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34 . Congo Square

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Le matin suivant, James les rencontre faisant le premier repas du jour. Il semble être un peu gêné. Il les salue à tous et s’assoit avec les yeux au sol. Personne n'ose lui dire un mot différent de bonjour.

«Messieurs, madame, commence-t-il après avoir appuyé ses coudes sur la table et croisé les doigts comme s'il allait prier. Par contre, cette posture a comme objectif d'informer ceux qui sont présents, qu'il ira faire une annonce importante. Je vous demande qu'on ne parle plus du sujet d'hier. Pardonnez-moi mon comportement, je n'aurais pas dû vous laisser comme je l'ai fait. Je me sens gêné maintenant. Mais j'espère que vous comprendrez que les mémoires de ce qui s'est passé et la manière comme elles se sont passées m’ont enlevé le contrôle émotionnel.»

«Vous avez trouvé les fautes dans votre histoire et vous ne voulez plus en parler, n'est-ce pas», pense Vidal avec un sourire et un clin d’œil vers Bárbara, qui le fusille du regard. Il se rétracte et elle tourne son attention vers James.

«Monsieur James, nous n'en parlerons plus. Nous avons prévu de faire un tour dans la ville pour nous habituer à cet endroit. Vous ferez-nous la faveur de nous accompagner?

-Bien sûr madame, avec plaisir! Irez-vous aussi, monsieur capitaine?

-Oui, nous allons jusqu'à l'église et après je veux voir comment va le commerce.

-Il a grandi monsieur capitaine. À chaque jour de nouveaux établissements surgissent. Des nouvelles personnes arrivent. On se promène dans la rue et on entend une demi-douzaine de langues distinctes. Ça doit avoir l'air d'une Europe miniature, dit James plus à l'aise et moins gêné, démontrant qu'il souhaiterait mettre une pierre sur le sujet de ses origines.

-Connaissez-vous l'Europe, monsieur, lui demande Bárbara et sa colonne, sans qu'elle s'en rende compte, fait son corps s'incliner vers James.

-Malheureusement non, madame. Seulement d’Haïti vers ici. Peut-être qu'un jour monsieur le capitaine soit mon accompagnant par là-bas. Qu'en pensez-vous, monsieur capitaine?

-Voyons ce que le futur nous réserve, n'est-ce pas James? J'y ai pensé, peut-être que nous pourrions faire un pas en direction du vin de porto avant de planter des vignes ici. Nous pourrions l'importer comme nous le faisons en Angleterre. Ce serait une possibilité intéressante. J'y ai pensé en me couchant et ça m'a volé quelques heures de sommeil.

-Même le whisky des Hautes Terres, dit Vidal. Ça pourrait être une affaire intéressante. Et la bière des Allemands! Avec tant de peuples ici, leurs boissons leur manqueront et ils payeront le prit pour satisfaire leur désir, dit Vidal.

-Monsieur Vidal, il me semble que nous pensions de la même façon, je vois des possibilités commerciales qui peuvent nous donner un futur brillant.» Le capitaine prend les mains de Vidal et de James avec ses griffes fortes, une de chaque côté. «Avec vous deux qui pensent comme moi, nous ferons une fortune immense!» Les trois hommes rient et Bárbara sourit. La fortune est ce qui l'intéresse le moins en ce moment. Son corps semble être tiré en direction de James comme si c'était une pièce de fer attiré par un aimant. Elle se retient, mais sa respiration s'accélère. Elle respire profondément et laisse l'air s'échapper lentement par sa bouche en essayant de se contrôler.

«Vous êtes haletante, Bárbara? L'air d'ici vous fait du mal?», lui demande le capitaine.

Elle respire encore une fois de manière plus profonde, baisse la tête et se récupère. Elle comprend qu'elle n'arrive pas à cacher ce qu'elle sent pour le mulâtre et encore pire, elle le laisse transparaître à qui a des yeux.

«J'ai quelques nausées. Mais je pense qu'une promenade me fera du bien.

-Ces nausées pourraient annoncer quelque chose de plus grave, peut-être l'arrivée d'un visiteur, dit le capitaine.

-Mais quel visit... » Puis elle comprend ce que le capitaine a dit. «Monsieur capitaine, vous êtes impossible!

-Je n'ai pas compris, dit Vidal, quel visiteur?

-Un bébé monsieur Vidal, un bébé, dit le capitaine en souriant. Les trois rient du manque de compréhension de Vidal.

-Quelle lenteur de pensée la mienne», dit Vidal et il pose sa main sur celle de Bárbara. Elle fait un geste involontaire de la retirer, mais réussit à se retenir à temps. Vidal comprend et trouve étrange son comportement car elle sourit et s'incline vers lui. Là elle remarque sur son visage un léger baissement des sourcils et sait qu'il s'en est aperçu.

Quand ils arrivent devant l'église, James se sépare du groupe. Il dit qu'il viendrait les voir plus tard et qu'ils l'attendent quand la messe sera terminée. Il voulait leur montrer un autre endroit.

