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Rammstein

La maxime Sex, drugs and rock’n’roll a été, depuis que le rock est rock, incarnée par de nombreux artistes. Certains groupes parlent de sexe dans leurs chansons, mais il s’agit généralement d’une thématique plutôt machiste festive, comme par exemple AC/DC (« She’s Giving the Dog a Bone » – « elle fait bander », ou « Let Me Cover You in Oil » – « laisse-moi te couvrir d’huile »), ou encore Mötley Crüe qui a personnifié dans les années 1980 la débauche grandiloquente des rock stars. Être rock, c’est être un rebelle à la marge de la société et profiter de tout ce qu’elle interdit : consommer des drogues, avoir une vie sexuelle débridée avec de multiples partenaires aussi souvent que possible et saccager sa chambre d’hôtel.

Au sein du groupe allemand Rammstein, le sexe constitue également un élément important, mais on est loin de l’insouciance potache du glam des années 1980. Rammstein joue régulièrement avec les limites morales et s’attire parfois les foudres des autorités pour cause de perversion avancée. La pochette de leur premier album, Herzeleid (« Chagrin »), mettait dès le départ le corps en avant : elle montre les six membres du groupe torse nu et muscles saillants. Cette musculature proéminente alliée à la façon dont Till Lindemann, le chanteur, prononce les mots en roulant les r (certains interprètent cette caractéristique comme une volonté de copier la prononciation des dignitaires du Troisième Reich) ont provoqué une première polémique : Rammstein serait un groupe nazi. Ce que le groupe a réfuté tout au long de sa carrière. Le deuxième album, Sehnsucht (« Désir »), a mis la barre plus haut. La chanson « Tier » (« Animal ») aborde le thème de la zoophilie et de l’inceste, et « Bestrafe mich » (« Punis-moi ») mélange insidieusement religion et sadomasochisme. Sur scène, le chanteur s’autoflagellait d’ailleurs avec un martinet lorsqu’il l’interprétait. C’est avec « Bück dich » (« Baisse-toi »), qui décrit une sodomie avilissante, que Rammstein a rencontré ses premiers démêlés avec la justice. Chaque soir, lorsque le groupe jouait cette chanson sur scène, le chanteur tenait Flake, le claviériste, au bout d’une laisse, l’amenait au centre de la scène, dégrafait un rectangle du dos de son short pour découvrir le haut de ses fesses et simulait une sodomie à l’aide d’un pénis en plastique qu’il sortait de son pantalon. Il se mettait alors à asperger les fesses de Flake, ainsi que les premiers rangs du public, d’un mélange d’eau et d’anis. Cet acte de sodomie simulée est tombé, lors d’un concert dans le Massachusetts en 1999, sous le coup d’une loi qui punit les actes « non naturels et lascifs ». Or les actes de sodomie sont acceptés dans cet État s’ils restent privés et il s’agissait là d’une performance publique que les autorités ne pouvaient laisser passer. Les deux protagonistes ont donc été arrêtés à leur sortie de scène et ont passé la nuit au poste de police avant de repartir sur les routes pour le concert suivant.

En 2004, ils ont abordé le thème du cannibalisme. La chanson « Mein Teil » (« Ma queue » ou « Ma part ») raconte l’histoire vraie d’Armin Meiwes. Celui-ci passa une annonce sur Internet en 2001 : il recherchait quelqu’un qui accepterait d’être mangé. Bernd Jürgen Armando Brandes, ingénieur berlinois de quarante-trois ans, y a répondu favorablement. Il s’est rendu chez Armin Meiwes et, après plusieurs relations sexuelles, celui-ci lui a sectionné le pénis, qu’il a fait frire et qu’ils ont dégusté ensemble. Avec l’accord de Brandes, Meiwes l’a achevé et l’a dégusté durant plusieurs jours. Meiwes a publié alors d’autres annonces, qui ont attiré l’attention de la police. Suite à son arrestation, Meiwes a été condamné en 2004 pour « homicide sur demande » à huit années et demie de prison. Cette qualification lui évitant une peine plus lourde, le ministère public allemand s’est pourvu en cassation et Meiwes a finalement été condamné à la réclusion à perpétuité, en 2006, pour le motif d’assassinat à caractère sexuel. C’est ce que Rammstein mettait en scène lors de ses concerts : Flake, le claviériste souffre-douleur, était placé dans un chaudron que faisait chauffer Till à l’aide d’un lance-flammes. Les tribunaux ayant déjà condamné ces actes en emprisonnant son auteur, les censeurs allemands n’ont pas jugé nécessaire d’en rajouter une couche en s’attaquant à Rammstein.

