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Le Vénérable, dont le nom est Teodoro Cliborn, demande la permission et s'assoit à la place que Vidal lui a réservée. Il trouve étrange la proximité que Teodoro place entre eux et encore plus la sollicitation d'une conversation privée. Ils n'avaient auparavant échangé que des salutations. Ils n'étaient pas amis et n'avaient aucune relation à part les cérémonies de la Loge.
«Vidal, j'ai un sujet à traiter avec vous sans tourner autour du pot. J'ai un ami de longue date qui réside à Braga, ayant fondé une Loge dans cette ville. Il est veuf depuis longtemps déjà et il a une fille, enfant unique. Je ne sais pas si vous êtes au courant de la situation à Braga en relation à nos confrères. L'êtes-vous?
-Non, je ne sais rien à ce sujet, Teodoro.
-Vous devriez vous intéresser plus par la politique, Vidal, déjà qu'elle dirige nos vies. Que savez-vous sur le Marquis de Pombal et de Viradeira?
-Je sais que le Marquis fut Ministre du Roi José. Quand le Roi est décédé, et que Dona Maria a accédé au trône, le Marquis a laissé son poste. Rien de plus.»
Teodoro inspira profondément comme s'il était sans patience. «Vous êtes jeune et idiot. Ça vous servira bien pour la mission que je vais vous présenter.
Bon, je vais vous situer. Comme vous le savez ou comme vous devriez le savoir, après l'incendie qui détruit notre ville en 1755, le Roi José a transformé Sieur Sebastião José de Carvalho Melo en Premier Ministre lui donnant aussi le titre de Marquis de Pombal. Durant cette période pendant laquelle il gouverna il appliqua plusieurs réformes dans notre pays retardé. Il fit aussi beaucoup d'ennemis, tels que les Jésuites et quelques seigneurs qui étaient jaloux de l’immense pouvoir que le Roi lui avait accordé dû à sa compétence. Par exemple, pour la réforme de Lisbonne, il avait besoin d'argent, donc il a fait accord avec les Juifs. Il a fait pression sur l'Église pour qu'ils ne les poursuivent plus et il a réussi l'argent dont il avait besoin pour la reconstruction. À cause de ça, il arrêta la roue de l'Inquisition au Portugal et plaça le pays sur le chemin du développement. Il utilisa l'argent de la Trésorerie pour financer diverses manufactures, ce qui fit qu'on ne fut plus dépendants des Anglaises. C'est-à-dire que le Portugal était en chemin de la suprématie européenne. À cette époque, toutes les persécutions aux Nouveaux Chrétiens et aux franc-maçons furent interrompues, étant lui-même un de nous.»
Teodoro s'arrêta pour quelques moments. Sa gorge était sèche d'autant parler. Elle devait être irriguée avec du vin.
«Avec la mort du Roi José il y eut la nomination de Dona Maria la Première comme Reine. Malheureusement cette femme était bien ignorante et à chaque pas demandait conseil à une demi-douzaine de prêtres, laissant un de ses hommes mourir par manque de traitements médicinaux, car elle espérait une aide divine. Avec elle furent aussi nommés des nouveaux Secrétaires d'État, remplaçant le visionnaire Pombal par ignorance et, surtout, par le manque de vision des religieux qui ont tant d'influence sur cette femme. Maintenant le Portugal retourne sur le chemin du retard. Et avec le retard reviennent les persécutions, déjà que l'État Portugais aujourd'hui est sous l'influence de l'Église et des seigneurs vagabonds qui sucent le Trésor et qui ne s'importent pas avec le reste du peuple. Des temps sombres s'approchent.
-Maintenant je comprends le scénario, mais il ne me semblait pas aussi sombre. Mais continuez, s'il vous plaît.
-Bien, revenant à notre sujet d'origine, mon ami, celui de Braga, craint l'effondrement de sa Loge avec les persécutions récentes qui ont commencé à arriver, mêmes que non officielles. L'archevêque de Braga, dont l'origine est l'île de Madeira est aussi un grand persécuteur des franc-maçons dans sa ville d’origine, ayant donc été transféré vers cette importante Archidiocèse. Leonardo, mon ami, craint plus que tout le retour de la Sainte Inquisition par là-bas. Comme vous le savez, s'il est accusé, même s'il est déclaré innocent à la fin du procès, il peut perdre ses possessions aux mains de l'Église. Il s'inquiète de l'attitude de certains confrères, car il n'a pas confiance en ceux qui se sont associés seulement pour les gains matériaux. Certains ont laissé la Loge dû à des pressions de familiaux et évitent à tout prix le contact avec d'autres collègues. Ceux-ci pourraient à n'importe quel moment livrer toute la structure de la Loge pour se sauver ce qui la détruirait, à lui et aux autres membres. Il sait aussi qu'il est sous observation. N'importe quel mouvement qu'il fasse pourrait déclencher une chute de dominos, ce qui peut l'amener à l'échafaud. Devant tout ce panorama il m'a contacté et a établi un plan pour que ça n'arrive pas. Il prétend repasser toute sa fortune vers une autre personne sans suspicions. Cette personne ira habiter à l'étranger, probablement dans une colonie britannique ou française dans le Nouveau Monde. Il m'a suggéré d'être cette personne mais je suis enclin à refuser.