«Pourquoi est-il parti, monsieur capitaine, lui demande Bárbara.

-Il devrait s'asseoir loin de nous, près des autres noirs. Je pense qu'il ne voulait pas que vous soyez témoins de cette idiotie.

-Vous ne le voyez pas comme une personne inférieure, n'est-ce pas, lui demande Vidal.

-Avec tout ce que je vous ai dit et mes attitudes, je pensais que c'était clair pour vous.»

Vidal pense pendant un moment et se souvient de ce qu'Alicio disait au sujet de l'esclavage et il s'assombrit avec la mémoire de son ami condamné.

«Avez-vous toujours pensé comme ça, capitaine, questionne Bárbara. Ou quelque chose est arrivé pour que vous changiez d'opinion?

-Quand j'étais plus jeune, ces sujets ne m'inquiétaient pas, j'acceptais les choses comme elles étaient et c'était tout. S'ils étaient esclaves, qu'ils le soient. J'étais libre et je pensais que c'était parce que j'étais blanc. Mais avec le passage du temps, avec mes voyages, j'ai compris que l'honneur, la dignité, la bonté et la religiosité ne possèdent pas de couleur. Et ni de croyance. Je ne vous l'ai pas raconté mais j'ai connu des sarrasins plus saints et plus propres que nos chers  évêques et cardinaux. Mais arrêtons, je peux être amené au bûcher par ma propre voix. Changeons de sujet. Voulez-vous prendre un rafraîchissement tandis que nous attendons James?»

Tandis qu'ils marchent, Bárbara remarque un détail pittoresque. Les femmes blanches, comme elle, montrent leurs cheveux. Les noires ont les leurs couverts par une espèce de turban. Certains ornements comme des plumes d'oiseaux, d'autres avec des nœuds travaillés et de motifs des thèmes des couleurs les plus variés. Tandis qu'ils prennent leurs rafraîchissements, elle demande au capitaine le pourquoi.

«Bien, ce n'est pas la loi, mais ça a été une édition du gouvernement de bonnes habitudes, qui oblige les noires, tant esclaves comme libérées, à couvrir leurs cheveux.

-Et pour quelle raison, demande Bárbara.

-Vous savez bien que ce qui est différent de ce à quoi nous sommes habitués attire notre attention. Il semble que certaines femmes se sont vues offensées par le fait que leurs maris et leurs fils regardaient trop les cheveux des noires. Elles ont des cheveux qui peuvent être sculptés et montés de plusieurs manières différentes. Mais les cheveux des blanches ne peuvent pas prendre des formes différentes, seulement être arrangés de manières différentes. Elles sont allées jusqu'à l'Intendant et l'ont pratiquement obligé à faire ce qui a été fait.

-Mais monsieur capitaine, regardant ainsi, elles semblent être devenue plus belles, dit Vidal.

-En effet monsieur Vidal. Il semble qu'elles ont eu l'effet contraire à celui qu'elles souhaitaient. Mais regardez, James arrive avec le carrosse.

-Montez, je veux vous montrer un endroit!

-Quel est cet endroit, monsieur James, demande Vidal soupçonneux.

-Une petite surprise. Mais venez.

-Où nous amènerez-vous James, demande le capitaine, soupçonnait un tour du jeune homme.

-Nous allons à Congo Square!

-Oui, allons nous amuser un peu, dit le capitaine.»

Quand ils s'approchent, ils entendent des voix qui chantent et des tambours.

«Qu'est-ce que cet endroit, monsieur James, demande Bárbara. Ce bruit qui vient de loin et qui s'élève à mesure que nous nous approchons.

-Les esclaves ont droit au dimanche libre pour se reposer du travail lourd. La plus grande partie se réunit dans ce quartier pour se rencontrer et s'amuser. Il y a plusieurs types de roues de musique et de danse. Voyez, nous arrivons!

-Serons-nous en sécurité James? Je veux dire, en tant que blancs, demande Vidal.

-Ne vous inquiétez pas monsieur Vidal. Cette ville est un chaudron bouillant de plusieurs races et couleurs. Nous nous mélangeons peu à peu, je veux dire, nos différentes cultures, ne me comprenez pas mal.»

Ils descendent du carrosse et vont en direction au quartier. Il y a un mélange de sons et de mouvements complètement étranges au couple. Ils s'arrêtent pour voir quelques groupes qui dansent et chantent des chansons dans des langues diverses. Tandis qu'ils apprécient un groupe, Bárbara entend les battements d'un tambour qui attirent son attention à un autre endroit. Sans que le trio s'en rende compte, elle se sépare du groupe et ce joint à un autre. Dans une roue de nourriture et de boisson, un homme tourne, ayant l'air de danser, mais comme une poupée, une marionnette, il fait semblant de tomber et tourne vers l'autre côté, se plie et se déplie. Il est tronc nu, porte des pantalons et rien aux pieds. Sans s'en apercevoir, Bárbara commence à penduler d'un côté puis de l’autre, ses épaules commencent à bouger en accord avec les battements des tambours. Soudainement, ses yeux ne perçoivent et ne voient rien. Elle commence à tourner. Ceux qui se trouvent autour d'elle s'éloignent. Elle entre au centre de la roue et commence à faire les mêmes mouvements que le noir. Les deux se prennent dans les bras l'un de l'autre et commencent à danser ensemble.

