J

Japon

S’il est un pays où la sexualité en dit long sur la culture et l’histoire, c’est bien le Japon. Le shintoïsme, religion majeure dans le pays, est un mélange d’animisme et de chamanisme. Les Japonais pensent donc que des esprits sont présents dans toutes les choses de la nature et que l’on peut communiquer avec eux. Ce paradigme religieux diffère grandement des religions monothéistes dont la puissance divine s’impose à l’homme. Ainsi, la sexualité y est perçue comme très naturelle et non culpabilisante. Il s’agit d’un acte auquel on peut s’adonner avec joie sans notion de péché et, jusqu’au XIXsiècle, les hommes et les femmes n’avaient pas de problèmes avec la nudité et se baignaient ensemble. Les rapports étaient à la fois libres et codifiés. Les rituels étaient importants. Par exemple, les hommes et les femmes ne se rencontraient que dans des lieux prévus à cet effet et il était inconcevable d’aborder des inconnus dans la rue.

Lorsqu’au XIIe siècle les samouraïs sont arrivés au pouvoir, ils ont répandu leur vision de la sexualité et de la société qui était assez proche de celle de la Grèce antique : la pédérastie était normale, la transmission de maître à élève aussi bien martiale que sexuelle et les femmes ne servaient qu’à la reproduction. L’homosexualité était donc une chose très courante et parfaitement acceptée, même si sa forme a évolué au cours de l’époque d’Edo (1600-1868) et est devenue moins apparente. La culture japonaise a basculé en 1854 lorsque le commandant américain Matthew Perry a signé la convention de Kanagawa qui a inauguré les échanges commerciaux entre le Japon et les États-Unis mais aussi avec l’Europe et, en particulier, l’Angleterre victorienne. Cette dernière a exercé, à partir de cette date, une grande influence sur l’archipel.

Les Japonais ont importé de l’Angleterre la non-mixité, le rejet de l’homosexualité, la pudeur et la honte du corps. Le croisement de ces valeurs avec celles héritées de la Chine, dont l’obligation de « ne jamais perdre la face », est à l’origine du fondement le plus puissant de la sexualité japonaise actuelle : hazukashi, la honte. L’orgasme est devenu transgressif, et la gêne d’exprimer son plaisir est paradoxalement jouissive. Les femmes japonaises sont ainsi censées masquer leurs émotions. Les images pornographiques japonaises cadrent donc les yeux des femmes, puisque c’est là que se situe l’interdit. On retrouve ce principe de l’humiliation et de hazukashi dans la plupart des activités japonaises actuelles, que ce soit le bondage qu’on appelle kinbaku ou la pratique de l’éjaculation par plusieurs hommes sur le visage d’une femme, le bukkake, etc. Les perversions japonaises sont intimement liées à la honte d’y prendre plaisir et à l’imagination nécessaire pour contourner des lois considérées comme étranges par les Occidentaux. Deux d’entre elles sont en particulier remarquables. L’une datant du 1er avril 1957 interdit la prostitution, laquelle est définie par le coït vaginal payant avec une femme. Ainsi, les établissements dont les menus proposent fellations, sodomies, pratiques sadomasochistes et autres sont légaux et de nombreuses jeunes femmes japonaises y travaillent à un moment donné de leur vie, généralement avant le mariage. L’autre loi est liée à l’article 175 du Code pénal japonais, introduit en 1907, et traite de la censure : l’obscénité est interdite et sévèrement condamnée mais la définition de ce qui est obscène a varié depuis le début du XXe siècle. Les organes génitaux sont restés interdits et les poils (pubiens) sont « obscènes ». En revanche, ce n’est que récemment (novembre 1999), uniquement dans un souci d’adaptation à l’Occident, que les représentations du viol et de la pédopornographie ont été censurées. Et encore, cela ne vaut que pour les films. Les dessins sont toujours autorisés et simplement, depuis décembre 2010, interdits aux mineurs.

Ces lois ont notamment pour conséquence que les films pornographiques japonais peuvent paraître complètement obscurs à des Occidentaux. Par exemple, l’une des pratiques courantes consiste à zoomer sur les narines d’une jeune femme. Si l’on y voit un poil ou, pire, une crotte de nez, l’humiliation s’ajoute à la honte de l’examen… Ou comment faire de la pornographie sans organes génitaux ! Dans ce contexte, toutes les formes de fétichismes et de déplacement de la sexualité se sont développées. C’est ainsi qu’un des fantasmes japonais les plus classiques est incarné par les filles en tenue d’écolière. Cette tenue est au croisement de l’adoration de l’uniforme, de l’amour de l’innocence souillée représentée par l’enfance, dans un pays où la majorité sexuelle correspond à peu près à la puberté, soit treize ans.

