Ce chapitre est le fruit d’une étroite collaboration avec Laurence Bosi, art-thérapeute et fondatrice de l’association Médecins de l’imaginaire.
Le cancer nous touche tous, de près ou de loin, un jour ou l’autre. En France, on estime que plus de deux millions de personnes ont eu un cancer1. Chaque jour, 1 000 nouveaux cas sont déclarés (365 500 en 2011). Le cancer touche un homme sur deux et une femme sur trois. Chez les enfants, le cancer est plus rare, mais cependant, un enfant sur 500 est atteint avant sa 16e année, et l’on dénombre 1 700 nouveaux cas par an. Pour les adolescents (15-19 ans), on compte environ 765 nouveaux cas par an (estimation 2005).
Depuis plusieurs décennies, les pouvoirs publics investissent fortement pour soutenir la recherche. Et l’espoir de guérison, bien qu’il varie en fonction du type de cancer et de l’âge de la personne, s’est considérablement accru. De nombreuses associations se mobilisent pour une meilleure compréhension et une plus grande efficacité dans l’accompagnement des patients, afin d’améliorer leur vie dans la société. On en parle davantage dans les médias et de nombreux artistes, médecins ou autres personnalités publiques évoquent leur cancer.
Le cancer, cette maladie qui prend des allures d’épidémie, n’en est pas moins, à chaque fois qu’elle se déclare, une épreuve personnelle et subjective. C’est toujours à ces deux aspects-là du patient que s’adresse l’art-thérapie.
Au premier chapitre de cet ouvrage, j’ai évoqué le regard quasi mythique et romanesque qu’on portait, au début du XIXe siècle, sur la maladie mentale, exaltant la folie, mise en scène d’une façon qui semblait faire l’impasse sur la souffrance individuelle et réelle des patients. Depuis, les fulgurants progrès de la médecine ont bouleversé notre rapport à la maladie mentale, à la maladie tout court et ont modifié, comme toute avancée scientifique et technologique, notre perception du monde, notre rapport à la culture. Les antibiotiques ont permis de vaincre des maladies autrefois mortelles, on soigne toutes sortes de maladies aiguës, on greffe des organes. Mais en même temps que ces diagnostics et cette technicité très pointus nous sauvent la vie, ils font parfois également l’impasse sur une approche plus globale du malade, c’est-à-dire une prise en compte de son histoire et de ses capacités à prendre en charge une partie du processus de guérison de façon active. Surtout lorsque la maladie nécessite une modification du mode de vie, comme c’est le cas pour beaucoup de maladies chroniques dont le cancer, un accompagnement autre que purement médical est plus que souhaitable.
Notre corps est notre porte-parole, l’incarnation de notre inconscient où siègent nos intuitions, nos émotions et notre créativité. Pourquoi certains, exposés aux mêmes facteurs de stress, ou à ce qu’on appelle un « terrain » héréditaire, développent-ils une maladie et d’autres non ? De nombreuses études cherchent à établir le lien qui existerait entre facteurs psychiques et déclenchement ou processus de guérison de certaines maladies. Quelles que soient nos convictions dans ce domaine, la médecine psychosomatique, apparue à la moitié du XIXe siècle, se situe dans ce champ interdisciplinaire entre les dimensions psychologiques, comportementales et sociales de l’individu et l’état de santé de son organisme. Cette approche globale combine à la fois les traitements chimiques et psychothérapeutiques, plutôt qu’une médecine scientifique et technique très spécialisée, où le corps et la personne sont morcelés.
Le cancer est une maladie complexe et ses conséquences, à la fois somatiques et psychologiques, posent de multiples problèmes aux patients et à leur entourage. La maladie change parfois brutalement le rapport à la santé, au corps, à la vie sentimentale et sociale. Grâce aux progrès de la science, le cancer n’est plus synonyme de mort, et est même considéré davantage comme une maladie chronique « sous haute surveillance ». Toutefois, dans l’inconscient collectif de notre société de consommation, avec ses images liées à la jeunesse et à la santé, la maladie, aussi synonyme de faiblesse, induit un moment d’exclusion réelle et/ou ressentie comme telle, a fortiori pour le cancer, où le corps et l’aspect physique sont souvent atteints de façon tangible. Chez la femme, le cancer touche à des organes fortement investis d’un pouvoir de séduction ou de sexualité, leur atteinte peut donc induire une perte d’identité féminine. Les hospitalisations, la lourdeur des traitements provoquant asthénie et/ou autres effets secondaires, mettent souvent le patient momentanément ou durablement en incapacité de travailler. Il perd ses repères et parfois certaines capacités, il se pose des questions sur sa « part de responsabilité », ressent parfois un sentiment d’injustice – « pourquoi moi ? » –, doit faire face à un sentiment d’impuissance et bien évidemment s’interroge sur ses chances de s’en sortir.
Le dépistage et les traitements évoluent, s’améliorent et se spécifient au cas par cas. Le corps médical évolue en même temps que les avancées scientifiques. Les connaissances accrues en psychologie et les traitements contre la douleur vont dans le sens de plus d’humanité, en complément des progrès techniques.
On en a besoin, car s’il existe depuis fort longtemps une tradition d’accueil et d’accompagnement des patients en psychiatrie, il existe encore trop peu de lieux où l’on soigne « corps et âme » les patients atteints de maladies somatiques et chroniques.
L’émergence de l’art contemporain au siècle dernier (chapitre 1) a modifié les rapports entre l’art et la société et donné naissance à une toute nouvelle génération d’artistes, dotés d’une inscription sociale et politique de plus en plus importante. Les art-thérapeutes, issus de cette génération, occupent ce terrain d’entente possible entre l’art et la science. Les sciences et les arts sont chacun créateurs, créateurs de fonctionnalités, d’agrégats sensibles ; chacun œuvre afin de transcender les idées reçues, les tabous. Chacun tente d’apporter de nouveaux points de vue afin de faire avancer la société, pour le bien-être des humains.
Si la médecine sauve incontestablement nos vies, la psychologie et les thérapies humanistes nous sauvent parfois de nous-mêmes, de nos inhibitions, de nos jugements négatifs et de nos peurs. D’où l’importance de nous soigner « corps et âme », de mettre toutes nos chances de notre côté !
L’art-thérapie intervient dans cet espace entre la maladie réelle et la représentation que le patient s’en forge. Une vision imaginaire ou symbolique, souvent en résonance avec son histoire personnelle. Pour telle personne, cet espace permettra de retrouver une énergie vitale, pour une autre de restaurer son image ou des fonctions altérées, ou encore « juste » de trouver une écoute.
Aujourd’hui, grâce à de nombreuses initiatives, associatives et privées, qui ont réussi à sensibiliser le corps médical, des hôpitaux et centres médicaux ouvrent leurs portes, au sens propre comme au sens figuré, aux méthodes de soin dites « complémentaires » et « paramédicales », dont l’art-thérapie. Cet espoir de mieux accompagner les patients atteints de cancer et les dispositifs pour y parvenir sont au cœur d’un débat pluridisciplinaire, qu’il soit médical et/ou politique, dans lequel l’art-thérapie prend petit à petit sa place.