Le groupe a fini par être prophète en son pays en 2009 et s’y est enfin fait censurer. L’album Liebe ist für alle da a été lancé avec le titre « Pussy », qui traite du tourisme sexuel pratiqué par les compatriotes de Rammstein. Les paroles (You’ve got a pussy, I have a dick, so what’s the problem ? Let’s do it quick – « Tu as une chatte, j’ai une bite, quel est le problème ? Faisons-le vite ») étaient illustrées par un clip interdit aux moins de dix-huit ans : les musiciens, fort probablement doublés, y apparaissaient dans des scènes de sexe explicites. L’album a d’ailleurs été vendu en édition limitée avec six godemichés moulés sur les phallus des membres du groupe.

C’est cependant à la chanson « Ich tu dir weh » (« Je te fais mal ») que s’est intéressé le département fédéral allemand des médias dangereux pour la jeunesse. La vice-présidente du département, Petra Maier, a déclaré que les paroles de cette chanson étaient une « présentation de pratiques SM choquantes pour les mineurs » (« Morsures, coups, clous, pinces, ce que tu veux, je ne dis pas non », dit la chanson). L’album a été retiré des magasins, interdit à la vente aux moins de dix-huit ans et il a été défendu à Rammstein d’interpréter cette chanson lors de leurs concerts allemands. Dans la foulée, le Conseil pour la moralité de la Biélorussie a déclaré que les chansons de Rammstein étaient de la propagande pour « la violence, le masochisme, l’homosexualité et autres perversions qui menacent l’État biélorusse ».

Sodomie aux États-Unis, sadomasochisme et pornographie en Allemagne, homosexualité en Biélorussie : Rammstein a réussi, toute sa carrière durant, à toucher les limites posées par les législateurs en termes de perversions. On peut parier qu’ils n’ont pas terminé leur exploration des recoins honteux de notre psychisme.

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Réflexe du nid

En ces temps de crise économique, d’irréductibles « Gaulois » résistent toujours à l’envahisseur : les industries du sexe.

Il ne suffit cependant pas de faire partie de ce secteur pour échapper à la faillite. Le New York Times a rapporté en décembre 2010 qu’en République tchèque les bordels pour vacanciers étrangers étaient directement victimes de la crise du secteur touristique. En fait, ce sont les instruments de sexualité du couple (préservatifs en premier, sex-toys et lingerie fine en deuxième, sites Internet de rencontres en troisième) qui prospèrent.

Ainsi, LeRoidelaCapote.com qui, comme son nom l’indique, vend des préservatifs, expliquait que son chiffre d’affaires avait augmenté de 40 % à 50 % en 2008 par rapport à 2007, « et c’est pareil pour mes potes qui s’occupent de sex-toys ». Une femme, qui avait décroché un CDI très bien payé dans la vente de sex-toys en 2010, confirmait : « Un CDI à plus de 3 000 euros par mois pour mon niveau de qualification, ça ne se trouve plus en dehors de ce secteur. »

Le domaine ne se contente pas de résister à la crise économique, il en profite. Il semble exister un phénomène baptisé « le réflexe du nid », qui consiste à trouver refuge dans son lit face à la morosité ambiante, à pimenter sa vie de couple et à privilégier le sexe à tous les autres loisirs. Ainsi, Claire Cavanah, cofondatrice de Babeland, sex-shop haut de gamme new-yorkais (qui vend des vibromasseurs à 109 dollars et se réjouit d’une hausse importante de son chiffre d’affaires), a enregistré une forte augmentation de ses ventes lors de moments d’angoisse collective (notamment après le 11 septembre 2001).

