I

Louis Le Pieux
ou le Débonnaire

Le fils de Charlemagne avait alors trente-six ans. Son épouse, Hermengarde, lui avait donné trois fils : Lothaire, Pépin et Louis (qui sera connu sous le nom de Louis le Germanique). Son père l'avait nommé roi d'Aquitaine en 781. Bien que cette royauté fût une simple lieutenance, l'expérience ne faisait pas défaut à Louis. La défense contre les Maures, la conquête progressive de la Marche d'Espagne pouvaient être portées à son crédit. Il avait su imposer son autorité aux Aquitains, apaiser leurs discordes et coordonner leurs efforts devant le péril commun. Charlemagne n'avait finalement qu'à se louer de ses services. Cependant Louis était moins préparé que Charles, son frère aîné, à assumer le rôle d'empereur. En outre, si Charlemagne avait été pieux, Louis donnait dans la dévotion, sous l'influence de Benoît d'Aniane.

Son règne, en tant qu'empereur, se divise en deux parties. De 814 à 821, il poursuivit et consolida même l'œuvre paternelle : on eut un moment l'illusion que l'empire devenait un véritable État, la notion d'intérêt public tendant à se substituer au droit dynastique. Puis cette façade tomba, laissant place à l'anarchie, à la déliquescence du pouvoir et du concept impérial. Cette interminable agonie dura de 821 à 840. Les petits-fils de Charlemagne se disputèrent alors son héritage et, après la sanglante bataille de Fontenoy-en-Puisaye, conclurent le fameux traité de Verdun (843) consacrant la fin de l'empire carolingien. Louis le Pieux, par sa pusillanimité, fut le principal responsable de cet effondrement. Il ne sut pas échapper à l'influence de l'Église, encore moins à celle de la reine Judith, sa seconde femme.

Il jetait pourtant feu et flamme quand, en février 814, il arriva au palais d'Aix-la-Chapelle. Il se faisait alors la plus haute idée de son rôle d'empereur. Rigoriste, la licence qui régnait à la Cour et la conduite de ses sœurs l'indignaient. Lors de son couronnement en 813, il avait noté le comportement douteux de plusieurs palatins, la présence de courtisanes dans le palais. « Quoique débonnaire par nature », il résolut de nettoyer les écuries d'Augias, punit les palatins coupables et chassa « la multitude de femmes » encombrant le palais et ses abords. Il fit ensuite ouvrir par le chambrier les salles du trésor. Le testament de Charlemagne fut appliqué à la lettre. Les coffres furent envoyés dans les métropoles. Le troisième lot fut partagé entre les pauvres, les serviteurs de l'empereur défunt et la famille carolingienne. Louis racheta même la table qui lui était destinée, et en distribua le produit en aumônes. Ses sœurs reçurent leur part et… l'autorisation de se retirer dans les domaines qui venaient de leur père. Quant aux bâtards, Louis différa sa décision, encore qu'il envisageât certainement de les faire tonsurer, par mesure de prudence et selon la tradition. De nombreux ambassadeurs se présentèrent au palais, parmi lesquels les envoyés du basiléus Léon V. Ils venaient confirmer à Charlemagne la reconnaissance du titre impérial. Dès lors, Louis put s'intituler « Par la Providence divine empereur Auguste », abandonnant les titres de roi des Francs et des Lombards figurant dans les actes de son père. On peut en déduire qu'il se considérait comme le successeur des Césars romains, sans la moindre réserve et, faut-il ajouter, sans beaucoup de discernement. Mais c'était l'empire romain en tant qu'État dont il se prétendait le maître, si l'on veut l'empire romain d'Occident. Encore une fois, ces notions abstraites ne pouvaient être comprises que par les têtes pensantes de l'Église. Louis restait aux yeux de ses peuples l'empereur des Francs.

La première année de son règne fut marquée par deux faits d'inégale importance. Il tint, en août 814, une assemblée générale à Aix-la-Chapelle. Il faut croire qu'il fut submergé de doléances, car il envoya aussitôt des missi de son choix, afin que, « sévères observateurs de l'équité, ils corrigeassent les abus et dispensassent la justice à tous avec une balance égale », c'est-à-dire afin de soulager le peuple trop longtemps opprimé et pressuré par les comtes. Recevant l'envoyé du duc de Bénévent, il convertit en 7 000 sous d'or les 20 000 du tribut annuel incombant à ce prince. Ce trait de bienveillance fut porté au crédit de sa débonnaireté ; c'était plutôt un signe de faiblesse. Il avait confirmé les capitulaires de son père. Il restitua pourtant aux fils des rebelles saxons et frisons leur droit sur les héritages paternels. Charlemagne avait suspendu ce droit pour les empêcher de méfaire. La décision de Louis fut mise sur le compte de la générosité par les uns, de l'imprévoyance par les autres.