L’intérêt des pouvoirs publics pour ce sujet est aussi manifeste. Ainsi, en mai 2011, les « 7e Rencontres parlementaires sur le cancer – organisées et présidées par les députés Mme Claude Greff et le Pr. Jean-Louis Touraine, chacun coprésident du Groupe d’études cancer et causes sanitaires nationales, en collaboration avec le ministère de la Culture et l’Institut national du cancer –, avaient pris pour thème « Culture(s) et cancer ». La première table ronde de ce colloque s’articulait autour des imaginaires individuel et collectif du cancer, de l’influence des facteurs socioculturels dans l’appréhension et la compréhension de la maladie, ainsi que du rôle des médias dans la représentation de la maladie et des patients atteints. La deuxième table ronde avait pour intitulé « Culture et cancer : l’art de donner du sens à la maladie ». Les premières interventions étaient centrées sur la culture au service des politiques de santé publique et notamment sur l’expérience du programme « Culture à l’hôpital » mis en place il y a dix ans, et sur la nouvelle convention « Culture et santé » signée le 6 mai 2010. La deuxième partie s’ouvrit sur une question : « L’art : une chance de plus pour guérir ? » Elle offrit, à travers l’intervention de Mme Irina Katz-Mazilu, présidente de la FFAT (Fédération française des art-thérapeutes) et celle de Mme Laurence Bosi, fondatrice de Médecins de l’imaginaire, l’occasion de présenter l’art-thérapie comme un « soin de support » à part entière dans le traitement du cancer. Une vidéo illustrait l’expérience de cette association qui s’est donné comme mission, depuis 2003, de développer des dispositifs d’art-thérapie adaptés à la cancérologie, et apportait, en point d’orgue de cette journée, les témoignages vibrants de patients – petits et grands – et de leurs soignants. Et Mme Claude Greff de conclure : « Nous avons compris que la culture a un rôle clé à jouer à l’hôpital, sinon dans le processus de guérison, du moins en accompagnement, ainsi que dans la relation triangulaire qui existe entre le patient, ses proches et les professionnels de santé. Nous avons perçu que la culture pouvait être un auxiliaire, un médiateur et même, peut-être, un levier essentiel de guérison. »
Dans ce contexte, quel est précisément le travail de l’art-thérapie ? Pour les art-thérapeutes, quel que soit, du reste, le symptôme ou la maladie de leur patient, il s’agit de l’accompagner, à travers le processus de création, vers une transformation dynamique porteuse d’énergie positive et de confiance, en soi et en l’avenir. On imagine à quel point cette approche trouve sa place en cancérologie, dans ce futur immédiat, cette qualité de vie que l’on essaie de rendre meilleure pour soutenir et accompagner le patient dans son processus de guérison. Il ne s’agit pas de « créer des images », de l’illusion, d’occuper l’espace et le temps, mais de créer du sens. L’espoir, cet élan qui nous projette vers un lendemain, en fait partie. Comme pour tout choc ou traumatisme, la médiation créative ouvre la possibilité d’intégrer celui-ci le plus positivement possible, d’approcher la maladie comme une occasion de retour sur soi, de résilience. La maladie nous oblige à écouter cette défaillance du corps qui nous fait signe, nous oblige à ralentir, voire à nous arrêter. L’espace-temps qu’elle ouvre, ou qu’elle impose, peut devenir un moment de remise en question qui invite à mettre un nouvel ordre dans sa vie, un lieu où soigner d’anciennes blessures, où être à l’écoute de ses vrais besoins.
Ainsi, la maladie peut réveiller de vieux rêves et désirs enfouis, ou devenir un chemin d’acceptation, car rien ne sera plus jamais tout à fait comme avant. La maladie est un chemin de vie. Quelle que soit la médiation artistique, l’objet créé, réel ou symbolique, il va devenir cet objet transitionnel entre la maladie et la souffrance du patient, et ce pendant tous les stades de sa maladie, et en fonction des différentes phases de sa vie.
Car, comme on l’a vu tout au long de cet ouvrage, l’art-thérapie permet une relecture de soi, de sa vie et de ses priorités, autrement que par les mots, et ceci est d’autant plus crucial lorsque cette vie semble nous échapper…
Comment donner sens à cet « arrêt sur image » qu’est le cancer ? Car oui, souvent, la première image choc de la maladie est une mammographie, une échographie, un scanner, une IRM, une coloscopie, etc. Bien que cette imagerie médicale soit incompréhensible, « illisible », pour un non-spécialiste, elle signe comme un arrêt de mort possible, aussi inimaginable qu’indicible…
L’art-thérapie va justement, par la stratégie du détour par l’acte créateur, aider le patient à se créer de nouvelles représentations, lisibles et acceptables pour lui et ainsi relancer son énergie.
Une étude néerlandaise, menée par l’institut psycho-oncologique Helen Dowling à Utrecht, au début des années 2000, a permis de constater l’influence positive de l’art-thérapie sur la qualité de vie de personnes atteintes de cancer2. Ces ateliers, proposés à environ 150 femmes, âgées de 21 à 63 ans, avaient pour objectifs de répondre aux besoins spécifiques des participantes, afin de réduire fatigue, stress, anxiété et dépression. La médiation artistique, la création d’une œuvre participe en effet à un processus de pacification face aux stigmates du cancer comme la révolte, la tristesse ou encore l’isolement. Cette expression de soi dans un lieu réconfortant devient aussi l’expression de l’instinct de survie où on laisse une trace, même une seule, même une dernière ! À un moment où le corps lâche et où la pratique d’une activité physique, voire sportive (dont on connaît aujourd’hui les bénéfices sur la santé et le moral), devient plus difficile, l’art-thérapie permet au patient de se centrer et d’explorer ce qui le renvoie à sa propre image, à sa vérité du moment. Les participantes à cet atelier intitulé « Cancer et créativité » ont été interrogées sur les attentes et objectifs de cette activité, depuis le début jusqu’à l’issue de l’expérience. L’atelier s’est déroulé sur deux ans ; l’étude a mis en relation de nombreuses données sociales, médicales et scientifiques, favorisant une lecture claire des résultats et démontrant une nette évolution pour certains objectifs. Par exemple le contact avec d’autres personnes atteintes de cancer a été moins souvent cité lors des post-évaluations, que le développement personnel. La capacité à assumer son cancer, l’expression de son ressenti vis-à-vis de la maladie semblent être les objectifs majeurs atteints par ce dispositif d’art-thérapie testé. Interrogées sur ce que cet atelier a changé dans leur vie quotidienne et dans leur combat contre la maladie, la plupart de ces femmes ont indiqué avoir mieux géré les problèmes liés au cancer. Il a conduit à un meilleur contrôle émotionnel et provoqué une prise de conscience et une créativité accrues. Seules 6 % des participantes estiment que l’atelier n’a pas changé grand-chose, ou évoquent un sentiment de solitude. L’atelier a déclenché un processus qu’elles souhaiteraient poursuivre. L’évaluation du bien-être des patientes avant et après l’atelier a permis de constater une baisse de leur capacité à effectuer les activités de la vie quotidienne. En revanche, l’atelier les a aidées à donner davantage de sens à leur vie et à accroître leur qualité de vie en général.