Une étude anglaise réalisée au début de la crise par l’institut de sondage Yougov auprès de deux mille adultes affirme que « se glisser sous la couette est élu l’activité la plus populaire en temps de crise par 37 % des deux milliers de Britanniques ». Le Financial Times faisait également état de « salariés de firmes financières licenciés ou des banquiers d’affaires déprimés à Londres [qui] se bousculent sur le site IllicitEncounters.com, spécialisé dans les relations extraconjugales. »

Pas si étonnant donc que les ventes de préservatifs augmentent et échappent complètement à la crise. Un paquet de préservatifs coûte moins cher qu’une sortie… Remplacer les moments de déprime par des câlins paraît être une bonne option. En économie, on appelle cela l’effet de substitution.

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Religion

La religion est omniprésente dans ce dictionnaire. Influençant les cultures et les lois, elle structure la sexualité partout dans le monde. Feuilletez quelques pages de ce livre et elle vous tombera dessus comme la vérole sur le bas clergé.

Dans son ouvrage Datavision, David McCandless, chantre du data-journalisme, réalise une matrice morale des religions. Cette représentation graphique symbolise d’un carré rouge ou d’un carré bleu ce que chaque religion condamne ou accepte, sur des thèmes tels que la boisson, l’usure, le jeu… et évidemment tout ce qui se rapporte au sexe : masturbation, sexe avant le mariage, adultère, homosexualité. Toutes les religions y sont présentes, que ce soit les différents courants chrétiens (catholiques, protestants, orthodoxes, etc.), musulmans (chiites, sunnites, soufis), juifs (orthodoxes, réformistes, etc.), hindouistes, bouddhistes, africains, ou même la scientologie.

Cette matrice est riche d’enseignements. Elle permet de constater que l’adultère est condamné dans toutes les religions répertoriées, ce qui fait de l’exclusivité sexuelle dans le couple une valeur morale qu’il convient de respecter universellement. L’Église catholique romaine se distingue de toutes les autres car elle prohibe et condamne à peu près tout. Elle est par exemple quasi la seule à interdire le mariage des membres de son clergé et la contraception. Excepté ces deux points, elle est sur la même longueur d’ondes que l’islam chiite ou sunnite.

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Reproduction

Rêve de l’Église catholique, l’arrivée d’un enfant dont la conception ne serait pas maculée de la rencontre entre deux organes génitaux est incarnée par l’image de la Vierge Marie. Cette icône permet, à elle seule, de comprendre pourquoi les techniques de procréation artificielle sont tolérées, voire encouragées par les religions, tant qu’il s’agit bien de permettre à un couple hétérosexuel, dont la femme n’est pas ménopausée, d’avoir un enfant. Un couple hétérosexuel qui serait naturellement stérile peut avoir recours à la médecine afin de procréer avec la bénédiction des religions, alors qu’elles condamnent l’utilisation de ces mêmes techniques quand elles ont pour but de compenser la stérilité tout aussi naturelle d’un couple d’homosexuelles.

La sexualité est, historiquement, culturellement, religieusement, biologiquement aussi, indissociable de la reproduction. Pourtant, aussi loin qu’on puisse remonter dans le temps, les êtres humains ont cherché à contourner la biologie pour s’adonner au plaisir de la fornication et du stupre sans se retrouver nécessairement entourés de marmots. Du préservatif aux méthodes « naturelles » de contraception en passant par le développement de sexualités non reproductives, on trouve depuis l’Antiquité des ébauches de séparation de la sexualité et de l’enfantement.

Selon les époques, ces tentatives de dissociation de la génitalité et de la procréation ont été plus ou moins admises. Après la Première Guerre mondiale, en 1920, l’heure était au repeuplement et peu importait que la syphilis ou d’autres maladies graves se répandent : une loi interdisant la contraception et l’usage des préservatifs a été votée. Plus tard, et jusqu’en 1987, la loi condamnait « toute publicité de caractère commercial sous quelque forme que ce soit, contenant ouvertement ou d’une manière déguisée la prophylaxie et le traitement des maladies vénériennes sauf dans les publications exclusivement réservées au corps médical ». Autrement dit, le préservatif était considéré, au même titre que l’alcool, comme un produit dangereux pour la société dont il fallait préserver les personnes sauf « consommation modérée ». Le sida et la découverte du VIH ont sonné le coup d’arrêt de cette politique : le risque de mort est devenu trop important par rapport à celui de non-renouvellement des générations. Le VIH a été, un temps, introduit dans la liste des tests sanguins des examens prénuptiaux, obligatoires jusqu’en 2007.

