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Les pensées de Torres sont intégralement concentrées sur Bárbara. Il n'a pas une seule minute de calme ou de repos depuis qu'il a été infomré par l'espion qu'il a placé près de la maison de Leonardo, qu'elle avait voyagé. Il savait qu'elle était partie en compagnie de Jonas. Ce même espion l'avait informé qu'il était revenu il y avait quelques jours, seul.
«Où est Bárbara? Qu'est-ce que ce monstre lui a fait?»
Il se blâmait de ne pas avoir été plus agile. Il aurait déjà dû faire arrêter Leonardo par la Sainte Inquisition. Mais il ne savait pas quelles seraient les réactions des amis de Leonardo, des gens très influents dans la ville. Si ces hommes restaient du côté de Leonardo, que pouvait-il faire? Les arrêter à tous?
Il se souvient de sa campagne contre les francs-maçons de l'île de Madeira, dont il était originaire. Quand ils commencèrent les persécutions et les arrêts, ils ne s'arrêtèrent plus. Dû à l’œuvre des tortures, l'un accusait l'autre. À la fin, s'ils auraient arrêté tout le monde, tous les habitants de l'île seraient en prison. Il ne pouvait pas procéder de la même façon. Voilà pourquoi il avait fait attention, mais maintenant rien de cela n'avait de l'importance.
Il demande à son serviteur encore une bouteille de vin. Peut-être qu'en ralentissant encore plus son cerveau, il saurait quoi faire. Il se rapprocha de deux servantes de la maison pour demander des informations. Mais les pauvres ne savaient que ce qu'il savait: que sa demoiselle avait voyagé, mais on ne savait pas vers où.
Quand son serviteur lui amène la bouteille, Torres se dépêche de lui tendre sa tasse. Quand elle est pleine, il la boit d'une seule gorgée et la tend de nouveau. Le servant fait un mouvement de la tête, comme s'il allait dire quelque chose. Torres secoue la tasse devant le garçon et il abandonne. Il la remplit de nouveau et se retire en faisant une révérence. L'archevêque tambourine la table de ses doigts, tourne la bague qui est symbolique de son pouvoir avec la main opposé, s'adosse dans sa chaise et boit de nouveau sa tasse entière. Cette fois-ci, il la remplit de lui-même.
Bárbara est peut-être allé visiter sa grand-mère. Si c'est vrai, il ne verra pas dans les prochains mois. Il pense que Leonardo l'a peut-être envoyé dans un quelconque couvent. Mais il expulse cette idée de ses pensées. Leonardo ne l’enverrait pas dans un endroit où il existerait son influence. Peut-être était-elle allée faire des achats dans une plus grande ville. Lisbonne. Peut-être Paris. Mais non, elle n'irait pas seule. De l'information qu'il a obtenue, seul Jonas l'a accompagné. Et il était revenu. Si c’était ce cas de figure, il l'aurait accompagné et elle serait revenue avec lui.
Jonas. Il sait où elle est. Mais que peut-il faire? Le faire arrêter? Sous quelle accusation? Il pourrait le kidnapper. Mais la disparition du serviteur mettrait la puce à l'oreille de Leonardo.
Il n'y a que deux options dans cette situation. Ou il attend que Bárbara revienne, ou il fait arrêter Leonardo. Ses espions ont remarqué que Leonardo a changé ses habitudes depuis que Bárbara est partie. Il sort de chez lui, va jusqu'à ses vignobles et y reste pendant plusieurs jours. Puis il revient. «Peut-être que ce démon pense fuir et rencontrer Bárbara quelque part d'autre. Si c'est ainsi, elle est prisonnière de quelqu'un. Oui, c'est possible.» Il se souvient que Leonardo a reçu la visite d'un ami, peut-être d'un franc-maçon venant d'une autre ville, Lisbonne ou Coimbra, mais il ne se souvenait pas des détails que Bárbara lui avait racontés. Mais il n'est pas sûr d'où venait cet homme et il ne se souvenait pas de son nom. Timotéo peut-être. Torres n'est sûr de rien. Dans ces conditions ses mains sont liées. Il ne peut rien faire. Il devra se maintenir immobile comme une montagne.
Jonas demande à l'assistant de la résidence pour avoir une conversation avec l'archevêque. Il est mené jusqu'à lui. L'archevêque est prévenu de sa visite et le reçoit seulement après être entouré de sa garde personelle.
«Jonas, il y a tellement longtemps qu'on ne se voit pas. Êtes-vous venu essayer de me tuer aux ordres de ce tas de fumier?
-Vous avez une idée erronée de ma relation avec Monsieur Leonardo, Archevêque.» Jonas s'approche et embrasse la main de Torres.
«Dites-moi où est Bárbara, Jonas, ou je vous jure que je vous fais arrêter de suite.
-Archevêque, je vous amène justement une lettre de sa part. Elle m'a fait jurer de vous la donner directement. Et que je m'assure que son père ne découvre pas l’existence de cette lettre.
-Lettre? Pourquoi ne me l'avez-vous pas amené avant?
