Le train glisse entre les montagnes du Jura et arrive à Genève, c’est joli, propre, bien organisé. Le hasard n’existe pas, tout a un lien, Fred. Cette affaire dépasse la simple disparition de personne. Genève, Hong Kong, le Collectionneur chinois, quel est le fil rouge ? Eh bien, c’est le port franc. Celui de Genève est un entreposage sur mesure. L’œuvre de Bacon se trouve peut-être dans l’un des containers de cette forteresse. Les grandes fortunes stockent leur vin et leurs toiles en toute discrétion. Zéro taxe. Zéro TVA.

La privée n’est pas sûre d’avoir tout compris, et demande des explications. Georges, ravi d’étaler sa science, se lance, c’est pas compliqué, les ports francs louent ces espaces de stockage à des entreprises qui les louent elles-mêmes à de riches clients. Des rumeurs laissent à penser que ces sociétés dissimulent des pratiques de blanchiment d’argent et de fraude fiscale. Au final, poursuit Georges, ces boîtes offrent de folles solutions de stockage offshore. L’absence de contrôle est totale. Les objets peuvent être vendus sans bouger d’un centimètre. Bref, les ports francs sont devenus un maillon inévitable du marché de l’art, tu vois Fred ? Des œuvres de Picasso, Modigliani, Rembrandt dorment dans des caisses de bois qui portent un numéro d’inventaire, mais jamais le nom du propriétaire. L’œuvre de Bacon se trouve peut-être là, en attendant d’aller ailleurs.

 

Georges apprécie le climat continental, savoure le matin ensoleillé. Le tramway les dépose route du Grand-Lancy. La sécurité est à son maximum dans les alentours. La zone des entrepôts n’attire pas la foule. Les premiers employés entrent dans le bâtiment. Soudain, une voiture noire arrive à la hauteur des détectives. La commissaire d’expo en sort, suivie du Collectionneur chinois. Il est vêtu comme à son habitude, costume noir, lunettes fumées, mitaines en cuir, richelieus à tige métallique. Le même dispositif de sécurité, les hommes armés autour de lui, l’endroit sécurisé, les caméras et les alarmes partout.

La procédure suit un rituel inaltérable. L’accueil par un agent dans un couloir. Le sas sécurisé. La porte qui s’ouvre sur un éclairage rasant. Des murs blancs comme dans une galerie chic de Manhattan. Et là, dans un salon somptueux, les toiles de Francis Bacon. Le regard du Collectionneur s’allume. Il contemple ses possessions avec un amour immense. Georges se dit que, volées ou pas, authentifiées ou pas, il y aura toujours des gens assez dingues comme lui pour acheter. Dans un état second, le Collectionneur montre ses tableaux. Sauf un. Au milieu de ses merveilles subsiste un cadre vide. La place de L’homme au lavabo. La pièce maîtresse de sa collection.

 

Il s’adresse aux détectives, je vous offre une prime conséquente si vous retrouvez l’œuvre, et accessoirement sa propriétaire.

Il sort un chéquier et propose le service de ses hommes ainsi que des moyens supplémentaires. Les détectives surpris refusent cette somme indécente. L’homme ne joue pas la comédie. Ses actes et ses paroles le disculpent. Georges et Frédérique sont saisis par le ton sincère. Le duo regagne la sortie, accompagné par la commissaire d’expo qui lâche en douce, nous avons la preuve que le Collectionneur n’y est pour rien. Il faut retrouver Victoria, surtout si elle est en danger. J’ai une dernière chose à vous dire. L’œuvre n’a pas fini d’être payée. Victoria a juste versé la moitié de la somme. Le vendeur a dû vous le dire, je ne vous apprends rien, il s’agit de Pierre Suzanne.

Les détectives se regardent, étonnés. Pourquoi n’ont-ils pas eu accès à cette information ? Et si le galeriste avait fait disparaître Victoria à cause de l’argent ? Georges s’isole et appelle Josée.