« Le sexe, la violence et le terrorisme devraient être interdits. »
Vladimir Poutine
L’orientation (ou la préférence) sexuelle désigne la cible du désir sexuel. On peut ainsi caractériser une personne comme hétérosexuelle (attirée par l’autre genre), homosexuelle (par le même genre), bisexuelle (par les hommes et les femmes), asexuelle (quand le désir est non dirigé). L’orientation pansexuelle reconnaît les transsexuels, les intersexes et toutes les identités queers. Les pansexuels se distinguent des bisexuels en ce sens qu’ils aiment des individus sans tenir compte de leur genre et donc ne sont pas réduits à aimer des hommes et des femmes.
La pansexualité est une orientation sexuelle globale tous azimuts qui considère les partenaires potentiels comme des personnes quels que soient leurs organes génitaux. Le sigle LGBT pourrait se voir un jour adjoindre les pansexuels et les asexuels et se transformer en un PaLeGaBiTAs fort chantant.
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Paraphilie
Fait « d’aimer à côté », ce terme regroupe les déviances et perversions, et tous les fétichismes improbables. L’excitation procurée par un texte sans fautes d’orthographe est une paraphilie répandue chez les éditeurs mais n’est pas encore répertoriée, tandis que l’envie de sexe avec les animaux (zoophilie) ou l’amour avec les arbres (dendrophilie) sont des paraphilies bien connues.
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Parenthèse enchantée
1967 : l’Assemblée nationale autorise la commercialisation de la pilule contraceptive (elle sera remboursée par la Sécurité sociale à partir de 1974) alors que, pendant longtemps, tous les moyens de contraception étaient interdits. 1981 : découverte à Atlanta d’un problème sanitaire touchant initialement des patients homosexuels, rapidement nommé Aids (puis sida en France).
Entre les deux, ce fut la libéralisation des mœurs, au sein d’une société dont l’enthousiasme n’était pas encore douché par le danger ultime du sida. La pilule permit aux femmes de prendre le contrôle de leur sexualité, dans une période qui connut la fin (temporaire) de la censure cinématographique, la révolution soixante-huitarde, l’apparition du mouvement hippie et les utopies libertaires visant à désenchâsser le sexe de son carcan religieux et conjugal. Le succès faramineux du film Emmanuelle vint cristalliser cette envie de découverte de toute une société, accompagné de son pendant pornographique américain Deep Throat.
Cette période, c’est la parenthèse enchantée. Bien que l’expression ait déjà été utilisée auparavant, le film éponyme de Michel Spinosa, décrivant la vie de quatre personnages en ces temps libérateurs, entérina ce titre. Certains religieux virent dans l’apparition du sida une punition divine contre une société occidentale qui serait allée trop loin dans la dépravation : Dieu siffla alors la fin de la récréation. Les campagnes acharnées de promotion du préservatif ont permis à tous de s’adapter à ce nouveau contexte, l’insouciance en moins.
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Pédale
Le mot « pédale » comme insulte contre un homosexuel apparaît par écrit pour la première fois en 1935. Il provient de l’univers du vélo. En effet, après la Première Guerre mondiale, la bicyclette est en pleine expansion, tout le monde s’y met.
Dans les années 1920, le Vélo Club de Levallois était dirigé par Paul Ruinart, « entraîneur de grand talent… mais sensible au charme de ces “mignons” », écrivit Rodolphe Rebour, dessinateur fréquentant le monde du cyclisme. Ces « mignons » faisaient référence aux cyclistes homosexuels. André Ledur, issu de ce club, vainqueur des Tours de France de 1930 et 1932, expliqua à un journaliste : « Les vrais coureurs virils comme il se doit, et champions aux pédales bien huilées, méprisaient ces jeunes [les mignons] et les qualifiaient de pédales qui craquent. » C’est de là que vient probablement l’injure « pédale » lorsque le « qui craque » a disparu. L’écrivain et historien du langage Claude Duneton pense que l’assonance des deux premières syllabes de « pédales » avec l’injure « pédé », elle-même venant de l’antique « pédéraste », a assuré la pérennité de l’insulte et, si l’on peut dire, son succès.
Comme beaucoup de stigmates, le mot a été repris par les gays eux-mêmes, qui n’hésitent plus à s’auto-désigner « pédale » ou « folle » pour ceux d’entre eux qui jouent sur les codes féminins.
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Peigne-cul
Le peigne-cul est une personne un peu rasoir. David Abiker affirme qu’il existe aussi les peigne-zizi : reste à espérer que leurs dents ne soient pas trop acérées.
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Pejic, Andrej
Andrej Pejic est un mannequin né en Bosnie en 1991. Sa carrière a véritablement décollé en 2011, lorsque Jean-Paul Gaultier a mis à profit son physique androgyne en lui faisant endosser la robe de mariée qui a clôturé, cette année-là, son défilé. Les traits fins d’Andrej sont à l’unisson d’une silhouette qu’il a façonnée à coups de régimes afin d’entretenir le trouble sur son apparence. Dans une interview donnée au magazine Grazia en septembre 2011, il a déclaré : « Il faut être honnête. On ne peut pas manger beaucoup si on veut faire ça. Pour les défilés pour femme, je dois être discipliné. Mon tour de taille est passé de 74 à 63 centimètres et mes hanches font 89 centimètres. » Avec sa longue coiffure blond platine et son maquillage très féminin, Pejic possède en effet toutes les caractéristiques des mannequins qui arpentent les podiums des collections pour femmes.
La marque de lingerie néerlandaise Hema a d’ailleurs fait appel à lui pour une campagne de promotion de soutiens-gorge push-up. Qui mieux qu’un homme dépourvu de poitrine aurait pu vanter les mérites d’une lingerie qui augmente artificiellement le décolleté ? Ce jeu sur le genre a peut-être plu aux Hollandais, mais moins aux libraires américains de Barnes & Noble qui ont retiré de la vente, en 2011, le septième numéro du magazine Dossier. La couverture montrait un Pejic faisant tomber la chemise et dévoilant un torse de garçon, alors que son visage délicat et ses bigoudis dans les cheveux suggéraient un genre féminin. Le cliché a été jugé trop dérangeant par cette chaîne pour orner les étals de ses boutiques. « Ils veulent que ce numéro soit vendu dans un sachet opaque. » Ce qui posait en réalité problème à Barnes & Noble n’était pas qu’un torse de garçon soit en couverture, ce qui est assez courant, mais que son visage laisse croire qu’il s’agisse d’une « femme nue ». La nudité d’une poitrine féminine en couverture d’un magazine est en effet fortement réprimée aux États-Unis.
Pejic entretient par ailleurs le mystère qui plane autour de son orientation sexuelle pour brouiller complètement les cartes. Il est allé jusqu’à affirmer, par provocation, qu’il serait prêt à changer de sexe grâce à la chirurgie si la marque de lingerie Victoria’s Secret lui proposait un contrat juteux.
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Pénis
À l’origine, le mot « pénis » désignait la queue des quadrupèdes ; il fut remplacé par « caudal » en ce qui concerne ces animaux. Il est entré dans la langue française en 1618 pour le différencier, dans le langage anatomique, du mot « verge », plus populaire. Au contraire de « phallus » qui peut être l’objet d’un culte, le pénis est sa manifestation corporelle.
Ce sont les corps caverneux, véritables ballasts humains, qui donnent au pénis sa rigidité variable en se remplissant de sang au gré du désir. Les légendaires « élargisseurs de pénis suédois », vendus à force de spams dans les boîtes e-mail, s’inspirent d’un procédé réel de palliatif aux troubles de l’érection. Il est en effet possible de gonfler le corps caverneux du pénis à l’aide d’une pompe à vide et de retenir le sang ainsi amené dans le pénis grâce à un élastique. On parle ici de personnes ayant de réels problèmes d’érection et pas de course à la taille du sexe.
De tous les primates, l’homme a le pénis en érection le plus long (quinze centimètres en moyenne contre trois centimètres pour le gorille ou quatre pour l’orang-outan). Même si pour certains, à propos de la taille, « le plus important, c’est de toucher les bords », ou pour d’autres, « c’est l’assise », d’autres complexent quant à un pénis prétendument trop petit ou trop court. Pourtant, un grand pénis peut devenir un cauchemar quand il s’agit de pénétrer une femme dont le vagin n’a pas une dimension à même d’accueillir un sexe d’une telle largeur. D’autant que les muscles du vagin se contractent pour épouser la forme du pénis : il est donc anatomiquement plus handicapant d’avoir un sexe trop gros que trop fin. Les hommes pourvus d’un micropénis (en-dessous de huit ou neuf centimètres en érection) rencontrent essentiellement un problème d’image de soi, et la reproduction reste tout à fait possible. Le docteur Paul Seknadje, spécialiste de la péniplastie (agrandissement du pénis par injection de graisse préalablement prélevée sur le corps du patient), s’est intéressé à cette technique au lendemain du 11 septembre 2001, affirme-t-il sur le site Internet qui lui permet de promouvoir sa technique, car « la demande de chirurgie esthétique s’est arrêtée du jour au lendemain et seule persistait la demande de péniplastie ». Il considère que les indications pour cette intervention sont le « syndrome du vestiaire, complexe du maillot de bain, rétraction trop importante, perte de confiance transitoire dans les suites de déception sentimentale, mal-être lié à un trop fort complexe », c’est-à-dire des raisons psychologiques.
Jouer sur la taille du pénis n’est pas la seule façon d’agrémenter ses ébats. Outre le Prince Albert, de multiples piercings génitaux permettent de stimuler le vagin de façon extensive. L’Amphallang (piercing transversal du gland) est originaire d’Océanie : en plus de sa fonction ludique, il aurait pour avantage d’interdire l’entrée des conduits naturels aux mauvais esprits. L’Apadravya (piercing vertical du gland), venu d’Inde, permet de stimuler la paroi interne du clitoris de la partenaire. Les incrustations péniennes (ajouts de corps étrangers le long de la verge) sont, quant à elles, un complément des tatouages des yakusas japonais et marquent chaque année passée en prison.
