L’astrologie fit son entrée en Grèce au III e siècle av. J.-C. par l’intermédiaire du prêtre chaldéen Bérose. Venu s’installé à Cos, ce dernier écrivit en grec une histoire de la Chaldée, qu’il dédia à Antiochus Ier Soter et dans laquelle figurait certainement un exposé sur l’astrologie babylonienne. L’astrologie ne connut pas un succès immédiat, car les Grecs durent tout d’abord s’approprier cette doctrine et lui infuser l’esprit grec. L’astrologie grecque s’institua notamment par l’introduction des mathématiques et de la géométrie dans une discipline qui, à l’origine, était moins « scientifique ». Elle ne se constitua véritablement, selon les meilleures estimations, que du temps d’Hipparque, au milieu du II e siècle av. J.-C.
Cette période d’un siècle au cours de laquelle la science grecque assimile l’astrologie chaldéenne explique sans doute que les anciens stoïciens, malgré leur appui inconditionnel à toutes les formes de divination, n’aient pas insisté sur cette doctrine. Aucun fragment ne rapporte que Zénon ou Cléanthe promouvaient l’astrologie. Cicéron utilise certes un exemple de prédiction astrologique afin de décrire la doctrine du destin chez Chrysippe (SVF II, 954), mais le contexte suggère que ce choix relève davantage de Cicéron que de Chrysippe. Diogène de Babylone (II e siècle av. J.-C.), élève de Chrysippe et deuxième chef de l’école après lui, serait le premier stoïcien qui ait partiellement défendu l’astrologie, car il prétend qu’elle ne peut prédire que les dispositions naturelles de chacun (Cicéron, De la divination II, 90). Panétius (185-109 av. J.-C.), stoïcien peu orthodoxe et quatrième chef d’école après Chrysippe, rejetait les prédictions astrologiques (Cicéron, De la divination II, 88). Posidonius (135-50 av. J.-C.), figure de proue du moyen-stoïcisme, est souvent cité par ses contemporains comme un ardent défenseur de l’astrologie, mais les témoignages à ce sujet sont rares (fr. 111-112 Edelstein-Kidd).
Les philosophes ont mal accueilli l’astrologie. Cicéron (106-43 av. J.-C.) réfute longuement les dogmes chaldéens (De la divination II, 87-99). Il répète alors, dit-il, les arguments de Panétius (ibid. II, 97). Favorinus (II e siècle apr. J.-C.), dans un discours prononcé à Rome et résumé par Aulu-Gelle (Nuits attiques XIV, 1, 1-13), reprend l’essentiel des critiques cicéroniennes, auxquelles il ajoute de nouvelles objections. Sextus, qui vécut à la même époque, rédigea un traité Contre les astrologues, dans lequel il s’applique avant tout à montrer que les astrologues ne peuvent établir avec précision le moment de naissance d’un individu, en vue de déterminer son horoscope. Même les stoïciens romains, Épictète (55-135 apr. J.-C.), Sénèque (4 av. J.-C.-65) et Marc Aurèle (121-180 apr. J.-C.), défendent mollement l’astrologie et condamnent ceux qui lui accordent trop d’importance. La philosophie s’est donc montrée réfractaire à l’astrologie jusqu’au II e siècle de notre ère.
Il n’en allait pas de même dans les milieux gnostiques. Les disciples de Marc étaient des adeptes de l’astrologie (Irénée, Contre les hérésies I, 15, 6 ; Hippolyte, Réfutation des hérésies VI, 53 et 56). Hippolyte, qui affirme que la secte des Pérates emprunte leur doctrine aux astrologues, saisit cette occasion pour réfuter la doctrine astrologique (Réfutation des hérésies V, 13-18). Clément d’Alexandrie rapporte la position des valentiniens à propos de l’astrologie (Extraits de Théodote 69-71 et 78, 2 ; trad F. Sagnard). Pour eux, l’homme est soumis au destin et aux prédictions des astrologues jusqu’au jour de son baptême dans la gnose. Les astres ne donnent selon eux que des signes des événements à venir, car les planètes sont de simples instruments par lesquels agissent des puissances invisibles qui dominent les êtres qui sont engendrés sous leur influence. Mais la gnose permet à l’élu d’échapper aux règles qui régissent notre monde et les astrologues ne peuvent prévoir ce qui leur arrivera.
