La première fois que je t’ai vu, tu te pavanais au bras d’une comédienne. En me croisant, tu me fixas avec tellement d’insistance et de persévérance que, curieux, je m’arrêtai pour vous parler quelques instants. Question de savoir qui tu étais, et surtout qui elle était. J’avais pris comme un bon augure l’intensité de ton regard mais je n’avais pas saisi le sens du sien.
Perspicace, elle nous avait saisis au vol. Elle avait tout compris et du coin de l’œil elle nous épiait. Claire était ta voisine, ta consœur de classe et la maîtresse de l’un de tes amis.
J’ai découvert tout cela en quelques instants, entre les quelques lignes du discours que vous m’avez livré sur le sentier, sous les arbres, devant le presbytère.
Vous vous rendiez à une répétition et même si ma journée s’achevait, j’ai décidé de retourner sur mes pas pour, il faut le dire, faire du bénévolat au théâtre. Ayant convaincu, avec un peu de peine, le patron que j’étais disposé à assurer la garde et qu’il pouvait partir, je m’installai à son poste tout en m’inventant quelques petites tâches pour occuper mes mains, mon temps et, à la rigueur, mon esprit. En t’attendant.
Les minutes, les quarts d’heure et les heures passaient. Puisque j’avais un rendez-vous et que mon impatience me dévorait, j’ai verrouillé toutes les portes et je me suis rendu à la salle de répétition pour vous indiquer par laquelle sortir.
Les étranges bruits qui se glissaient sous la porte m’attiraient, m’enjôlaient et dès que j’eus franchi la porte j’aperçus au milieu de la salle, sous un jet de lumière rouge, un cercueil noir sur lequel vous aviez badigeonné une grande croix blanche. Une musique infernale rebondissait sur les murs de la grande salle et quelques comédiens déguisés en daimôn y dansaient en rond. Le crescendo de la musique augmenta, les danseurs s’affolèrent et le couvercle s’ouvrit, propulsé par une main gantée de velours noir. Au fond du cercueil, complètement entouré de pellicules de film, tu frétillais, de spasme en spasme, comme un serpent de mer hors de sa matrice.
Une sensualité d’un autre monde se dégagea de ton personnage, elle s’éleva au-dessus de ton corps et m’accrocha au passage. Je ne pouvais plus détourner mon regard du tien. Le silence, notre gêne furent après un long moment interrompus par un jeune homme, sans maquillage, qui se nommait Joël. Il s’approcha, me dévisagea, se présenta et me demanda : « Que puis-je faire pour vous? » Après une pause, il ajouta « Monsieur! ». Son regard, le ton de sa voix et tout son corps m’avertissaient que j’avais pénétré dans un lieu privilégié, qui lui était à la rigueur réservé, et que mon message donné devrait être suivi de mon départ. Mon laïus partiellement livré, un peu récalcitrant, je quittai la salle en me disant qu’il devait, pour te protéger ainsi, être ton amant. En fait je lui cédais la place.