Au Japon, tout est art, qu’il s’agisse de la guerre, de la cuisine ou du sexe. Les geishas sont l’essence de cette conception de la sexualité comme technique du divertissement de l’homme. En revanche, le mariage est assez proche de ce qu’il peut être en Europe, à savoir un outil très pragmatique : il s’agit d’un contrat familial. La sexualité de la femme se termine généralement vers trente ans. Traditionnellement, les enfants dorment entre les deux parents jusqu’à l’âge de six ans et les parents font ensuite souvent chambre à part, la femme donnant parfois de l’argent à son mari pour qu’il fréquente les bars à hôtesses. En effet, originellement, c’est la femme qui gère le foyer et, donc, touche l’argent que gagne l’homme en travaillant. Aujourd’hui, elle continue en général à contrôler les comptes. Certaines sociétés occidentales implantées au Japon ont été incitées à donner une petite prime à leurs salariés en liquide plutôt qu’une somme plus importante qui serait versée sur le compte en banque conjugal. En affaires comme en sexe, il faut s’adapter à son marché.

Lire aussi : Bondage, Cuisine, Fétichisme, Interdit, Love hôtel, Mariage, Prince Albert, Religion, Sushi, Zone érogène

Jean-Paul II

L’Église a tenté, tout au long de l’histoire, de gouverner la sexualité de ses ouailles. Dès les premières encycliques, qui se fondaient sur les réflexions de saint Augustin, au IVe et Ve siècle, elle professait que seul l’amour de Dieu était authentique. Dès lors, la sexualité et le désir en général, la non-exclusivité, l’onanisme ou l’homosexualité étaient considérés comme des péchés. En 1930, l’encyclique Casti connubii écrite par Pie XI réaffirmait cette position face aux tentatives de relativisation du mariage et d’émancipation de la femme.

L’histoire de l’Église au XXe siècle fut marquée par la personnalité de Jean-Paul II. Pendant son pontificat, Karol Wojtyla, évêque de Cracovie élu pape de l’Église catholique romaine le 16 octobre 1978, effectua de nombreux voyages à travers le monde et assista à la chute du régime communiste, qu’il favorisa notamment par son action en Pologne. Toutes proportions gardées, nombreux sont ceux à saluer son modernisme : il prêcha par exemple la réconciliation avec les juifs, les orthodoxes et les anglicans, et créa les Journées mondiales de la jeunesse. Pour autant, il se révéla plutôt conservateur en matière de sexualité. Encore évêque, il participa au concile Vatican II (1962-1965) qui rappela clairement les positions de l’Église sur le sujet : « Il ne peut y avoir de véritables contradictions entre les lois divines qui régissent la transmission de la vie et celles qui favorisent l’amour conjugal authentique. » Aussitôt pape, il construisit une « Théologie du corps » au cours d’une série de conférences qui s’étalèrent de 1979 à 1984*. Sa réflexion s’inspirait essentiellement de la Genèse, et plus particulièrement du mythe d’Adam et Ève. Selon Jean-Paul II, la liberté de l’être humain trouve sa signification la plus profonde dans le mariage et la seule vraie sexualité est celle qui unit deux époux, sublimée par un but supérieur au plaisir, la création de la vie. « Il importe de retrouver constamment dans ce qui est “érotique” la signification conjugale du corps et l’authentique dignité du don. »

Il considérait donc, dans la lignée de ses prédécesseurs, la contraception non naturelle comme un obstacle à cette sexualité « vraie ». « Une telle violation dans l’ordre intérieur de la communion conjugale, dont les racines plongent dans l’ordre intérieur de la personne elle-même, constitue le mal essentiel de l’acte contraceptif. » L’abstinence pendant les périodes de fertilité est néanmoins admise. Les époux, qui « expriment alors leur amour par des gestes non sexuels, ne rejettent pas leur possibilité de devenir père et mère ». En revanche, celles et ceux qui utilisent un autre moyen de contraception dégradent la sexualité humaine en « falsifiant la valeur du don total de soi ».

Lorsque le problème sanitaire de la propagation du sida se posa, notamment en Afrique, Jean-Paul II ne revint pas sur ses positions et continua à proscrire l’usage de préservatif aux catholiques. L’autoriser aurait impliqué l’acceptation, contraire à la théologie du corps, de la non-exclusivité du couple et des pratiques sexuelles hors mariage et sans visée procréative. Le 6 février 1993, à Kampala (Ouganda), Jean-Paul II interpella la jeunesse : « La force de votre futur amour conjugal dépend de la force de votre effort actuel pour apprendre le véritable amour, une chasteté qui implique que l’on s’abstienne de tout rapport sexuel en dehors du mariage. Le lien sexuel de la chasteté est l’unique manière sûre et vertueuse pour mettre fin à cette plaie tragique qu’est le sida, que tant de jeunes ont contracté. » Cette position, interdisant le préservatif alors que le sida faisait des ravages, fut vivement critiquée, y compris au sein de l’Église catholique. Certains évêques prirent en effet publiquement la parole pour expliquer que le préservatif pouvait être légitime dans certains cas, notamment si la vie de l’un des partenaires était en danger.

* Toutes les citations de Jean-Paul II proviennent de sa « Théologie du corps ».

