A

« Comment faire pour enrichir le pays ?

Mettez la pilule en vente dans les Monoprix. »

Antoine

Abstinence

Il en est de l’abstinence sexuelle comme de l’abstinence de consommation de drogue : elle suscite à la fois l’admiration et le dégoût. La chasteté serait la preuve d’une maîtrise de son corps et de ses pulsions mais aussi une forme de rejet de la convivialité et du partage, similaire en cela au refus de partager un verre de vin à l’apéritif.

Les réactions d’antipathie sur Internet lors de la publication, en 2009, du témoignage de Patrick, abstinent volontaire, attestent de cette ambivalence. Il avait consommé « trop de drogues, trop de sexe » et voulait « se dégager de son côté animal ». Patrick affirmait avoir une sexualité « calculée » (deux fois par mois) de façon à conserver un bon potentiel, sans les inconvénients d’une privation longue, à savoir : perte d’endurance physique, apathie, déphasage quasi total par rapport au monde. Selon lui, l’abstinence sexuelle contrôlée s’inscrit dans trois schémas : la question de la procréation (refus de se reproduire, de transmettre ses gènes, etc.), la maîtrise de son corps (éloignement du statut animal), la santé et l’hygiène de vie (peur des infections sexuellement transmissibles, rejet des psychotropes)*.

Le commentaire suivant résume l’incompréhension que provoque une telle démarche : « Tu le trouves pas zarbi, toi, ce Patrick qui prétend vouloir se détacher de son côté animal en se serrant les coucougnettes, tout en vouant un culte hypertrophié à son corps ? Je le trouve glacial et parfaitement dénué de qualités humaines. » Pourtant, Tolstoï disait déjà au XIXe siècle que « l’amour physique ne doit pas être vu comme un état poétique élevé, mais comme un état animal dégradant pour l’être humain ».

D’une manière générale, les diverses religions ont prôné la chasteté comme un objectif de pureté : de Jean-Paul II, qui expliquait que l’amour de Dieu devait éloigner de l’amour physique « sans issue », à Gandhi, qui la cherchait comme but ultime de contrôle de soi. L’abstinence est requise chez les prêtres catholiques comme preuve de dévotion de sa vie à Dieu. Pour les hindouistes, il y a l’ahimsâ, pratique qui implique le respect de la vie dans toutes ses formes… jusqu’à préserver les organismes présents dans le vagin des rapports sexuels malencontreux.

« La chasteté, depuis au moins trois mille ans et dans la plupart des régions du monde, est loin d’être exceptionnelle et a rarement été considérée comme un état contre nature. Des milliards de gens l’ont choisie, d’autres ont été forcés de l’adopter », explique la psychologue américaine Elizabeth Abbott dans l’essai No sex, de la féministe Peggy Sastre. Aujourd’hui encore, des associations religieuses catholiques considèrent qu’il est « normal » de s’abstenir de toute activité sexuelle en dehors du mariage, voire qu’il existe une pression médiatique à la masturbation.

On peut observer les propos de Laurent Ruquier, qui a demandé à Lady Gaga dans son émission « On n’est pas couché », le 12 septembre 2009 : « Sexe, pornographie, drogue, alcool… c’est un tableau apocalyptique, quand même ? » L’animateur laisse ainsi entendre que la sexualité est considérée comme une dépravation alors que, dans le même temps, son renoncement est perçu comme un vice étrange. Cette vision négative de l’abstinence fut exprimée dès 1903 par Rémy de Gourmont, qui affirma dans Physique de l’amour. Essai sur l’instinct sexuel que, « de toutes les aberrations sexuelles, la pire est la chasteté » (citation curieusement attribuée à Anatole France sur la plupart des sites Internet).