Le ton change avec Plotin, qui évite de tomber dans l’un ou l’autre excès, à savoir nier en bloc l’astrologie ou lui donner trop d’emprise sur le monde d’ici-bas. D’un côté, il vit à une époque où l’astrologie exerce une forte emprise sur toutes les classes de la société. Les hommes sont soucieux de faire établir leur horoscope ou d’apprendre si le moment est bien choisi pour se lancer dans une entreprise. De l’autre, les philosophes cherchent querelle à l’astrologie et à ses mille et une absurdités. Plotin adopte une position de compromis : l’astrologie est possible, mais dans un autre cadre théorique que celui établi par les astrologues. S’il critique les astrologues, c’est afin d’en arriver à une doctrine rationnelle sur l’action des astres (28 (IV, 4), 31, 31).
Porphyre affirme que Plotin a une connaissance approfondie des principes de l’astrologie, qu’il a constaté le peu de fiabilité des résultats qu’obtiennent les astrologues et qu’il a attaqué ces derniers dans plusieurs traités (Vie de Plotin 15, 23-26). L’astrologie est en effet remise en cause à plusieurs reprises chez Plotin : 3 (III, 1), 2 et 5-6 ; 27 (IV, 3), 7 et 12 ; 28 (IV, 4), 31-39 ; 33 (II, 9), 13 ; 48 (III, 3), 6 et 52 (II, 3). Les traités les plus importants, avant le traité 52, sont 3 (III, 1) et 28 (IV, 4).
Le traité 3, Sur le destin, s’attaque à l’astrologie en raison du déterminisme qu’elle peut engendrer. Sous sa forme la plus intransigeante, l’astrologie soutient en effet que les astres causent toutes choses et ne laissent rien au pouvoir de l’homme. La réplique de Plotin est double. En premier lieu, l’action des astres est limitée, car l’homme possède une âme supérieure qui n’est pas soumise aux contraintes du monde sensible ; les astres ne peuvent donc produire les caractères qui relèvent de l’âme supérieure et l’hérédité influe pour une grande part sur les traits extérieurs et sur les affections de l’âme irrationnelle. En second lieu, l’astrologie se trompe sur la nature des astres, car ceux-ci ne sont pas tantôt bons tantôt mauvais, leur humeur ne change pas selon qu’ils se lèvent, qu’ils se couchent ou qu’ils sont en configuration les uns avec les autres, et ils ne souhaitent pas faire le mal. Plotin considère, dans le traité 3, que les astres n’ont pas un rôle causal, mais qu’ils se contentent de donner des signes des événements futurs. Les astres sont comme des lettres que le sage peut déchiffrer et dans lesquelles il peut lire l’avenir. Lorsqu’il compare les astres à des signes, Plotin se conforme à l’enseignement du Timée : les danses des corps célestes, leurs conjonctions, leurs oppositions, leurs rétrogradations et leurs progressions sont autant de signes des choses à venir (40 c-d).
Le traité 28, Sur les difficultés relatives à l’âme II, présente la même doctrine avec moult détails. Les astres et leurs configurations exercent une influence indéniable ici-bas. Tantôt ils sont des causes et des signes, tantôt ils ne sont que des signes. Les astres annoncent tous les événements sans exception, qu’ils en soient ou non la cause. Leur action s’explique par la sympathie qui relie les parties de l’univers. L’astrologie, notons-le, justifia de tout temps son existence en faisant appel à la sympathie ou à la solidarité qui règne entre les choses contenues dans l’univers. Plotin, dont la philosophie adopte le concept stoïcien de sympathie universelle, suit la même voie. Les astres agissent parce qu’ils font partie d’un même ordre universel, gouverné par une même âme et une seule raison. Les choses ont des sympathies et des antipathies naturelles les unes envers les autres, se nuisent ou s’aident sans le vouloir. Les planètes ne choisissent pas de faire le mal ou le bien, même si leur révolution entraîne ici-bas des effets nuisibles ou favorables. Les hommes ne sont soumis que de manière modérée à ces influences célestes, car seule leur âme inférieure les lie à l’univers, leur âme supérieure pouvant fuir vers l’intelligible.
