Alicio et Fátima sont dans le salon de Vidal attendant qu'il termine de se préparer pour le souper.
Elle n'arrive pas à contrôler ses mains, elle passe les doigts d'une main sur l'autre et les inverse comme un carrousel sans contrôle.
«Que ce passe-t-il cousine? Vous semblez être nerveuse», dit Alicio.
Fátima inspire de l'air par la bouche profondément, le bloque et le libère bien lentement comme si elle faisait une marche fatigante.
«Ça fait longtemps que je ne la vois pas, Alicio. Comme je vous l'ai dit, je me suis éloigné d'elle dans les temps d'école. Je ne sais pas si je serais bien reçu ou si elle garde une certaine tristesse envers moi.
-Bien, ça ne vaut pas la peine de souffrir par anticipation. Voulez-vous que je demande un verre d'eau?
-S'il vous plaît! J'ai refusé quand je suis arrivée, mais maintenant j'ai soif.»
Alicio part à la recherche de l'un des serviteurs de la maison. Quelques moments plus tard, Vidal arrive dans le salon et salue Fátima.
«Bonsoir! Vous devez être Fátima, n'est-ce pas? Vous ne pourriez pas être une autre personne!
-Oui, enchantée. Vidal n'est-ce pas? Pardonnez-moi si je me trompe sur votre nom, ma mémoire n'est pas des meilleures.
-Vidal en effet. Puis-je m'asseoir? Où est Alicio?
-Bien sûr. Mon cousin est allé chercher un verre d'eau, j'ai un peu soif.»
Alicio revient de la cuisine avec un verre d'eau pour Fátima.
«Vidal, comme vous êtes élégant, dit Alicio.
-Vous aussi Alicio. Mais vous ne m'aviez pas dit que votre cousine était aussi belle!»
Fátima boit de l'eau et ne montre aucune réaction au commentaire de Vidal. Ses pensées lui bouchent les oreilles.
-Elle l'est vraiment n'est-ce pas? Mais elle commence à passer de date!
-Alicio est-ce une manière de parler? Si je ne me suis pas encore mariée c'est parce que je n'ai trouvé personne digne, pas tout ce qui me passe par les oreilles est ignoré.»
Alicio rit.
«Désolé, cousine, je rigole!
-Oui, je sais. Mais je n'aurai pas le courage de me marier seulement pour me marier.
-Vous êtes trop exigeante, cousine!
-Mon père insiste pour que je me marie ou pour que je sorte au moins avec quelqu'un. Mais je n'ai connu personne jusqu'à maintenant qui me fasse ouvrir main de ma vie actuelle. Je préfère rester seule plutôt que de m'attacher à un bon à rien quelconque.
-Vous êtes chanceuse que mon oncle ne vous oblige pas. Je pense qu'il ne souhaite pas ouvrir main de votre présence, pour le moment. Mais viendra le jour où vous devrez partir. C'est la nature.
-Nature! Nous ne sommes pas des chiens qui se rassemblent dans une quelconque ruelle. Mais ne vous inquiétez pas. Il y a quelqu'un dans ce monde à qui je donnerais mon coeur.
-Vous n'êtes jamais tombée amoureuse, Fátima, demande Vidal.»
Fátima baisse la tête, elle bouge son pied gauche comme si elle nettoyait la semelle d'une quelconque saleté.
«Je suis déjà tombée amoureuse oui, dit-elle un peu gênée.
-Quelle nouveauté! Vous ne me l'avez jamais dit, cousine. De qui?»
Fátima rougit. Et Alicio sourit avec le coin de la bouche ce qui le laisse avec une expression de mauvais caractère.
«Je ne peux et ne dois pas vous le dire, Alicio. Conformez-vous à votre ignorance sur le sujet!
-Bien, pouvons-nous y aller? Je ne voudrais pas me retarder pour le souper», dit Vidal mettant un point final sur le sujet. Il comprend que Fátima est resté inconfortable et il se sent gêné par toute cette situation.