L’enquête sur le comportement sexuel des Français en 2006 prouve que la privation de relations intimes est majoritairement subie. Un homme qui tient à rester anonyme témoigne ainsi d’une austérité qu’il n’a pas choisie : « J’ai eu mon premier rapport à trente ans. Depuis, j’arrive en moyenne à une relation par an, avec une durée d’une nuit le plus souvent. […] L’abstinence réduit très fortement les performances, passé un certain âge, et la drogue et le tabac n’aident en rien à les retrouver, au point qu’aujourd’hui je ne peux répondre positivement aux propositions de personnes qui peuvent avoir un lien avec le monde dans lequel j’évolue, afin d’éviter que ma différence se sache et qu’elle réduise à néant mes quelques progrès. Je ne peux que rencontrer des inconnues, ce que ma timidité m’empêche de faire. Ma seule joie est de ne pas mourir idiot. Pour le reste, la solitude et la masturbation restent mon lot quotidien, avec un sentiment sexuel proche de celui du prisonnier*. »

Malgré tout, pour quelques pervers assumés, l’abstinence est un jeu dont l’objectif est directement de nourrir les relations amoureuses et sexuelles. Sur un plan romantique, il peut s’agir d’augmenter le désir, par exemple, pour un homme, en portant une cage de chasteté dont seule la maîtresse et amante détient les clefs.

* Entretien avec l’auteur, avril 2009.

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Acomoclitisme

L’acomoclitisme désigne l’attrait fétichiste pour les pubis glabres. C’est une paraphilie. Les perversions se définissant en marge de la norme, il est aujourd’hui difficile de distinguer une personne qui éprouve individuellement un désir particulier pour les sexes épilés de l’acomoclitisme qui s’exerce sous la pression de la société tout entière pour l’épilation intime. En réalité, si l’épilation intégrale du maillot était une coutume au Moyen Âge ou dans l’Égypte ancienne, ce n’est que récemment qu’elle est redevenue une norme.

Pour revendiquer le titre d’acomoclitiste, il faut donc en faire une affaire personnelle et que le sexe épilé soit une source particulière de désir et de plaisir. La face perverse de cette inclination trouve son origine dans le rapprochement que l’on peut faire entre un sexe intégralement épilé et un sexe d’enfant. La pratique de l’épilation peut aussi revêtir une signification humiliante : dans la Grèce antique, l’épilation du pubis d’une femme pouvait être infligée pour la punir, telle la tonte des cheveux de celles accusées d’avoir « fauté avec l’occupant » à la Libération, en 1945.

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Air sex

Vous êtes dans le métro. Sur le quai d’en face, un voyageur, des écouteurs dans les oreilles, mime le solo d’une guitare endiablée. Non sans étonnement, vous venez d’assister à une performance d’Air Guitar, pratique immémoriale officialisée en 1996 avec la création, par les étudiants du département audiovisuel des Arts déco d’Oulu, en Finlande, d’un championnat mondial du genre lors du Oulu Music Video Festival. On peut y voir chaque année les meilleurs branleurs et branleuses de manches virtuels.

Au Japon, en revanche, c’est tout autre chose que les jeunes fantasment d’astiquer. Car, dans l’archipel, le sexe est une activité de moins en moins pratiquée. Les couples, après la naissance de l’enfant, ne voient plus de raison valable d’entretenir une vie sexuelle et la pression économique ou professionnelle laisse de toute façon peu de temps à la gaudriole. Les femmes, désireuses autant que les hommes de réussir une carrière, n’en restent pas moins encore en charge de l’éducation des enfants, si bien qu’elles se montrent les premières réticentes à l’idée de fonder une grande famille. Résultat : le taux de fécondité a chuté à 1,3 enfant par femme, alors qu’un minimum de 2,1 est requis pour assurer le renouvellement des générations.