-À cause de Monsieur Leonardo. Il me surveillait tout ce temps. Mais hier après-midi il est allé au vignoble. Je ne suis pas venu hier parce qu'il était déjà tard quand j'ai terminé mes tâches. Mais dès que je me suis réveillé, je suis venue vous l'apporter.
-Donnez-la-moi, alors!»
Il se lève et arrache la lettre des mains de Jonas qui l'enlevait de sa poche. Il déchire l'enveloppe rapidement. Il commence à la lire et lui tourne le dos. Il se tourne et regarde Jonas. Il est blanc comme un drap. Il a l'air d'un bonhomme de cire. Sa lèvre tremble. Tandis qu'il lit la lettre, son expression change. De quelqu'un qui est gêné à celle d'un lion en cage. À un moment donné, il s’affaiblit, on dirait qu'il va s'évanouir. Un de ses gardes se presse pour l'aider, mais il l'éloigne. Il va jusqu'à la table et se sent comme s'il avait un éléphant sur le dos. Il continue à lire la lettre. Ses yeux sont perplexes. Jonas essaie de se rappeler de toutes les absurdités que Bárbara et Aia ont écrites sur ce papier et sans s'en rendre compte, un sourire apparaît sur ses lèvres.
«Maudit... malheureux, fils de pute. Comment a-t-il pu faire une de ces choses?»
Torres donne la carte à Jonas.
«Jonas, ce qui est écrit dans cette lettre est vrai? Je ne peux y croire. Vous étiez avec elle, comment était-elle?
-Elle souffrait, archevêque. Elle souffrait beaucoup. Je ne sais pas ce qu'elle a écrit dans la lettre, mais j'ai vu quelques taches de sang sur ses vêtements, dans le dos. Je n'ai pas eu le courage de le lui demander. Mais pendant tout le temps durant lequel nous voyagions, elle pleurait de douleur quand nous passions par un terrain plus accidenté. Pauvre enfant.
-Non, non, ce n'est pas possible. Je ne peux pas croire qu'elle soit passée par ces tourments. Par ma faute, ma faute...»
L'archevêque arrête de parler. Il semble suffoquer, l'air lui manque. Il ne le supporte plus et s'évanouit en criant au milieu du salon.
Tous courent pour l'aider. Ils le couchent sur un divan qui se trouve à gauche de sa table. Jonas prend rapidement la lettre que Torres n'a plus les forces de tenir. Il évite que quelqu'un d'autre la lise.
Quelqu'un lui amène de l'eau. L'archevêque commence à récupérer ses sens et en boit un peu.
«De l'eau non! Donnez-moi du vin! Où est la lettre?»
Jonas se dépêche de redonner la lettre à Torres. Il ne l'a pas lu jusqu'à la fin. Il souffle comme un taureau devant le torero. Il inspire des grandes bouffées d'air. Il boit la tasse de vin qu'on lui a amené d'une main tremblante, tandis qu'il tient les pages de la lettre de son autre main, qui semble vouloir éloigner les papiers de ses yeux. Quand il récupère son souffle, il soupire profondément. Puis il continue à lire.
Les larmes coulent sur son visage. Quand il termine, il est sans forces, mais son regard est de haine pure.
«Sortez tous d'ici. Je dois parler avec cet homme seul à seul!»
Tous sortent et Torres et Jonas se trouvent face à face.
«Jonas, où est ce chien? Et Bárbara?
-Elle est partie il y a quelques jours, archevêque. Vers le brésil je pense, je ne suis pas sûr. À Lisbonne elle s'est mariée avec un homme qu'elle ne connaissait pas. Puis ils ont embarqué sur un navire.
-Porque ne l'avez-vous pas empêché? Pourquoi ne l'avez-vous pas aidé, canaille, cria Torres.» La bave coulait de sa bouche. Il avait l'air d'un chien fou.
«J'ai essayé archevêque. Je lui ai dit que nous pouvions fuir vers dans une petite ville. Je reviendrais et dirais à Leonardo que tout c'était passé comme il voulait, lui donnant le temps de penser à ce qu'elle allait faire. Elle a dit non, qu'elle ne pourrait pas. Que d'autres personnes paieraient pour sa fugue, que Leonardo est un démon. Qu'il la poursuivrait jusqu'en enfer si nécessaire. Et elle a fait tout ce que Leonardo voulait qu'elle fasse.»
Il tombe assis sur le sol. Ses mains fermées couvrent ses yeux. Il commence à se balancer de l'avant vers l'arrière, murmurant des mots sans sens. Jonas pense qu'il devient fou. Puis soudainement, il s'arrête.
«Où est Leonardo?
-Il est sorti, comme je vous l'ai dit. Il est allé jusqu'au vignoble hier.
-Amenait-il beaucoup de bagages?
-Pas que je m'en sois rendu compte. Pourquoi?
-Ce malheureux la poursuivra. Il doit déjà être parti. Mais je ne le permettrais pas. Le sang de ce malheureux va me laver les mains. Gardes... Gardes, crie-t-il.»
L'archevêque sort du salon en courant avec la lettre. Jonas n'a plus rien à faire. Il doit maintenant attendre les actions de l'archevêque. Attendre qu'il revienne les mains vides du vignoble. Attendre qu'il parte à Lisbonne. Puis quand il partira, Jonas sera libre.