes félicitations, dit-elle avec chaleur, vous n'êtes pas bête.

– On fait ce qu'on peut, dit rapidement Pierrot.

– Oui, c'est ça, on était parti pour faire du camping ensemble. À mes parents, j'ai dit qu'on était toute une bande. On n'avait plus besoin de moi, là-bas. Vous avez su que l'Uni-Park a été incendié ?

– Oui.

– J'avais droit à des vacances, par conséquent. Je suis donc partie avant-hier avec Gontran... Mais... ça vous intéresse mon histoire ?

– Bien sûr, dit Pierrot.

– On a couché à Saint-Mouézy-sur-Eon, continua-t-elle, mais pas sous la tente. On était trop vannés pour la monter, surtout que je ne sais pas comment on s'y prend. Il faut que j'apprenne. Vous en avez déjà fait, du camping, vous ?

– Au régiment.

– Ne dites pas de bêtises. Donc, on a couché dans un hôtel du patelin.

Pierrot n'eut pas envie de demander de détails.

– Ce matin, continua Yvonne, on était d'attaque tous les deux, on est partis à six heures, on a grimpé la côte de Butanges d'un de ces coups de pédale, tout allait rondement. Ce n'est pas que j'aime le sport, la bicyclette et cætera, mais tout de même l'air pur, ça a son charme, vous ne trouvez pas ?

– Oui, dit Pierrot.

– À part ça on ne va pas rester ici toute la nuit à bavarder ?

– Non, dit Pierrot.

Il suggéra le projet de retrouver son hôtel, chercha la Grande Ourse parmi le chaos stellaire afin de trouver le nord, finalement engagea Yvonne à le suivre « par là », sans savoir très bien où. Elle pensa qu'il était moins perdu qu'il ne le voulait dire, et se mit à marcher près de lui. Il mit la bécane sur son épaule, et Yvonne, une partie des bagages sur son dos.

– Où j'en étais de mon histoire ? demanda Yvonne après quelques pas en silence.

– Vous veniez de monter la côte de Butanges.

– Là, on a quitté la grande route, Gontran voulait traverser la forêt de Palengrenon. Mais au fond vous vous en fichez de mon histoire.

– Moi ? Pas du tout.

– Si, si, mais vous pouvez dire que votre Gontran est un beau salaud.

– Qu'est-ce qu'il a fait ?

– Mais non, ça ne vous intéresse pas. Dites-moi, vous, ce que vous fabriquiez sur cette route à cette heure-là ?

– Je me promenais, et je me suis perdu.

– C'est comme moi, dit Yvonne.

– Où est Paradis ? demanda Pierrot.

– Je n'en sais rien, et je ne veux pas le savoir.

– Qu'est-ce que vous allez faire maintenant ?

– Je fais réparer ma bécane et je continue toute seule.

– Vous ne voulez pas venir avec moi à Palinsac, je vous emmène dans ma voiture.

– Vous avez une bagnole ?

De joie, elle rayonna tant qu'on eût dit une nouvelle étoile.

– Ce n'est qu'une camionnette, mais ça roule tout de même, dit Pierrot.

Et il se mit à lui raconter des histoires de bêtes.