Sugisaku Jtaro, citoyen japonais, est l’une des victimes de cette situation. Lui et ses amis, frustrés par leur abstinence forcée, se sont mis lors de soirées très arrosées à mimer les actes sexuels dont ils étaient privés : l’Air Sex, stade ultime de la désexualisation, était né. La réputation de leurs séances gesticulatoires a rapidement dépassé le cercle de leurs amis ; début 2007, ils ont organisé le premier concours d’Air Sex. Les participants étaient pour la plupart des puceaux ou des hommes inexpérimentés et leurs Air performances ne masquaient pas leur manque de pratique réelle. Les compétitions de ce type, à l’instar de celles d’Air Guitar, se sont vite exportées, d’abord aux États-Unis (à Austin, au Texas), puis en France, où un premier championnat d’Air Sex a été organisé en novembre 2010, au cinéma parisien Nouveau Latina, par le collectif Absurde Séance. L’expérience n’a remporté pourtant qu’un succès mitigé : si les spectateurs étaient nombreux au rendez-vous, seuls quelques rares courageux ont osé monter sur scène pour des performances improvisées qui, faute de préparation, ont cruellement manqué de théâtralité. Comme son modèle, l’Air Sex est meilleur avec des préliminaires. L’expérience a été rééditée en 2011, lors du festival culturel érotique Pigalle, avec plus de participants et plus de succès. Nul doute que, comme toute pratique, en particulier l’Air Guitar, elle connaîtra des compétiteurs de haut niveau qui l’amèneront vers de nouveaux types de performances.

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Album de la comtesse (L’)

« L’Album de la comtesse » est une rubrique de l’hebdomadaire Le Canard enchaîné, constituée de trois paragraphes de contrepèteries, dont seul le premier est en lien direct avec l’actualité. Elle perpétue la tradition française du contrepet qui voit, depuis le XVIe siècle, les amateurs de bons mots jouer avec la langue pour mieux distiller des grivoiseries. Joël Martin, directeur de cette section depuis 1984, définit la contrepèterie comme « l’art de décaler les sons que débite notre bouche ». Concrètement, il s’agit de permuter certains phonèmes ou syllabes d’un énoncé a priori anodin pour en révéler l’indécence cachée. La contrepèterie serait en quelque sorte une phrase innocente qui ménagerait pour les esprits alertes l’effet kiss cool.

Il existe en anglais des contrepèteries, sous le nom de spoonerisms, mais beaucoup moins qu’en français, qui regorge de mots courts, ne possède pas d’accent tonique empêchant certaines permutations et se prête donc davantage que d’autres à la contrepèterie. Ainsi, il n’est pas étonnant que Rabelais en fût l’illustre inventeur : on recense les deux premiers exemples connus du genre dans Pantagruel, dont la célèbre « femme folle à la messe » fit florès. La Fontaine, deux siècles plus tard, usa également de la contrepèterie pour se moquer des puissants et parler de sexe sans s’attirer les foudres des censeurs religieux. Plus récemment, pendant la Seconde Guerre mondiale, les membres de la France libre les employèrent afin d’égayer les messages émis par Radio Londres aux résistants tout en brouillant l’écoute de l’occupant allemand. On en trouve un exemple dans le film Papy fait de la résistance, où Julien Guiomar, alias le colonel Vincent, annonce par téléphone à l’un de ses complices : « Le cuisinier secoue les nouilles. »

Pour faire une bonne contrepèterie, trois interlocuteurs seraient nécessaires : le premier qui la prononce, un autre qui la saisit et le dernier qui ne la comprend pas. De nos jours encore, dans le monde du travail, certains s’amusent, pour planifier une réunion, à laisser « le choix dans la date » à leurs interlocuteurs : invariablement, certains sourient quand d’autres se précipitent sur leur agenda pour vérifier leurs prochaines disponibilités.

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Anonymat

L’anonymat est une obligation pour de nombreuses personnes impliquées dans des domaines ayant trait à la sexualité.