Manon des Gryeux, artiste fetish, joue ainsi de toutes les possibilités offertes par les piercings, colliers ou pendentifs péniens dans son exposition de photos intitulée « Bijoux de famille ». Elle déclare : « Apprêté, décoré, embelli, magnifié, “artialisé”, l’organe masculin se transformait en autant de promesses de douceurs. »
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Pénis captivus
Les Infidèles, film français sorti dans les salles en 2012 et au générique duquel apparaissent Jean Dujardin et Gilles Lellouche, comporte (au moins) une scène cocasse. Le personnage joué par Gilles Lellouche se trouve aux urgences, en compagnie d’une partenaire sexuelle : son pénis est coincé dans le vagin de cette dernière. Les urgentistes ont pris soin de prévenir sa femme et, lorsqu’elle arrive, il lui annonce innocemment : « Je ne connais pas cette personne, je ne sais pas qui c’est. Ça va, toi, sinon ? » Outre l’effet comique, on peut se demander si cette scène est réaliste : a-t-on jamais vu un homme coincé dans le vagin de sa partenaire ?
Tout semble indiquer qu’il s’agit d’une légende urbaine. En 1881, dans une « note sur cinq cas de pénis captivus », le docteur Vicomte de Fourcault définit ainsi le phénomène : « Il existe chez certaines femmes des spasmes indolents du vagin qui peuvent être et qui sont généralement, du moins dans les cinq observations que je publie, assez intenses pour provoquer pendant l’acte sexuel de la douleur chez l’homme. » Au cours des cinq observations décrites dans ce document, il ne fait aucun cas de pénis restés coincés dans le vagin de la partenaire. Il parle de maris qui auraient éprouvé une « douleur épouvantable qui coupait net l’érection ». Les autres cas rapportés dans la littérature médicale font certes état de coinçages de pénis mais qui ont pu se résoudre après seulement quelques minutes d’attente. En effet, la situation est peu propice à une érection fougueuse et le pénis ainsi dégonflé peut se libérer en même temps que le spasme, qui ressemble à une crampe, disparaît.
Selon un article du docteur F. Kräupl Taylor, publié dans le British Journal of Medicine en 1979, « le cas ne semble pas s’être présenté depuis cent ans. Si le cas d’un pénis captivus qui aurait nécessité une assistance médicale s’était présenté, il aurait été documenté avec le plus de preuves et de détails possible. L’absence d’un tel document suggère que non seulement le pénis captivus est très rare, mais que le symptôme est relativement temporaire et que ses conséquences sont moins sensationnelles que celles rapportées par la rumeur ».
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Péripatéticienne
Ce mot, qui désigne dans un langage châtié une prostituée, a une origine philosophique. Les péripatéticiens étaient les disciples de l’école philosophique fondée par Aristote. Celui-ci avait pour habitude d’enseigner en marchant : le terme péripatéticien, par glissement sémantique, s’applique donc aussi pour tout ce qui se fait en marchant.
Baudelaire est un des premiers, dans une traduction de l’écrivain anglais Thomas de Quincey, à employer le terme de « péripatéticienne de l’amour » pour parler d’une prostituée. Le terme est certes plus élégant que « pute » ou « putain », aussi utilisé pour pointer quelqu’un qui vous fait un enfant dans le dos (le fameux « coup de pute »). Le terme « catin » a aussi les deux sens : prostituée ou « femme de mauvaises mœurs ». Pour autant, ce n’est pas parce que l’on se prostitue – c’est-à-dire qu’on offre un service sexuel contre rémunération – qu’on est obligatoirement sans morale : tout au plus peut-on dire que les prostituées ont une morale sexuelle différente de la norme. Les médias préfèrent le terme de « prostituée » car il est plus neutre, « péripatéticienne » appartenant à un niveau de langue très littéraire, on parle plus volontiers de « putes » dans le langage familier.
Les prostitué(e)s se réapproprient quelquefois le mot « pute » pour parler d’eux ou d’elles (à l’instar des homosexuels avec le terme « pédé »), que ce soit dans les discours du Strass (le Syndicat du travail sexuel) ou dans leurs témoignages aux médias. En cela, elles redonnent aux putes leurs lettres de noblesse car, comme Michel Audiard le fait dire à Michel Serrault dans Garde à vue : « Les putes sont des femmes qui vous donnent beaucoup de choses pour relativement peu d’argent. »
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« La perversion, c’est la sexualité des autres », ironise Brenda B. Love dans son Dictionnaire des fantasmes et perversions, qui reprend la définition du psychothérapeute Michel Meignant dans Nous sommes tous des pervers sexuels persécutés publié en 1980, soit théoriquement après la révolution sexuelle. « Comment doit-on faire l’amour pour ne pas être pervers ? Tout simplement en ne le faisant qu’après sa majorité […], en étant marié, et évidemment avec son conjoint […], sans contraception, en courant le risque d’avoir des enfants et jamais pour le plaisir, en restant dans son rôle – masculin ou féminin – dans le lit conjugal, à tâtons dans le noir, en silence […], dans la position du missionnaire, sous la couverture, jamais après la cinquantaine (après la ménopause, ça ne servirait plus à faire des enfants), en s’abstenant de tout jeu sexuel, en n’utilisant jamais aucun excitant pornographique (films, photos ou livres), ni vibromasseur ni autre gadget, en ayant exclu de son comportement sexuel toute masturbation avant et surtout après le mariage, sans fantasme, en ne pensant à rien, surtout pas à quelqu’un d’autre que son partenaire, et bien entendu si on aime l’autre. »
Rien d’étonnant alors à ce que la notion de perversion ait pu évoluer autant dans le temps, elle est descriptive de toutes les normes sexuelles d’une époque. Ainsi, dans la Rome antique, la sodomie d’un esclave par son maître n’était pas considérée comme une pratique perverse, mais comme normale. Sénèque écrivit à ce propos : « La passivité est un crime chez un homme de naissance libre ; chez un esclave, c’est son devoir le plus absolu. » Pour autant, le mot « pervers », qui dérive du latin pervertere (« retourner, renverser, inverser, commettre des extravagances* »), ne fit son apparition dans la langue française que vers la fin du XIIe siècle. Hasard ou coïncidence, elle est venue après la relative popularisation dans le langage courant de ce mot que l’Église cessa de considérer comme « saint » : s’autoflageller. En effet, la pratique était devenue courante au XIe siècle sous l’influence d’un moine, Pierre Damien, qui y voyait une façon de combattre ses penchants homosexuels et ses pulsions sexuelles en général. Deux siècles plus tard, la même pratique devint « un rite disciplinaire d’allure semi-païenne, puis franchement diabolique », d’après Leopold von Sacher-Masoch.
Jusqu’à la Révolution française, c’est essentiellement la morale religieuse qui prédomina, et Sade, qui voulait explorer la jouissance sous toutes ses formes, fut considéré comme un grand pervers. Après quoi, il fut décidé que tout ce qui ne nuisait pas à la société devrait être autorisé, si bien que même le tabou de l’inceste cessa d’être officiellement condamné. À partir du XIXe siècle, c’est la médecine qui prit le relais et devint la référence morale. L’inceste redevint dangereux (même lorsqu’il s’agit de deux frère et sœur adultes et consentants) pour raison médicale, car les enfants issus d’une telle liaison ont un plus fort risque de naître handicapés.
Le terme « perversion sexuelle » naquit sous la plume de Valentin Magnan, dans un ouvrage publié en 1885, mais le premier usage du mot dans le domaine médical apparut, en France, en 1849, utilisé par un médecin pour désigner la folie d’un sergent qui violait et mutilait des cadavres de femmes. Tout au long du XIXe siècle, les psychiatres du monde entier commencèrent à tenter de classer les perversions, avec de jolis mots comme l’exobiophilie (l’amour des extraterrestres), la dendrophilie (l’amour des arbres) ou l’acomoclitisme. En 1886, Richard von Krafft-Ebing en publia une liste impressionnante dans son ouvrage Psychopathia sexualis.
Freud révolutionna la vision de la perversion en qualifiant l’enfant de « pervers polymorphe » dans les Trois Essais sur la théorie sexuelle, en 1905. La perversion de l’enfant réside dans le fait qu’il cherche son plaisir à travers tout ce qu’il peut, subissant des pulsions auto-érotiques qu’il assouvit sans même y penser, utilisant indifféremment son corps, celui de l’autre ou des objets.
Aujourd’hui, on appelle « pervers sexuels » ceux pour qui l’autre est un accessoire interchangeable (un physique, mais pas une personne), ce qui inclut les fétichistes, surtout s’ils ne peuvent jouir sans leur fétiche. Il est également considéré comme pervers de nier la différence de sexualité et les différences de genre (hommes ou femmes), car cela revient d’une certaine façon à s’inscrire dans une sexualité non reproductive, hors normes, qui peut réifier l’autre.
Les perversions s’épanouissent d’autant mieux que la sexualité est socialement réprimée. Elles se sont ainsi largement exprimées sous l’époque victorienne, comme l’atteste la légende de la création du Prince Albert (piercing génital masculin). Comme l’écrit Sarah Chiche : « Si la définition de la perversion comporte des invariants – jouir du mal et de la destruction de soi ou de l’autre –, la façon dont on la circonscrit et les moyens mis en place pour s’en prémunir et la sanctionner épousent les normes éthiques, judiciaires et médicales de chaque époque*. »
* Ces définitions proviennent du passionnant dossier « La perversion à travers les âges » du numéro spécial 237, daté de mai 2012, du magazine Sciences humaines, réalisé par Sarah Chiche.
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Phallus
Le mot « phallus », dérivé du latin fallot (« membre viril »), fut introduit en 1570 dans la langue française. Le phallus ne désigne pas un simple pénis : le mot englobe la valeur culturelle ou morale du pénis, les notions de fécondité et de pouvoir. Pour parler de la domination sociale masculine, on mentionne par exemple de phallocratie et non de pénocratie. Le culte du phallus est encore célébré de nos jours, notamment à Kawasaki, au Japon, où a lieu un festival annuel du phallus d’acier, symbole de fécondité.
