L’écrivain américain Morgan Robertson n’a jamais dissimulé qu’il s’était inspiré dans son roman Futility1, pour décrire l’odyssée dramatique de son navire imaginaire, le Titan, du naufrage du Titanic survenu quatorze années plus tard.
Si Robertson avait voulu présenter son livre comme une œuvre de pure fiction, et non comme un récit documentaire appuyé sur des faits réels, il n’aurait pas choisi, pour baptiser son navire, un nom qui évoque chez tout lecteur le plus célèbre paquebot de l’histoire maritime.
Mais le choix du nom « Titan » ne s’explique pas seulement par le souci d’indiquer à quel genre littéraire s’apparente son texte. Il est aussi une manière de rappeler que les catastrophes ne trouvent pas toujours leur origine dans un hasard malencontreux, mais aussi dans la folie de grandeur des êtres humains, cette hubris contre laquelle les Grecs mettaient en garde les mortels.
De même que les Titans avaient défié les dieux, les constructeurs du Titanic pensaient s’être affranchis des lois qui limitent nos activités, et avoir construit un navire dont aucune puissance supérieure ne pourrait arrêter la marche. Et ils connurent le même sort que les êtres mythologiques dont ils avaient imprudemment emprunté le nom, attirés par leur image de gigantisme, mais oublieux de leur destin tragique.
C’est tout cela en filigrane que raconte Robertson dans son roman, non pour empêcher une catastrophe à ses yeux inévitable puisqu’il sait que personne ne l’écoutera – les dieux avaient donné à Cassandre le don de prophétie, en la privant de la capacité d’être entendue –, mais pour que ses lecteurs réfléchissent aux choix désastreux que font parfois les êtres humains quand, déniant leur condition mortelle, ils sont emportés par leur désir de puissance.
1. Morgan Robertson, Le Naufrage du Titan (Futility) [1898], Corsaire Éditions, 2012. AJ ++