Une autre étude, américaine, a été menée en 2006 par le Northwestern Memorial Hospital de Chicago auprès de 50 patients, hommes et femmes, souffrant d’un cancer depuis deux ou trois ans et recevant des traitements de chimiothérapie ou de radiothérapie. Les chercheurs ont mis au jour, que parmi plusieurs symptômes liés à la maladie – la douleur, l’anxiété, la fatigue, la dépression, la somnolence, le manque d’appétit –, seule la nausée n’avait pas pu être soulagée par une séance d’art-thérapie. Cette étude, à défaut d’un groupe témoin, n’a pu déceler si d’autres facteurs pouvaient expliquer l’amélioration des symptômes, ni les effets à long terme, comme pour l’étude hollandaise. Il en ressort toutefois que l’art-thérapie, au même titre que les thérapies alternatives comme la massothérapie ou l’hypnose, peut contribuer à améliorer la qualité de vie des personnes atteintes d’un cancer et apporter une forme de soulagement3. Une étude similaire française menée depuis 2011, financée par la Ligue contre le cancer, en collaboration avec, entre autres, le centre régional de lutte contre le cancer François Baclesse de Caen, donnera ses résultats en 2014. Elle porte également sur l’impact positif de l’art-thérapie sur la fatigue et la qualité de vie de femmes atteintes d’un cancer du sein, âgées de plus de 18 ans et suivant un traitement en radiothérapie.
Aux Pays-Bas, à l’hôpital Antoni van Leeuwenhoek, à Amsterdam, l’Institut néerlandais du cancer soigne exclusivement des patients atteints de cette maladie. Il y règne une ambiance ouverte et accueillante, afin de sortir le patient de son isolement. Pour ce faire, on estime qu’il a besoin de trouver une écoute et un accompagnement bienveillants, et pas seulement sur le plan médical. L’équipe soignante est constituée de personnes qui ont choisi cette spécialisation. Elles ont reçu une formation et sont donc particulièrement motivées et efficaces dans ce service spécialisé ! Chaque patient bénéficie d’un plan de soins individuel médico-psychologique. Des ateliers de « thérapie créative », comme on nomme l’art-thérapie aux Pays-Bas, font partie des soins proposés en fonction des besoins et des demandes du patient. Par ailleurs, l’hôpital organise des workshops durant les week-ends (par exemple photographie, monotype, percussions, chant), ainsi que des concerts, auxquels non seulement les patients peuvent participer mais également leurs familles, afin de partager un moment de vie, de plaisir, en dépit de la lourdeur des traitements, de la douleur et de l’inquiétude inhérents à cette maladie. Les ateliers de « thérapie créative » sont ouverts cinq jours par semaine de 9 h 30 à 15 heures. On trouve l’agenda de toutes les activités sur le site de l’hôpital, ce qui permet à tout patient, hospitalisé ou non, de s’y inscrire ou de profiter d’une consultation ou d’une séance de chimiothérapie pour y participer. Le protocole de soins de cet hôpital a pris en compte la spécificité de la maladie, sa résonance particulière sur le patient mais également sur l’environnement de celui-ci, dont ses proches. Le personnel soignant reçoit une formation adaptée qui le dote de compétences et d’une vigilance accrue, face aussi à leurs propres difficultés et souffrances.
Ailleurs aux Pays-Bas, on trouve dans la plupart des villes ce qu’on appelle des « Inloophuizen », autrement dit des « maisons portes ouvertes » pour les patients et leurs proches. Les visiteurs peuvent y venir sans rendez-vous et échanger avec d’autres malades, obtenir des renseignements, se détendre ou participer à une activité. Hormis la présence de personnel bénévole, une équipe de professionnels du secteur psycho-social, dont des art-thérapeutes, propose un accompagnement fait d’écoute et/ou d’activités. Les heures d’ouverture et les programmes d’activités varient d’une maison à l’autre. Ces programmes comprennent des stages, des réunions à thème, des groupes de parole, de l’art-thérapie, des séances de yoga, etc. On pousse tout simplement la porte pour y trouver une activité ou pour rencontrer d’autres interlocuteurs autour d’un thé ou d’un café. Le but de ces activités transversales étant bien sûr d’apporter un soutien, de créer du lien social, de réunir des conditions qui redonnent confiance en soi. Un site regroupe les adresses de ces maisons sur le plan national.
Thierry Janssen, dans Le Défi positif4, écrit : « Si certaines études ont montré un allongement de la durée de vie chez les malades du cancer aidés psychologiquement par des groupes de parole, il ne s’agit pas pour autant de preuves scientifiques […]. Ce qui est indéniable, en revanche, c’est que les émotions positives aident à traverser l’épreuve de la maladie plus sereinement, tout simplement parce que les malades perçoivent leurs symptômes autrement. » Les émotions positives auraient donc une fonction préventive dans l’aggravation de pathologies existantes et empêcheraient d’autres symptômes et maladies de se manifester.
Quel joli nom que « Médecins de l’imaginaire », celui de l’association fondée en France il y a presque dix ans par Laurence Bosi, également art-thérapeute et directrice des programmes de l’association ! Elle s’est donné comme mission d’inscrire l’art-thérapie dans le processus de guérison pour « colorer la vie face au cancer ». Grâce à cette initiative, plus de huit programmes d’art-thérapie, spécifiquement conçus en fonction du contexte de soin en cancérologie, ont pu être pérennisés depuis 2003 dans des hôpitaux et des lieux-ressources pour les patients à Paris et en région parisienne. Dans ces lieux, chaque dispositif d’art-thérapie a été soigneusement préparé en amont et en concertation étroite avec les médecins, cadres infirmiers, psychologues référents et en cohérence également avec les autres intervenants (selon les lieux : kinésithérapeute, ergothérapeute, éducateur, enseignants, socio-esthéticienne, clowns, dames en rose, etc.), afin d’inscrire l’art-thérapie dans la globalité du projet thérapeutique conçu pour le patient. Pérennes grâce à un travail dynamique de recherche de fonds, ces programmes proposés aux enfants, aux adolescents comme aux adultes rencontrent un vif succès depuis leur création. En 2011, plus de 1 000 patients avaient pu bénéficier de ce soutien par l’art-thérapie au cours de leur parcours de soin ou à l’issue de celui-ci, en groupe ou en individuel, « au chevet ». Les témoignages des patients sont sans équivoque, tous parlent de l’art-thérapie comme de quelque chose qui les a vraiment aidés à supporter les traitements et à se ressourcer pour mieux faire face à la maladie. L’espace proposé dans ce cadre par l’art-thérapie est, dans leurs témoignages, « une bulle… une parenthèse… une oasis… un moment pour soi… » qui semble indispensable pour guérir.
Dessin, peinture, écriture, danse, chant, la création artistique, pendant le temps de la séance de groupe ou de la prise en charge « au chevet », détourne l’attention du patient sur quelque chose de plus positif que son « identité de malade ». Comme déjà souvent souligné dans cet ouvrage, l’art-thérapie fait appel aux ressources créatives et à l’élan vital présents en chacun de nous. Elle (ré) instaure la communication et permet, par le travail de symbolisation, une mise à distance de la souffrance et/ou de l’anxiété. Parfois, le patient y découvre des ressources qu’il ne soupçonnait pas, un plaisir auquel il n’avait pas, ou plus, accès et rien que cela peut l’apaiser. Le processus créatif l’aide à rester acteur de sa vie, à un moment où, étant malade, il devient « l’objet » d’investigations et de traitements médicaux souvent lourds. L’atelier constitue un lieu contenant, une parenthèse dans les soins, loin de la technicité médicale, aussi indispensable soit-elle. Ainsi, la séance d’art-thérapie devient l’espace du « tout possible », de « l’encore possible » dans cette vie qui semble tout à coup sans avenir, sans énergie. Ainsi soutenu par l’écoute et la présence de l’art-thérapeute, le patient essaie de faire face aux épreuves physiques et psychologiques. Il amène ce qu’il est et ce qu’il ressent dans l’atelier où l’expression artistique, et le travail de symbolisation, l’aident à se découvrir autrement. Il donnera là forme à des ressentis, jusqu’à parfois utiliser le traumatisme qu’est sa maladie pour mieux rebondir face à la souffrance, face à l’absurdité ou l’injustice ressentie au travers de sa pathologie.