Déjà dans la calèche, tant Vidal comme Fátima ont l'air bien nerveux.
«Que ce passe-t-il avec vous deux? Parlons un peu pour diminuer la tension!
-Il n'y a pas moyen de ne pas être tendu, Alicio. Teodoro espère que je fasse la court à la fille de son ami qui cherche un mari. Et si elle ne m'aime pas, ou pire, si je ne l'aime pas?
-Vous n'avez pas besoin d'inventer d'histoires, Vidal. Fátima est ici car elle sait de tout. Vous pouvez parler franchement.
-Vous auriez dû me le dire, Alicio!
-Déjà que nous sommes en pied d'égalité, j'aimerais vous poser une question si vous me le permettez Vidal, dit Fátima.
-Dites. Comme Alicio vous fait confiance je fais confiance à son jugement.
-Bien. Le fait est que Bárbara est très belle. Mais que me dites-vous de vous lier à une personne que vous ne connaissez encore pas? Nous faisons des mariages arrangés, mais cette situation sort du normal.
-Fátima, si Alicio vous a tout raconté, il a dû aussi vous raconter pour quelle raison il a accepté.
-Oui, il me l'a raconté. Mais même comme ça...
-Même comme ça, je ferai ce que je pourrais pour que ce mariage devienne un vrai mariage. Avec le passage du temps, je mettrais une pierre sur ce sujet.
-Mais considérez-vous une deuxième variable dans ce contrat?
-Quelle variable, demande Alicio se mêlant à la conversation.
-Monsieur Leonardo, le père de Bárbara. Vous devrez cohabiter avec lui dans une terre où vous ne connaissez personne d'autre. Et dans votre situation, malgré le fait que vous fassiez part d'un accord scellé au préalable par les deux parties, vous place en désavantage contre eux. N'avez-vous pas peur de devenir leur serviteur?»
Les expressions de Vidal et d'Alicio sont apparemment semblables, leurs quatre sourcils levés, le regard fixe, ils ont l'air de deux idiots ou mieux, deux enfants attrapés en flagrant délit.
«Vous n'y avez pas pensé, n'est-ce pas? Aucun des deux! C'est typique des hommes, il suffit d'une jupe aux alentours pour qu'ils arrêtent de rationaliser! Pour que vous voyez les choses de forme trop simple comme elles ne le sont jamais. Femme, homme, chuc, chuc.» Elle fait un mouvement avec son bras et son poing fermé qui ressemble un piston en mouvement.
«Cousine, qu'est-ce que c'est que ça? Vous nous offensez et de plus à Vidal!
-Mais elle a raison, Alicio! Je n'ai rien pris en considération à part l'échange de ma liberté pour une belle femme! Même étant l'un de nos confrères, qui sait si les intentions de son père sont aussi nobles quant au traité? Ira-t-il le respecter une dois que nous serons en Amérique ou ira-t-il m'abandonner drogué dans une quelconque auberge sans ressources?»
La peur commence à transparaître sur le visage de Vidal. Il comprend maintenant comment sa situation est fragile et comme il sera difficile de se placer en égalité avec les deux. Fátime comprend leur embarras et sourit.
«Oui, votre situation est une aberration. Mais je vais vous raconter quelques choses qui vous aideront peut-être, dit Fátima.
-Il y a plus de choses que vous ne m'avez pas racontées, cousine?
-Oui, il y en a. Je ne vous en ai pas parlé car ce n'était que des soupçons, rien de plus. Mais quand il y a de la fumée nous pouvons interpréter, malgré le fait qu'on ne le voie pas, qu'il y ait du feu en train de la gérer, n'est-ce pas?
-Une grande vérité, dit Vidal. Et quelle est la fumée que vous voyez?
-Comme je vous l'ai déjà dit, j'ai commencé à l'observer de proche tout le temps. J'ai compris qu'elle ne tolérait pas son père. Quand nous devions retourner à nos propres maisons pendant les fins de semaine, elle se comportait comme si elle allait à son propre enterrement! Il était visible que son humeur changeait avec l'arrivée du samedi. Elle devenait en introspective, plus sombre.