James regarde sur le côté et ne la voit plus. Il attire l'attention des autres qui ne s'étaient pas rendus compte qu'elle avait disparu. Ils partent à sa recherche et vont jusqu'à la roue où elle se trouve, car sur le moment, c'est celle qui attire le plus de gens. Quand ils arrivent finalement au-devant, ils témoignent Bárbara tournant avec une bouteille d'eau-de-vie dans la main et la robe baissée jusqu'à la hanche, avec ses seins nus. Elle approche sa bouche de la bouteille et boit le liquide à grandes gorgées. Puis elle s'arrête et parle dans une langue inconnue. Puis elle recommence à tourner et à danser. Le noir s'approche et l'embrasse. Elle lève sa robe montrant ses cuisses et continue à danser.

Vidal devant ce spectacle fait mention d'entrer au milieu de la roue et de la retirer de là, mais il est retenu par James.

«Ne faites pas ça! Elle est en transe! Si vous la réveillez soudainement, elle peut perdre la raison!

-Elle est quoi, demande Vidal.

-Une entité a possédé son corps. Laissez-la jusqu'à ce qu'elle l'abandonne. Si vous vous approchez, elle ne vous reconnaîtra pas et vous pourrez attirer l'hostilité des religieux.

-Quels religieux? Ceci est un rituel religieux? Elle est nue, pour amour de Dieu!

-Oui s'en est un, monsieur Vidal. Elle est bien cachée mais a ses rites comme l'église. Ne les dérangez pas maintenant. Laissez la chose se terminer.»

Même comme ça, Vidal essaie d'arriver jusqu'à elle et en est empêché par quatre noirs.

«Lâchez-moi, niais!» Il se débat.

James et le capitaine restent sans action. Tout à coup, les tambours s'arrêtent d'un seul coup et les deux marionnettes tombent au sol en même temps, couvertes de sueur. Quelques personnes entrent dans le cercle et les emmènent à l'extérieur du cercle, dans une petite tente. Ils les laissent là et la ferme. Une noire entre et reste avec eux. À ce moment les noirs lâchent Vidal. James et le capitaine restent à côté de lui.

«Calmez-vous s'il vous plaît, dit le capitaine. Attendons pour voir ce qui va se passer!

-Mais elle est là-dedans avec un inconnu nu, cri Vidal.

-Calmez-vous, voyez! L'homme sort.»

Le garçon s'approche de l'un des hommes plus âgés de la roue qui se trouvaient à côté des tambours en fumant et lui embrasse les mains en baissant sa tête. L'ancien touche sa nuque et le garçon s'en va.

«Venez, allons parler avec l'homme, dit Vidal. James y va à contrecœur.

-Parlez-vous ma langue, monsieur?

-Que voulez-vous?

-Je veux que vous me disiez ce qui s'est passé avec mon épouse, dit Vidal.

-Soyez respectueux, monsieur Vidal, dit James à son oreille.

-S'il vous plaît, complète Vidal.

-Assoyez-vous autour de moi. Dans notre croyance Yoruba, il existe plusieurs divinités, chacune prenant soin de nos besoins. Il arrive que certaines personnes aient les caractéristiques de quelques-unes de ces divinités. Quand ils en ont l'opportunité, certains de ces Orixás possèdent le corps de ceux qui sont présents dans nos rites. C'est ce qui s'est passé ici.

-Quelle divinité, si vous me le permettez, demande James.

-Nana, mon fils.»

James a un frisson.

«Et quelle est cette divinité monsieur, lui demande Vidal.

-C'est l'Orixá de l'eau des pluies, des marécages, de la boue et de la mort. Mais voyez! Elle a déjà récupéré. Elle ne se souviendra de rien, ne vous inquiétez pas. Si vous avez besoin d’aide, cherchez-moi

-Où serez-vous, demande James.

-Je suis ici tous les dimanches. Maintenant partez, emmenez-la à la maison, elle doit être fatiguée.»

Vidal est déjà à côté d'elle, elle marche avec difficulté. La femme qui est entrée l'a aidé à s'habiller de nouveau et la tient aussi.

«Que s'est-il passé? Je regardais la danse étrange d'un homme et je me suis réveillée dans un endroit couvert.

-Vous ne vous souvenez de rien? Êtes-vous saoule? Vous avez bu une grande quantité d'une quelconque boisson.

-Non, je ne sens rien. Je suis seulement fatiguée. J'aimerais retourner à la maison maintenant.