«Laura a trouvé son chemin
Laura, 42 ans, a subi une ablation du sein. Elle n’a pas pu bénéficier d’une reconstruction mammaire, car on lui a récemment décelé des métastases au niveau du foie. Elle est dépressive et prend des médicaments pour cela, en plus de son traitement contre le cancer. Elle ne se sent plus aucun goût de vivre, ni de se lever le matin et de faire ce qu’elle s’estime « obligée de faire ». Seuls ses enfants lui permettent de donner un sens à sa vie. Chaque phrase, chaque pensée est suivie d’un silencieux : « À quoi bon… » Toutefois, elle ressent le besoin de comprendre son cheminement jusqu’à faire appel à un art-thérapeute. Des psychiatres, elle en a vu, elle ne veut plus « juste parler ».
Laura me fait part, en dépit de sa maladie, d’un profond souhait de s’émanciper en tant que femme, d’avoir davantage d’estime pour elle-même et bien sûr, avant tout, elle souhaite guérir, mettre toutes les chances de son côté ! Elle supporte mal son apathie et ne veut pas se « laisser aller ». Elle sait que je ne peux pas la sauver de son cancer, mais que, par contre, je peux l’accompagner pour les problèmes que sa maladie et sa dépression soulèvent.
Au cours de la première séance, pour justement ne pas rester dans l’expression verbale, elle peint son système familial tel qu’elle se le figure, avec simplement des formes abstraites et des couleurs : un fond orange (sa couleur préférée) et des taches de couleurs qui gravitent autour de l’une d’entre elles, qui la représente, au centre. Elle rajoute des noms et des mots-clés et commente ses liens avec chacun, y compris son chien ! Sa peinture nous offre à toutes les deux une lecture assez précise de sa situation, de la place de chacun au sein de sa tribu, qu’elle commente sans hésitation. Lorsqu’on regarde sa peinture, elle réalise à quel point elle se sent seule, bien qu’elle soit très entourée, notamment par sa mère. Elle conclut : « Je suis venue vers vous, car j’ai envie de grandir. »
La deuxième séance, elle me confie qu’elle ne sait pas si elle veut continuer la thérapie. Elle se sent déjà obligée de se battre contre la maladie. On travaille sur tout ce qu’elle se « sent obligée », ce qu’elle subit à cause de sa maladie, tout en se « laissant porter », car c’est sa mère qui s’occupe de sa famille et de ses enfants. Elle ne se sent plus utile pour personne et évoque un vague sentiment de culpabilité, car ses collègues « triment au travail » pendant qu’elle reste chez elle à ne rien faire. Mais lorsque je lui suggère d’imaginer lequel de ses collègues souhaiterait échanger le fait de « trimer au travail » contre son cancer, elle réalise que sa culpabilité n’a pas lieu d’être, que son besoin de se sentir utile vient de plus loin ! Puis on essaie de trouver ce qu’il peut y avoir de positif, ce que ce « temps libre » permet… Laura évoque ses balades avec son chien, son amour de la nature et des arbres, le fait qu’elle a le temps de réfléchir, d’écouter de la musique. Je lui propose de peindre un arbre, un arbre de vie. « Je ne saurai pas faire », affirme-t-elle ! Je guide les étapes de sa production, elle hésite et c’est normal lorsqu’on n’a plus touché de pinceaux depuis l’enfance. Mais son arbre est majestueux et elle est surprise par ce qu’elle a créé. Ce « résultat » est une première petite victoire sur le manque de confiance, sur les croyances négatives qu’elle exprime sur elle-même.
La séance suivante, elle se dit « moins triste », surtout grâce aux antidépresseurs, car elle ne sent pas de changement dû à l’art-thérapie. Je lui explique qu’il est difficile de remettre en question, juste en quelques séances, tout un système de pensées et de croyances, un système familial qu’elle a fait sien depuis des décennies, et que sa maladie est, en elle-même, source de pensées négatives. Elle le sait et avoue que c’est autant son cancer que son manque d’estime pour elle-même, sa peur d’affronter le monde, qu’elle souhaite combattre et changer.
À chaque séance – car malgré son « À quoi bon… », elle revient –, elle me parle longuement avant qu’on passe à la médiation créative, rattachée à quelque chose qu’elle a évoqué et qu’il me paraît important d’aller voir de plus près et/ou qui peut lui procurer un moment de détente. Elle ne semble pas attacher la moindre valeur à ses créations, qu’elle juge « naïves et mal dessinées », mais visiblement, elle me fait confiance et comprend que ce qui se produit l’emporte peut-être sur ce qui est produit. Il lui faudra du temps pour comprendre que ce qu’elle crée lui est destiné, en tout premier lieu, et que je ne suis pas là pour voir je ne sais quel indice ou explication opaque pour elle-même. Petit à petit, notre rencontre et ce qui s’y passe prennent forme, et prennent des formes tangibles, au travers de son travail de création, créations dans lesquelles elle se révèle à elle-même avant tout. Sur un papier de trente centimètres de haut et de deux mètres de long, je lui propose de dessiner son « chemin de vie ». Elle dessine, puis inscrit des mots, écrit des fragments de textes jusqu’au bout de la table, au bout du papier. L’enfance, l’adolescence, les frères et sœurs, l’école et le collège, son mariage, la naissance de ses enfants, son travail dans une grande administration… Les petits plaisirs et les grandes frustrations se suivent et s’entrecroisent. Elle revient en arrière, se souvient encore, modifie les commentaires, rajoute un personnage oublié. « Je ne me suis jamais aimée, je me suis toujours trouvée banale et ma vie avec… Peut-être que j’attends trop de la vie ! » affirme-t-elle en regardant son chemin de vie. De séance en séance, elle exprime avec des mots, des dessins et de la peinture ou du modelage-terre ses doutes et ses quelques certitudes. Laura revisite ses souvenirs et son présent, la nature de ses liens aux autres, son insatisfaction et ses envies, et effectue petit à petit des mises en lien entre certains événements et la vision qu’elle s’en est forgée.
Elle comprend progressivement le système aliénant dans lequel elle s’est laissé enfermer depuis longtemps, les relations fusionnelles enfant-parents, mari et femme, dans lesquelles elle a souvent fait l’impasse sur ses désirs et besoins propres. Je ne suis pas face à une femme atteinte de cancer mais à une femme qui exprime le sentiment d’être passée à côté de sa vie, et ce, bien avant d’être malade. Elle se sent infantilisée, son cancer ne fait qu’aggraver son sentiment d’impuissance, car trop fatiguée, elle a besoin du soutien et de la présence de sa mère. Ses filles semblent être sa seule raison de vivre. C’est pour elles qu’elle se force à se lever, à s’occuper de la maison. Elle réalise qu’elle est autant dans la fusion avec sa mère qu’avec sa fille aînée. « Il n’y a plus de vie de couple, explique Laura, la maladie me sert d’alibi pour ne pas y être. » Le mari semble tellement inquiet de sa guérison qu’il ne comprend pas qu’elle soit dans une quête de sens, au-delà de la guérison. Ce mari (qui a certainement très peur de la perdre), elle en parle comme de quelqu’un dont elle ne ressent pas le soutien et qui ne la surprend plus.
