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Ruth et Sev poursuivirent leur virée bretonne pendant plus de trois semaines. Après être restées une bonne dizaine de jours à Brest à espionner assidûment l’arsenal, elles reprirent le train pour rejoindre le sud de la péninsule et atteindre la ville de Saint-Nazaire.

Cette destination n’était pas prévue au départ de leur mission, mais certains de leurs contacts à Brest leur avaient fait savoir qu’il y avait des activités militaires importantes dans cette ville portuaire. Si elles désiraient vraiment se rendre compte de la puissance maritime nazie en France, elles devaient impérativement y aller.

Les deux Louves se rendirent compte rapidement que l’information tenait la route. Il y avait de nombreux mouvements dans le port. Elles y restèrent une bonne semaine puis, les bottes allemandes se montrant trop nombreuses à leur goût, les deux jeunes femmes repartirent pour « rentrer au bercail », comme elles se plaisaient à le dire. Si elles aimaient voyager, elles appréciaient beaucoup rentrer à Genève qui était devenue en peu de temps leur repère, leur abri.

Le lendemain, les deux espionnes firent passer un billet à Hannah lui signalant que « les pigeons étaient de retour ». Elle savait ce que cela signifiait.

Elles reçurent en retour un rendez-vous trois jours plus tard le long du quai des Eaux Vives à Genève. Elles s’y rendirent, chacune depuis son domicile afin de vérifier si les quais étaient bien fréquentés.

Ruth arriva la première et s’assit contre le parapet qui protégeait le quai des brisants violents en hiver. Elle n’avait remarqué personne de suspect. Hannah arriva, alors que Sev se trouvait une trentaine de mètres derrière elle sur sa bicyclette. Ruth se redressa et les trois marchèrent comme de vieilles amies, qu’elles devenaient, qui bavardent un après-midi. Sev et Ruth avaient leurs mains sur leurs guidons et encadraient leur chef qui pourrait ainsi les entendre toutes deux lui raconter leur odyssée bretonne.

— Que je suis heureuse de vous revoir, les filles ! Mon cœur s’est remis à battre quand j’ai reçu votre message. Vous êtes parties longtemps.

— Et on a fait court, tu sais ? fit Sev. Si on veut vraiment revenir avec des éléments précis et pertinents, on doit prendre le temps pour investiguer sans se faire trop remarquer ni se faire choper.

— Ce n’était pas un reproche ! Je suis contente que vous soyez là. Rien de grave ne vous est arrivé ?

— Non, Hannah ! Rassure-toi, nous rentrons en pleine forme et on ne nous a fait aucun mal, fit Ruth qui savait comment s’y prendre avec Hannah qui développait pour elles deux un lien maternel.

— Je suis idiote, mais je me suis inquiétée. Je sais très bien que vous êtes fortes toutes les deux, mais je sais aussi à qui vous avez affaire. Et loin de moi l’idée de minimiser les risques que vous prenez. Alors, racontez-moi !

— On va te la faire courte. Ce qui importe pour toi et nos collègues des services est le plus important. Nos diverses péripéties sont drôles, mais secondaires. À Brest nous nous sommes approchées de très près de l’arsenal qui abrite des cuirassés allemands. Il y en avait trois dont un en réparation. Ce sont des sacrés engins avec des armes lourdes. Quand on est parties, il y en a un qui quittait le port.

— Tu as noté les noms ?

— Tiens, voilà c’est marqué dessus, fit Ruth en lui tendant une feuille de papier quadrillé.

— Alors, il y a le Scharnhorst, le Gneisenau et le Prinz Eugen, c’est ça ?

— Exactement.

— On aurait dû revenir tout de suite ici, mais à Brest on nous a parlé d’une base de sous-marins à Saint-Nazaire tout au sud. Alors, on y est allées.

— Et alors ?

— On a appris que la 7 Unterseebootsflotte, la flotte sous-marine numéro 7, s’était installée là avec l’arrivée du U-46 le 29 septembre. Quand on y était, il était accompagné des U-45, U-47. U-48 et U-49. C’est marqué sur la feuille.

— Waouh !

— Tu l’as dit ! fit Ruth. Tu comprends pourquoi on est restées. Et encore…

— Tu ne sais pas tout, compléta Sev.

— Ah bon ?

— Figure-toi que les Allemands ont décidé de construire une base sous-marine l’année prochaine protégée des bombardements, et d’autres U-boots vont venir !

— Eh bien, quand vous partez à la pêche aux renseignements, c’est du gros qui vient, s’exclama Hannah, épatée par le résultat. Je sens que certaines personnes vont apprécier ce que je vais m’empresser de leur communiquer ces prochaines heures. Et vous, quoi de neuf ?

— On va bien. On a juste besoin de quelques jours de repos, de remise en forme et nous serons prêtes à repartir si tu nous en donnes l’ordre.

— On va déjà débriefer ça et on verra si nous devons vous envoyer quelque part tout de suite ou plus tard. En attendant, récupérez, car je sais que cela a certainement été plus difficile que vous ne voulez bien me le dire.

— D’accord, Hannah, fit Sev qui l’embrassa sur la joue, monta en selle et disparut comme elle était arrivée.

Ruth fit de même.