Avant-propos

Quand j’ai achevé la rédaction de mon troisième opus de la série Réseau Ambassador, Double jeu, j’ai pris quelques jours de repos pendant les fêtes de Noël 2015. J’en ai profité pour effectuer des recherches sur Internet au sujet de la Seconde Guerre mondiale dans l’idée d’écrire, peut-être, une nouvelle série d’espionnage se passant durant cette période.

Très rapidement, mon pressentiment s’est confirmé. Il y avait une matière historique des plus intéressantes et nouvelle concernant la Suisse et la France voisine. Je découvrais en quelques jours que le rôle de nombreux Suisses en faveur des réfugiés et celui du service de renseignement de l’armée suisse, le SR, avaient été non négligeables au profit de la Résistance et des Alliés.

J’avais en main ma nouvelle série : Les Espionnes du Salève. Le Salève est la montagne en territoire français au pied de laquelle se trouve le sillon de la frontière franco-suisse, qui fut maintes fois traversée en ces temps obscurs.

Comme ma nouvelle série n’était prévue que pour l’automne 2017 et qu’entre-temps je devais rédiger le 4e volume de ma série Réseau Ambassador, Xtrême préjudice, je laissai ces premières recherches et ces prémices encourageantes, et plongeai avec délectation dans mon travail d’écriture.

Les fêtes et les semaines passèrent et je me remis à mes recherches plus en profondeur pour Les Espionnes du Salève.

Je ne pensais pas découvrir tout un pan de cette période dont peu d’historiens se sont emparés à ce jour. C’est comme si de 1945 à la fin des années quatre-vingt-dix, une version stéréotypée de la Résistance française et du rôle de la Suisse avait été sculptée dans la pierre pour toujours, ne laissant qu’un choix entre le blanc et le noir.

C’est ainsi que jusqu’à l’an 2000, d’une manière grossière, on estima que la Résistance, c’était de Gaulle. Par ailleurs, la Suisse était considérée comme un pays traître, collaborateur et sans honneur à la botte d’Hitler, etc.

Même la commission d’historiens suisses chargée d’enquêter sur le passé de la Suisse en ces heures sombres suite au scandale des fonds en déshérence tomba dans le travers du blanc ou noir.

Finalement, ces prises de position manichéennes poussèrent certains historiens à refouiller cette période et à montrer que les choses sont loin d’être aussi tranchées.

D’ailleurs, c’est au même moment que des historiens français comme le professeur Robert Belot ont commencé à affiner leurs analyses de la Résistance et à montrer que tout était fait de nuances. De 1940 à 1942, on pouvait être pétainiste, le maréchal Pétain ayant été élu chef de l’État avec une majorité écrasante, et résister contre l’envahisseur.

Depuis une vingtaine d’années, des deux côtés de la frontière, des historiens cherchent à sonder un passé trop longtemps enfoui.

En Suisse, c’est le docteur Christian Rossé qui a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Belot qui a certainement été un pivot fondamental de cette nouvelle histoire de la Seconde Guerre mondiale. C’est ainsi qu’il a disséqué tous les documents disponibles sur le sujet et a pu démontrer que le service de renseignement suisse avait joué, au final, un double jeu. D’un côté le SR se disait respecter la neutralité totale exigée par le Conseil fédéral et la Charte de La Haye de 1907, et de l’autre, il était extrêmement actif avec les autres services de renseignement alliés et les représentants de la Résistance sur tout le territoire helvétique.

En même temps, l’histoire qui a voulu montrer du doigt les Suisses comme des collaborateurs patentés a complètement occulté une réalité : de nombreux frontaliers, suisses et français, face à l’horreur nazie, ont mis en place des filières de refuge en terre helvétique à l’abri du regard des autorités politiques.