Elle fait une peinture de « son couple » ; d’abord, elle passe beaucoup de temps à gommer son dessin, murmure : « Ce n’est pas ça que je voulais faire », comme si elle ne savait plus à quoi ce couple ressemble. L’homme a les bras ouverts, elle n’arrive pas à placer la femme, gomme et place la tête de la femme contre celle de l’homme. Elle met de la couleur et lorsqu’on regarde ensuite ce qu’elle a peint, on voit deux formes qui se frôlent sans se toucher, des bras ouverts qui ne tiennent personne. Le dessin en dit plus que les mots, elle voit comment la figure de femme figée glisse entre les bras de l’homme et elle redit : « Il n’y a plus de couple… » Elle me dit son envie d’organiser une sortie pour le week-end à Paris en famille et la séance suivante, elle me fait part de sa fierté de l’avoir fait, d’avoir insisté auprès de son mari d’abord réticent. Cela l’a épuisée, mais elle est heureuse d’avoir partagé ce moment avec eux.
Suit une période de doute et de grande fatigue. Laura apprend que sa maladie est « stabilisée », qu’on n’en parlera plus en termes de guérison, qu’il faut qu’elle la considère comme une maladie chronique. Je ne sais pas ce que son cancérologue lui dit, ni ce qu’elle est prête à entendre. Je ne sais pas quelles sont ses chances de rémission, ou si, en fait, je l’accompagne vers la fin de sa vie. D’une séance à l’autre elle est différente, découragée ou pleine de projets d’avenir. « Je veux m’en sortir », dit-elle. Elle souhaite changer de métier, faire un voyage, apprendre l’anglais… Je l’écoute, je suis « de son côté » en avançant avec elle, à son rythme, vers son avenir, sa réalité. À aucun moment je ne lui dis que ceci ou cela sera impossible ou déraisonnable. D’abord parce que je n’en sais rien, et que ce n’est pas mon rôle. Je ne suis pas médecin ! Je veille pour qu’elle continue de suivre de près et ses rendez-vous médicaux et les conseils de son cancérologue et de son médecin. Dans les séances d’art-thérapie, elle parle, elle dessine, elle rit et elle pleure.
Sa mère est repartie chez elle ; c’est fatiguant, mais elle est heureuse en même temps de reprendre sa place. Pour la première fois, elle exprime sa peur de ne pas voir ses filles grandir, de ne pas avoir le temps de « rendre sa vie meilleure » et de montrer une autre image d’elle à ses filles. Laura souhaite tant leur transmettre des valeurs essentielles pour qu’elles fassent quelque chose de beau de leur vie. Elle fait un dessin et écrit au-dessous : « J’aimerais être quelqu’un d’autre que celle que je suis. » C’est un moment crucial de la thérapie, car bien sûr si elle est là, c’est pour qu’elle puisse accepter et aimer « celle qu’elle est ». Je la rassure en disant que sa sensibilité et ses valeurs, elle les transmet depuis toujours à ses enfants en étant ce qu’elle est, en montrant son amour de la vie, même si elle n’aime pas tout de sa vie. « Ma vie n’a jamais été intéressante » est une phrase qui revient souvent. Je lui dis, car je le pense, combien ses filles peuvent aujourd’hui être fières d’elle, ne serait-ce que parce qu’elle a pris sa vie en main, qu’elle trouve le courage et l’énergie de travailler sur ce qui lui tient à cœur en dépit de sa fatigue et de sa maladie. Ce jour-là elle dessine, à partir d’une photo, son autoportrait. Elle décalque, grâce à la lumière de la fenêtre, les traits de son visage sur le papier à dessin avant d’y mettre de la couleur. Le premier portrait ne lui convient pas : « C’est bien moi, ça, regardez comme j’ai l’air désabusé. » Qu’à cela ne tienne, je lui suggère d’en faire un autre, elle cherche ce qu’elle peut changer dans l’expression, avec juste les commissures des lèvres un peu plus vers le haut pour adoucir son portrait. J’insiste pour qu’elle prenne le temps et accorde de l’importance à ce qu’elle fait, c’est-à-dire à elle-même. Cette fois-ci, Laura est contente du résultat. Elle rapporte ce soir-là, pour la première fois, quelques-uns de ses dessins/peintures à la maison, « pour leur montrer ce que je fais ». Terre, collage, photomontage, Laura me raconte sa vie, où tous les protagonistes ne sont pas forcément à leur juste place, et recolle les morceaux là où elle estime qu’il est important de s’attarder.
Les semaines passent et Laura ne manque pas nos rendez-vous, sauf si la fatigue ne lui permet pas de prendre sa voiture. Sa fille aînée a passé plusieurs concours afin de continuer ses études et en a réussi un à Paris. Pour Laura, cette réussite est synonyme à la fois de fierté et d’inquiétude, car elle implique une séparation à la rentrée scolaire. Elle dessine alors en six étapes les moments clés de l’enfance de cette enfant qui va partir, commente avec beaucoup d’émotion le lien qu’elle a avec ses deux filles. Son dessin est simple, « enfantin », comme elle dira, mais ce travail lui permet d’exprimer ses ressentis, de les nommer et de réaliser qu’elle a mené à bien son « travail de maman ». Ce soir-là, elle ne dort pas de la nuit. Elle pleure toutes les larmes de son corps, elle pleure le temps qui ne reviendra pas. Elle pleure le vide de l’absence qu’elle appréhende.
La séance suivante, Laura me raconte qu’après cette nuit-là, elle réalise qu’il faut qu’elle vive sa vie à elle, qu’elle n’est pas seulement une mère mais aussi une femme, qu’il faut qu’elle laisse partir sa fille vivre sa vie à elle. Les semaines suivantes elle se sent moins dépressive, elle se sent presque un peu renaître. C’est le début du changement de regard qu’elle porte sur elle-même, depuis qu’elle a commencé l’art-thérapie cinq mois auparavant. À chaque séance, elle me parle et ensuite dessine, ou écrit. Elle se raconte et plus encore, elle se rencontre. Elle s’est acheté un cahier, comme je le lui avais suggéré, dans lequel elle note tout ce qui est important pour elle, et il ne la quitte plus. Elle ne semble plus considérer sa vie comme un enlisement progressif vers des choses « banales et sans intérêt », dont elle ne voulait pas vraiment. Elle remet beaucoup de choses en question, se projette dans une nouvelle formation professionnelle, se maquille et se coiffe à nouveau. Tout en se plaignant de sa fatigue et de sa prise de poids, Laura est portée par une énergie que je ne lui ai jamais connue. Probablement un savoir profond, intuitif, la pousse à vivre maintenant, tout de suite, parce qu’il y a urgence. À l’hôpital, elle participe à un programme de remise en forme où elle rencontre d’autres malades.
