Pattaya est le paradis des laids. Les types marchent dans la ville, ventrus, torse nu, le short jusqu’aux genoux, une sale tête et un point commun : la solitude. Les Blancs, les farangs, se donnent rendez-vous dans ce lieu de perdition, un héritage de guerre niché dans une ancienne base GI. La ville explose de leur présence, les draps des hôtels regorgent de leur semence. Quand Frédérique et Georges passent en taxi, les hommes sont à une terrasse de café. Parfois, une Thaïe est à leur côté, souvent jeune. La voiture file vers la campagne. Le maître de maison reçoit dans sa propriété, un vaisseau kitsch doré à la feuille. Engoncés dans leurs manteaux d’hiver, le duo ne cache pas sa surprise. Dans ce lieu où tout semble vrai et faux, la bâtisse s’élève au milieu d’un parc entouré d’une réplique du Corcovado et de la tour Eiffel. Des Niki de Saint Phalle factices et des gladiateurs à poil et en pierre se cachent derrière les arbres tropicaux. Les murs passés à la feuille d’or se reflètent dans la piscine. Un vieux milliardaire allemand se la coule douce dans la province tranquille de Chonburi, un village paumé à quelques encablures de Pattaya.
On dit que le Milliardaire aime les hommes. On dit qu’il est extravagant. Au fil des années, il a fait construire pour ses amants des maisonnettes individuelles avec piscine privative. La maison principale pue le cul. Les chambres sont tapissées de miroirs, murs et plafonds compris. Les lits tournants sont des dingueries. Le moindre recoin invite à l’orgie. Frédérique ne se trompe pas, le collectionneur tapé est fou d’art et de sexe, deux passions spécialement envahissantes. Il entasse, et le bon goût n’est pas ce qui le caractérise. Rien n’est jamais assez grand. Les œuvres débordent, les toiles d’artistes se disputent les murs immenses. Et puis du marbre, du marbre partout.
On les installe dans des chambres séparées. Madame dans la suite Jeff Koons. Monsieur dans la Van Gogh. Frédérique n’est pas habituée à autant d’espace, son studio parisien abrite son chat et sa collection de sex-toys jamais utilisés. Dans le Golden House Palace, les pièces communiquent par la terrasse. Georges contemple le lit à baldaquin, rassuré par les rideaux en velours qui empêchent la lumière de bouffer la rétine.
Frédérique a déjà cassé le robinet et ne sait comment se servir de la douche à ciel ouvert. Elle passe en revue les trois tenues dans sa valise. Vêtue d’un débardeur et d’un short aux larges poches où elle fourre ses cigarettes, elle frappe à la porte de Georges. Il apparaît, les yeux cernés, habillé d’une chemise et d’un pantalon blanc qui tombe sur des mocassins à glands. Frédérique ouvre grands les yeux, tu es superchic dis donc mais tu as mauvaise mine.
Il a parlé à Sophie en plein milieu de la nuit à cause du décalage horaire. Sa compagne n’a fait que parler de grossesse. Elle lui reproche d’être égoïste. Il est toujours en déplacement, obsédé par son travail. Seul, au bout du monde, son plexus s’est rétréci. Georges s’est rappelé l’absence de son père, et une tristesse lui a serré le cœur. Il se souvient de son malheur. Il n’a pas envie de faire subir ça à un enfant.