Thégan, qui le connut bien, trace de lui ce portrait suggestif : « Il était d'une taille ordinaire ; il avait les yeux grands et brillants, le visage ouvert, le nez long et droit, des lèvres ni trop épaisses, ni trop minces, une poitrine vigoureuse, des épaules larges, les bras robustes ; aussi pour manier l'arc et le javelot personne ne pouvait lui être comparé. Ses mains étaient longues, ses doigts bien conformés ; il avait les jambes longues et grêles pour leur longueur ; il avait aussi les pieds longs, et la voix mâle. Très versé dans les langues grecque et latine, il comprenait cependant le grec mieux qu'il ne le parlait. Quant au latin, il pouvait le parler aussi bien que sa langue maternelle. Il connaissait très bien le sens spirituel et moral des Écritures saintes, ainsi que leur sens mystique. Il méprisait les poètes profanes qu'il avait appris dans sa jeunesse, et ne voulait ni les lire, ni les entendre, ni les écouter. Il était d'une constitution vigoureuse, agile, infatigable, lent à la colère, facile à la compassion. Toutes les fois qu'il se rendait à l'église, les jours ordinaires, pour prier, il fléchissait les genoux et touchait le pavé de son front ; il priait humblement et longtemps, quelquefois avec des larmes. Toujours orné de toutes les pieuses vertus, il était d'une générosité dont on n'avait jamais ouï parler dans les livres anciens ni dans les temps modernes, tellement qu'il donnait à ses fidèles serviteurs, et à titre de possession perpétuelle, les domaines royaux qu'il tenait de son aïeul et de son bisaïeul. Il fit dresser, pour ces donations, des décrets qu'il confirma en y apposant son sceau et en les signant de sa propre main. Il fit cela pendant longtemps. Il était sobre dans son boire et son manger, simple dans ses vêtements ; jamais on ne voyait briller l'or sur ses habits, si ce n'est dans les fêtes solennelles, selon l'usage de ses ancêtres… Jamais il ne riait aux éclats, pas même lorsque, dans les fêtes et pour l'amusement du peuple, les baladins, les bouffons, les mimes défilaient auprès de sa table, suivis de chanteurs et de joueurs d'instruments. Alors le peuple, même en sa présence, ne riait qu'avec mesure ; et, quant à lui, il ne montra jamais en riant ses dents blanches… »

En août, « époque où les cerfs sont le plus gras », commençaient les chasses de Louis. Elles se prolongeaient jusqu'à l'automne, saison des sangliers. Thégan lui reproche moins de consacrer trop de temps à la chasse que de se fier aveuglément à ses conseillers et d'élever les humbles au rang d'évêque ! Car, prétend-il, « après que de tels hommes ont atteint le faîte, ils ne sont jamais, comme auparavant, assez doux ni assez familiers pour ne point devenir aussitôt colères, querelleurs, médisants, obstinés, orgueilleux, prodigues de menaces envers tous les sujets… Ils s'efforcent d'arracher leurs ignobles parents au joug d'une servitude faite pour eux… ». Thégan, qui était issu d'une famille noble, n'avait pu lui-même obtenir l'évêché de Trêves ; il n'était que chorévêque. On comprend son amertume, et d'autant qu'il était, et resta, l'un des fidèles de Louis le Pieux. Le portrait qu'il donne de son maître (un maître qu'il révérait !) est riche d'enseignement. Il montre que Louis ressemblait à son père par plus d'un trait. Mais sa majesté n'était qu'une apparence, comme sa fermeté. Certainement plus instruit que lui, il n'avait ni la même perspicacité, ni le même réalisme. La piété de Charlemagne dégénérait chez lui en bigoterie et laissait prévoir quelle serait l'influence de l'Église ! Sa générosité excessive était aussi lourde de conséquences. Son père, son grand-père, faisaient en sorte que leurs donations n'amoindrissent pas leur patrimoine. Ils accordaient des bénéfices à titre viager. Louis distribuait les domaines royaux à titre perpétuel, oubliant la cruelle leçon des Mérovingiens. Il avait pareillement distribué en aumônes sa part sur le trésor impérial, sans se soucier de l'avenir. Il imitait la simplicité de son père, mais il n'avait pas son visage rieur. Ce n'était pas un bon vivant. C'était une sorte d'évêque couronné. Il haïssait les pantomimes, les chansons et la musique profanes, parce que l'Église les condamnait.

