Sandor Radó achevait l’installation complète de son réseau d’espions à Genève, Lausanne et Montreux. Il faisait cavalier seul dans ce monde des services de renseignement basés en Suisse romande. Il fallait dire que son profil ne pouvait que susciter de la part des réseaux alliés une certaine méfiance.
Ce Hongrois d’origine né à Ujipest, banlieue de Budapest, à la toute fin 1899 était un fervent adepte de la révolution d’octobre 1917 et le responsable du GRU à Genève. Par conséquent, les Alliés qui avaient connaissance de son existence s’en méfiaient comme de la peste en raison du pacte germano-soviétique qui avait été considéré par plusieurs puissances comme un coup de poignard dans le dos de la part de l’oncle Staline.
Néanmoins, le SR suisse lui fichait une paix royale et gardait des relations polies avec lui. Par ailleurs, les chefs du GRU à Moscou n’étaient pas du tout convaincus que cet accord fût une bonne chose pour l’Union soviétique ni qu’Hitler ne leur ferait pas un coup tordu à la première occasion.
Le GRU avait déjà été prévenu par des sources japonaises fin 39 que le chancelier allemand envisageait d’attaquer la Russie dès qu’il en aurait fini avec l’Europe occidentale. Cela avait été répété durant l’année 40, et en fin d’année des bruits persistants parvenaient à leurs oreilles qu’un plan avait été établi en ce sens.
En ce début d’année 1941, Radó, conscient de l’urgence, achevait d’organiser son équipe, à commencer par ses postes émetteurs et récepteurs.
Dès avant la guerre, l’Union soviétique, craignant toute attaque contre elle, avait déjà installé un poste de transmission sur les hauteurs de Montreux, à Caux précisément. Ce poste était pris en main par une des meilleures sans-filistes du GRU, « Sonia », de son vrai nom Ursula Kuczynski.
En 1939 elle avait recruté un certain Alexander Foote, membre des brigades internationales et du parti communiste britannique. Il commença son action en Suisse en devenant l’amant de « Sonia » qui le forma au métier de sans-filiste. Fin 1940, il fut décidé par Radó qu’il fallait un poste émetteur et récepteur à Lausanne et « Jim » alias Alexander Foote fut désigné.
Il s’installa au dernier étage d’un immeuble dénommé la Longeraie en haut de la rue de la gare. Une antenne trônait sur son toit.
À Genève, Radó ne chômait pas. Il fit la connaissance d’Edmond Hammel, un sympathisant communiste de Carouge et commerçant de pièces électriques et électroniques, qui lui monta un appareil des plus sophistiqués et l’installa à la place des Eaux Vives.
Le réseau ne s’arrêtait pas là et bénéficiait de nombreux relais internationaux.
Par ailleurs Radó pouvait compter sur plusieurs contacts tant à la chancellerie allemande qu’à la légation de France à Berne ou à Berlin.
Bernard Cuénoud, chef du Bureau F au SR, avait déjà rencontré Alexander Radó. Il estimait important de garder un certain contact avec lui, en cas de besoin, sans pour autant considérer nécessaire d’aller plus loin.