Lire aussi : Emmanuelle (sœur), Préservatif, Religion, Sida, Wilgefortis

Jouet

Un procès a opposé en 2012 des associations catholiques à un magasin vendant des sex-toys à moins de deux cents mètres d’un établissement scolaire, ce qui est contraire à la loi française. Les parties civiles ont avancé comme raison à leur action en justice le fait que les objets aux formes phalliques exposés en vitrine pouvaient traumatiser les enfants. Ces derniers devraient donc se contenter des jouets appropriés, telles par exemple les poupées Ken et Barbie, commercialisées depuis 1959 par Mattel. Barbie est une copie de Lilli, poupée créée en Allemagne en 1955 dont Ruth Handler, créatrice de Mattel, s’est largement inspirée.

Barbie a révolutionné le monde du jouet, qui se cantonnait jusque-là à des poupées-enfants sans formes. La poitrine proéminente de Barbie ne laisse pas de doute : elle est une femme. Elle a un petit ami, conduit des voitures, travaille, et le jeune couple friqué qu’elle forme avec Ken donne aux enfants des idées qui vont au-delà de la traditionnelle dînette. Ken et Barbie ne sont pas si asexués que les parents, attendris devant leurs poupons et ses jouets, le pensent. Dans son deuxième numéro de mai 2012, L’Imparfaite, revue érotique, a publié le témoignage de nombreux adultes qui, enfants, faisaient exécuter moult cabrioles à Barbie et Ken. Émilie raconte : « Je n’avais pas de Ken, ce n’est pas faute d’en avoir demandé un en cadeau. Donc, par moments, Ken, c’était le lavabo – oui, je sais –, et les Barbies devaient embrasser le robinet avec l’eau qui coulait. Sinon, je me souviens avoir ordonné à mon voisin qui avait deux ans de moins que moi de lécher les seins d’une de mes Barbies. » Les enfants sont merveilleux. Et leurs poupées leur suggèrent certainement davantage de vice que les mystérieux objets oblongs dont la présence en vitrine semble si dangereuse.

D’ailleurs, si les adultes parlent de sex-toys, c’est peut-être pour différencier leurs jouets de ceux des enfants.

Lire aussi : Love store, Mammophilie, Obus, Sex-toy, Sex-shop

Joydick

Le concept de la joydick est accessible à tous : il s’agit de récupérer un joystick de console de jeux vidéo, avec une préférence unanime pour celui de l’Atari 2600 pour sa forme phallique, et de l’adapter à son pénis afin qu’il serve directement de manette de jeu. Ainsi, sous réserve d’avoir un pénis sur soi, on peut faire du deux en un et jouer en se masturbant. Comprendre techniquement la joydick nécessite des connaissances en mécanique et en électronique assez poussées. Le principe n’est cependant pas si complexe : quatre capteurs posés sur le pénis permettent de reproduire les axes de direction de la manette.

En 2008, une vidéo a fait parler d’elle sur Internet en montrant un homme qui utilisait un joydick pour jouer à un jeu d’arcade (il s’agissait de Space Invaders, un jeu au graphisme succinct où il faut tuer des petits extraterrestres qui tentent d’envahir la terre). Beaucoup ont crié à l’intox : « Impossible de se masturber devant un tel jeu. » Si la vidéo est effectivement « fausse », la joydick, elle, existe bel et bien.

Elle a été conçue par Noah Weinstein et Randy Sarafan, deux jeunes membres du groupe de recherches San Francisco Media Labs. Randy Sarafan expliqua en 2009 : « Sur SF Media Labs, on met des projets délirants de tutoriels, par exemple comment transformer une vraie souris en souris d’ordinateur et, quand le projet est vraiment réalisable, même s’il est gore ou osé, on le met en ligne. On s’était amusé sur le joystick d’Atari, c’est courant, vous savez, d’avoir envie de se masturber en jouant aux jeux vidéo, on y a tous pensé. Là, des copains ont fait une vidéo et, du coup, ça a buzzé, mais je ne pensais pas que ça pouvait aller jusqu’en France. » En fait, si le concept fonctionne, la réalisation, elle, est plus aléatoire : « Ce n’est pas très confortable parce qu’on risque d’éjaculer sur la manette et, après, c’est tout poisseux. En plus, il n’y a pas de jeux adaptés et ce n’est pas évident de rester en érection en tentant de massacrer des missiles*. »

Alors que Randy s’est vu reprocher par sa petite amie de n’avoir pas réalisé une version féminine, il a conçu un soutien-gorge qui se décroche au son des applaudissements. Concevoir ce genre d’objet reste malgré tout un simple passe-temps qu’il n’envisage pas d’éditer « pour de vrai ». « Notre vrai boulot, c’est de s’occuper de communautés sur Internet ou d’administrer des sites », assure-t-il.

Finalement, la joydick n’est pas une intox, mais elle n’est pas encore complètement au point pour enfin assouvir les fantasmes primaires des geeks et, comme l’affirmait le site Fluctuat.net à la sortie de la vidéo : pour le moment il vaut mieux « une bonne copine pendant qu’on joue » plutôt que de compter sur cette invention prometteuse.

* Entretien téléphonique en anglais avec l’auteur, traduction libre de l’auteur, 2009.

Lire aussi : Jouet, OuSePo, Sex-toy, X-plore