C’est la reproduction qui structure, aujourd’hui encore, les lois sur la sexualité. Jusqu’en 1990, en France, le viol entre époux était réduit aux rapports sexuels dits « anormaux », c’est-à-dire non reproductifs (la sodomie, par exemple). De fait, on ne peut pas naître d’une sodomie. C’est également parce que la sexualité homosexuelle n’est pas reproductive que l’on interdit le mariage entre personnes du même sexe. Et c’est pour le même motif que la stérilisation, qu’il s’agisse de la vasectomie pour un homme ou de la ligature des trompes pour une femme, techniques aujourd’hui plutôt sûres, peu invasives, moins coûteuses et moins polluantes que la pilule, est réservée aux personnes d’un certain âge et ayant déjà des enfants. Les médecins pouvant faire jouer leur clause de conscience, réussir une stérilisation pour une nullipare (ou un homme n’ayant jamais eu d’enfant) de trente ans relève du parcours du combattant. Comme l’avait signalé un candidat à la vasectomie : « Le temps de réussir à avoir un rendez-vous, ma femme était ménopausée. » Bref, on ne vous laissera pas ne pas vous reproduire si simplement. Les médecins se rangent derrière le caractère « définitif » de ces stérilisations, avançant que les personnes stérilisées pourraient regretter leur acte. Ils considèrent donc qu’avoir un enfant n’est pas un acte aussi définitif que celui de ne plus avoir la possibilité de procréer.

Chaque religion a sa façon de considérer que la sexualité est une nécessité mais qu’on ne doit pas la gâcher à autre chose que la procréation. Dans la religion juive, par exemple, la femme est impure dans les dix jours qui suivent le début de ses menstruations. Elle ne doit pas être câlinée pendant cette période. Une telle règle augmente notablement la fécondité des rapports sexuels, car ceux-ci interviennent au moment où la femme ovule. Plus amusant encore, toujours dans la religion juive, la masturbation, ce gaspillage de sperme, n’est pas casher (conforme aux dogmes). En cas de problème de conception nécessitant une insémination artificielle, pratique autorisée, les couples de religieux infertiles doivent importer du sperme émis par des non-juifs. Peut-être que cela leur évite surtout l’humiliation de l’épreuve de l’éjaculation en laboratoire sur de vieux magazines pornographiques. Les catholiques, eux, iront se confesser après avoir commis l’acte d’onanisme.

La procréation est l’essence des inégalités entre les hommes et les femmes. La juriste Marcela Iacub et le philosophe Patrice Maniglier imaginent dans l’Antimanuel d’éducation sexuelle un monde où enfantement et sexualité seraient distincts. Selon eux, cela supprimerait, de fait, les distinctions de genre, les revendications queers (homosexuelles entre autres) et les discriminations.

Les conséquences les plus inattendues, et peut-être les plus injustes, des inégalités de genre dans la reproduction sont que les femmes ont la possibilité de prendre la pilule, de se faire avorter ou d’accoucher sous X, c’est-à-dire de ne jamais avoir de lien avec les enfants qu’elles ont portés, tandis que les hommes, qui n’ont pas d’autre moyen de contraception que le préservatif, peuvent faire l’objet d’une recherche en paternité allant jusqu’à trente ans après la majorité de l’enfant. Et de fait, ce dernier peut leur réclamer des subsides. Une des conséquences positives est que cela devrait encourager les hommes à être attentifs au port du préservatif.

Même dans le traitement des problèmes de fécondité, les lois de bioéthique françaises dupliquent voire augmentent les inégalités entre les hommes et les femmes. Ainsi, un couple dont la femme a trente-huit ans et le mari soixante-dix ans pourra se voir proposer une FIV (fécondation in vitro), parce que la loi est fondée sur l’idée que l’andropause est tardive et que les hommes peuvent se reproduire sans limite d’âge, tandis que les femmes doivent être encore fécondes pour bénéficier d’assistance médicale. Il est pourtant très probable dans une telle situation que ce soit bien le sperme de l’homme qui manque de vigueur, mais qu’importe : puisqu’il serait « naturel » que la femme puisse être enceinte, la science peut rendre cela possible. Il serait grave d’avoir une mère âgée, pas d’avoir un père sénile.