Ce culte était incarné dans l’Antiquité grecque par Priape, dieu de la fertilité. Celles et ceux qui souhaitaient combattre la stérilité allaient toucher le phallus des statues de Priape. Cette tradition a perduré au fil des siècles : à Saintes, le dimanche des Rameaux s’est longtemps appelé « fête des pines » et les fidèles y savouraient des biscuits en forme de phallus. Priape a été remplacé, au XIXe siècle, par de nombreux saints auxquels étaient attribuées des vertus de fécondité : saint Paterne en Bretagne, saint Pothin en Provence ou encore saint Gilles dans le Cotentin. Différentes pratiques étaient censées apporter fertilité ou virilité : toucher le phallus de leurs statues, en écoper un bout de bois et le faire infuser en tisane ou verser du vin sur le gland du saint statufié.
Le symbole de pouvoir qu’incarne le phallus était aussi utilisé en temps de guerre. Le sexe des vaincus pouvait être découpé et exhibé aux foules : brandir l’organe génital de son ennemi, c’est montrer qu’il a perdu son pouvoir. Ainsi, selon Marc Bonnard et Michel Schouman, auteurs en 2000 d’Histoires du pénis, le sexe de Napoléon Bonaparte aurait pu être découpé lors de son autopsie et devenir la possession, à la suite des ventes aux enchères successives, d’un acheteur américain, le docteur Lattimer, qui en a fait l’acquisition en 1977 à Londres chez Christie’s. Le symbole est puissant, mais le pénis de Bonaparte était connu pour sa modeste taille – ce qui aurait pu lui donner des ambitions de conquête.
Le phallus est-il une arme guerrière ? C’est une suggestion avancée par Orlan, artiste plasticienne et performeuse, qui détourna en 1989 la célèbre Origine du monde de Courbet. Elle a repris le même cadre, la même position du sujet, la même anatomie généreuse, mais a simplement remplacé la vulve par un pénis en érection et a nommé son œuvre L’Origine de la guerre. Orlan laisse au spectateur le choix de distinguer si le sexe amène la guerre ou s’il s’agit simplement d’illustrer la guerre des sexes.
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Pied
Baiser les pieds du souverain, fouler au pied, être au pied (se rendre à sa puissance), se faire marcher sur les pieds… humiliation et honneur, le pied a la connotation humiliante du pouvoir et de la hiérarchie ; pour ceux qui aiment être humiliés, c’est un bonheur total et sexuel que de lécher des pieds, s’y prosterner, les caresser. En plus, tout le monde a des pieds : les filles comme les garçons. Selon les théories freudiennes, cette homogénéité répare l’angoisse de castration chez les garçons, rassurés de voir que les femmes en ont et donc qu’elles ne vont pas les leur enlever. La perversion qui consiste pour un homme à vouloir être pénétré par une femme revient à nier la castration supposée de la femme en la pourvoyant d’un phallus (le pied), d’où ce fétichisme, pour Freud, quasi exclusivement masculin.
La théorie freudienne se confirme dans la pratique : il suffit de se rendre dans le milieu fétichiste réel ou virtuel pour prendre conscience qu’effectivement les adorateurs des pieds sont nombreux et sont tous des hommes. Le pied incarne pour eux une forme de phallus : il est puissant, sexuel, potentiellement sale avec une transpiration visqueuse, c’est un organe globalement dur quoique souple. Il sert de substitut au pénis. En boxe thaïlandaise, le coup de pied nu au visage porte une connotation homosexuelle qui rend cette pratique humiliante pour l’adversaire. Ainsi cohabitent deux théories du masochisme : le pied est un symbole de puissance et la femme peut être pourvue d’un phallus via ses pieds.
Bien avant les théories freudiennes, le pied présentait déjà une signification sexuelle. D’après l’historien du langage Claude Duneton, l’expression « faire du pied », dans son sens actuel, existe au moins depuis le XVe siècle. La notion de « prendre son pied » s’est répandue après Mai-68, mais elle est très probablement antérieure. De fait, dans la pièce de théâtre Lysistrata, Aristophane mentionne une femme qui attrape son pied au moment de l’orgasme. Retrouve-t-on là l’image du bébé qui suce son pied ? Dans l’argot du XIXe siècle, le pied était, à l’anglaise, une notion de mesure. Prendre son pied était donc « prendre sa part [du butin] ». L’hypothèse du plaisir que représente « prendre son pied » aujourd’hui est la conjonction de ces différentes expressions et d’une dérivation de « prendre sa part » vers « prendre sa ration », puis « en avoir pour son compte », soit, dit plus crûment, « je la lui ai bien mise, elle a eu sa dose ». À l’origine, « prendre son pied » désignait exclusivement un orgasme féminin. Curieusement, le pied est moins sexuel qu’il y a un siècle, peut-être parce qu’il a été débandé chez les Chinoises qui devaient l’avoir petit ou parce que « prendre son pied » est une expression employée pour n’importe quel bon moment.
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Piscine
La piscine est un lieu où les habitudes changent fortement en fonction du pays dans lequel on y va batifoler. Si vous vous rendez un jour au Danemark pour faire quelques longueurs, vous vous retrouverez certainement face à la nudité des autochtones au moment de la douche, vous permettant d’admirer la plastique pénienne ou mammaire de ces Nordiques au phrasé si particulier. En revanche, essayez de vous pointer dans le plus simple appareil à l’intérieur des douches d’une piscine française et le personnel vous jettera dehors manu militari.
Pourtant, en France, la piscine est un lieu de quasi-nudité : les maillots de bain et bikinis ne couvrent qu’une faible partie du corps. Au point que certains ou certaines choisissent plus volontiers des piscines réservées à un genre seulement, durant certaines plages horaires, pour des motifs religieux ou par la simple appréhension à montrer son corps à des personnes du sexe opposé.
Dans tous les cas, les hommes et les femmes ne sont pas logés à la même enseigne. S’il est considéré comme normal qu’un homme ne couvre que le bas, une femme qui s’aviserait à barboter topless dans les lignes d’eau risque bien de ne pas y rester longtemps. Fort de ce constat, un groupe féministe nommé Les Tumultueuses réalisa régulièrement des actions dans les piscines parisiennes, dans les années 2009 et 2010, mettant en œuvre leur slogan « Mon corps, si je veux, quand je veux, comme il est ». Elles entraient en général les unes après les autres dans la piscine, passaient au vestiaire s’y changer, commençaient par nager en deux-pièces pour, au signal, faire tomber le haut et nager dans le même appareil que les hommes. Ces actions militantes générèrent souvent des heurts avec les autorités. Plus d’une fois, le personnel de la piscine fut outré que des femmes osent nager les seins nus et « s’exhiber » ainsi aux yeux de tous, c’est pourquoi il faisait appel à la police. Les agents qui se rendaient alors sur les lieux du crime ne s’embarrassaient pas des pédiluves. Par deux fois, ils ont notamment pénétré les lieux chaussés de leurs souliers de travail pour poursuivre les contrevenantes autour de la piscine.
La loi est pourtant peu explicite sur la question : « L’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » Faire des seins un attribut sexuel relève de l’interprétation de la loi. Certains vont jusqu’à professer que seuls les seins des hommes sont érotiques, car ils n’ont pas d’autre fonction que d’être excités ou caressés, au contraire des seins des femmes qui ont pour fonction première l’allaitement.
Les Tumultueuses tentèrent alors de procéder à l’inverse. Entrées dans la piscine Georges-Drigny dans le IXe arrondissement de Paris munies de hauts de bikini supplémentaires, elles se mirent à proposer aux hommes, qui « exhibaient indécemment leurs seins », de les cacher sous d’augustes bonnets. Beaucoup en furent amusés et ne rechignèrent pas à enfiler le haut, avant de reprendre sereinement leur nage et d’enchaîner leurs longueurs. Ce jour-là, ce qui déclencha l’arrivée des forces de l’ordre fut la lecture au mégaphone d’un tract des activistes, qui troubla la quiétude de la piscine et déplut au maître-nageur. Car la loi n’interdit pas aux hommes de porter un bikini. Cette expérience prouve qu’il est plus aisé de mettre sous contrôle les seins des hommes que de libérer ceux des femmes.
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Planning familial
Le Mouvement français pour le planning familial (MFPF) est une association dont les buts sont multiples : promouvoir l’éducation à la sexualité, lutter contre les infections sexuellement transmissibles, accompagner la contraception et les interruptions volontaires de grossesse. « Alors que la hantise d’une grossesse non désirée inhibait la sexualité des femmes, la conquête de la contraception et du droit à l’avortement a bouleversé la société tout entière par la possibilité de dissocier “sexualité” et “reproduction” », professe le site Internet du Planning.
Cette association a en effet été créée en 1956, dans une France qui interdisait fermement contraception et avortements. Immédiatement taxé de néomalthusianisme – politique prônant la restriction démographique –, le MFPF a réussi la gageure d’être critiqué de concert par les communistes (« les jeunes travailleurs ne réclament pas le droit d’accéder aux vices de la bourgeoisie ») et les catholiques qui, lors de l’assemblée des cardinaux et archevêques de France le 7 mars 1961, ont déclaré que favoriser la contraception serait une promotion du non-respect de la vie qui encouragerait l’avortement.
Le docteur Simon, auteur en 1972 d’un important rapport sur la sexualité des Français, compte parmi les fondateurs du MFPF et a introduit dans son étude des questions à propos du Planning familial. Les résultats indiquent que 91 % des personnes interrogées trouvaient souhaitable qu’un couple puisse contrôler les naissances, mais 64 % seulement étaient favorables aux méthodes contraceptives. 76 % trouvaient que le MFPF devrait être développé.
L’ouverture du premier centre de Planning familial a eu lieu à Grenoble en juin 1961. Son accès était réservé, pour des raisons légales, aux adhérents du MFPF. Le centre suivant a été ouvert à Paris en octobre de la même année. La résistance catholique s’est alors organisée. Le Cler (Centre de liaison des équipes de recherche) Amour et Famille a été créé en 1962 pour coordonner la promotion des méthodes de contraception « naturelles » (basées sur la prise de température). C’est la même association qui, quarante ans plus tard, a poursuivi un sex-shop en justice pour s’être établi à moins de deux cents mètres d’une école. Le concile Vatican II, réuni en 1963 pour moderniser l’Église catholique romaine, a été sollicité sur les questions de régulation des naissances mais est resté muet sur le sujet. Sa réponse n’est arrivée qu’en 1968 avec l’encyclique Humanae vitae qui condamne sans appel toute méthode contraceptive non naturelle.