La contrainte est d’abord sociale pour les prostitués, quand on sait que leurs enfants, une fois majeurs, peuvent être considérés comme proxénètes si leur parent leur donne de l’argent de poche issu de services sexuels ou s’ils vivent simplement sous un toit familial financé par les revenus de la prostitution. Comme me l’expliquait un homme qui a longtemps travaillé comme « Maîtresse » et qui compte parmi les fondateurs du Strass (Syndicat du travail sexuel) : « Toute personne tiers qui reçoit de l’argent de la prostitution est un proxénète, même lorsqu’il s’agit de mon fils que je nourris. » L’anonymat est alors imposé par l’ambiguïté de la position de la France vis-à-vis de ces professions.

Cette obligation se retrouve dans de nombreux autres corps de métier qui n’ont rien à voir avec la sexualité. Les plus touchés sont les fonctionnaires et les professions libérales « à ordre » (avocats, médecins, architectes, géomètres, etc.). En effet, pour les premiers comme pour les secondes, toute publicité de leur sexualité est considérée comme une atteinte à la réputation de l’ensemble de la profession. Régulièrement, des femmes ayant tourné un film pornographique dans leur jeunesse ou publié sur la toile des photos d’elles nues sont renvoyées de leur poste d’institutrice ou d’agent de police. De nombreux documents de la fonction publique décrivent cette disposition : « L’obligation de réserve impose aux agents publics d’éviter en toutes circonstances les comportements susceptibles de porter atteinte à la considération du service public par les usagers. » Ainsi, en 2006, un père a reconnu l’institutrice de son fils dans le magazine qu’il utilisait pour se masturber. Il a porté plainte et a gagné son procès : l’institutrice a été renvoyée. Peut-être, comme beaucoup, ne pouvait-il fantasmer que sur une inconnue ? Et il n’avait probablement pas supporté que son objet de fantasme soit une vraie femme, dont le rôle est en outre éducatif.

Selon l’article 3 du Code de déontologie médicale (qui est aussi l’article R. 4127-3 du Code de la santé publique), « le médecin doit, en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine ». Une femme médecin qui fréquentait « publiquement » des clubs SM a été rayée de l’ordre pour « conduite immorale ». Nombreux sont les exemples de drames individuels dans la vie de personnes dont les activités à caractère plus ou moins sexuel ont été connues.

Pour les fonctionnaires, l’idée qui prévaut est celle d’un « devoir de réserve » pour « ne pas embarrasser la collectivité qui emploie ». Les métiers « à ordre » font grand cas de l’exemplarité. La consultation de la jurisprudence montre que les femmes sont les plus touchées par la justice, viennent ensuite les hommes homosexuels puis les hommes hétérosexuels. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. La première est que le contrôle social s’exerce plus fortement sur les femmes que sur les hommes et qu’un même acte sera considéré comme déviant pour une femme mais admissible pour un homme. Cette différence de traitement serait favorisée par le fait que les hiérarchies sont majoritairement masculines. Ainsi, l’empathie entre mâles accentue la solidarité et l’homme ne sera pas banni par ses pairs. Une illustration de ce phénomène est apparue lors de l’affaire Strauss-Kahn, lorsque son ami et éditorialiste Jean-François Kahn a utilisé l’expression malheureuse de « troussage de domestique ». Une seconde explication de ce déséquilibre des jurisprudences est que les hommes aux conduites sexuelles déviantes seraient tout de suite soupçonnés de délinquance et arrêtés non pour manquement à l’obligation de réserve mais pour des infractions pénales (un maire qui se baladait en porte-jarretelles sur une plage notoirement échangiste a ainsi été accusé d’exhibition).

Écrire sur la sexualité ou même faire des photos dénudées est autorisé pour un fonctionnaire, à partir du moment où celui-ci met tout en œuvre pour maintenir son anonymat et la séparation de ses activités. Les cumuls d’emploi sont autorisés : « Ils peuvent librement produire des œuvres de l’esprit […] à condition de respecter l’obligation de réserve, les obligations de secrets et de discrétion professionnelle. » Il en est de même pour un avocat ou un médecin dont l’anonymat protégera aussi bien sa propre réputation que celle de ses clients ou patients. La plupart des blogueurs médecins ou avocats gardent précieusement leur anonymat pour conserver leur liberté d’expression.