Au plan de la politique, ses débuts furent assez prometteurs. Il confirma d'abord Bernard comme roi d'Italie, envoya deux de ses fils, Lothaire et Pépin, l'un en Bavière, l'autre en Aquitaine. Les descendants de Godefried contestant à Hériold son titre de roi des Normands, Louis le prit sous sa protection et promit de le remettre sur son trône. L'année suivante (815), il réunit effectivement une armée saxonne, mais n'en prit pas le commandement et se contenta de tenir l'assemblée générale de l'empire à Paderborn. Les fils de Godefried évitèrent le combat : la campagne ne donna pas les résultats escomptés.

À Paderborn, Louis reçut les délégations de nombreuses nations. Le changement de règne ne semblait pas affecter la sécurité de l'empire. Toutefois les premiers craquements ne tardèrent pas à se manifester. Ce furent les Romains qui commencèrent. Tant que Charlemagne avait vécu, les factions hostiles au pape Léon III s'étaient tenues tranquilles. Après sa mort, elles reprirent leurs intrigues. Léon III réussit à mater la révolte, fit arrêter et exécuter les fauteurs de troubles. Mais il tomba malade ; les rebelles en profitèrent pour remettre la main sur les domaines qu'il avait confisqués. Louis chargea Bernard d'Italie de rétablir l'ordre. Puis les Slaves sorabes s'agitèrent dangereusement. Une armée composée de Saxons et de Francs réprima la révolte. Ensuite ce furent les Gascons prenant fait et cause pour un duc révoqué en raison « de son insolence et de sa dépravation ». Il fallut deux campagnes pour obtenir leur soumission. Après les Gascons, ce furent les Bretons qui, pour assurer leur indépendance, se donnèrent pour roi un certain Morman. Ils résistèrent jusqu'à la mort de celui-ci, en 818.

Le 11 juin 816, le pape Léon III mourut et fut remplacé par Étienne IV. Ce dernier parut d'abord dans les mêmes dispositions que son prédécesseur. Il ordonna pareillement aux Romains de prêter serment de fidélité à Louis. Puis il fit part à celui-ci de son désir de se rendre en Francie. Le lieu de rencontre fut fixé à Reims. La venue du pape éveillait en Louis une joie sans mélange. Il en ignorait le but et n'apercevait point le piège qu'Étienne IV lui tendait. Il s'empressa d'envoyer ses officiers au-devant de lui et, quand l'approche du pontife fut signalée, il marcha à sa rencontre. Tous deux descendirent de cheval. L'empereur se prosterna par trois fois, et dit :

– « Bénissons celui qui vient au nom du Seigneur. Le Seigneur est le vrai Dieu et il a fait paraître sa lumière devant nous. »

Le pape répondit :

– « Béni soit le Seigneur notre Dieu, qui a accordé à nos yeux de voir un second roi David. »

Ils s'étreignirent, s'embrassèrent et, côte à côte, s'en furent prier dans la basilique de Reims. Étienne IV fit enfin connaître l'objet de sa visite : c'était le couronnement de Louis et de l'impératrice Hermengarde. Louis n'y vit pas malice. Au contraire, l'initiative du pape comblait ses vœux. Le dimanche suivant, au cours d'une magnifique cérémonie, le pape Étienne lui imposa le diadème (il l'avait apporté de Rome). Il couronna aussi Hermengarde, à laquelle il conféra le titre d'Auguste ! Louis n'avait nul besoin d'être couronné, puisqu'il l'était déjà. Or il tenait désormais sa couronne de l'Église, ce que Charlemagne avait voulu éviter en 813, pour les raisons que l'on a indiquées ! Tant que le pape séjourna à Reims, Louis ne le quitta guère : « Il s'entretint chaque jour avec lui sur les intérêts de la sainte Église de Dieu », écrit Thégan. Entretiens fructueux, car le pape obtint l'indépendance de l'État romain et la liberté de l'élection pontificale. Les papes, au terme de cet accord, redevenaient seuls maîtres à Rome, libres de leurs alliances et de leur gouvernement. Ils n'auraient plus à faire entériner leur élection par l'empereur. Le nouveau César commençait par perdre Rome !