La loi Neuwirth, qui autorise légalement la contraception, a malgré tout été votée en 1967. Il a fallu cinq ans pour qu’elle soit réellement appliquée, mais le mouvement était lancé : en mai 1969, la création d’un centre du MFPF à Rouen a bénéficié de subventions publiques. Puis les ouvertures se sont succédé, si bien qu’aujourd’hui le MFPF compte trente et un centres de planification et cent cinquante lieux d’information.
En 2009, le gouvernement a évoqué un projet de réduction budgétaire d’un million d’euros, laquelle aurait entraîné la fermeture de nombreux centres qui, aujourd’hui encore, donnent comme nul autre des informations sur la sexualité. Le gouvernement a finalement fait machine arrière après une vague de protestations. En 2012, ce sont 2,6 millions d’euros que le ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale a versés au MFPF au titre de son « action en faveur des familles vulnérables ».
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Cynthia Plaster Caster (littéralement « Cynthia mouleuse de plâtres ») est une artiste américaine connue pour avoir moulé, depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui, le pénis de nombreuses rock stars. Elle débuta sa série de moulages en 1968, alors qu’elle était étudiante en arts plastiques : ses premiers moulages de pénis furent réalisés sur des amis étudiants.
Après ces quelques cobayes, elle accomplit le moulage qui la rendit célèbre sur l’auguste membre de Jimi Hendrix. À la suite de quoi, elle prit l’habitude de promener sa petite mallette « Plaster Caster from Chicago » de concert en concert, ce qui lui permettait d’entrer en coulisses, de rencontrer les musiciens et, éventuellement, de coucher avec eux ou de mouler leur pénis – la combinaison des deux étant souvent de mise. Il lui arriva même de mouler des rock stars dans des toilettes d’avion : selon elle, quand l’artiste donne son accord, « il faut sauter sur l’occasion car ils changent d’avis le lendemain ».
La série de pénis de Cynthia (en 2012, celle-ci comportait soixante-quinze moulages) s’inscrit dans l’histoire de la représentation du phallus. La sculpture a longtemps contourné la question du pénis : pendant la Renaissance italienne, le pénis des statues avait souvent la taille de ceux des enfants, quand celui de divinités priapiques arborait au contraire une envergure démesurée. L’hyper-réalisme des moulages de Cynthia est relativement inédit. Pour l’accompagner dans son travail d’artiste, Cynthia se déplaçait toujours avec une plater, une assistante professionnelle qui préparait les rock stars en leur procurant une érection quand Cynthia ne leur prodiguait pas une fellation elle-même.
Cynthia a matérialisé la « sex-symbolitude » des rock stars à travers une cérémonie de moulage qui peut être considérée comme un acte sexuel. Certains modèles vécurent l’opération de moulage comme une véritable expérience sexuelle (Jimi Hendrix a forniqué avec le moule), tandis que d’autres (Momus, auteur-compositeur-interprète écossais) ont plutôt eu l’impression d’une opération peu érotique, « avec du papier journal par terre et des gestes presque cliniques ».
On peut voir aussi le moulage sous un angle de domination/soumission ; d’une certaine façon, le procédé de Cynthia est une façon très féministe de prendre le pouvoir et fait du pénis de stars un objet. Les hommes, choisis et consentants, devaient se tenir là, debout, à se laisser manipuler l’engin comme s’ils le faisaient examiner par une infirmière. De plus, le processus implique que Cynthia choisisse elle-même les artistes dont elle moulerait le sexe, parce qu’ils la font vibrer. Ainsi, lorsque le groupe Kiss (connu notamment pour la chanson « I Was Made for Loving You ») a composé la chanson « Plaster Caster », comme un appel du pied du bassiste Gene Simmons, l’homme à la langue bien pendue, Cynthia s’est refusée à le mouler, car cela aurait compromis le sens artistique de sa démarche. Selon certaines sources, Gene Simmons en a été assez vexé.
Même si sa collection fut exposée à plusieurs reprises aux États-Unis, le pays n’est pas encore prêt à aborder la question du pénis sans tabou. Interviewée en 2000 sur la chaîne musicale américaine VH1, la productrice de l’émission lui a demandé, avant de débuter l’entretien, de bien vouloir employer le mot penis plutôt que dick ou cock, plus populaires mais qu’elle devrait faire bipper avant diffusion. De la même façon, après trente ans de moulages, l’artiste craignait toujours la réaction de sa mère, ou de sa propriétaire qui « la virerait si elle savait ». Ses moulages ne lui permettent pas de gagner sa vie, car elle ne peut les vendre en série, pour des raisons de droits, et ne veut pas mouler des candidats « sur commande », afin que cela reste un travail artistique.
Au cours de sa carrière, elle a aussi moulé Jello Biafra (chanteur du groupe punk Dead Kennedys), Chris Connelly (chanteur des Revolting Cocks – un nom prédestiné) ou encore plusieurs « membres » de MC5 ou de Pigface. En 2000, elle a commencé à réaliser des moulages de seins, ceux de Peaches ou de Suzi Gardner, la chanteuse de L7, mais seules ses bites, et particulièrement celle de Jimi Hendrix, sont au panthéon du rock. Ce moulage d’Hendrix reste une relique de sa courte carrière, comme un point d’ancrage physique ou une bitte d’amarrage de la réalité de son existence.
Il existe aujourd’hui des kits de moulage, vendus dans le commerce, qui permettent de rééditer la performance de Cynthia dans un but moins artistique : obtenir un gode en silicone à la forme de votre partenaire préféré.
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Le site Internet du magazine Playboy proposait une rubrique, disparue en 2012, nommée « Waxing Nostalgic », pour les « nostalgiques de l’épilation à la cire », où il retraçait trente années de photos des playmates de ses pages centrales. Leur examen permettait de constater la disparition progressive du poil sur les modèles féminins (pour une visibilité maximale de l’organe sexuel). Ce n’est que dans les années 1990 que les pilosités « entretenues » firent leur apparition (les clichés des années 1980 montraient encore des pubis touffus, que l’on peut qualifier de « naturels »). Au fil des ans, la toison s’amincit, prenant parfois l’apparence d’un ticket de métro ou d’un maigre filet. Sur les photos de 2005, on ne distingue plus le moindre poil sur les modèles. Les pubis poilus sont aujourd’hui devenus une bizarrerie, étiquetée comme telle sur les sites Internet de vidéos pornographiques en ligne (Youporn.com et autres Porntube.com), où les scènes sont répertoriées par catégories précises (« anal », « transsexuels », « SM », etc.) : on y trouve systématiquement une rubrique « chattes poilues » (hairy pussies). L’obscénité ne concerne plus la nudité mais l’exhibition des poils. C’est d’ailleurs le fondement des lois censurant la pornographie au Japon, où la nudité est acceptée mais les organes génitaux floutés – plus généralement, aucun poil pubien ne peut être représenté, y compris dans les mangas.
En janvier 2012 sortit en salles Louise Wimmer, long-métrage aride sur la condition d’une travailleuse pauvre vivant dans sa voiture. Le réalisateur, Cyril Mennegun, évoqua, lors d’une interview à Rue89, la polémique qui eut lieu pendant le tournage. Au moment de filmer une scène où l’on voit apparaître une touffe de poils sous les aisselles de l’actrice principale, les membres de l’équipe technique ouvrirent le débat : fallait-il ou non montrer ces poils ? « Qu’est-ce qu’on m’en a parlé, de ces poils sous les bras ! C’est fou de se rendre compte qu’il y a une transgression dans le fait de montrer une femme qui a du poil sous les bras au cinéma en 2012. C’est terrifiant. » Les magazines people font effectivement des gorges chaudes de telle ou telle starlette surprise en plein délit de non-épilation : poils sous les aisselles lors d’une cérémonie de remise de prix ou toison pubienne dépassant du maillot de bain sur une plage à Ibiza sont systématiquement moqués. La disparition du poil répond-elle à une nécessité de réduction de la « zone honteuse » ? Le développement de l’épilation intégrale, en tant que norme dans l’industrie pornographique, satisferait plutôt l’exigence d’en voir toujours plus : le sexe féminin dépourvu de toute pilosité est en effet beaucoup plus visible dans les gros plans anatomiques de pénétration vaginale. En outre, dans la vie de tous les jours, l’épilation du maillot permet le port du string, qui montre davantage de peau sans que cela soit sexuel. La nudité peut ainsi augmenter.
En outre, considéré comme non hygiénique, le poil est rangé parmi les sécrétions corporelles et autres odeurs impures. Mais seulement chez les femmes, pour qui dévoiler un pubis touffu revient à avouer qu’elles sont négligées, que leur hygiène est douteuse ou qu’elles n’envisagent pas d’avoir de relation sexuelle. Aussi la gent féminine se fait-elle souvent épiler avant un rendez-vous galant ou demande-t-elle l’autorisation à leur compagnon avant de laisser leur toison pubienne repousser. C’est aussi le cas des hommes qui se rasent avant un rendez-vous pour ne pas passer pour des ours ; mais iraient-ils jusqu’à se retirer un à un les poils de leurs bourses ?