C’est donc sur une doctrine bien établie que revient le traité 52. Dès les premières lignes, Plotin résume sa position, à savoir que les astres annoncent toutes choses mais ne les produisent pas toutes, et il renvoie aux arguments qui l’étayent dans ses écrits antérieurs. Le premier chapitre récapitule les dogmes astrologiques. L’Annexe, en fin de volume, et les figures qui l’accompagnent fournissent les renseignements indispensables pour comprendre la pensée des astrologues. Les cinq chapitres suivants réfutent les théories astrologiques. Le traité 28 s’était montré trop complaisant envers l’astrologie, dont il défend l’existence sans avoir véritablement critiqué la manière dont les astrologues la conçoivent. Le traité 3 avait commencé à ruiner les conceptions astrologiques, et le traité 52 mène à bien cette entreprise. Plotin pose d’abord une alternative (chap. 2). De deux choses l’une : soit les astres sont inanimés et ne causent que des effets corporels, soit ils sont animés et choisissent de faire le mal. Dans le premier cas, l’influence des astres est limitée et il est faux de dire qu’ils produisent tout ; dans le second cas, nous tombons dans l’opinion absurde que des dieux impassibles se vengent du mal que nous leur avons fait. À son tour, l’astronomie savante réfute les allégations des astrologues (chap. 3-5). L’astrologie postule en effet que les planètes sont influencées par les signes du zodiaque et par les configurations qui les relient entre elles. Plotin répond que les sept planètes se trouvent sous le zodiaque et non en lui, et que chaque planète circule sur des orbites différentes, qui les séparent les unes des autres. Les planètes deviennent en outre bonnes et mauvaises, d’après les astrologues, selon qu’elles se lèvent, qu’elles se couchent, qu’elles se trouvent au milieu du ciel ou derrière la terre, qu’elles accompagnent le soleil ou la lune. Fadaises ! rétorque Plotin. Ces déterminations n’existent que pour les hommes et elles ont pour cause l’horizon qui limite notre champ de vision. Car les planètes sont toujours dans le ciel et elles ne subissent aucune altération lorsqu’elles montent au-dessus de l’horizon ou plongent au-dessous. Les phases de la lune, sur lesquelles l’astrologie insiste tant, n’ont en réalité aucun effet sur la lune elle-même. L’astronomie montre que la lune, quel que soit le moment, a toujours un hémisphère éclairé et un autre obscur. Pour une planète qui circule sur une trajectoire plus haute que la trajectoire lunaire, la lune est pleine pour cette planète lorsqu’elle est nouvelle pour nous, et vice versa. Les astrologues devraient tenir compte de ce fait lorsqu’ils décrivent l’influence de la pleine lune ou de la nouvelle lune : la pleine lune que les astrologues disent être bénéfique est-elle celle que l’on voit de la terre ou celle que voient les planètes qui circulent au-dessus d’elle ? De manière générale, conclut Plotin au chapitre 6, les astres ne sauraient avoir pour tâche de produire et d’administrer les milliers de vivants qui peuplent la terre. Cette fonction appartient à un principe unique qui gouverne l’univers et qui s’étend sur toutes choses.
Les chapitres 7 et 8 établissent l’existence d’une divination par les astres. Plotin reprend la métaphore qui veut que les astres soient comme des lettres qui s’inscrivent continuellement dans le ciel. Ils annoncent l’avenir pour ceux qui savent les décrypter. Les événements ne sauraient être prédits qu’à la condition que chaque chose obéisse à un ordre unique. C’est le thème de la sympathie universelle, que Plotin qualifie ici de « conspiration » : l’univers est un vivant un et multiple dont toutes les parties sont reliées entre elles. Cette cohésion est due à l’âme qui produit l’univers par sa puissance merveilleuse et qui instaure un ordre unique dans lequel s’imbriquent les astres. Ces derniers ne sont pas des parties insignifiantes de l’univers et ils ont une aptitude remarquable à envoyer des signes aux hommes.