Pour certains, l’anonymat est une source d’excitation, que ce soit les glory holes ou les masques qui permettent de se sentir libre d’agir. Mais pour beaucoup l’anonymat est avant tout une obligation et le risque d’être découvert devient alors une source d’angoisse : nombre d’internautes ont dû cesser leur activité professionnelle et leur blog après avoir été dénoncés.

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Apple

Les Mac portent mal leur nom. Contrairement aux proxénètes, ils font tout pour qu’on ne puisse pas croquer dans la pomme.

À force d’être loué pour son ergonomie et de voir grandir la foule de ses adeptes, Apple a semblé croire que son aura était d’essence divine, à l’image de feu son charismatique dirigeant Steve Jobs, entré dans la légende, souvent considéré comme un dieu par ses nombreux fans ou par la presse. Et qui dit divin, aux États-Unis en particulier, dit : « Pas de sexe. » Dommage donc pour les utilisateurs sexués de l’iPhone.

Bien que basé en Californie, un état réputé plus permissif que les autres, Apple interdit allègrement toutes les applications « non conformes ». Plus explicitement est « non conforme » ce qui, de près ou de loin, a trait au sexe. Que la forme soit pornographique, ludique ou culturelle ne change rien.

Comme outil de censure, Apple utilise l’App Store, qui théoriquement doit permettre d’accéder à l’ensemble des programmes développés pour le téléphone. Mais la marque à la pomme s’est réservé le droit de ne pas accepter une « appli » dans les rayons de son magasin virtuel et ce, de manière arbitraire.

On peut comprendre que des applications pouvant mettre en péril la sécurité des données soient supprimées. Néanmoins, on s’interroge toujours sur le danger qu’encouraient les utilisateurs d’iBoobs. Cette application permettait d’observer une paire de seins remuant sur l’écran du téléphone au gré des mouvements de l’appareil. Refusée par Apple, elle est revenue de façon détournée sous la forme d’un pudding qui s’ébranle, comme une lourde poitrine, quand on secoue l’iPhone.

Cette censure au nom des bonnes mœurs est loin d’être un cas unique sur l’App Store. David Carnoy, auteur du roman Knife Music, a ainsi dû revoir le contenu d’un de ses livres qui avait le malheur de contenir le mot fuck. Ce roman n’a d’ailleurs pas été la seule victime du mot à quatre lettres qui choque tant les Américains. Une société, Myriad, qui permettait d’accéder au dictionnaire en ligne WordReference, avait créé une application qui fut également rejetée pour obscénité : on pouvait traduire des gros mots. Shocking !

Toujours au XXIe siècle, au pays de la technologie qui ressemble terriblement à l’ère victorienne, une application nommée Eucalyptus a été retirée. Elle donnait accès à l’ensemble de la base de données du Project Gutenberg, une bibliothèque de livres libres de droits. Problème : elle permettait de consulter l’ouvrage hautement subversif qu’est le Kama-sutra. Le tollé qui a suivi la décision d’Apple a contraint la société à lever l’interdit dont elle avait frappé Eucalyptus.

En 2009, des utilisateurs ont cru qu’Apple avait finalement décidé d’entrer dans l’âge adulte. En effet, une application (Hottest Girls) permettait d’afficher d’accortes demoiselles plus ou moins dénudées sur son iPhone. Enfin une application un peu « sexe » qui évitait la censure d’Apple ! La nouvelle a fait grand bruit dans la presse en ligne et beaucoup de gens s’en sont réjouis. C’est d’ailleurs à ce moment-là que j’ai acheté mon iPhone. À n’en pas douter, quand Apple (qui a répondu à mes questions par un silence assourdissant) a su qu’un être aussi pervers avait mis la main sur son instrument sacré à cause d’une application ayant échappé à sa vigilance, elle a rapidement été retirée à son tour.