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Point P
Point P n’est pas qu’une enseigne de matériaux de construction : c’est aussi un raccourci pour parler de plaisir prostatique. En effet, la stimulation de cette glande est une source de plaisir intense pour les hommes. Souvent associée, à tort, à l’homosexualité, elle ne suppose cependant pas forcément la pénétration par un pénis : doigts ou sex-toys adaptés font très bien l’affaire. Si l’hypothétique point G de la femme fait l’objet de nombreux fantasmes, voire de recherches scientifiques, on parle beaucoup moins du plaisir que peut procurer l’excitation de la prostate. De même, les campagnes de prévention du cancer du sein récoltent généralement un large consensus, alors que le dépistage pour celui de la prostate est peu courant et souvent sujet à polémiques : le corps médical apparaît divisé sur les éventuels bienfaits de la prévention. Il s’agit d’un sujet sensible : les hommes ont parfois la virilité placée au niveau de l’anus et craignent de la perdre en y introduisant quoi que ce soit. Pourtant, d’après Rocco Siffredi, symbole viril s’il en est : « L’anus, c’est le point G de l’homme. »
Les orgasmes générés par stimulation prostatique sont pourtant spectaculaires si l’on en croit ceux qui en ont déjà connu. « Les orgasmes sont différents, il m’est possible de quasi me sentir décoller pendant cinq minutes, de hurler et de pouvoir les répéter jusqu’à épuisement », dit un amateur. En revanche, ces orgasmes ne sont pas forcément accompagnés d’une éjaculation, ce qui peut perturber les novices. Ils sont aussi plus étendus et inondent tout le bas-ventre, quand le plaisir procuré par une éjaculation classique est, lui, davantage localisé. « Ça vient vraiment de l’intérieur. On sent le plaisir qui part de loin et qui se diffuse assez longuement. Ça me fait souvent trembler pendant quelques minutes », confie un autre.
La stimulation du point P peut donc être une source de plaisir au sein d’un couple hétérosexuel. Certaines femmes n’hésitent d’ailleurs pas à proposer à leur partenaire masculin qui leur demande de pratiquer la sodomie de commencer par eux-mêmes. Ceux qui acceptent gagnent sur tous les tableaux : non seulement ils réalisent leur fantasme, mais ils ouvrent aussi une nouvelle porte dans leur univers sexuel.
Pourtant, si les sex-shops mettent volontiers en avant les vibrateurs clitoridiens ou les godemichés, les plugs de Monsieur restent le plus souvent en bas des étals. D’ailleurs, quand Marc Dorcel, célèbre maison de production de longs-métrages pornographiques dont le credo est de réaliser des films « excitants pour les hommes et acceptables pour les femmes », lança en 2010 sa collection de sex-toys, elle ne comportait aucun stimulateur prostatique. Preuve que les gisements de plaisir masculin les plus riches restent sous-exploités.
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Polyamour
Le terme « polyamour » est assez récent. Ce mot, qui vient du grec poly (« plusieurs ») et du latin amorem (« amours »), est d’abord passé par l’anglais polyamory, néologisme apparu entre 1990 et 1992 avant d’être traduit en français à partir de 2005 sur différents sites et forums Internet francophones. La réalité du concept et des histoires polyamoureuses est en revanche ancienne. En France, dans l’entre-deux-guerres, des femmes ont publié des textes sur l’amour libre, notamment Madeleine Vernet, une anarchiste. Des correspondances antérieures (datant de la Première Guerre mondiale) font état de liens polyamoureux : une femme raconte à son mari parti sur le front les jeux qu’elle a avec son amant. Le premier semble rassuré que sa femme ne soit pas abandonnée et stimulé de partager ses aventures extraconjugales.
Le livre de référence sur le polyamour est récent ; il date de 2009 et son auteur, Dossie Easton, est une psychothérapeute américaine. Son titre, The Ethical Slut, pourrait se traduire par « la salope éthique » et son sous-titre par « un guide pratique du polyamour, des relations ouvertes et autres aventures ». En France, la papesse du polyamour est Françoise Simpère, qui a publié la même année le Guide des amours plurielles, pour une écologie amoureuse. Mariée depuis trente-cinq ans, elle a toujours eu des amants. Son mari a également eu des histoires, parfois durables, en dehors de leur union, qui fonctionne un peu comme celle des Desanti, couple ami de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, qui réaffirmaient régulièrement leur engagement l’un envers l’autre tout en ayant des relations parallèles.
Dans le polyamour, il n’y a pas de tromperie puisque chacun est au courant des histoires de l’autre ou tout au moins est conscient que l’autre en a. Françoise Simpère considère qu’il s’agit d’une écologie amoureuse parce que, comme pour le biotope, la richesse vient de la diversité. « Les amours plurielles, c’est le fait de pouvoir aimer au pluriel de façon affective, sexuelle et intellectuelle sans exclure a priori une de ces composantes, ni qu’elles deviennent une obligation. On n’est pas obligé de faire l’amour chaque fois qu’on se voit ou de se voir très souvent, mais si l’on a envie de se voir et/ou de faire l’amour, il n’y a pas d’obstacle à le faire. Le sexe ne constitue plus la barrière fatidique, et ça dédramatise grandement l’existence ! » m’explique-t-elle*.
Les polyamoureux distinguent la fidélité dans son sens étymologique, « la foi, la confiance », de son acception courante et religieuse : « l’exclusivité ». Pour eux, la confiance passe par un certain niveau de transparence, variable d’une relation à l’autre. La jalousie doit alors être transformée en compersion, c’est-à-dire en capacité de penser au plaisir de l’autre et de l’aimer suffisamment pour le laisser libre. Le polyamour est une forme de libertinage, issu du même courant de pensée : les partenaires rejettent un ordre moral religieux et un modèle préétabli pour accepter d’essayer d’autres modèles de relations amoureuses et sexuelles. Cependant, ceux qui limitent le libertinage à sa signification actuelle la plus étroite, à savoir une sexualité avec son complice et une ou plusieurs autres personnes, le distinguent nettement du polyamour. Pour eux, ce dernier est une manière de vivre des relations amoureuses simultanées sans mensonge, sans nécessairement pratiquer de sexualité collective, mais avec des sentiments. Le polyamour implique le dialogue et la non-possession du corps de l’autre. En ce sens, les polyamoureux militants ont souvent des revendications féministes ou queers : il doit y avoir égalité entre les genres et entre les personnes. Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation nationale, affirmait en 2010 dans l’émission télévisée matinale de France 2 « Thé ou café », après avoir visionné un reportage sur des polyamoureux : « C’est injouable, je suis prêt à prendre les paris. […] La plupart des hommes ont cette tentation [mais] je n’ai jamais vu de femme amoureuse qui s’intéressait à plusieurs hommes en même temps. » Les polyamoureux insistent au contraire pour se distinguer de la polyandrie ou de la polygynie : les femmes peuvent aimer plusieurs hommes comme l’inverse est possible. Lorsque Françoise Simpère a écrit en 2002 Aimer plusieurs hommes, elle a reçu des centaines de lettres de personnes soulagées de savoir que ce qu’elles vivaient n’était pas anormal mais juste impensé. À lire ou à entendre les propos de divers intervenants (philosophes, sexologues, psychologues et autres spécialistes de l’amour en tout genre), en 2012, le polyamour reste une curiosité pour la presse. En conséquence, certains de ses adeptes éprouvent le besoin de se réunir autour de « cafés polyamoureux » où ils peuvent converser à leur aise entre pratiquants et sympathisants.
* Entretien avec l’auteur, 2008.
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Antoine-Jérôme Balard, chimiste français, synthétisa en 1844 la molécule du nitrite d’amyle. Un médecin écossais, Thomas Lauder Brunton, découvrit quant à lui en 1867 l’intérêt de ce produit pour soigner une maladie cardiovasculaire spécifique (les spasmes coronariens). Relaxant et suscitant un sentiment d’euphorie, le médicament fut finalement classé dans la catégorie des dépresseurs, à savoir les substances qui ralentissent l’activité du système nerveux central. Il fallut ensuite un siècle et une révolution sexuelle pour que les effets secondaires du médicament, c’est-à-dire l’excitation, la sensation de chaleur interne, l’augmentation de la durée de l’érection et l’amplification des contractions orgasmiques, passent au premier plan et que l’usage récréatif et sexuel de cette molécule se développe. Ce sont tout d’abord les groupes homosexuels qui ont commencé à inhaler ce produit dans les années 1970, avant qu’il ne pénètre l’ensemble des milieux festifs, y compris ceux des plus jeunes. Le fait qu’il agisse en quelques minutes et qu’il ne nécessite ni injection ni ingurgitation rend la prise de poppers moins stigmatisante et plus accessible que la plupart des autres psychotropes.
De plus, si comme toutes les drogues le poppers peut à long terme (voire à court terme pour certains malchanceux) avoir des effets indésirables graves, surtout en cas d’usages fréquents et répétés, le risque le plus important engendré par la consommation de ce produit est son inflammabilité et son explosivité. On considère, en général, que les effets du poppers sont brefs et sans grandes conséquences, sauf cas de consommation croisée avec d’autres vasodilatateurs (Viagra ou cocaïne) ou pour les femmes enceintes (le produit franchit la barrière placentaire). Sa légalité a pour cette raison continuellement varié depuis une trentaine d’années avec, en France, des changements accélérés depuis 2007. Comme l’explique Drogues Info Service sur son site Internet, « le poppers n’est pas considéré comme un stupéfiant mais une partie de la législation sur les stupéfiants lui est appliquée ». Malgré un usage essentiellement récréatif, et non curatif, le poppers est une des rares drogues semi-légales. Le 26 mars 1990, l’interdiction des poppers contenant certaines molécules spécifiques fut prononcée. Une autre variété de nitrate remplaça donc dans les commerces les premières formules à base de nitrites. En 2007, François Fillon, alors Premier ministre, décida d’interdire complètement toutes les variétés de poppers. Cette mesure s’inscrivait à la fois à la suite des intrusions récentes de la loi dans le champ de la sexualité et dans la continuité de la guerre faite à la drogue. Il fit passer le 22 novembre 2007 un décret interdisant « la fabrication, l’importation, l’exportation, la mise en vente et la distribution des produits contenant des nitrites d’alkyle ». Le susdit décret fut annulé en 2009 par le Conseil d’État qui justifia sa décision : « Le Premier ministre, en l’état des éléments versés au dossier, a adopté une mesure excessive et disproportionnée au regard des risques que représente la commercialisation de ce produit pour la santé et la sécurité des consommateurs. » Certaines associations homosexuelles et d’observation de l’usage des drogues argumentèrent que les usagers de poppers risquaient, en cas d’interdiction, de se tourner vers des produits plus nocifs.
