Le trajet de Paris à la frontière suisse dura plus longtemps que d’habitude. La seule raison en était la prudence de Michel Hollard et de ses compagnons du groupe Agir.
La première des épreuves avait été de passer à travers les mailles du filet tendu par Oskar Kurz. Heureusement, il n’avait pas les moyens suffisants en hommes pour bloquer tout Paris et sa banlieue.
Michel Hollard, qui avait décidé de procéder avec une prudence accrue, se faisait précéder par une voiture qui devait lui servir de poisson-pilote et ainsi l’avertir en cas de barrages routiers, ce qui restait encore assez rare, mais arrivait malgré tout de temps en temps.
Le résistant préférait rouler tranquillement une centaine de kilomètres par jour et s’arrêter.
Arrivé à Dijon, il fit une halte au consulat de Suisse afin de faire parvenir un message à Robert Bonnard et donc à Hannah et tous les autres de la part de Sev et Ruth : « RAS-TVB-Rentrons. S.R. ». Ce qui signifiait en langage codé : rien à signaler, tout va bien, nous rentrons, Sev et Ruth.
Le lendemain, ils reprirent la route.
C’est ainsi qu’au bout de cinq jours sans encombre, la traction arriva à la commune de Mijoux. Michel Hollard parcourut encore les trois kilomètres le séparant de la ferme Poncet. Puis, il se gara non sans un grand soulagement. Ils y étaient !
Les Poncet accueillirent leurs hôtes avec chaleur, ravis de revoir leur héros. Ce dernier leur exposa la raison pour laquelle il était exceptionnellement accompagné cette fois-ci. En entendant le récit de ce que ces deux jeunes femmes avaient réalisé, le couple en eut le souffle coupé.
La question qui se posait à présent pour l’agent du SIS à Paris, c’était de savoir si Sev aurait la force physique de marcher en montagne avant de passer la frontière.
— Sev, je ne veux pas vous brusquer. Mais, maintenant qu’on est là, le mieux serait de passer au plus vite de l’autre côté. Mais il y a une longue marche de plusieurs heures en moyenne montagne. Est-ce que vous y arriverez ?
— Sur les dents, j’y arriverai ! Mais si je pouvais juste profiter encore d’une journée de repos, si c’est possible, je me dis que j’aurai encore récupéré quelques forces supplémentaires. Le voyage m’a épuisée, même si les étapes étaient courtes. C’est peut-être aussi l’effet du stress qui redescend.
— Si ce n’est que cela. Parfait ! On restera ici et on part dans une journée et demie. On dormira dans la grange. Je vais garer mon automobile sous le hangar.
Les trois fugitifs passèrent les heures suivantes à se relaxer en pleine nature. Le risque qu’une patrouille nazie passe était quasi nul. Ils en profitèrent pour se reposer et bavarder de choses et d’autres.
Comme prévu, Michel Hollard et ses deux accompagnatrices reprirent leur chemin. Après en avoir discuté avec les Poncet, le résistant décida de changer de route par rapport à celle qu’il suivait d’habitude. Au lieu de traverser la ligne de démarcation et de foncer sur Gex puis la Suisse, il préféra longer la crête vers l’est et après une douzaine de kilomètres passer la frontière à quelque 1.400 mètres d’altitude sur le flan du massif de la Dole qui se dressait en plein territoire helvétique. De là ils purent descendre jusqu’à Chéserex puis rattrapèrent Nyon grâce à une voiture qui les prit en charge.
Quand Sev s’assit sur le banc de la gare de Nyon à une quinzaine de kilomètres de Genève, elle s’écroula de fatigue. Marcher une petite trentaine de kilomètres en montagne après ce qu’elle venait de vivre était presque surhumain. Mais elle l’avait fait.
— En tout cas, Sev, vous êtes une sacrée bonne femme ! fit Michel Hollard avec une admiration non feinte.
— Merci, Michel !
La jeune femme commençait seulement à réaliser qu’elle était à l’abri, à présent, et vivante ! Elle esquissa un sourire de reconnaissance à la vie.
Le train arriva et les ramena là où tout avait commencé.