L’instruction des faits reprochés à Hank Nebe et Kiara Fallows prendrait plusieurs mois. Au soixante-septième jour de son incarcération, Hank Nebe subit une nouvelle agression qui lui valut d’être transféré en un lieu tenu secret. Une prison fédérale au Nouveau-Mexique, me confia-t-on.
D’après les surveillantes du quartier des femmes, Kiara Fallows régnait en « reine mère » sur son allée, d’où le projet de la déplacer elle aussi. L’avocat de la jeune femme prit alors contact avec John Nguyen. Sa cliente était disposée à parler, en échange de l’indulgence du procureur. Comme l’on pouvait s’y attendre, elle livra une version des faits tout à son avantage. Kiara n’avait joué qu’un rôle mineur dans le meurtre de Connie Sykes, perpétré conjointement par l’oncle Hank et la tante Willa. Certes, la jeune femme avait accompagné Willa pendant l’enlèvement de Cheri et de Rambla, mais elle ne se doutait pas une seconde de ce qui se tramait, sa tante lui ayant simplement dit qu’elle avait « une affaire à régler pour le tribunal ».
On releva d’infimes traces du sang de Connie sur les chaussures de service de Willa Nebe, l’explication de la gouttelette retrouvée sur la moquette de Cheri. L’arme du crime pourrait bien être l’un des deux poignards récupérés dans la table de chevet de Hank Nebe, mais la preuve irréfutable ne pourrait jamais en être apportée.
Nguyen répondit à l’avocat qu’il devait soupeser les choses. À Milo et moi, il confia qu’une peine clémente lui semblait encore moins probable que des températures polaires en Haïti. Myron Ballister ne perdit pas de temps pour exiger de grosses réparations au civil.
Je sortais d’une réunion, pas moins de la troisième, avec le prestigieux cabinet d’avocats représentant le comté quand j’aperçus le juge Marvin Appelbaum, flanqué d’une jolie brunette de son âge. Il ne m’avait pas remarqué, mais je lui fis signe.
– Bonjour, Alex ! Je vous présente Jeannie, mon épouse. Le Dr Delaware est un de nos experts en matière de garde d’enfants, chérie.
La main fraîche de Jeannie ne s’attarda pas dans la mienne.
– Ma chérie, si tu permets…
– J’ai l’habitude ! dit-elle en souriant.
Elle quitta le bâtiment. Quand la porte à tambour se figea, Marvin me dit :
– Nous sortons de chez un avocat spécialiste du patrimoine. Nous cherchons la meilleure solution pour nous assurer la reconnaissance de notre progéniture ! Dites donc, chuchota-t-il d’un ton sérieux, épouvantable cette affaire Sykes ! Je n’arrive pas à croire que Willa était impliquée. On travaille avec quelqu’un pendant des années, sans se douter de rien.
– Elle jouait bien la comédie.
– Une mère de famille sortie d’une série télé des années cinquante ! Elle nous apportait toujours des cookies faits maison. J’imaginais qu’elle avait une flopée de bambins chez elle. Pas du tout. Complètement tarée. Elle éventre une sœur et enlève l’autre, tout ça pour chiper la gamine…
– C’est à peu près ça.
– Nancy Maestro ne s’en remet pas. Enfin, elle est toujours excessive dans ses réactions. Bon, enchanté !
– À propos de Singapour…
– Pardon ? Ah, ça… Désolé, j’aurais dû vous prévenir. Tombé à l’eau. Ils se sont réconciliés. Pour l’instant, du moins.
– C’est parfait, Marvin. L’affaire Sykes devrait m’occuper un certain temps. Je comptais me défiler.
Il jeta un coup d’œil à l’extérieur. Sa femme fumait une cigarette en l’attendant.
– Alors tout le monde est satisfait. À un de ces jours !