Laura dit se sentir transformée : « Je ne me reconnais plus, j’ose dire les choses, je n’ai plus peur du regard des autres, je m’affirme. » C’est vrai qu’elle est plus vivante que jamais et rajoute : « La vraie Laura est sortie de sa coquille. » En même temps, un nouveau bilan médical sème le doute sur le pronostic de sa maladie : on lui trouve des métastases osseuses, mais elle s’accroche. « Avec un traitement très ciblé, on m’a dit que je peux m’en sortir. » Que lui dit-on, que veut-elle entendre ? Je fais avec ce qu’elle me transmet d’information, d’émotion, j’accueille ce qui lui reste d’espoir. Laura vit dans l’urgence, et probablement aussi dans le déni ; je respecte son choix. Personne ne peut savoir et encore moins juger comment on s’arrange, chacun de nous, avec son instinct de survie, lorsque la fin approche… Laura a voulu rester du côté de la vie, coûte que coûte. Bien sûr, on a évoqué sa peur de mourir pendant l’année où elle est venue me voir dans mon atelier. Laura a dessiné et donné des formes et des couleurs à ses peines, mais aussi à tout ce qu’il y avait eu de positif dans sa vie. Elle a fait un chemin vers elle-même, lui permettant de restaurer l’estime d’elle-même.»
Une des dernières séances, elle m’avouera, très émue : « C’est incroyable ce que la maladie m’a permis… J’ai fait de si belles rencontres, avec des gens formidables ; j’ai compris des choses que je n’aurais pas vues sans elle, parce que je ne les aurais pas cherchées ni reconnues. » Laura a fini par se trouver, elle a fini par aimer davantage ce qu’elle était en dépit de sa maladie. Elle ne s’est avouée vaincue que peu de temps avant que la maladie ne l’emporte. Personne n’a pu la sauver, mais elle est partie sereinement, entourée de ses proches. Je n’ai pas eu le temps de lui dire que, pour moi aussi, ce fut une belle rencontre.
Par Laurence Bosi de Médecins de l’imaginaire
Lorsque j’ai fondé l’association Médecins de l’imaginaire, la vocation première de l’association était, pour moi, d’apporter l’art-thérapie dans le champ de la cancérologie pédiatrique auprès des enfants et adolescents à l’hôpital. Par la suite, l’évidence des besoins m’a amenée à proposer plus largement ce support à petits comme grands touchés par une maladie grave comme le cancer.
En effet, les maladies graves ou chroniques sont de véritables épreuves de vie qui bouleversent souvent, comme nous l’avons vu dans l’histoire de Laura, les repères intimes de la personne (identité, image du corps, estime et confiance). Lorsque la personne touchée est un enfant, un adolescent ou même un jeune adulte, ces repères sont d’autant plus fragiles qu’ils sont en cours d’élaboration et de construction et que souvent, ils n’ont pas encore été à l’épreuve des petites formes de « deuil » que la prise en compte des réalités de la vie quotidienne d’adulte impose à tout un chacun. Face à la douleur, à l’angoisse de mort, aux effets secondaires des traitements, à la rupture sociale imposée par le temps des soins et à la déstabilisation de ses parents, l’unité psychosomatique naissante de l’enfant et de l’adolescent est mise à rude épreuve. Concernant l’impact d’une maladie grave comme le cancer, Simon-Daniel Kipman, psychiatre et psychanalyste qui anime le groupe d’étude de psychologie médicale et de médecine psychosomatique de l’enfant, parle d’ « orage affectif… dont la trace persistera longtemps chez l’adulte, même guéri5 ». On estime aujourd’hui que sur 800 adultes (de 20 à 40 ans), l’un d’entre eux a fait l’expérience du cancer durant son enfance.
Aujourd’hui, tous les soignants s’accordent sur le fait que cette situation d’exception et sa prise en charge thérapeutique contraignante justifient la mise en place d’un accompagnement psychologique soutenu de l’enfant et de sa famille pendant la durée des traitements mais également au-delà, dans le but de consolider le sentiment de guérison. Tous ces efforts doivent tendre à stimuler le processus de « résilience » cher à Boris Cyrulnik : « … cette aptitude à tenir le coup et à reprendre un développement dans des circonstances adverses ». Et ce dernier explique que pour favoriser ce processus, « l’acte de création colmate la brèche, répare la meurtrissure et permet de redevenir soi-même, totalement6 ».
En effet, dans ce contexte, l’intérêt de l’art-thérapie, bien que trop rarement proposée encore, est évident. Inscrit dans le travail pluridisciplinaire de l’équipe, l’art-thérapeute aménage un espace intime dans lequel l’enfant ou le jeune va oser, grâce au processus de création et à la relation de confiance établie au préalable, exprimer et explorer indirectement, « hors des mots », ses craintes et ses espoirs en toute sécurité. Ces créations partagées uniquement avec l’art-thérapeute introduisent une distance avec le vécu souffrant qui pourra ainsi évoluer et se transformer, dans la forme et/ou la matière, au fil des séances. L’expérience de l’art-thérapie contribue alors à redonner confiance à l’enfant ou à l’adolescent, en lui permettant de s’approprier cette « épreuve de vie », en l’intégrant dans son histoire personnelle non comme une blessure qui ne se refermera jamais, mais comme une source de force et d’estime de soi.
Ce fut le premier programme développé par Médecins de l’imaginaire, dans un service de haute technicité médicale, de renommée internationale. J’ai travaillé dans ce service pendant six ans, avant de passer le flambeau à mon adjointe dans l’association, Frédérique Subtil, qui assure désormais les interventions bihebdomadaires auprès des enfants et adolescents de ce service. Au cours de mes années d’intervention, j’ai accompagné plus d’une centaine d’enfants de 4 à 16 ans, deux après-midi par semaine, dans des prises en charge longues.
Les enfants accueillis dans ce service sont soignés pour des leucémies, des cancers des cellules de la moelle osseuse (les cellules de la moelle produisent les cellules sanguines, d’où le terme parfois utilisé de « cancer du sang ») ou pour des déficits immunitaires primitifs (maladies rares). Les leucémies soignées dans cette unité sont des formes sévères nécessitant, outre une chimiothérapie intensive, une greffe de moelle osseuse, et donc un protocole de soins long, avec souvent des effets secondaires lourds appelés GVH (le greffon [G], extrait de la moelle du donneur, manifeste des difficultés à s’acclimater à l’hôte [H] ou individu receveur). Lorsqu’il s’agit de déficits immunitaires primitifs, ces enfants ou adolescents ont déjà un vécu éprouvant de la maladie, qui leur a imposé des hospitalisations régulières depuis la petite enfance, fragilisant leur équilibre par de fréquents bouleversements de leur vie familiale, scolaire et sociale. Pour les parents, le moment de la greffe est un moment crucial chargé d’émotion et d’inquiétude, car la vie de l’enfant est en jeu. Dans le cas particulier de certaines maladies rares, l’échec de la greffe entraîne parfois une aggravation progressive et inexorable des troubles – cas de leucodystrophie – ou des complications fatales. C’est donc souvent une course contre la montre.
L’enfant n’est pas imperméable à ce stress, même si souvent, il essaie de ne pas le montrer et de « protéger » ses proches. Les conditions de la greffe renforcent cet isolement et ce repli de la vie sociale (aux seuls parents et parfois grands-parents), en imposant un changement radical d’univers pour l’enfant qui, tout à coup, ne côtoie, pendant de longs mois, que des adultes.
