Chapitre 47

Le bruit de la pluie contre les carreaux réveilla Katja. Peu à peu, elle prit conscience de son environnement. Un lit confortable, des draps propres, des murs blancs…

À chacune de ses inspirations, un sifflement s’élevait. Et un bandage lui enserrait la poitrine.

Quand elle essaya de bouger, son corps se montra d’abord rétif, comme s’il avait oublié… La preuve qu’elle était restée inconsciente très longtemps. Sa main droite frémit puis consentit à remonter le long de son flanc jusqu’à l’endroit où l’épée de Teigan l’avait transpercé.

— Tu as de la chance d’être vivante, dit une voix familière. Après une telle perte de sang…

Katja tourna la tête et découvrit Roza, assise à côté de son lit, un livre sur les genoux et une tasse d’infusion sur une table basse.

— Combien de temps ? croassa Katja.

Avant de répondre, Roza lui fit boire un peu d’eau. Incroyablement faible, elle souffrait beaucoup, mais au moins, elle avait survécu.

— Quatre jours… On a failli te perdre plusieurs fois.

— Qu’est-ce que j’ai manqué ?

— Beaucoup de choses… Pendant que tu étais au palais, une guerre a éclaté dans certains quartiers. Le conflit entre les Familles tant redouté… Nous n’avons pas le compte des morts, mais au lever du soleil, on trouvait des cadavres partout. Pour nous, c’est pain bénit. Nous infiltrons sans cesse de nouveaux agents…

Le moment idéal, oui… En temps normal, infiltrer une Famille était très compliqué. Quand on n’était pas parrainé, il fallait partir de la base, et atteindre une bonne position prenait des années. Du coup, les agents devaient patienter longtemps avant de glaner des informations intéressantes. Le renouvellement forcé des « cadres » offrait de fascinantes perspectives – dont Espérance saurait également profiter, Katja n’en doutait pas une seconde.

— Comment va Talandra ? demanda-t-elle.

Une phrase de trois mots lui coûtait des efforts surhumains.

— Très bien et elle te remercie. C’est son médecin qui t’a sauvée.

Katja ferma les yeux et s’engourdit aussitôt. Morte de sommeil, elle réussit pourtant à relever les paupières.

— Morganse ?

— Indemne aussi ! Comme tu l’as dit, le seigneur et la dame Trevino auraient dû ingérer la même substance que les Kallan et devenir fous furieux. Leur mission était de tuer Morganse et son entourage, mais ça n’a pas fonctionné. Le seigneur a réussi à avaler le venthe, mais il est mort – d’une crise cardiaque, pense-t-on.

— Et sa femme ?

— Elle n’a pas pu passer à l’acte, même avec les menaces pesant sur sa fille. Quand Espérance est arrivée, le seigneur était mort et sa dame dûment ligotée. Le lendemain, on a sauvé leur fille.

— De bonnes nouvelles…

— Les deux reines se sont revues et on dirait bien qu’elles s’entendent à merveille.

Roza sourit mais Katja devina que quelque chose clochait.

— Elles nous encouragent à partager des informations entre services… Ne pas collaborer, ça s’est vérifié récemment, peut être dangereux. Je verrai Espérance de temps en temps. Nous boirons une infusion en bavardant.

Une sage initiative, même si une telle relation ne serait pas facile à gérer. Roza n’était pas du genre à « partager » et Espérance non plus.

Après un long silence, Roza reprit la parole :

— Il y a quelques jours, tu voulais tout laisser tomber, et je t’ai demandé d’attendre un peu. Veux-tu continuer ou non ?

Katja y réfléchissait depuis un moment. Parfois, trop impulsive, il lui arrivait de risquer inutilement sa vie. Il y avait aussi ce pauvre boulanger mort de sa main. Une scène qui la hantait.

— Je n’en sais rien.

— Que ferais-tu d’autre ? Du négoce ? Tenir une boutique ? Organiser à plein-temps des rituels funéraires ?

— Je ne sais pas ce que je veux.

— Alors, prends le temps qu’il te faudra et réfléchis. Une pause et un voyage te feraient du bien.

Être loin de Perizzi serait agréable. Changer de décor et de couverture la distrairait un moment, mais ça n’effacerait pas son crime.

Au milieu des inepties qu’il proférait, Rodann avait vu juste sur un point. Katja avait besoin d’un but dans la vie. Savoir que ses actions comptaient importait plus que tout – surtout quand il s’agissait de consentir des sacrifices. Le boulanger était mort, et rien ne le ramènerait. Mais elle pouvait encore lutter pour protéger la ville de salauds comme Rodann. Là-dessus, Roza avait raison. Ça ne concernait pas qu’elle…

La culpabilité serait longue à disparaître. Mais avec le temps, elle s’y ferait.

— Je dois être ici, et faire ce métier, dit-elle.

Contrairement à ce qu’elle attendait, Roza sourit et ne lui posa pas de questions.

— Et Rodann ? Que lui est-il arrivé ?

Roza eut un rictus.

— Il a tenté de fuir, mais nous l’avons eu.

— On sait pourquoi il détestait tant la reine ?

— Il a éduqué tous les enfants de Morganse. Depuis des années, il était le précepteur du prince héritier. C’est lui qui a façonné la personnalité du futur roi.

— Il disait avoir servi la Couronne et mérité une récompense.

— La reine lui a accordé un octroi pour ses services. Mais quand il a demandé à être anobli, elle a refusé. Il s’est volatilisé juste après…

Cette « insulte » avait dû blesser la fierté de Rodann, surtout après les malheurs du prince héritier, pendant la guerre.

Apparemment, Rodann jugeait Morganse responsable du destin funeste de son fils. Si la tentative d’assassinat avait réussi, la commanditaire de l’ancien précepteur, une fois sur le trône, lui aurait accordé le titre tant désiré. Et sans doute un siège au sein de son Conseil.

— Tu as découvert la commanditaire ? Appartenait-elle à une des principales maisons nobles ?

— On l’a démasquée, oui. Et il n’y a pas eu besoin de chercher très loin.

Roza eut un grand sourire.