La pureté de l’App Store est désormais restaurée et la censure d’Apple préserve encore, au moment d’écrire ce dictionnaire, ses millions d’utilisateurs des flammes de l’enfer.

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Asexuel

La notion d’asexualité est loin d’être univoque et limpide. Comme beaucoup de mouvements émergents, elle regroupe des courants différents. De manière générale, le désir érotique des asexuels, qui peut exister, n’a pas d’objet ni de sujet.

Curieusement donc, le a privatif d’« asexuel » ne désigne pas quelqu’un d’abstinent, mais celui dont la sexualité n’est dirigée (ou connectée) ni vers les hommes ni vers les femmes. En 1886, Richard von Krafft-Ebing publia la Psychopathia sexualis, ouvrage dans lequel il stigmatise « l’anesthésie » ou « le manque de penchant sexuel » comme une maladie. La première mention de l’asexualité en tant qu’orientation ou forme de sexualité à part entière date quant à elle seulement de l’après-guerre, avec les rapports Kinsey sur les comportements sexuels de ses contemporains. De la même façon qu’une personne peut se dire homosexuelle, hétérosexuelle ou bisexuelle en l’absence de partenaire, elle peut se définir comme asexuelle, y compris alors qu’elle a effectivement une sexualité – que ce soit la masturbation ou des rapports sexuels avec autrui –, dans la mesure où elle considère qu’elle n’a pas de désir sexuel dirigé vers un ou une autre. Les asexuels représenteraient 1 % de la population. D’après l’étude sur le comportement sexuel des Français de 2006, l’absence de sexualité dans un couple viendrait majoritairement des hommes, bien que les recherches menées par l’Américain Anthony Bogaert montrent que les asexuels sont plus souvent des femmes religieuses, peu éduquées et à la puberté tardive. Les chercheurs Prause et Graham, en 2007, ont eux prouvé que les asexuels ressentent moins de plaisir pendant la bagatelle et ont encore moins souvent connu l’orgasme.

Dès lors, l’asexualité est considérée comme une dysfonction liée à un trouble du désir – manque d’attrait pour une sexualité vécue comme peu satisfaisante ; elle est de nos jours classée dans le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux). Depuis le dernier en date, en 2004, le corps médical a décidé de s’attaquer à l’asexualité des hommes grâce au Viagra – même si l’effet premier du Viagra est de faciliter une érection, que l’on peut qualifier de mécanique, laquelle chez certains ne s’accompagne pas forcément de l’apparition du désir – et tente de « résoudre » celle de femmes (qui n’ont rien demandé pour la plupart d’entre elles) grâce à une autre molécule (le Tadalafil). La caractérisation de l’asexualité en tant que trouble mental est récente et fluctuante : pendant des années, en effet, l’asexualité, perçue comme la forme supérieure de l’abstinence, était au contraire un objectif à atteindre.