Concevoir un programme d’art-thérapie adapté pour accompagner les enfants pendant toute la durée du protocole de greffe, dans ce service de haute technicité médicale, était donc un formidable challenge pour la jeune association que nous étions à l’époque. Pendant tout le temps que dure la préparation chimiothérapeutique, l’enfant est dans une chambre stérile dont il ne peut sortir. Les visites sont limitées (interdites aux frères et sœurs), et soumises à des règles très strictes (masque, gants, blouse, nettoyage des jouets). Lorsque la greffe a lieu, il passe dans une chambre encore plus protégée (sous flux laminaire), où son espace vital est réduit à un lit entouré de lames de plastique. Tout objet qui tombe à terre doit être re-stérilisé. L’apparence de ses proches disparaît sous deux blouses, le chapeau et le masque. Puis après quatre à six semaines, l’enfant retourne dans la chambre protégée, pour encore un long moment, avant que ses défenses immunitaires ne lui permettent de reprendre une vie normale. C’est un parcours long et difficile, qui dure en moyenne trois mois, mais il n’est pas rare de suivre un enfant cinq à six mois.
Dans ces conditions, il est souvent très difficile pour ces enfants de dire ce qu’ils ressentent avec des mots, de garder leurs repères temporels et de préserver leur capacité de jouer, de s’évader dans l’imaginaire. Pourtant, on sait que le jeu et l’imaginaire ont une fonction cruciale, notamment pour les plus jeunes, car ils aident à anticiper sans danger des situations angoissantes (on joue au docteur qui fait mal, à la maîtresse qui se fâche) en se les appropriant, diminuant ainsi leur charge émotive. L’art-thérapie présentait, donc dans ce contexte, l’avantage de réintroduire des opportunités de jeu et d’expression de soi, avec la distance protectrice de la médiation. Deux fois par semaine dans le service, mon intervention participait aussi, avec l’école à l’hôpital et tous les autres intervenants du service, à réintroduire des repères temporels et un rythme dans la vie de l’enfant.
D’emblée, il était évident, compte tenu du contexte médical, que les prises en charge devaient se faire en individuel et « au chevet ». En effet, très vite, l’état d’aplasie de l’enfant (fragilité du système immunitaire lié à la chimiothérapie préparatoire de la greffe) ne lui permettait plus de profiter du contact avec d’autres pairs (y compris frères et sœurs) ni de prendre le risque de sortir de sa chambre pour aller vers un espace atelier. La taille de la chambre protégée et celle, encore plus réduite, de la chambre (flux laminaire) dans laquelle se passait la greffe excluaient du projet de dispositif d’art-thérapie beaucoup de supports de médiation artistique, et notamment corporels. L’état de fatigue des enfants ne faisait que confirmer ce premier postulat. Il suggérait également un cadre horaire d’intervention de trois quarts d’heure réduit à une demi-heure, en fonction de l’énergie de l’enfant. Une expérience de musicothérapie avait déjà été menée avec succès et le service avait prévu de trouver les moyens de la continuer. Le choix de la médiation « arts plastiques » fut donc retenu. Restait la contrainte de concevoir, pour le kit créatif dédié à l’enfant, un assemblage de matériaux et outils qui respectent les contraintes d’hygiène et de stérilisation du matériel. La terre fut totalement exclue, ainsi que les pastels et tous les matériaux poudreux qui auraient pu fournir un support potentiel au transport, par voie aérienne, des microbes et/ou bactéries. J’optais donc pour des outils et matériaux de peinture, graphisme et collage, simples et accessibles au jeune enfant (dès 4-5 ans), mais qui pourraient aussi stimuler la créativité des adolescents. Je recherchais des conditionnements individualisés supportant bien, à la longue, le protocole de nettoyage drastique que je m’imposais pour le kit dédié à chaque enfant, afin d’éviter tout risque de contamination.
Une fois ce dispositif matériel défini, le dispositif de rencontre avec l’enfant ou l’adolescent et le cadre de l’espace d’art-thérapie étaient à concevoir avec attention. En effet, je me suis très vite rendu compte que le contexte médical très lourd provoquait souvent des attitudes de (re)fusion très importante entre parents et enfants, parfois à l’extrême, rendant très difficile, pour les uns comme pour les autres, d’envisager une séparation même sur un temps court, sans soulever une souffrance et/ou une culpabilité. Par ailleurs, l’intérieur de la chambre est, dans ce type de service, pour des nécessités de surveillance accrue, ouverte au regard par le biais d’une porte vitrée. Lors de la première rencontre, il est donc très important d’envisager un échange avec l’enfant en présence de ses parents et ce, après avoir pris soin de trouver un moment favorable, afin de ne pas être intrusif dans l’espace intime de la chambre et de leur relation. J’ai constaté, au fil du temps, que de la qualité de cette première rencontre découlait une alliance avec l’enfant comme avec les parents, qui favorisait le déroulement de la prise en charge. Évidemment, le grand enjeu de cette première rencontre d’art-thérapie est de faire admettre à l’enfant comme au parent que le moment de la rencontre avec l’enfant se fera en tête-à-tête. Il est très important de comprendre que dans ce contexte, cette configuration de séparation (même ponctuelle) n’est pas évidente et qu’il faut parfois du temps pour que cela devienne acceptable pour l’enfant comme pour le parent. Une fois cette première base de confiance établie, j’ai cherché à aménager l’espace, souvent avec la participation active de l’enfant, dans le contexte minimaliste de la chambre et même le plus souvent limité, compte tenu de l’état de fatigue de l’enfant, à l’espace du lit et de la tablette.
Il s’agit pour moi de mettre en place un « espace symbolique » d’atelier, avec des repères immuables pour les outils et matériaux, afin que la créativité soit le vrai enjeu de cette rencontre et non la recherche technique. Il est aussi important que cet espace et la relation que nous avons ensemble constituent rapidement un écran de protection invisible, afin que le voyage dans l’imaginaire puisse s’effectuer, sans se préoccuper des soignants venant régulièrement surveiller les constantes médicales (pouls, températures, etc.) ni des intrusions involontaires du regard extérieur par la porte vitrée de la chambre.
Souvent, le premier contact est timide, l’enfant cherche avant tout à me plaire à travers un beau dessin ou à me montrer ce qu’il est capable de faire techniquement. Cela est accueilli avec respect mais sans s’y attarder, de façon à ouvrir d’autres possibles, dans lesquels il pourra trouver plus de ressources que dans ce qu’il sait déjà faire. La découverte des outils et l’exploration des matériaux, notamment les premiers jeux avec la couleur, aident à briser la glace. S’il est un jour plus fatigué, il sait qu’il peut utiliser mes mains et leur dire ce qu’elles doivent faire pour lui. C’est ainsi qu’au fil des séances se consolide ce cadre rassurant grâce auquel se développent très naturellement, chez l’enfant ou l’adolescent, des processus d’expression, de création et de re-création libres, baissant ainsi sa tension intérieure accumulée et restaurant son équilibre mental.