La possibilité de recourir à une mère porteuse reste un grand débat en France, où l’opinion est plutôt réticente à cette idée. La réserve proviendrait de la crainte que le corps des femmes soit commercialisé à cette fin. L’ensemble des instances religieuses monothéistes soutient cette opposition. Curieusement, la gestation pour autrui est assez développée dans certains États des États-Unis, qu’ils soient considérés comme libéraux, telle la Californie qui accueille la plus forte communauté homosexuelle, ou très religieux, tel l’Arkansas (les athées ne peuvent y être ni fonctionnaires ni témoins en justice) qui a refusé le mariage gay.

Difficile dès lors de démêler l’influence de la religion, de la culture, de l’histoire, de la médecine, de la biologie ou même d’œuvres artistiques. Les couveuses déshumanisées du Meilleur des mondes, ouvrage d’Aldous Huxley, ou la société soumise à la génétique du film Bienvenue à Gattaca, d’Andrew Niccol, entretiennent la peur de l’eugénisme et du dévoiement dus à la séparation potentielle du sexe et de la reproduction. C’est pourtant un dilemme incontournable auquel vont devoir réfléchir les sociétés confrontées à la marche en avant des techniques médicales.

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Révolution sexuelle

En France, on situe la révolution sexuelle dans le sillage de Mai-68. L’interdiction d’interdire et la « jouissance sans entrave » auraient, selon l’inconscient collectif, libéré les mœurs. En fait, la révolution est sexuelle : les révolutions sexuelles se traduisent dans les lois et font suite à tous les mouvements révolutionnaires, que ce soit la révolution française de 1789 ou la Révolution bolchévique de 1917.

« Abolissons la famille », scandaient Marx et Engels dans leur Manifeste du parti communiste, en 1848. Pour les théoriciens de la révolution d’Octobre, il s’agissait en réalité d’abolir le mariage, considéré comme une exploitation de la femme par l’homme : le mariage était donc le premier maillon du système d’exploitation de l’homme par l’homme. La révolution russe eut donc des conséquences sur l’encadrement légal de la sexualité dans les années qui suivirent 1917 : le divorce par consentement mutuel fut autorisé ainsi que l’avortement, et l’homosexualité fut dépénalisée. Alexandra Kollontaï, révolutionnaire russe qui devint la première femme au monde à faire partie d’un gouvernement en 1917, y développa alors la « théorie du verre d’eau » : faire l’amour devrait être aussi simple et naturel que boire un verre d’eau. Les théoriciens de la révolution avaient donc considéré le sexe comme un bien fondamental qu’il fallait libérer. Marx et Engels ne furent contredits que quinze années plus tard, par un mouvement de contre-révolution sexuelle. Lénine considérait que la sexualité n’apportait pas « la joie et la force » que prétendait procurer le communisme. Il la remplaça par l’exercice, le sport, la gymnastique, la natation, qui apportent en effet leur lot d’endorphines… Il est révélateur de constater que les lois issues de la révolution bolchevique initiale n’arrivèrent en France qu’avec la « révolution sexuelle » post-soixante-huitarde : le divorce par consentement mutuel en 1974, l’avortement en 1975 et la fin de la pénalisation spécifique de l’homosexualité en 1981.

Les deux mamelles des révolutions sexuelles sont invariables : il s’agit de l’acceptation du sexe en dehors du mariage et de la scission entre sexualité et reproduction. Les années 1970 sont-elles alors le creuset d’une libération sexuelle dont la France profiterait encore aujourd’hui ?

En ce qui concerne le sexe hors mariage, en 1972, une loi moins célèbre que celle sur l’avortement est venue désacraliser la sexualité au sein du mariage, qui gardait jusqu’alors une supériorité légale sur la sexualité hors mariage : les enfants adultérins ou « naturels » sont devenus alors les égaux, en termes d’héritage, des enfants légitimes. De même, c’est en 1975 que l’adultère a été dépénalisé.

