Chapitre 50

À Perizzi, un vieux marin et un guerrier grisonnant virent la femme au masque d’or monter en selle puis s’éloigner. Dans la rue, personne ne remarqua quelque chose d’inhabituel, à part les deux vétérans. Après avoir échangé un sourire, ils filèrent dans une taverne et prirent une table dehors, pour pouvoir observer la mer. Ces hommes n’ayant rien de particulier, personne ne leur prêta attention tandis qu’ils sirotaient leur bière.

— Le Change-Peau est un don très rare, dit Vargus. Pas aisé à enseigner et encore moins à apprendre.

— Trois Mages de Chair en si peu de temps, concéda Nethun, ce n’est pas fréquent. Au début, j’ai cru à un mauvais coup du garçon à la lanterne. Un de plus, après qu’il eut entraîné la moitié du monde dans une guerre maudite.

Vargus fronça les sourcils.

— Tu savais que c’était lui ?

Nethun ricana.

— On n’arrive pas à mon âge sans développer une certaine clairvoyance. Je parie que tu t’es chargé de lui ?

— Exilé dans le Vide, pour le moment. Il reviendra ou pas, ça dépend de ses fidèles.

— Récemment, un marin m’a raconté une histoire. Il y a quelques années, il a vu le Nécromancien à bord de son bateau. Il voguait vers le nord – Zecorria et même plus loin.

— Sans blague ?

— Dans ses voyages, le Nécromancien a appris beaucoup de choses. Marcher dans les rêves, par exemple. C’est comme ça qu’il a tué le roi Matthias, je crois ?

— Exact.

— Il est allé aussi dans le Sud, en Shael. Il y a même passé des années.

— Intéressant…, fit Vargus en buvant une gorgée de bière.

— Pour tout dire, je parie une pièce d’or contre un sou de cuivre que tous ces Mages de Chair sont passés simultanément dans un seul et même endroit de Shael.

Vargus se pencha en avant et baissa la voix :

— Tu sais qui « officie » là-bas ?

— Non. J’ai envoyé des enquêteurs, mais ils ne sont jamais revenus.

Vargus se radossa à son siège. En silence, les deux hommes contemplèrent les allées et venues des gens sur les quais.

Nethun regarda la mer et sourit comme un père qui regarde ses enfants jouer.

— Si elle tombe entre de bonnes mains, ton information peut être très utile, dit Vargus.

— Les mains d’une femme au masque d’or ? avança Nethun.

— C’était bien mon idée…

Le vieux marin huma l’air puis vida sa chope.

— La marée change et je dois y aller. Si tu apprends du nouveau sur Shael, tiens-moi informé.

— Quand ça bougera, nous le saurons tous, j’en ai peur…

Nethun serra la main de Vargus puis fila rejoindre son bateau. Il ne se trompait pas : la marée changeait et une tempête approchait.