Rowland aurait-il pu, s’il ne s’était pas trouvé dans cet état second, empêcher la catastrophe ? Il aurait pu en tout cas être sensible à un élément que Robertson a directement emprunté à l’histoire du Titanic
Si la fatalité décide en dernier ressort, elle laisse toujours une marge de liberté aux êtres humains, qui peuvent s’en saisir quand ils ont assez de sagesse pour le faire. Il n’est pas vrai, ainsi, que les icebergs surgissent sans prévenir. Ils envoient un signe avant-coureur qui est le refroidissement de la température, qu’avaient noté les passagers du Titanic et que rappelle Robertson.
Alors que Rowland est sur le pont et que la nuit paraît glaciale, il voit s’approcher de lui le second du navire qui l’interroge sur la théorie formulée par Maury à propos des courants, théorie selon laquelle la position d’un bloc de glace dans le brouillard peut être identifiée grâce à la vitesse avec laquelle la température chute.
Ce que montre Robertson par cette conversation lourde de sens est que le Titanic aurait pu échapper à son destin. Et il raconte comment une dernière chance est donnée au navire, puisque l’iceberg qui va percer sa coque est aperçu par un homme de la vigie et que l’ordre est donné de détourner le navire :
« De la glace, hurlait la vigie. De la glace droit devant. Un iceberg. Juste sous la proue. » Le second partit en courant ; le commandant, qui était resté là, se précipita vers le télégraphe de la salle des machines, et cette fois la manette fut tournée. Mais en cinq secondes la proue du Titan commença à se soulever et de tous côtés on pouvait voir à travers le brouillard un champ de glace qui se dressait à trente mètres de haut sur sa route1.
Ainsi Robertson ne se contente-t-il pas de raconter de façon documentée la tragédie du Titanic, il la situe dans le cadre virtuel d’un faisceau de possibles qui font que, dans des univers parallèles où ne règne pas l’hubris et où les êtres humains sont sensibles aux signes que la nature nous envoie pour nous donner des repères, les choses auraient pu se passer autrement et la catastrophe être évitée.
1. Le Naufrage du Titan, op. cit., p. 73.