En 817, Louis fut victime d'un accident sans gravité. Un portique, dont la charpente était vermoulue, s'effondra, entraînant la chute de l'empereur et d'une vingtaine de personnes. Louis n'eut que des contusions et des blessures superficielles. Il avait cependant couru un réel danger. Est-ce sous le coup de cette impression qu'il décida de régler sa succession, ainsi que Charlemagne l'avait fait en 806, alors qu'il avait encore trois fils ? Il exposa son projet à l'assemblée générale de 817, à Aix-la-Chapelle et obtint l'adhésion des grands. Il promulgua ensuite l'Ordinatio Imperii dont les dispositions principales étaient celles-ci : Lothaire devenait empereur associé ; ses frères cadets, Pépin et Louis, devenaient respectivement rois d'Aquitaine et de Bavière. Pépin gouvernait déjà l'Aquitaine, il ne ferait que continuer ses fonctions. Louis le Germanique était encore trop jeune pour exercer le pouvoir dans son royaume. L'Ordinatio de 817 était très différente du partage de 806 qui remettait en cause l'unité de l'empire. Elle conférait à Lothaire un véritable droit d'aînesse. Les royaumes d'Aquitaine et de Bavière n'étaient pas autonomes ; ils étaient subordonnés à Lothaire. Leurs rois ne seraient guère plus que des vice-rois. Toutefois les intérêts personnels de Pépin et de Louis le Germanique se trouvaient relativement préservés : si l'un d'eux décédait, son fils hériterait du royaume. Si Lothaire mourait, l'assemblée des grands lui donnerait pour successeur Pépin ou Louis. Sans abroger les dispositions successorales de la loi Salique, Louis le Pieux en modifiait fondamentalement l'esprit. L'empire n'était plus considéré par lui comme un patrimoine, mais comme une entité politique en somme gouvernée par délégation. Les grands, laïcs et ecclésiastiques, s'engagèrent par serment à respecter l'Ordinatio. On peut soutenir qu'à cet instant l'empire carolingien touchait à son zénith et que son avenir paraissait assuré. L'exemple donné par Louis, qui sacrifiait ses fils cadets aux intérêts supérieurs de l'État, ne pouvait qu'être bénéfique, imposer par voie de conséquence, la notion de service public.

Mais cette initiative était prématurée. L'empereur Louis avait alors trente-neuf ans. Il ne régnait que depuis trois ans, et se comportait en vieil homme. En outre Lothaire avait été proclamé et couronné empereur. Il devenait donc effectivement empereur associé et se trouvait dès lors habilité à prendre part au gouvernement. L'Ordinatio irrita profondément Bernard d'Italie : il faut dire que son royaume n'avait même pas été mentionné, ce qui laissait supposer que Lothaire l'annexerait à la première occasion. Bernard craignit de perdre son trône et prit les devants. Il fortifia les cluses, rassembla une armée et fit jurer fidélité aux représentants des villes. L'Italie entière entrait en ébullition, mais ce n'était qu'un mouvement passager. Louis le Pieux fut informé de cette rébellion, alors qu'ayant terminé ses chasses dans les Vosges, il regagnait Aix-la-Chapelle. Depuis son avènement il suspectait le loyalisme de Bernard. Il mobilisa une armée et marcha vers l'Italie, résolu à abattre promptement la révolte et à capturer son chef. Bernard comprit que sa seule chance était de se soumettre sans conditions et sans combat. Déjà, ses partisans l'abandonnaient. Il se rendit donc à Chalon-sur-Saône, avec ses lieutenants et complices, dont plusieurs de ses grands officiers, les évêques de Crémone et de Milan. Ayant imploré la clémence de Louis le Pieux, ils comparurent devant le tribunal des Francs pour y répondre du crime de lèse-majesté. Ils furent condamnés à mort. Leur exécution fut cependant différée, car on approchait des fêtes de Pâques. L'empereur s'accorda quelques jours de réflexion, puis il gracia les condamnés, mais ordonna qu'ils fussent « privés de la vue ». Ce supplice était appliqué de deux façons : on crevait les yeux ou on les brûlait au fer rouge. Bernard et son chambellan Reginhard en moururent au bout de trois jours. Le pauvre roi n'avait que dix-neuf ans ; sa jeunesse n'atténua pas la rigueur du pieux empereur ! La même année, il fit tonsurer et reléguer en divers monastères Drogon, Hugues et Thierry, ses demi-frères, bâtards de Charlemagne. En veine d'activité, ou de cruauté, il se rua ensuite sur les Bretons, toujours en révolte, livra une bataille rangée à leur roi Morman, s'empara de toutes les places fortes, se fit livrer des otages. Le pseudo-royaume de Bretagne avait cessé, momentanément, d'exister. Au retour de cette expédition, la reine Hermengarde mourut, pour le malheur de son époux et plus encore de l'empire ! Ce veuf inconsolable était bien incapable de supporter son état ; il se remaria l'année suivante avec la belle Judith, dont nous reparlerons.