La situation se compliqua en 2011 lorsque le président de la Mildt (Mission interministérielle de la lutte contre la drogue et la toxicomanie) annonça la parution le 29 juin d’un arrêté dont le premier article stipulait que « l’offre et la cession au public des produits, à l’exception des médicaments, contenant des nitrites d’alkyle aliphatiques, cycliques ou hétérocycliques et leurs isomères sont interdites ». L’usage et la détention de poppers restent donc théoriquement autorisés. Mais l’interdiction de l’offre complique singulièrement la satisfaction de la demande.
Les sites Internet continuent néanmoins de proposer des poppers à la vente et les adeptes de profiter de la sensation de chaleur intense et de l’excitation sexuelle que son inhalation procure. Comment évoluera la loi, marqueur du contrôle sur le plaisir, sous la présidence de François Hollande ? Probablement pas ou peu puisque, comme l’explique Arnaud Aubron, journaliste spécialiste des drogues, dans son ouvrage Drogues Store, le président « normal » a fait sienne la maxime de François Mitterrand : « Les drogues, il vaut mieux ne pas en parler sans quoi il faut hurler avec les loups. »
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D’après l’écrivain André Breton, « la pornographie, c’est l’érotisme des autres ». Aussi vieille que la peinture, la photographie, le cinéma ou la littérature, la pornographie ne peut s’évaluer qu’en regard de la société qui la juge. Le Petit Larousse la définit ainsi : « présence de détails obscènes dans certaines œuvres littéraires ou artistiques ». L’obscénité est quant à elle caractérisée par des « action, parole, image qui blessent la pudeur ». Pour tirer le fil jusqu’au bout, la pudeur est une « disposition à éprouver de la gêne devant ce qui peut blesser la décence, devant l’évocation de choses très personnelles et, en particulier, l’évocation de choses sexuelles ». Et la décence ? C’est le « respect des convenances ». La boucle est bouclée : la pornographie est ce qui dérange les convenances, le bon usage, la conscience collective, et non pas la simple présence d’une bite à l’écran.
Les images pornographiques, mettant en scène une sexualité que la société ne saurait voir, existaient déjà au XIXe siècle : Gustave Courbet, peintre de L’Origine du monde, en était collectionneur. Elles ont longtemps été interdites et le régime pénal français promettait à ceux qui fabriquaient, vendaient, offraient ou distribuaient des « images contraires aux bonnes mœurs » des peines de prison et des amendes. En 1967, certains pays scandinaves ont accepté de libéraliser ce commerce. Les douaniers français saisissaient alors dans les valises et colis venus de ces pays les films et magazines qualifiés de « nordiques », et les bureaux des douanes se transformaient à l’occasion en salles de projection pour douaniers consciencieux. Les films pornographiques n’ont été autorisés en France, puis régulés, qu’à partir de 1974, mais toujours interdits aux moins de dix-huit ans. L’article du Code pénal prohibant les contenus contraires aux bonnes mœurs n’a été abrogé qu’en 1994 pour ne plus concerner que les mineurs. Il est donc admis aujourd’hui que la pornographie n’est dangereuse que pour les jeunes qu’elle peut amener vers la débauche, et non plus pour les adultes.
De fait, le porno est de nos jours la première « source d’informations » sur la sexualité pour les adolescents qui, s’ils n’ont pas un accès privé à un ordinateur chez eux, peuvent maintenant consulter photos et vidéos sur leur smartphone. Cette évolution de l’accès à la pornographie n’a jusqu’ici pas modifié l’âge des premiers rapports sexuels, quasiment constant : dix-sept ans et demi depuis 1980. On ne peut cependant pas nier que la sexualité montrée dans les films pornographiques change l’image que les jeunes peuvent en avoir : pénis plus gros que la moyenne, fellation et sodomie systématiques, bisexualité féminine normalisée et bisexualité masculine totalement absente. Des enquêtes qualitatives mentionnent des témoignages d’hommes d’une vingtaine d’années surpris que leur petite amie ne pousse pas de hurlements de plaisir lors de la pénétration. Interrogé en septembre 2009 à l’occasion des trente ans de sa maison de production de pornos, Grégory Dorcel, fils du fondateur Marc Dorcel, réaffirmait le credo de l’entreprise : « des films excitants pour les hommes et acceptables pour les femmes* ». Pour faire parler de la marque Dorcel dans la presse et fêter son trentième anniversaire, l’entreprise avait commandé un sondage Ifop portant sur la consommation de films X des Français, dont le résultat s’est avéré surprenant : 50 % des Françaises ont déjà visionné un film X seules. « La femme devait simplement ne pas être rebutée par le film, mais on n’imaginait pas que le film l’excite », a commenté Grégory Dorcel. Ce dernier n’envisageait pourtant pas de renverser son slogan pour produire des films « excitants pour les femmes et acceptables pour les hommes », en mettant par exemple des scènes entre deux hommes dans ses films : « On est quand même dans une culture latine, l’homme macho et viril, donc ça me paraît difficile*. »
Certains réalisateurs prennent l’initiative pour ne pas laisser l’industrie pornographique historiquement machiste être la seule représentation de la sexualité. Ovidie, ancienne actrice Dorcel, réalise depuis quelques années des pornos qui se veulent féminins et éducatifs. Elle est à l’origine du film Histoires de sexe(s), qui avait l’intention de se poser en « film réaliste sur la sexualité » accessible au grand public. Las, le CNC a considéré qu’il s’éloignait peu des productions pornographiques classiques et le ministère a refusé qu’il soit exploité dans les salles de cinéma traditionnelles.
À l’inverse, Pascal Thomas et Jean-Marc Barr (l’homme-dauphin du Grand Bleu) ont tourné en 2011 Chroniques sexuelles d’une famille d’aujourd’hui. Le film avait la même prétention que celui d’Ovidie et, même si certaines scènes de sexe ne sont pas simulées, aucun organe sexuel n’est visible à l’écran. Le long-métrage est simplement interdit aux moins de seize ans mais n’a rencontré qu’un succès confidentiel. La question de l’influence de la pornographie sur la sexualité de la nouvelle génération reste entière, les sexologues s’affrontent entre ceux qui assurent que les jeunes font bien la différence entre la fiction et la réalité, et ceux qui certifient que les pratiques et les relations en sont singulièrement modifiées. Quand on interroge les jeunes eux-mêmes, il semble certain que l’accès, très tôt, éventuellement malgré eux, à des images pornographiques change leur vision de la sexualité. Pour autant, les réactions à cette approche précoce sont aussi diverses qu’il y a de personnes sondées. Dans le numéro zéro de L’Imparfaite, revue érotique des étudiants de Sciences Po, paru en octobre 2009, tous les jeunes admettaient avoir vu un film ou des images pornographiques avant leur « première fois » et se souvenir parfaitement de ce premier « contact » avec la sexualité. Certains y ont puisé un encouragement à découvrir leur corps, une connaissance de celui du sexe opposé, une stimulation à explorer des pratiques, quand d’autres y ont retenu une peur de ne pas être conformes au modèle de performance ou se sont dit : « J’espère que ma première fois ne se passera pas comme ça. » Le « dépucelage visuel » a souvent lieu à plusieurs, « avec des amis », et reste associé à des relations humaines différentes de celles qui naissent lors de la première fois sexuelle (avec des copains de même sexe versus avec une personne de sexe opposé). Porno ou pas, les adolescents sont en recherche de leur sexualité et les films n’apportent pas plus la réponse que les livres pour les anciennes générations.
* Entretien avec l’auteur.
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Préservatif
Dans la mythologie grecque, le roi Minos, fils de Zeus, était réputé avoir une semence grouillant de serpents et de scorpions. Une de ses concubines, Procis, eut alors l’idée de se protéger de la substance réputée fatale grâce à de la vessie de chèvre… « Ainsi naquit le premier préservatif féminin », explique Vincent Vidal, auteur de La Petite Histoire du préservatif. La méthode de fabrication est restée identique de l’Antiquité au XIXe siècle : il s’agissait essentiellement de vessies de chèvre, de boyaux de cochon, plus rarement d’intestins de mouton, mais aussi, en Asie, de papier de soie huilé, de peaux de bambous verts ou d’articles en cuir.
Au XVIe siècle, le docteur italien Gabriel Fallope (qui a donné son nom aux trompes éponymes) créa un fourreau de lin, lubrifié à l’huile d’olive, pour prévenir la syphilis. Ils étaient fabriqués sur mesure et réutilisables après lavage. Rapidement, la méthode s’améliora avec des intestins de mouton et l’usage se répandit au XVIIe siècle tant pour la protection des maladies que pour la contraception. On a parlé alors, en France, de « capote anglaise » et de baudruche. Les Anglais affirment, eux, que l’invention vient d’un certain docteur Condom, dont le nom est probablement construit sur le mot latin condere : « protéger ». L’Angleterre, contrairement à la France, a laissé en effet l’objet en vente libre, lequel était cependant souvent utilisé par le roi de France, contre l’avis de l’Église. Les importateurs « dealers » de préservatifs français qui les rapportaient d’Angleterre risquaient jusqu’au bagne. Bien sûr, certains personnages célèbres et provocateurs les recommandèrent déjà pour le (dé)plaisir qu’ils procurent – le marquis de Sade, en particulier.
Une estampe d’époque montre Casanova soufflant dans une baudruche (nom donné aux intestins de mouton) pour vérifier qu’elle n’était pas percée. Le séducteur, à travers sa biographie, se positionna, dans une première période, contre cette protection (« Jamais je n’irai m’affubler d’une peau de mort pour prouver que je suis en vie », affirmait-t-il à propos d’un préservatif en chèvre), avant de changer radicalement d’avis et d’expliquer : « Il y a dix ans, j’aurais appelé cela une invention du diable, mais j’estime aujourd’hui que son inventeur était un homme de bien. »
La capote fut autorisée à la vente après la Révolution française, sous la protection de Danton et grâce à un médecin autrichien qui réussit à convaincre le pouvoir en place de son intérêt dans un objectif de santé publique. Puis, en 1839, Charles Goodyear inventa le caoutchouc et, peu de temps après, le latex ; les préservatifs ainsi créés furent commercialisés à partir de 1870. Un tract publicitaire proposé pour l’Exposition universelle de 1878 affirmait que ces protections « haut de gamme » (vendus 2,50 francs à l’époque, ils étaient inaccessibles financièrement à la plupart des Français) étaient de meilleure qualité que les autres et présentaient « moins de risque de déchirure ». Ils firent scandale mais furent utilisés par Théophile Gautier, Gustave Flaubert et Victor Hugo. Ce dernier ne prenait même pas la peine de les faire disparaître en présence de son épouse, ce qui choqua son ami Léon Daudet (le fils d’Alphonse).