-Et vous pensez que le motif de tout ça était son père, demande Vidal.
-Je pense que oui. Elle évitait tout sujet qui se mêlait à sa famille, je pense que c'était lui.
-Mais avez-vous une idée du motif pour lequel elle ne s'entendait pas bien avec son père, demande Alicio.
-Je ne sais pas. Peut-être est-il un sujet violent, je ne le sais vraiment pas. Pour cela, vous devez vous préparer à des surprises désagréables de sa part.
-Mais comment équilibrer cette équation, Fátima, demande Vidal à moitié étourdi avec toute cette nouvelle information.
-Je ne sais pas s'il y a un équilibre Vidal. Mais votre seule chande est de faire en sorte que Bárbara s'attache à vous, qu'elle vous fasse confiance. Le temps est peu, je sais. Mais vous devrez avoir une complice et elle est votre seule option. Je ne sais pas si elle s'opposera à son père si une situation de confrontation surgit.
-Nous sommes arrivés, dit Alicio.»
Les trois descendent de la calèche et Vidal suit les deux cousins. L'image de lui dans l'océan sur un bateau sans rames lui revient à l'esprit.
Ils sont tous dans le salon de Teodoro attendant Bárbara. Teodoro lui-même, Jonas et les trois qui viennent d'arriver.
«Monsieur Teodoro, puis-je vous parler pour un moment?» Dit Jonas.
Les deux s'éloignent du groupe et vont au bureau de Teodoro.
«De quoi s'agit-il, Jonas?
-Un de nos hommes a demandé autorisation pour retourner plus tôt. Il est venue seulement parce que nous n'avions personne d'autre pour prendre sa place. Mais sa mère est très malade et il n'aimerait pas s'absenter pour trop longtemps.
-Avez-vous besoin d'un autre homme pour le retour? Je peux vous trouver quelqu'un.
-Ce n'est pas nécessaire. Je me suis souvenu de notre conversation précédente dans laquelle vous aviez dit que envoyerez une lettre à Leonardo. Mon homme pourra le lui amener.
-Magnifique. Est-il de confiance?
-Oui, soyez en rassuré.»
Teodoro ouvre un tiroir de son bureau et donne une carte à Jonas.
«Là voici.»
Jonas place la lettre dans sa poche et les deux retournent au salon.
Quelques moments plus tard, Bárbara descend l'escalier. Tous se lèvent pour la recevoir et Jonas va jusqu'à elle.
Tandis qu'ils se saluent, Alicio observe Fátima. Quand elle voit Bárbara, ses yeux brillent et elle rougit. Sa respiration s'accélère.
Bárbara est présentée à Alicio et Vidal. Puis elle va jusqu'à Fátima.
«Comment allez-vous? Vous m'avez manqué.»
Fátima répond qu'elle lui a aussi manqué, mais sa voix sort tremblante et basse.
«Qu'avez-vous dit?
-Que vous m'avez aussi manqué. Malheureusement nous avons perdu contact dû à la distance.»
Les deux se séparent, Fátima s'assoit à côté de Alicio et Bárbara aux côtés de Teodoro, mais de face à Vidal.
Après le souper, tous ce dirigent vers le salon de visites. Jonas s'excuse et se retire. Il dit qu'il se sent un peu mal et souhaite se coucher tôt. Il salue les visiteurs et se retire.
Allant jusqu'à sa chambre, il ouvre la lettre et la lit. Il place une feuille de papier blanche sur elle et copie avec le maximum de zèle possible n'oubliant pas d'inclure tous les signes, points hors de place et phrases sans sens. Il a été alerté par Bárbara qu'ils possèdent un code qui leur permet de confirmer la véracité de leurs correspondances. Avec ce stratagème, il réussit à modifier la date d'embarcation pour retarder Leonardo.