-Mais pourquoi pas, Teodoro? De ce que j'ai compris, ce n'est qu'un voyage pour retirer l'argent du Portugal. Vous pourrez revenir plus tard.
-Bien Vidal, il souhaite avoir une garantie que l'argent lui reviendra. Et le moyen pour que ça arrive est un mariage avec sa fille pour qu'il se crée un lien familial. Comme vous le savez, je suis veuf, mais je n'ai pas l'intention de sortir du Portugal. Je n'ai pas d'énergie pour une aventure de cette envergure, de plus mes enfants et mes petits-enfants ne pourraient pas nous accompagner. Je ne sais même pas s'ils aimeraient y aller. Pour ces raisons, j'ai pensé à vous. Même si vous n'avez pas une grande ancienneté dans notre fraternité, vous êtes le seul sans engagements, à part Alicio, mais il a des liens familiaux. La fille a pratiquement votre âge. Vous n'avez aucune famille, vous serez peut-être intéressé à nous faire cette petite faveur.
-Quels sont mes bénéfices si j'accepte, demande Vidal.
-Bien, la personne qui acceptera cette proposition sera l'associé dans les affaires qu'il souhaite monter dans la colonie choisie et après sa mort héritera de tout, avec l'engagement de prendre soin de sa fille.
Vidal écoute attentivement ces informations et sa tête commence à tournoyer. Il est réellement dans une mauvaise situation financière, mais il ne lui avait jamais effleuré les pensées de résoudre ce problème avec un mariage et un déménagement de l'autre côté de l'Atlantique.
-Vénérable, je ne sais pas quelle réponse vous donner maintenant. Je vous remercie de tout cœur de cette opportunité qui a le potentiel de changer toute ma vie pour le mieux. Ce que vous me présentez est un rêve. Mais je vous demande que vous me donniez un peu de temps pour penser aux conséquences d'une décision de ce genre. C'est vrai que je n'ai pas de famille au Portugal. Mais le mariage me fait un peu peur. Et en plus avec quelqu'un que je ne connais pas.
-Vidal, pensez-y calmement. Discutez-en avec votre ami Alicio. Vous avez deux jours pour prendre une décision. Sa fille a déjà laissé Braga et est en chemin vers Lisbonne. Quand elle arrivera et elle arrivera bientôt, si tout se passe comme prévu, le mariage sera rapide et le départ aussi. Si vous n'acceptez pas, je ne pourrais pas refuser cette faveur à Leonardo. Le plan sera exécuté d'une forme ou d'un autre. Mais si vous m'enlevez ce poids, vous aurez mon éternelle gratitude ainsi que celle de tous nos confrères de Lisbonne. Nous nous rencontrerons ici dans deux jours, à trois heures de l'après-midi, dans le Marché de Ribeira Nova. Cherchez Vitalício, vous me trouverez avec lui.»
Vidal dit au revoir et quitta le goûter. Sa tête devait commencer à travailler. Après tout ce qui lui avait été proposé, il ne pourrait pas maintenir une minute de conversation avec quelqu'un, peu importe qui. Il vagua dans la ville, sans destination, pensant sur la proposition. Un peu sans le vouloir il passe devant un bordel et entre. Il doit se rafraîchir les idées et il n'y a pas de meilleure façon qu'avec une femme de la vie.
Alicio recherche Vidal mais ne le trouve pas. Teodoro s'approche de lui.
«Alicio, j'ai fait la proposition à Vidal. Il s'est excusé et est parti, sa tête occupée avec tout ce que je lui ai dit.
-Penses-tu qu'il acceptera, Teodoro, demande Alicio.
-Je ne sais pas. Mais quand il te cherchera, ne lui cache rien. Il a besoin de savoir dans quoi il se met.
-Je ferais ça, Teodoro, ne vous inquiétez pas.»