Dans les années 2000, parallèlement à la prescription toujours plus pressante d’une sexualité « saine », certains asexuels décidèrent donc de former une communauté de militants plus ou moins visible, ce qui donna naissance au mouvement A-pride, revendiquant avec fierté l’asexualité comme orientation sexuelle à part entière, preuve de bonne santé de l’individu et du couple. En 2001, David Jay créa le réseau Aven (Asexual Visibility and Education Network, « réseau d’éducation et de visibilité des asexuels ») pour que, tels les homosexuels, les asexuels ne soient plus considérés comme des malades. Encore aujourd’hui, il œuvre pour lever une confusion entre l’abstinence (reconnue et encouragée de longue date) et l’asexualité (désormais perçue comme une perversion, surtout au sein du mariage), fort du constat que les asexuels peuvent vivre en couple sans avoir d’envies sexuelles et qu’ils séparent, tout comme les queers dont certains disent faire partie, sexualité et amour. Cette position donne lieu à de nombreuses questions existentielles, telles que : l’infidélité existe-t-elle lorsqu’il n’y a pas de sexualité ? Ou : comment distinguer une relation amoureuse non sexuelle d’une amitié profonde ? Pourtant, « la plupart des personnes asexuelles sont capables d’avoir une relation sexuelle, de même qu’avec la masturbation certaines trouvent le sexe agréable. Si vous utilisez le sexe comme moyen d’exprimer une attraction sentimentale ou émotionnelle (c’est-à-dire de l’amour) alors que vous n’avez pas envie d’avoir une relation sexuelle avec cette personne, cela ne contredit pas une identité asexuelle », explique le forum francophone d’Aven. Finalement, une des plus grandes difficultés des asexuels est de se trouver une réelle raison d’exister en tant que mouvement : « Personne n’a d’hostilité particulière envers nous. Au pire, les gens pensent que nous devons être “réparés”. Mais personne ne trouve l’asexualité “dégoûtante” ou “sale” », insiste David Jay. Pour autant, les asexuels aimeraient qu’on ne les considère plus comme d’étranges asociaux mais comme des femmes et des hommes qui n’apprécient pas l’activité sexuelle au même titre que d’autres activités, tel le tennis.

Comme l’explique Peggy Sastre dans son ouvrage No Sex, en 2010 : « Manifester un goût peu prononcé pour la chose prend des allures de tare à soigner. » Et l’écrivain de regretter : « Si tout le monde peut faire ce qu’il veut de son cul, quel danger y aurait-il à ne rien en faire du tout ? »

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Audiard, Michel

Les dialogues de films écrits par Michel Audiard restent fameux. « La pire maladie des hommes, c’est de donner tout son amour à une seule bonne femme », fait-il notamment dire à Jean Gabin dans Le Pacha. On ignore s’il voulait dire par là que le polyamour est préférable à l’exclusivité amoureuse, ou bien que donner tout son amour à une femme est du gâchis.

Quoi qu’il en soit, les personnages féminins portent rarement la culotte dans ses films : nombreux seraient ceux qui ne passeraient pas le test de Bechdel, qui donne en quelques questions des indications sur le sexisme d’un film. Quand la fille de Louis, dit « Le Mexicain », entre dans la cuisine des Tontons flingueurs et qu’elle ose mettre la main sur l’argent sale déposé sur la table, Francis Blanche lui attrape violemment le poignet et lui crie convulsivement, dans une réplique célèbre : « Touche pas au grisbi, salope ! » De son propre aveu, Audiard n’arrivait pas à donner aux femmes des rôles dignes de ce nom : « On dit que je ne sais pas faire parler les femmes. Que j’en fais toujours des connes ou des salopes. Qu’est-ce que vous voulez… Je ne peux pas m’identifier et me faire croire que je pense sous des nattes. »

La langue d’Audiard, souvent argotique et fleurie, désamorce la révolution sexuelle par son bon sens populaire, que d’aucuns qualifieront de franchouillard. Ses films sont d’ailleurs dépourvus de tension sexuelle et d’enjeux de séduction, puisque ses personnages de femmes sont généralement réduits au statut d’objet.

Dans la bouche d’Audiard, le sexe ne peut être que drôle, jamais excitant. L’exemple le plus marquant, c’est celui des Morfalous. Quand François Perrot, qui joue l’époux de Marie Laforêt, meurt électrocuté en urinant sur une ligne à haute tension, le dialoguiste fait dire à cette dernière : « C’est bien la première fois qu’il fait des étincelles avec sa bite. » De fait, pas d’étincelles sexuelles dans les films d’Audiard, alors que ses dialogues sont parfois jouissifs.

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