Dans la voiture, Georges s’emballe, énorme, c’est énorme, j’ai repéré sa trace en Asie mais je ne sais pas encore dans quel pays précisément. Son téléphone a été activé, j’attends des nouvelles d’un contact à Hong Kong. Frédérique regarde la moue satisfaite de son collègue. De retour au bureau, elle trouve dans une enveloppe de l’argent en liquide. Frédérique va devoir faire du shopping pour sa nouvelle mission. Elle a horreur de ça. Georges confirme que ses fringues ne sont pas adaptées pour cette affaire, Fred, tu ne fais plus de planque, oublie les soirées dans ta voiture, tu es sur le terrain. Un bon détective doit se fondre dans le décor, changer d’apparence, avec ta veste en cuir XXL et ton jean boyfriend, tu peux passer inaperçue dans une grande ville mais pas dans ce milieu. Viens, je vais t’aider.
Les détectives sortent de l’Agence Duluc, s’engagent dans la rue de Rivoli. Georges remarque la proximité entre l’art et la mode. Les gens portent des vêtements élégants, des étoffes précieuses, des ceintures vintage, des derbies et bien sûr des talons aiguilles. Frédérique essaie des stilettos, marche de travers, casse un talon, le vendeur surpris n’a jamais vu ça dans le magasin, une fille qui marche, un talon qui pète. Frédérique transpire et soupire, ça ne va pas du tout, on dirait un trav, je ne peux pas faire comme les autres, je mettrai des chaussures plates, voilà tout.
Georges ne lâche pas l’affaire, il te faut des escarpins pour les cocktails, Fred, tout le monde en porte.
L’ultime concession a lieu après les escalators. Le duo avance, les bras chargés de paquets. Chez Sephora, la vendeuse conseille un rouge à lèvres vif pour la tonalité un peu sexy, l’objectif est d’être élégante sans en faire trop. Devant un miroir éclairé comme une loge d’artiste, la privée se voit proposer une séance de maquillage gratis. Frédérique est un corps sans identité, un pantin à qui on donne sa toilette de théâtre. Un pot de rouge, des flacons, des pinceaux, de la poudre de riz, le vocabulaire, la situation, tout lui est étranger, on l’aide à se costumer, à performer la femme, à se transformer en figure désirable. Georges donne son avis, l’habit fait le moine, Fred, l’objectif est de passer pour une amatrice d’art ou une collectionneuse qui court les vernissages et les soirées mondaines. On se fiche de ce qu’ils pensent, tu dois leur ressembler, t’agréger, avoir une identité visuelle comme on dit, la dernière fois, avec tes baskets et ton blouson extra-large, les gens te regardaient, n’oublie pas la devise chez Duluc, ta tante Josée te l’a assez répété, chez Duluc, nous intervenons en totale discrétion. Frédérique ajoute, Pour pouvoir décider, il faut savoir. Il est nécessaire d’avoir une longueur d’avance sur les autres. Ma tante dit toujours qu’il faut que ce soit légal, légitime et proportionné, t’inquiète, j’ai bien imprimé.
Elle comprend surtout qu’elle devra avoir l’air d’une vraie gonzesse le temps de la mission, ça l’irrite d’avance, ces vêtements inconfortables, ces pompes qui lui scient la voûte plantaire. Elle se fiche de l’avis de Georges et du vendeur, les hommes ne peuvent pas comprendre la torture de la chaussure, est-ce qu’on force ces messieurs à porter des cothurnes ? Frédérique a si peu l’habitude de sortir les jambes nues qu’elle a l’impression que la jupe portefeuille dévoile sa fente. Elle respire, après tout, ça fait partie du boulot, elle décide de prendre sur elle, surtout ce qu’elle ne veut pas, c’est décevoir sa tante Josée. Vingt heures, les magasins ferment, Frédérique rentre avec ses nouveaux oripeaux.