À cette époque, des conservateurs expliquaient déjà que la fidélité et l’abstinence étaient le meilleur moyen de lutter contre les maladies vénériennes et craignaient le dépeuplement du pays. Le pape Jean-Paul II n’a donc rien inventé de nouveau de ce point de vue. L’usage de préservatifs, autorisés à la vente à partir de la fin du XVIIIe siècle pour prévenir les maladies vénériennes, fut restreint en France à partir de 1920 avec la création, le 27 janvier, d’un ministère de l’Hygiène : la diffusion et la promotion de contraceptifs ou même d’idées antinatalistes tombaient désormais sous le coup de la loi. La « propagande anticonceptionnelle » comme « la description ou la divulgation de procédés contraceptifs » étaient passibles de un à cinq mois de prison et de 100 à 5 000 francs d’amende, décrit le Journal officiel daté du 1er août 1920. De fait, au sortir de la Première Guerre mondiale et alors qu’une génération entière de jeunes hommes avait été décimée, la France (mais également l’Allemagne et d’autres pays européens) craignait davantage le dépeuplement qu’une épidémie de syphilis. Dans les années 1950, la capote était donc utilisée avec discrétion, tant pour la contraception que pour éviter les infections sexuellement transmissibles. Pour autant, « la loi qui, en France, en interdisait la publicité depuis près de quarante ans se relâch[a] ; de discrètes annonces vieillottes repar[urent] », explique Vincent Vidal. En fait, dès 1942, les lois de 1920 ont été allégées et les préservatifs à nouveau autorisés, mais leur diffusion devait se faire exclusivement par prescription médicale.
La pilule, imaginée en 1954 et popularisée dans les années 1960, semble avoir sonné le glas de la capote. D’ailleurs, les mouvements féministes considèrent que la pilule, contrairement au préservatif, a permis aux femmes d’avoir la mainmise sur la contraception et, en conséquence, sur leur corps. On doit peut-être voir là, en partie, les raisons de l’absence de développement d’une contraception masculine chimique. En 1967, la France a abrogé les lois de 1920 interdisant la contraception (dont les préservatifs), ces droits sur la contraception ont été complétés en 1974 par la ministre de la Santé Simone Veil. À cette période, la publicité pour les préservatifs demeurait pourtant encore interdite, car elle était considérée comme une « incitation à la débauche ».
C’est le sida qui a contraint toute une génération à réviser son rapport au préservatif. En 1987 (seulement), alors que l’épidémie commençait à frapper sévèrement, Michèle Barzach, ministre de la Santé, a autorisé de nouveau la publicité vers le grand public des préservatifs et a abrogé complètement les lois de 1920. Si certains catholiques ont jugé inadmissible cette « incitation à la débauche », d’autres considéraient au contraire qu’il était grand temps de se protéger.
Le préservatif est aujourd’hui utilisé par une majorité de jeunes couples. Il pose cependant encore des difficultés et donne parfois lieu à des témoignages assez négatifs : « Mon copain est plus performant sans », ou plus explicitement : « Il débande avec », assurent certaines femmes* ; des hommes confirment : « Avec, plus rien n’est possible », ou encore pudiquement : « Je le mets, mais je deviens très peine-à-jouir »… Et pourtant, souvent, c’est juste une question de choix de l’objet : de la texture (les sensations), de la matière – ce qui va le rendre plus ou moins facile à dérouler –, de la largeur, de l’épaisseur, du type de lubrifiant intégré ou non.
En fait, certains hommes témoignent ne pouvoir jouir qu’avec un modèle de préservatif précis*. Le modèle est généralement choisi en premier lieu pour sa fiabilité et la confiance qu’il inspire, et ensuite pour sa finesse et pour sa largeur adaptée à la taille du sexe. Pour la fiabilité, la norme NF n’est pas obligatoire, elle est facultative dans le sens où il s’agit d’une marque. La norme européenne ISO 4074 : 2002 doit suffire à rassurer les acheteurs.
On trouve encore, au XXIe siècle, des préservatifs en boyaux, mais aujourd’hui la plupart des capuchons pour se protéger sont en latex, parfois en polyuréthane ou en nitrile. On dispose aujourd’hui d’une immense variété de tailles, de goûts, de textures, de formes, de types de lubrifiants accélérateurs ou ralentisseurs de jouissance. Bref, comme le dit Marc Pointel, spécialiste ès capotes, « le préservatif aujourd’hui devrait être votre meilleur ami ».
* Témoignages recueillis par l’auteur.
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Préservatif féminin
« Le taux réduit de 7 % de la taxe sur la valeur ajoutée est applicable aux opérations d’achat, d’importation, d’acquisition intracommunautaire, de vente, de livraison, de commission, de courtage ou de façon portant sur les préservatifs masculins en caoutchouc (produits conformes à la norme française homologuée : NF - EN 600 - mars 1996). Le taux réduit s’applique en France continentale et dans les départements de la Corse. Ce taux s’applique quel que soit le lieu de vente des préservatifs », précise le Bulletin officiel des impôts du 12 septembre 2012. En effet, depuis 1988, le préservatif masculin bénéficie du taux de TVA réduit, au contraire de son pendant féminin, qui subit une TVA de 19,60 %. Francesca, de l’association Aides, m’explique : « Le préservatif féminin coûte trop cher et c’est plus facile de trouver une seringue pour se piquer *.»
Petite description avant tout pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas la chose : il s’agit d’un préservatif large, comportant deux anneaux flexibles, dont l’un viendra se placer au fond du vagin et l’autre à l’extérieur du sexe. En fait, ce sont les hommes qui l’utilisent le plus, comme me l’a confirmé une adepte : « Merci messieurs de m’avoir expliqué comment vous l’utilisiez, car c’est alors que j’ai voulu l’essayer et que j’ai su en faire mon atout protection. » Cette femme apprécie l’objet car « il prend sa place naturellement et n’interrompt aucun charme, aucune magie. Et vu sa taille, on peut le mettre plus facilement sur le sexe de l’homme (pas besoin de le dérouler ni de chercher un sens… il suffit de le poser et de guider comme naturellement le sexe ainsi vêtu vers l’orifice désiré) ». Et même, insiste-t-elle, elle trouve du plaisir car « il nous laisse entre les jambes tout le nectar des deux jouissances comme s’il n’avait pas existé… Et c’est magique, après vingt ans de préservatif masculin, lorsque l’on ressent à nouveau la semence de l’amour se perdre entre nos cuisses* ».
Comme me l’a expliqué Francesca, à Aides, le préservatif féminin fait l’objet de nombreuses discussions dans les groupes d’homosexuels masculins… Sœur Rose des Sœurs de la perpétuelle indulgence ne contredit rien : les gays adorent l’utiliser. « Pour les mecs, il suffit d’enlever l’anneau amovible qui se trouve dans le préservatif et de s’en servir comme d’un préservatif masculin. L’avantage, c’est qu’on est moins serré. Et comme c’est du nitrile (et pas du latex), il va prendre la température du corps et se faire oublier. De plus, le nitrile est largement moins allergène que le latex ! On peut aussi prendre l’anneau pour le mettre en cockring. Ce qui est un peu le cadeau bonus*. »
Parmi ses inconvénients, le côté esthétique : le préservatif qui sort du vagin avec son anneau a un faible pouvoir érotisant. Stéphane Rose, auteur de livres érotiques, me raconte : « Tu as un peu l’impression de baiser avec un cyborg sexuel dont on aurait bâclé les finitions. En même temps, une bite encapotée, c’est laid aussi, hein*. » Alors, pourquoi le préservatif féminin reste-t-il aussi confidentiel ? Un élément de réponse : un seul producteur au monde (la Female Health Company) et un prix public aux alentours de 2,50 euros l’unité qui a pour conséquence de freiner les ardeurs de celles et ceux qui auraient envie de l’adopter.
* Entretiens avec l’auteur.
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Prince Albert
Le Prince Albert désigne un piercing génital masculin. Il s’agit d’un anneau coupé qui entre dans la base du gland et sort par l’urètre.
Ne soyez pas déçus, le prince Albert auquel il est fait référence n’est pas celui de Monaco. Il s’agit, en réalité, de feu le mari de la reine Victoria d’Angleterre, père de neuf enfants avec icelle en vingt années de vie commune (soit environ un enfant tous les deux ans). La reine était réputée libérale pendant leur vie maritale, alors que son règne laisse un souvenir de pudibonderie et de conservatisme.
Le nom de ce piercing a probablement été imaginé par un performer américain BDSM, né en 1930, Roland Loomis, surnommé « Fakir Musafar ». Ce dernier créa en 1966 le magazine Body Play, dans lequel il proposait, et propose toujours, divers jeux sur le corps (piercing, tatouage, auto-suspension, bondage, etc.) et tente de diffuser la culture du milieu homosexuel fétichiste dans lequel il évolue.
Parmi les nombreuses légendes à l’origine de ce piercing et de son nom, deux principales versions s’opposent. La première, popularisée par Fakir Musafar dans sa revue, est que ce piercing servait de très longue date, dans les tribus primitives, comme ceinture de chasteté parce que le bijou, trop gros, empêchait les rapports sexuels. Il était alors posé par les épouses des hommes s’apprêtant à partir à la guerre.