Pendant ce temps dans le salon, tous parlent de commodités. Teodoro suggère que Vidal et Bárbara passent quelque temps ensemble avant le mariage pour mieux se connaitre. Vidal cherche dans le visage de Bárbara une indication quelconque qu'il lui aurait plu. Mais elle répond à ses regards avec des sourires sans grande émotion. Ses regards sont plutôt dirigés vers Fátima.
«Messieurs, aimeriez-vous fumer? Allons prendre l'air sur la véranda, dit Teodoro.
-Oui, laissons les femmes en paix, dit Alicio.
-Alors Fátima, maintenant que nous sommes seules, dites-moi ce que vous avez raconté à ces porcs.»
Fátima devient gêné. Bárbara lui fait peur.
«Pardonnez-moi Bárbara, mais je leur ai tout raconté. Alicio m'a cherché et m'a demandé des informations à votre sujet.
-Et pourquoi les avez-vous donné?
-Monsieur Teodoro lui a offert l'accord en premier. Alicio est mon cousin, je ne peux rien lui cacher.
-C'est pour ça qu'il a refusé. Par votre description il me juge une salope n'est-ce pas?»
Fátima rougit et baisse les yeux au sol.
«Bon, il n'y a rien à faire. Le problème Fátima est que vous auriez dû me faire confiance à l'époque où nous étions ensemble. Au lieu de ça, vous vous êtes éloignée. Si vous seriez resté à mes côtés, vous sauriez le pourquoi de mes actions.
-Je n'ai pas pu. Vous avez changé beaucoup et trop rapidement.
-Non, je n'ai pas changé. Devant la situation dans laquelle je me trouvais, je me suis dissimulée au début. J'avais besoin d'aide et la seule que je pouvais avoir a été réussit de la manière dont je l'ai fait.
-Et pourquoi avez-vous séduit le prêtre?
-Je ne peux pas vous le raconter. Tout ce que je vous dis tombera aux oreilles de votre cousin n'est-ce pas?»
Fátima se tait. C'est vrai, elle n'a aucune loyauté envers Bárbara. Mais elle en a envers son cousin.
«Mais ce n'est pas grave. Que pouvez-vous me dire sur les trois?
-Ce sont des francs-maçons, ainsi comme votre père. Alicio me l'a dit.
-Et quant à Vidal, savez-vous quelque chose de plus à son sujet? J'ai besoin de savoir à qui je me lie.
-Seulement ce que mon cousin m'a dit, qu'il est presque em situation de faillite. Mais qu'il a un problème avec le jeu.
-En plus! A-t-il des vices?
-Il a presque tout perdu en jouant. Alicio l'a aidé à se maintenir éloigné du jeu, mais en réalité je ne sais pas s'il continue.
-Souhaitez-vous marcher un peu dans le jardin? La nuit est étouffante, invite Bárbara.
Les deux se promènent dans le jardin jusqu'à la véranda où les hommes fument.
-Messieurs, Fátima! Si vous me le permettez, j'aimerais me coucher. Je suis fatiguée.
-Quel dommage! Je pensais que nous pourrions discuter un peu, dit Vidal.
-Nous pouvons nous promener un peu demain, si c'est possible pour vous.
-Oui, demain après le dîner?
-C'est mieux, comme ça je serais plus reposée. Bonne nuit à tous!»
Bárbara se retire et monte à sa chambre. Quand elle passe par la chambre de Jonas elle frappe deux fois à sa porte. Il l'ouvre.
«Entrez, entrez.
-Alors Jonas, comment va la lettre?
-Elle est prête. Voyez, comparez les deux. Mon écriture est un peu tremblante, mais je pense qu'elle pourra tromper Leonardo.»
Bárbara prend les deux lettres. Elle compare les deux et ne voit pas une grande différence, à part ce qui a été modifié.
«Excellent travail! Cette carte va dans l'enveloppe. Et celle-ci...»
Bárbara déchire la lettre et place ses morceaux dans un bassin utilisé pour laver le visage et les mains. Jonas met le feu aux morceaux de papier.
«C'est fait, dit Bárbara.
-C'est fait!» répète Jonas.