Pendant que le commandant des pompiers de Paris s’accrochait avec celui de la Gestapo, la première vague des véhicules de pompiers rentrait dans les casernes concernées. Certains camions se rendirent à Grenelle et d’autres continuèrent vers la caserne de Sévigné dans le 4e arrondissement.
Un véhicule de ce bataillon fit halte à la hauteur de la rue du Roi de Sicile. Un des pompiers prit la parole.
— Comme promis, on vous pose là. On vous attend au numéro 12 au 3e étage.
— Merci encore, fit Sev qui réalisait qu’une poignée d’hommes courageux avaient risqué leurs vies pour elle.
— Cachez-vous bien et quittez Paris dès que possible. Moi, je ne vous ai jamais vue, je ne vous connais pas !
L’homme lui sourit. Il l’estimait d’avoir été ainsi torturée sans avoir rien lâché. Il repartit non sans avoir repris la veste et le casque de pompier.
Sev entra dans l’immeuble, monta aussi rapidement qu’elle put et sonna à la porte des Jacob. Ruth lui ouvrit.
— Entre vite.
La jeune Juive de Paris referma aussitôt la porte. Puis elle se tourna vers sa camarade de combat qui s’écroula dans l’entrée du trois-pièces de la famille. Aussitôt, le père s’en mêla.
— Poussez-vous que je l’ausculte !
Il la porta jusqu’au canapé du salon et la posa. Sev reprit conscience. Marek Jacob lui sourit.
— Vous ne craignez rien ici. Je suis le papa de Ruth. Sev répondit à son sourire.
— Je voudrais vous examiner afin de me rendre compte dans quel état ils vous ont laissée. Votre visage est horriblement déformé, mais cela ne veut rien dire. Est-ce que vous m’autorisez ?
— Bien sûr, docteur Jacob.
Son visage se contracta, la douleur étant très présente. Alors que Ruth et sa mère s’étaient éloignées et se trouvaient dans la cuisine, le médecin commença son examen médical. Il arracha quelques petits cris à sa patiente quand il appuyait sur une partie meurtrie par Oskar Kurz.
Quelques minutes plus tard alors qu’il semblait avoir fini, Sev, qui ne pouvait attendre, lui demanda :
— Alors ? C’est grave ?
— Ça aurait pu être pire. Je ne m’inquiète pas pour tous ces hématomes, ce sera douloureux quelques jours, mais cela partira vite. Vous avez l’humérus qui a été fracturé. Des côtes ont été aussi cassées et c’est ce qui va vous faire souffrir le plus. Les coups portés sur vos pommettes ont fait des dégâts, mais je ne sais dans quelle mesure. Votre nez a été brisé. Enfin, la suture de votre jambe droite me semble plutôt bien exécutée. Rien à dire.
— Qu’est-ce que je dois faire ?
— Je vais poser une attelle à votre bras gauche. Pour l’immobiliser et lui permettre de se réparer le temps que vous puissiez retourner en Suisse. Je vais vous faire un bandage compressif du torse pour limiter les douleurs. Pour les pommettes et le nez, je préfère qu’on vous examine à l’hôpital à votre retour. De toute façon, ici je ne peux rien faire et je ne suis pas un spécialiste de cette chirurgie. Le plus important c’est de vous reposer. Après on verra.
La famille installa Sev confortablement dans la chambre de Ruth. Madame Jacob prépara à manger du mieux qu’elle put vu le peu de tickets de rationnement dont elle disposait. Ils mangèrent tous ensemble, sauf Sev. Le médecin exigea qu’elle reste au repos complet. Ce fut Ruth qui lui apporta à manger sur un plateau et l’aida à grignoter.
Puis après lui avoir ôté sa robe, elle lui passa un pyjama et la laissa dormir.
L’espionne arménienne dormit presque sans discontinuer les trois jours suivants. Quand elle se sentit mieux, elle décida de se lever de temps à autre. Se redresser la faisait souffrir au niveau des côtes. Mais une fois debout, si elle restait stable, c’était gérable.
Elle commença à récupérer de façon très satisfaisante dès le quatrième jour. Ses pommettes, son nez et ses côtes restaient douloureux. Le docteur Jacob lui avait mis à disposition des calmants en cas de besoin. Jusqu’à présent, Sev avait résisté à les prendre.
Au bout d’une semaine complète de convalescence, la jeune femme allait beaucoup mieux et discernait déjà des fourmis dans ses jambes. Être longtemps enfermée dans un appartement ne faisait pas partie de ses habitudes. Il fallait qu’elle se rende à l’extérieur.
Ruth l’aida à sortir un soir avec une casquette sur la tête. Respirer l’air de la rue lui fit le plus grand bien. Croiser des gens lui donnait l’impression de revivre.
— Tu vois, Ruth. Cela me fait du bien de marcher à l’air libre. Là-haut je suis bien, mais comme une lionne enfermée en cage, même si tes parents sont adorables.
— Je te comprends, Sev. Mais il fallait te laisser récupérer.
— Ouais, je sais. Maintenant c’est bon. On va pouvoir repartir vite. Il ne faut pas mettre tes parents plus en danger à cause de moi.
— Je ne crois pas qu’on t’ait repérée jusqu’à présent, mais c’est clair que plus tôt on part, mieux ce sera pour eux.
— Alors, on s’organise dès maintenant pour rentrer, fit l’Arménienne avec un sourire déformé par le nez et les pommettes gonflés.
— D’accord ! Toi tu restes là pour le moment. Moi je vais aller en discuter avec Michel et ses hommes.
— On remonte alors.
Les deux femmes firent comme Sev l’avait dit. À la faveur de la nuit tombante, Ruth rejoignit le repère de Michel Hollard et discuta avec lui de la situation.
Il était ravi que Sev ait repris du poil de la bête après tout ce qu’elle avait subi. Il partageait l’opinion des jeunes femmes qu’il serait mieux qu’elles quittent la capitale française au plus vite. Il savait que la Gestapo les recherchait, mais elle ne suivait aucune piste.
Par ailleurs, étant commercial de gazogènes, il pouvait se déplacer avec une certaine facilité et possédait les autorisations adéquates en zone occupée. Il proposa à Ruth de partir le surlendemain. Elle accepta avec plaisir.
En fait, ce qui la surprit, c’était qu’elle se sentait heureuse de retourner à Genève. Elle rentra dans le Marais juste avant le couvre-feu.