Grillon, en prononçant cette phrase, avait expulsé des postillons qui me fouettèrent le visage – plus précisément l’œil droit. Je n’en criai que plus fort car sa salive piquait. C’était une salive chargée de vinaigre et de malhonnêteté. Il ressemblait à une des gargouilles extravagantes, monstrueuses de la cathédrale Sainte-Croix et, se fût-il enfoncé l’index dans la narine qu’il se serait pétrifié devant nous tous, comme par miracle, puis envolé de ses propres ailes de granit effrité, pour aller s’accoler, en plein ciel, auprès des figures amies qui là-haut, tout là-haut sur les corniches des tours, l’attendaient comme un vieux chien attend son maître qui ne reparaîtra plus.
— Mais quoi à la fin ? s’impatienta ma mère.
— Madame Moix a raison, Grillon : quoi ? trépigna de suspense Bart-Grönstein dont le strabisme était si accentué que ses yeux ne louchaient plus.
— Nous ne pouvons patienter davantage ! s’insurgea mon père. Que se passe-t-il de si grave pour que vous manifestiez votre surprise avec tant de vigueur ?
Des gouttes de sueur grises, argentées, bleutées, déferlaient comme de gros cailloux sur la colline frontale de Grillon.
— Regarde, cher demi-frère, dit-il à Bart-Grönstein tout en se plaçant devant mes parents afin qu’ils ne vissent rien.
— Juste ciel ! Ce n’est pas possible… blêmit Bart-Grönstein.
— Madame Moix, monsieur Moix, il faut que je vous parle sérieusement, bredouilla Grillon.
— Et même très sérieusement, insista Bart-Grönstein, livide.
— L’heure est grave. Et je vous demande d’être forts, se concentra Grillon. Ce que j’ai à vous apprendre est difficile à croire. Mais comme aussitôt après vous l’avoir appris je vous le montrerai, vous ne pourrez me prendre très longtemps pour un mystificateur ou un charlatan. Pour habitué aux spectacles de la nature que je sois, tout rompu à ses extravagances, la nouvelle que j’ai à vous communiquer n’est pas de l’ordre de l’anecdote. J’y vais ?
— Allez-y, balbutia ma mère.
— Nous sommes prêts, hésita mon père.
— Votre fils est né circoncis.