Les chapitres 9 à 15 précisent que l’action des astres est limitée. Plotin fait appel aux doctrines de la République et du Timée. D’une part, le fuseau et les Moires représentent la rotation céleste et la nécessité avec laquelle elles filent le destin de chaque chose (République X, 616c-621a). D’autre part, l’homme a reçu du démiurge son âme divine et supérieure, alors que son âme inférieure lui vient des dieux subalternes, c’est-à-dire les astres et les dieux qui se montrent quand ils le souhaitent (Timée 41a-d). Platon lui-même, estime Plotin, considère qu’une partie de l’âme humaine vient des astres et qu’elle lie les hommes à la nécessité qui règne dans le gouvernement de l’univers. Mais à cette partie inférieure, responsable de terribles passions, s’oppose une partie supérieure, don du démiurge, qui permet à l’homme d’échapper à la nécessité qui règne ici-bas. L’influence des astres est donc limitée en raison de la dualité qui existe en l’âme humaine. Les astres ne peuvent agir que sur les corps et sur l’âme inférieure, alors que l’âme supérieure, qui tend vers l’intelligible et qui possède la vertu dont personne n’est le maître, échappe à leur contrôle. Les causes qui agissent dans l’univers sont en effet nombreuses et ne doivent pas se réduire à l’activité qu’exercent les astres. Lorsqu’elle vient dans le sensible, l’âme apporte quelque chose d’elle-même, des qualités, des dispositions, des désirs, des actions et une tendance vers le bien. Comme Platon l’enseigne, l’âme choisit sa vie avant d’entrer dans la génération. Ce choix inclut les circonstances extérieures, par exemple le lieu de la naissance, le type de corps dans lequel elle s’introduit et la nature des parents. Elle n’échappe pas non plus aux coups du sort. Le substrat qui reçoit les influences astrales a en outre des qualités propres et corrompt souvent le don qui lui a été prodigué. Les planètes émettent des influences bénéfiques, mais les corps ne sont pas toujours aptes à les recevoir. Ce qui était bon au départ devient mauvais ici-bas.
En somme, les astres exercent une action sur les choses sublunaires, mais celle-ci n’est pas fondamentale. Ce sont les parents qui donnent à leur rejeton leur nature et leur caractère. Un cheval naît d’un cheval et un homme naît d’un homme. Les astres ne peuvent qu’améliorer ou corrompre la nature du cheval ou celle de l’homme, sans pouvoir produire ces natures. L’univers, soutient Plotin, est gouverné par une âme qui agit conformément à une raison (lógos) qui coordonne toutes choses à l’ensemble. Les parties de l’univers, peu importe leur rang et leur valeur, sont façonnées et dirigées par cette raison. Malgré leur importance, même les astres ne peuvent contrevenir à l’ordre imposé par les raisons qui gouvernent l’univers. Une partie peut en affaiblir une autre et lui nuire, mais elle ne peut la faire sortir de sa propre nature.
Les chapitres 16 à 18, qui ferment le traité, font l’exégèse de la formule « l’âme gouverne l’univers selon une raison » (chap. 13, 3-4). C’est l’occasion pour Plotin d’expliquer en détail la production de l’univers et le principe de transmission des raisons (lógoi). L’univers ne résulte pas d’un choix réfléchi du démiurge, mais de la nécessité de l’existence d’un monde sensible à la suite du monde intelligible. La puissance intelligible se déverse nécessairement sur une réalité inférieure, jusqu’au terme ultime, la matière, qui n’a plus assez de puissance pour produire quoi que ce soit. Le démiurge véritable, c’est l’Intellect, car il contient les formes intelligibles, les archétypes de toutes choses. L’Intellect, dans sa grande puissance, déborde et envoie ses Formes dans la partie supérieure de l’âme du monde, qui les reçoit à l’état de « raisons ». Ces raisons s’écoulent à leur tour dans la partie inférieure de l’âme du monde, qui correspond à la nature et à la puissance végétative. Cette ultime puissance est le dernier producteur, celui qui produit le monde sensible.