De même que son père, Louis le Pieux se déplaçait fréquemment. L'assemblée des grands se réunissait tantôt à Aix-la-Chapelle, tantôt à Paderborn, à Ingelheim ou à Thionville, selon les circonstances. La ligne de l'Elbe, établie par Charlemagne dans les dernières années de son règne, s'avérait fort utile. Elle tint bon malgré les révoltes de certains peuples tributaires : les Abodrites, les Wilzes et les Slaves. Deux expéditions bien menées eurent raison de leur résistance. Les Normands eux-mêmes parurent entrer dans l'obédience impériale : leur roi abjura le paganisme et Louis accepta d'être son parrain. Cependant des troubles sporadiques, agitant l'intérieur de l'empire, montraient l'affaiblissement du pouvoir central. Les guerres privées étaient interdites. Cela n'empêcha pas le Gascon Loup de Centulle, Bérenger, comte de Toulouse, et le comte d'Auvergne, Warin, de s'entre-tuer avec leurs vassaux. Loup comparut devant l'empereur, ne put se disculper et fut seulement condamné à un exil temporaire. Quand on compare ce traitement à celui que subit Bernard d'Italie, on mesure les progrès accomplis par les grands. Un peu plus tard, Louis montra la même indulgence à l'égard de Béra, comte de Barcelone. Béra avait été accusé de trahison. Il provoqua son accusateur en duel, fut vaincu. Réputé coupable par le Jugement de Dieu, car il s'agissait d'un duel judiciaire, il comparut devant Louis, qui l'exila à Rouen. L'indocilité des grands ne fit que croître, frisant la désobéissance, sinon pis.

Louis était un cyclothymique. Il passait, sans transition ni motifs, de l'autorité à la mollesse, de l'activité à l'abandon. Rien n'est plus dangereux chez un chef d'État ! Charlemagne avait des accès de colère, mais vite apaisés. Le trait dominant de son caractère était la maîtrise de soi. En cas de revers, il conservait son calme et réagissait vigoureusement. Il avait en outre l'optimisme chevillé au cœur. Son fils était un anxieux, facilement influençable. La mort de Bernard d'Italie ne cessait de le tourmenter. Les évêques qui fréquentaient la Cour, le clergé palatin, ne firent rien pour soulager son chagrin. Tout au contraire, ils l'exploitèrent à fond. L'occasion se présentait à eux, inespérée, de mettre l'empereur en condition, de lui dicter sa conduite et, à travers lui, de dominer la Cour. Il ne décela pas leurs intentions. Il consentit à confesser publiquement ses fautes, à s'humilier comme le dernier des criminels ! Cette cérémonie expiatoire eut lieu dans le palais d'Attigny, en présence des Grands. Il déclara vouloir se réconcilier avec tous ceux qu'il avait offensés, d'abord avec ses trois demi-frères tonsurés malgré eux. « Après quoi il fit une confession publique de ses fautes, et imitant l'exemple de l'empereur Théodose, il subit de son gré une pénitence pour tout ce qu'il avait fait tant envers son neveu Bernard qu'envers les autres. Puis, réparant ce qui avait pu être fait de mal par lui-même ou par son père, il s'efforça d'apaiser la Divinité par de si abondantes aumônes, par les prières ardentes que firent pour lui les serviteurs de Jésus-Christ, et par une telle exactitude dans ses devoirs, qu'on eût cru que toutes les peines qui avaient légitimement frappé chaque coupable, avaient été l'œuvre de sa cruauté. » (L'Astronome). Il rendit aux complices de Bernard d'Italie leurs biens et dignités. Il étendit même son pardon à ceux dont il s'était débarrassé par prudence après son avènement. Le redoutable Wala, qui avait été le dernier favori de Charlemagne, et son frère Adalhard furent rappelés d'exil. Tout était en place pour le drame qui allait se jouer.