«Thomas passe au trait
J’ai ainsi le souvenir de Thomas, petit garçon de 7 ans, qui dut subir plusieurs protocoles de traitements très lourds avant que le processus de guérison ne soit enfin consolidé. La relation mit quelque temps à s’installer et au cours des premières séances, il me semblait surtout que Thomas voulait avant tout me faire plaisir. Tout d’un coup, après une série de peintures « sages » et tout à fait en phase avec ce qui pouvait être attendu à son âge, il m’annonça qu’il ne voulait plus de la peinture et surtout plus de la couleur, sous quelque forme que ce soit. Cette évolution n’étant assortie d’aucun mouvement anormal sur le plan de l’humeur, je ne m’en inquiétai pas et au contraire, encourageais son investissement personnel. Je lui proposai que nous n’utilisions que le crayon mine. Au fil des créations, en noir et blanc, Thomas commença à me montrer son monde imaginaire. Au bout de quelque temps, je me rendais compte que l’écran de la feuille était devenu pour lui un support incroyable sur lequel il contrôlait ce qui lui arrivait par un trait très précis, et en exerçant des capacités exceptionnelles de concentration, qui lui permettaient de penser ses personnages et éléments de décors avec un souci extrême du détail. Je me souviens précisément d’un cow-boy à cheval dont l’exécution fit l’objet, à son initiative, de nombreux échanges afin d’arriver à traduire l’image en 3D qu’il avait dans la tête. Ainsi Thomas, objet de traitements extrêmement complexes, devenait, avec le support de l’art-thérapie, capable de concevoir et de maîtriser des dispositifs visuels complexes, reprenant ainsi confiance dans sa capacité de se recréer après cette aventure éprouvante.»
Au cas par cas, le spectre large des outils et des matériaux aide ainsi à aborder, de façon symbolique et ludique des aspects problématiques de ce que ces enfants ont à affronter. L’une des formes de peinture proposées, par exemple, dans la boîte kit dédiée à l’enfant, est une gouache épaisse qui se mélange sur le support palette de petites assiettes en carton. Parfois, l’alimentation de l’enfant est troublée voire interrompue par les traitements. Une nutrition parentérale la remplace alors et lorsque cela dure un moment, la reprise de l’alimentation est un cap difficile et inquiétant pour l’enfant. J’ai constaté à plusieurs reprises que, dans ce contexte, les enfants amenaient d’eux-mêmes cette question par l’intermédiaire du matériel, et que le mélange des gouaches dans l’assiette stimulait l’imagination visuelle et/ou les sens gustatifs. J’ai ainsi de nombreux souvenirs d’enfants, le temps d’une ou plusieurs séances, absorbés à concevoir, sur l’espace de la feuille ou même directement dans l’assiette des mélanges, une petite cuisine agréable et colorée. Grâce à elles, ils évoquent leurs goûts et inventent, à travers la création picturale, des recettes originales ou retrouvent les valeurs rassurantes de la cuisine familiale. De même, introduire la peinture dans un univers où tout est stérile, permet à certains enfants devenus extrêmement craintifs, de jouer par le biais des taches et des débordements, sans danger vital avec le rapport sale/propre. Dans tous les cas, cet accompagnement attentif favorise, de façon ludique, le retour à des capacités biologiques, motrices ou intellectuelles parfois fragilisées par la fatigue et les effets secondaires des traitements.
Ce qu’il est important de noter, c’est que quoi qu’il advienne au cours de ces séances avec ces enfants, nous avançons pas à pas à leurs côtés, sans parole souvent ou le strict minimum, et surtout sans chercher à franchir les limites qu’ils nous montrent. Quel que soit leur âge, dans ce contexte extrêmement complexe de la maladie et lorsque le diagnostic vital est en question, ils mettent en place des mécanismes de défense parfois un peu rigides mais, en tout état de cause, souvent indispensables à leur survie psychique. Le travail d’art-thérapie peut, sur le long terme, favoriser un assouplissement de ces mécanismes, mais cela ne doit advenir qu’à l’initiative du patient quand il se sent prêt à lâcher ce qui le rassure pour trouver un aménagement moins coûteux psychiquement. C’est la partie très intéressante de notre travail dans ce champ, celle qui consiste à affiner notre écoute et notre observation des mouvements inconscients et à être là pour recevoir et contenir les affects lorsqu’ils s’expriment, sans jamais les provoquer, mais en favorisant leur expression symbolique.
Parallèlement à ce travail fondateur auprès des enfants, sept autres programmes ont vu le jour, pour les enfants, les adolescents, les jeunes adultes et aussi pour les femmes touchées par le cancer. Ils ont été animés par la même exigence de départ, celle de concevoir des dispositifs spécifiquement adaptés aux besoins des patients, à leur vécu de la maladie et au contexte de soin ou de post-soin du lieu dans lequel se fait la prise en charge. Chaque dispositif proposé prend donc en compte une ou plusieurs médiations artistiques (contes, mouvement dansé, écriture, improvisation théâtrale, arts plastiques, musique, voix), en réponse à une analyse préalable pointue. L’approche spécifiquement innovante de l’association, dans ce contexte de la maladie « cancer », a été de ne pas se limiter à instaurer ça et là un atelier, mais de chercher dès le départ à inscrire ce travail dans une recherche approfondie et dans une vraie aventure humaine. Et donc de se doter des moyens d’établir des collaborations dans la durée avec les services, et de constituer une équipe d’art-thérapeutes professionnels et un cadre de travail pour réfléchir, échanger, améliorer et construire une pratique spécifique dans ce champ. Aujourd’hui, la légitimité et l’expérience de l’association Médecins de l’imaginaire sont reconnues, ce qui constitue une plate-forme solide pour développer cette contribution innovante au bien-être des patients et de leurs familles.
L’art de la médecine et l’art tout court ont visiblement des choses à faire ensemble… L’idée que la créativité au sens large et les médiations artistiques en particulier puissent constituer un levier dans le processus de guérison, et de façon complémentaire aux traitements médicaux de plus en plus pointus et personnalisés, est ce pour quoi les art-thérapeutes se mobilisent. Si les effets bénéfiques d’œuvres d’art exposées à l’hôpital, l’impact des couleurs et de l’imaginaire, qui font partager autre chose que la maladie aux patients comme à tous les acteurs du corps médical, ne sont plus à démontrer, les enjeux de l’art-thérapie sont bien évidemment d’une tout autre nature, beaucoup plus intime et individualisée, bien au-delà d’un simple bénéfice esthétique.
Avec l’art-thérapie, selon les contextes, toutes les formes d’expressions artistiques peuvent aider le patient à se détendre, à exprimer des émotions fortes, à centrer son attention sur une expérience positive et à retrouver un sentiment d’intégrité. Elle ne peut prétendre apporter un soulagement des traitements et de la douleur des effets secondaires, mais elle permet au patient de demeurer actif, créatif et de prendre de l’énergie vitale dans ces processus, et en ce qui concerne les enfants, de continuer de grandir dans leur tête.
Si la médecine et les traitements sont indispensables à la survie du patient, l’accompagnement humain et le support de l’art-thérapie le sont pour l’aider à intégrer ensuite cette maladie dans son parcours de vie. Il existe des lieux en France, et ailleurs, comme on l’a vu, qui font la démonstration que l’art de la médecine et l’art tout court ont des choses à faire ensemble !
Les art-thérapeutes, avec leur double compétence artistique et thérapeutique, ne demandent pas mieux !
1 Source INCA, La Situation du cancer en France en 2011.
2 Revue francophone psycho-oncologie, rapport Springer-Verlag, 2004, vol. 3, n° 1, p. 19-24.
3 Journal of Pain and Symptom Management, C-health, www.nmh.org, http://xn--passeportsant-nhb.net/.
4 Thierry Janssen, Le Défi positif, Les liens qui libèrent, 2011.
5 Simon-Daniel Kipman, L’Enfant et les Sortilèges de la maladie, Stock, 1981.
6 Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur, éditions Odile Jacob, 1999.