Aujourd’hui, une des grandes spécialistes des réfugiés juifs à Genève, madame Ruth Fivaz-Silbermann, suivie par Serge Klarsfeld, considère que le nombre de réfugiés juifs refoulés ne dépasse pas les 8,4 %. Même si cela reste humainement trop, cela ne fait pas des citoyens français et suisses frontaliers d’horribles collaborateurs ! Cela signifie que plus de 90 % ont trouvé un havre de paix en dehors de toute loi discriminatoire à l’époque.

De même, cela fait très peu de temps que des historiens admettent que Genève fut la plaque tournante de l’espionnage pendant la Seconde Guerre mondiale. Si des agents allemands étaient présents sur le sol suisse en grand nombre, de nombreux services de renseignement alliés s’étaient regroupés dans les grandes villes, Genève ayant un rôle des plus importants, et ils collaboraient avec le SR suisse dans le but de vaincre les nazis ! Ils y trouvaient un refuge hors répression allemande, des lieux de passage, et un endroit de ravitaillement en tout genre dont des moyens financiers étrangers, transitant par des banques privées genevoises.

C’est en raison de toutes ces nuances récentes révélées par certains historiens français et suisses que j’ai sous-titré ce premier tome de la série Les Espionnes du Salève : l’envers du miroir.

Le seul regret que nous pourrions nourrir pour une meilleure connaissance de la période, c’est que de nombreuses archives ont été soit détruites (accidentellement ou volontairement), soit restent inaccessibles sous des motifs de secret-défense.

Par ailleurs, de nombreux témoins sont restés discrets sur leur propre rôle pendant cette période, considérant qu’ils avaient simplement accompli leur devoir d’êtres humains. C’est ainsi que certains noms sont cités dans différents livres, mais il est impossible d’obtenir plus d’informations sur ces personnes.

Enfin, les quelques survivants de la guerre encore en vie aujourd’hui s’en vont peu à peu, étant nés pour la plupart d’entre eux dans le début des années 1920. Que restera-t-il de cette mémoire dans une dizaine d’années ?

C’est pourquoi dans mon premier opus des Espionnes du Salève, je me concentre sur la période la moins explorée jusqu’à nos jours, 1940-1941, qui contrairement à ce que l’histoire affirmait encore il y a une vingtaine d’années, a vu une résistance locale spontanée se mettre en place. Certains historiens estiment à environ 6 à 8.000 le nombre de résistants durant cette période en France.

De même, pour rendre justice à tous ces hommes et femmes de l’ombre qui, hors de toute conviction politique et religieuse, ont porté secours spontanément à d’autres humains et ont apporté toute leur aide à toute forme de lutte contre la barbarie nazie, j’ai décidé qu’une grande partie de mes héros seraient des personnes ayant existé. Comme leur anonymat presque total ne nous donne que peu d’éléments sur eux, je leur invente une nouvelle vie et les ressuscite en quelque sorte dans ce livre qui, tout en restant un roman d’espionnage et un livre de fiction, veut aussi rendre hommage à ces justes Suisses et Français de l’ombre.

Enfin, j’ai une reconnaissance immense envers le docteur Christian Rossé qui non seulement est un des meilleurs spécialistes du sujet, mais m’a ouvert ses connaissances et m’a apporté soutien et conseils. Par ailleurs, il a accepté la tâche de rédiger une préface dans le but de replacer cette saga d’espionnage dans son contexte historique. Qu’il soit ici chaleureusement remercié pour toute sa patience, son indulgence face à un néophyte et surtout pour avoir tant apporté en véracité à ce roman d’espionnage et me permettre ainsi de rendre hommage à tous ces hommes et femmes.

Enfin, j’encourage ceux qui souhaitent en savoir plus sur cette période, ces nouveaux éclairages et les péripéties de mes recherches, à lire en fin de ce volume : Le roman du roman.

Cela ressemble fortement à un making of dans lequel je raconte ma quête de renseignements précis dans les livres d’historiens, mais aussi et surtout mon périple en région genevoise auprès de certains témoins ou filles et fils de témoins. Enfin, j’y ajoute une bibliographie essentielle.

 

MARK ZELLWEGER

Pully, le 8 août 2017