Comme convenu, Fernand Nappey s’était renseigné auprès du bureau de Lyon sur les membres de la pègre locale. On lui avait donné le nom d’un certain Dédé le perce-muraille considéré comme le maître pour ouvrir un coffre-fort.
Il s’était déplacé pour le rencontrer et lui avait présenté la situation à la banque Lombard Odier. L’homme l’avait écouté attentivement. Puis il lui avait dit :
— Pourquoi vous voulez un ouvreur de coffre alors que la chambre des coffres est fermée par une porte blindée et sécurisée ? Il serait bien plus simple que quelqu’un vous fasse entrer dans la salle. Je ne suis pas équipé pour ce genre de porte.
— Vous ne voulez pas vous en charger ? avait demandé l’agent.
— Les risques sont inconsidérés par rapport aux gains. Cela n’a aucun sens. Sincèrement, le plus simple c’est de passer par l’intérieur.
Ce fut ainsi que Fernand Nappey exposa le résultat de ses investigations à Robert Bonnard qui en fut déçu. Il prit le temps de réfléchir à l’affaire. Il se rendit compte que cela ne valait pas la peine non plus de se monter martel en tête et de prendre des risques inutiles pour une affaire de justice.
Par contre, il n’avait pas l’intention d’abandonner. Il s’était mis alors à épier les différents employés de la banque, se disant que chacun pouvait avoir ses petits secrets. Cela lui prit quelques jours, mais son attente fut récompensée.
Un des cadres dirigeants, monsieur Georges Ferrier, avait une maîtresse alors qu’il était marié et était considéré dans toute la communauté protestante de la ville comme quelqu’un d’important.
Robert Bonnard et Fernand Nappey le suivirent un jour et l’approchèrent. L’agent du SR lui exposa clairement le marché. Il se chargeait d’échanger les tableaux volés contre des affiches de peinture sans valeur. Il pouvait laisser les toiles dans un autre coffre en attendant qu’elles soient rendues à leurs propriétaires. S’il acceptait, les agents renonçaient à révéler sa double vie à sa femme et à son entourage.
Dans un premier temps, l’homme quelque peu bravache refusa toute idée d’un accord. Robert Bonnard se montra plus coercitif qu’il n’était et le menaça physiquement. Il lui fit aussi miroiter qu’en les aidant il se rendait responsable de la réparation d’un acte injustifiable et parfaitement répréhensible.
Finalement, pesant le pour et le contre, l’homme céda et accepta la mission qui se trouvait sans danger. Vu son rang, il accédait à la salle des coffres sans en référer à qui que ce fût.
Quelques jours plus tard, Robert Bonnard, qui avait obtenu des affiches de peintures de différents musées, les apporta à la rue de la Corraterie et les remit à monsieur Ferrier.
Ce dernier fit l’échange le lendemain en fin de journée. Par mesure de sécurité, il préféra stocker les toiles de maître dans une autre salle du sous-sol à l’accès réservé. Elles ne craignaient absolument rien à cet endroit, mais se trouvaient hors de la salle des coffres si quelqu’un souhaitait engager une quelconque enquête.
Ferrier avait accepté d’aider ces agents du contre-espionnage aussi parce qu’il se doutait bien que l’officier allemand n’aurait aucun intérêt à faire un esclandre vu la provenance des chefs-d’œuvre dérobés. Il se demandait même s’il oserait se plaindre à la direction, mais n’y croyait pas.
En tous les cas, l’affaire avait trouvé un arrangement. Restait à savoir comment se passerait le prochain passage du commandant Johannes Braun.