Cher ami, mon amant,
Je suis venu te voir,
la porte était entrebâillée…
Je t’ai attendu, j’ai dû partir!
Pour que tu ne m’oublies pas,
pour que tu ne t’ennuies point.
Je t’ai laissé mon ange gardien.
Il t’aime, ton amant.
Daniel
T’oublier! Daniel, je ne t’oublierai jamais et surtout je me rappellerai toujours cette journée de novembre. Étant sorti quelques instants, j’ai découvert à mon retour cet ange de sel, cette courte note et mon désir de te revoir.
C’était l’automne, l’air et les couleurs étaient clairs, les derniers rayons du soleil qui se glissaient entre les branches des arbres s’étendaient sur ma table, caressaient mes doigts et réchauffaient le sel de ton ange. Il représentait ton amour, il renfermait ta sensualité et ton odeur suintait de ses crevasses poreuses. Daniel, ton âme s’est élevée, ton odeur voltigeait au-dessus de ma tête et ton corps rôdait dans mon appartement.
N’ayant ni ton numéro de téléphone ni ton adresse, j’ai dû accepter de t’attendre. En fin d’après-midi, m’étant résigné à ton absence, je décidai de sortir acheter, au cas où tu reviendrais, une toile pour la fenêtre de la porte. Je me dirigeais vers le soleil, il se couchait et je sentais ta présence, comme si ton corps traînaillait toujours dans mon âme.
À la sortie de la quincaillerie je t’ai aperçu, assis sur un banc de parc, tes coudes appuyés sur les genoux et ta tête, penchée vers l’avant, laissant pendre tes cheveux de chaque côté de ton visage. C’est grâce à ton odeur que je t’ai reconnu.
Tu semblais attendre l’autobus. Je t’ai approché par-derrière et t’ai demandé à quelle heure le prochain. Tu m’as répondu immédiatement : « Le dernier passe à minuit! »
À la maison pendant que j’installais la toile, tu allumais des cierges, des lampions et des chandelles. Tu cherchais un disque approprié et, l’ayant trouvé, tu nous le fis tourner. La toile à peine descendue, les cloches de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes résonnaient. ECCE H0M0, voici l’homme ; dans la pénombre j’ai pu deviner les courbes de ton corps nu. Le divan était entouré de chandeliers et les moines entonnaient le répons de Judée et de Jérusalem.
Et tu me dis tout simplement : « Je frémis de te savoir nu sous tes vêtements. »
Dans ce cercle de feu, de flamme et de chandelles, le plain-chant des Bénédictins devint notre incantation et nos envoûtements d’amour.
Agnus Dei, qui tollis peccata mundi : dona nobis pacem. Et quelque part entre l’Offertoire et l’Ite Missa Est nos corps se sont élevés au-dessus de l’ordinaire de la messe pour planer dans le sanctoral du propre des Saints pour y connaître et y découvrir la paix de Dieu et les péchés des hommes.
Hosanna in excelsis.
Benedictus qui venit in nomine Domine.
Hosanna in excelsis.
Béni soit celui qui vient au nom du
Seigneur!