L’anneau aurait permis au prince d’éviter les érections : il était de notoriété publique qu’il était très amoureux de la reine et la mode des pantalons près du corps, préconisée par le dandy George Brummell, rendait ses turgescences embarrassantes. Or le bijou aurait permis de contrôler ces manifestations corporelles : la douleur les faisait cesser dès qu’elles naissaient. Une variante de cette explication dit que l’anneau, attaché à l’aine, aurait épargné au prince des souffrances lors de ses déplacements à cheval. En effet, sa fertilité faisait fantasmer la population sur la taille de son pénis, laquelle aurait été gênante pour pratiquer l’équitation.
La seconde explication, qui permet un lien avec l’altesse britannique, est que le prince utilisait cet ornement pour donner du plaisir à sa femme, ce qui justifierait le fait qu’ils aient eu autant d’enfants et le revirement conservateur de la reine, lorsqu’elle perdit son mari et amant si bien doté.
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Prostitution
Lorsqu’il s’agit de définir le traitement légal de la prostitution dans un pays, plusieurs courants s’opposent. Le prohibitionnisme consiste à interdire et pénaliser tous les acteurs : proxénètes, clients et personnes prostituées. Le réglementarisme suppose l’acceptation pragmatique de la prostitution en tant qu’activité et propose de lui donner un cadre légal. L’abolitionnisme, c’est le choix du ni-ni : l’existence de la prostitution n’est pas encadrée légalement, seuls les proxénètes ou les clients sont sanctionnés par la loi, mais pas les prostitués eux-mêmes. Cependant, les pays néoabolitionnistes, telle la France, revendiquent la disparition de la prostitution et proposent pour ce faire de pénaliser les clients, voire les prostitués s’ils ne respectent pas un certain cadre.
La France a réaffirmé sa position abolitionniste, d’abord en 2011, via le dépôt d’une résolution à l’Assemblée nationale qui a récolté l’unanimité des partis, puis, le 24 juin 2012, la ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement Ayrault, Najat Vallaud-Belkacem, a annoncé dans Le Journal du dimanche que l’abolition de la prostitution était une des priorités de la législature : « La question n’est pas de savoir si nous voulons abolir la prostitution – la réponse est oui – mais de nous donner les moyens de le faire. »
Cette position française date de 1946 (fermeture des maisons closes et lutte contre le proxénétisme) et 1960 (ratification de la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation d’autrui). Elle ne reconnaît qu’une seule prostitution : l’esclavage sexuel subi dans des réseaux de traite. Publié en 1963, le « Que sais-je ? » Prostitution et proxénétisme ne fait d’ailleurs allusion qu’aux réseaux de traite et présente la prostitution comme un fléau frappant des individus plongés dans la misère sociale. Si cette exploitation forcée existe, le débat autour d’une prostitution choisie librement et assumée reste aujourd’hui entier. Le Strass (Syndicat du travail sexuel) s’en fait régulièrement le porte-parole.
À l’heure actuelle, l’activité de vente de services sexuels n’est pas à proprement parler interdite en France, mais le cadre légal vise à l’atrophier. Le premier délit institué a été le délit de proxénétisme, dès 1946. La loi française interdit de « tirer profit de la prostitution d’autrui, en partager les produits ou recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution ». Cette formulation couvre les proxénètes, mais aussi les compagnons ou enfants majeurs des prostitués, leurs chauffeurs de taxi, les propriétaires de leurs logements ou leurs boulangers.
Le délit de « racolage passif » a été créé par Nicolas Sarkozy dans la loi sur la sécurité intérieure de 2003, alors qu’il était ministre de l’Intérieur. Il permet de poursuivre toute personne prostituée sur la voie publique. Cette loi prétendait protéger les victimes du proxénétisme, mais elle a fait des prostitués des délinquants avant d’en faire des victimes. Le ministère entendait également limiter au travers de cette loi les nuisances causées par l’exploitation d’autrui « qui a pour conséquence de conduire les personnes qui en sont l’objet à commettre des actes portant atteinte à la tranquillité ou à la sécurité publique ». Sa mise en application n’est pas homogène, car elle dépend des directives des autorités locales (préfet, commissaire, maire). Par exemple, certaines municipalités prirent des arrêtés limitant la prostitution à certaines zones géographiques.
Pour mettre en œuvre cette disposition législative, Nicolas Sarkozy a créé en 2003 l’Usit (Unité de soutien aux interventions territoriales). Cette unité centralise les moyens permettant d’arrêter les personnes prostituées pour racolage : elle a été, de fait, le véritable bras armé du gouvernement dans la mise en application de sa politique de répression de la prostitution. Celle-ci a défini comme critère objectif de racolage passif les « positions d’attente sur un boulevard avec des automobilistes s’arrêtant à la hauteur de la femme, déambulation provocante, gestes ou regards appuyés ». Cette liste démontre le caractère imprévisible de la loi pénale et l’impossibilité de l’appliquer. La loi a amené les prostitués à exercer leur activité dans des lieux plus éloignés de la circulation, et donc plus dangereux. C’est d’ailleurs cet argument qui a conduit François Hollande à se déclarer prêt à supprimer le délit de racolage passif, avant que l’annonce abolitionniste de la porte-parole de son premier gouvernement ne brouille les pistes.
La révolution numérique a aussi profondément transformé l’activité de prostitution. En août 2002, 108 sites Internet concernaient les escorts à Paris. En juin 2004, ils étaient 816. Plus de la moitié étaient des sites « individuels », présentant un ou une prostitué(e), ses tarifs, ses prestations. Les autres étaient des sites d’agences de call-girls. Cette visibilité numérique a permis le développement de la prostitution occasionnelle et estudiantine : elle facilite la planification des séances sans courir le risque de la vente de charmes dans la rue. Ce genre de « racolage » n’était initialement pas réprimé par les forces de l’ordre, d’autant que les services proposés sur Internet se limitaient généralement à des services « d’accompagnement ou de massage, toute relation sexuelle pouvant intervenir ne résulterait que du choix consenti par deux personnes adultes ».
Une première call-girl fut cependant arrêtée en 2009, à Toulouse, pour « racolage passif sur Internet » (sic). En avril 2011, Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, déclara qu’il souhaitait s’attaquer au racolage en ligne, et donc cibler les prostitués. Il s’est en revanche montré prudent sur la pénalisation des clients. « Cela supposerait que nous révisions assez profondément l’ensemble du régime juridique de la prostitution, du régime pénal, puisque la prostitution n’est pas un délit aujourd’hui. Par conséquent, il est difficile de faire un délit de la pratique du client alors que la prostitution elle-même n’est pas un délit. »
Puisque la loi française n’a aujourd’hui plus recours à l’argument des bonnes mœurs, l’argument anti-prostitution systématiquement avancé est celui de l’esclavage sexuel, niant l’existence d’une prostitution libre. Pierre Lumbroso, auteur de Libre d’être putain, raconte comment les médias entretiennent cet amalgame. Invité de Jean-Luc Delarue dans son émission de télévision « Ça se discute », ses interventions, qui nuançaient les propos d’un policier de la brigade de répression du proxénétisme sur l’esclavage sexuel et légitimaient l’existence d’une autre prostitution, furent coupées au montage. Qu’ils concernent les réseaux de traite ou la prostitution en général, les chiffres avancés dans les débats sont tous sujets à caution. Comme le précise un rapport d’information de 2011 de l’Assemblée nationale, « fournir une évaluation quantitative précise du phénomène prostitutionnel aujourd’hui en France est un exercice périlleux. En effet, il n’existe pas une forme unique de prostitution mais des pratiques prostitutionnelles diverses, allant de la prostitution de rue à la prostitution par Internet, exercée de façon continue ou au contraire occasionnelle. » Il est impossible de distinguer sérieusement dans les chiffres la prostitution choisie de la prostitution forcée. Pourtant, s’il existe des ateliers de couture clandestins, le gouvernement français n’a jamais envisagé d’interdire la confection.
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La disparition de la notion d’atteinte aux bonnes mœurs dans la loi française a opportunément laissé place à la « protection des mineurs » dans tous les champs auparavant occupés par la censure. C’est, par exemple, la protection des mineurs qui préside aux délibérations du CNC au moment de proposer l’interdiction d’un film aux moins de seize ans : les films qui abordent le sujet de la prostitution sans la condamner fermement ou qui présentent une sexualité jugée « malsaine » (donc amorale) sous un jour favorable doivent être cachés aux mineurs. C’est aussi le cas des directives du CSA sur les émissions radiophoniques.
La corruption de mineur est un délit encore empreint de morale, car on peut être condamné pour des actes qui auraient eu pour but d’initier des mineurs civils mais pas sexuels, c’est-à-dire âgés de quinze à dix-huit ans, à la jouissance, et cela même avec leur consentement : des parents voulant expliquer à leurs enfants les joies du plaisir sexuel seraient ainsi possiblement condamnables par la loi.
Les relations sexuelles entre des mineurs de quinze à dix-huit ans et des adultes qui n’ont pas autorité sur eux sont théoriquement autorisées ; il ressort cependant que, si c’est le cas du coït vaginal hétérosexuel, il n’en est rien pour la sexualité de groupe, l’homosexualité, ou encore la masturbation, que les tribunaux peuvent condamner. Serge Braudo, dans son Dictionnaire de droit criminel, explique qu’il y a corruption de mineur « lorsqu’un individu s’efforce de profiter de la jeunesse et de l’inexpérience de sa victime pour l’initier à un vice et s’efforcer de le rendre esclave ». Ainsi, les faits de corruption sont constitués par une forme de perversion, laquelle n’est pas définie par la loi.
À l’instar de la législation sur les sex-shops, l’apparition de l’éducation sexuelle dans les programmes de l’Éducation nationale est devenue une des composantes de cette « protection des mineurs ». Elle fut introduite dans les programmes par une loi de 1973. En 2003, une circulaire de l’Éducation nationale expliquait que l’éducation à la sexualité est « légitimée par la protection des jeunes vis-à-vis des violences ou de l’exploitation sexuelles, de la pornographie ou encore de la lutte contre les préjugés sexistes ou homophobes ». Bref, la protection des mineurs, si elle est nécessaire, est devenue un prétexte que prennent les adultes pour censurer ce qu’autrefois la loi interdisait au nom de la morale chrétienne et que les révolutions de 1789 et de 1968 avaient fini par faire accepter.
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