Quant à la séparation entre sexualité et reproduction, elle doit être distinguée en deux acceptions. 1) Le sexe sans conséquences reproductives est à peu près acquis en France depuis les lois sur l’avortement et la légalisation de la contraception. La planification des naissances au sein du couple est facilitée par les techniques de contraception. 2) La reproduction réalisée sans sexe est quant à elle complètement admise par la loi au sein du couple hétérosexuel : l’obtention d’un enfant au sein du couple qui n’y parvient pas « naturellement » est favorisée par les techniques de fécondation in vitro, les dons de gamètes sont autorisés et le recours à l’adoption reste une possibilité. L’Église catholique condamne pourtant encore la masturbation qui a permis d’obtenir un don de sperme ou le don de gamètes qu’elle considère comme un « adultère organisé par l’État », voire toute reproduction obtenue en dehors du sexe conjugal, que Dieu aurait voulu comme unique source de vie (instruction Donum vitae, validée par Jean-Paul II en 1987). Les lois françaises ne sont cependant pas écrites par le Vatican. Pour autant, qu’on ne s’avise pas d’avoir un enfant si l’on n’est pas en couple hétérosexuel. L’adoption par un couple homosexuel, la reconnaissance de l’autorité parentale pour la conjointe d’une lesbienne qui aurait bénéficié d’un don de sperme ou qui aurait eu un enfant d’un précédent mariage, ou l’autorisation du recours à une mère porteuse ne sont encore que des chimères.

Les révolutions sexuelles ne peuvent pas être considérées comme porteuses d’acquis indéboulonnables. Lénine démolit ceux de Marx, Valéry Giscard d’Estaing n’eut besoin de personne pour revenir en arrière sur le X et Nicolas Sarkozy a tué la Révolution française de 1789. En effet, les Lumières avaient séparé dans la loi ce qui devait relever de pratiques sexuelles privées dépénalisées (la zoophilie, par exemple, l’homme qui sodomise son âne ne faisant de tort à personne) des pratiques nuisibles pour la société (le viol, entre autres). Ces lois furent entérinées dans le Code napoléonien en 1810, puis pour partie remises en cause par Vichy, avant d’être abolies par Nicolas Sarkozy entre 2002 et 2012. On a aussi pu constater, lors du retour au pouvoir du Parti populaire espagnol en 2011, après sept années de gouvernement socialiste, que parmi les premières annonces de mesures du nouveau gouvernement figure en bonne place un retour en arrière sur les lois progressistes votées par les socialistes en matière d’accès à l’avortement ou de mariage des homosexuels. Pas de doute, la révolution sexuelle est un combat permanent.

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Rimbaud, Arthur

L’auteur du poème « H » naquit en 1854, dix ans après Verlaine. Il fut un contemporain de Baudelaire, arrivé sur terre un quart de siècle avant lui, et d’Apollinaire, né un quart de siècle après. Dans la lignée de ces auteurs illustres, Rimbaud fut un poète maudit, dépravé et scandaleux.

L’écrivain entretint une relation tumultueuse avec Paul Verlaine, dont il dépendit financièrement pendant son adolescence, redoutant de retourner vivre chez sa mère. La réputation de ses amours homosexuelles devenues publiques conjuguée à son addiction à l’alcool et à sa violence envers sa femme contraignirent Verlaine, l’auteur des Poèmes saturniens, à divorcer à ses torts. La séparation le ruina, l’envoyant errer avec Rimbaud entre la Belgique et l’Angleterre.

Éduqué strictement dans la religion catholique, Arthur Rimbaud en garda essentiellement, semble-t-il, un goût pour le latin, idiome dans lequel il composa ses premiers poèmes, et une capacité à transgresser, par de subtils jeux de langue, les normes sociales. « Il utilisait “cœur” pour “cul” ou “queue” ; “Le chevalet féerique” est un poème sadomasochiste avec Verlaine. On trouve beaucoup de mots anglais du sexe cachés comme spunk, mot d’argot qui signifie l’attirance et qui désigne sinon le courage. La poésie chez l’adulte est une persistance du désastre pubertaire », explique Gérald Stehr*, auteur de Rimbaud, « Le Cœur supplicié ». Si son anarchisme dépravé, son attitude débraillée, voire méchante, sa consommation de drogue et son écœurement face à la répression de la Commune de Paris valurent à Rimbaud d’aller dans un premier temps se refugier chez les anciens communards exilés à Londres, son homosexualité l’en fit ensuite exclure.

Les Illuminations furent vraisemblablement écrites au cours d’un exil londonien des amants infernaux. Ainsi le poème « L’Aube », extrait de ce recueil, est-il un mélange de naïveté, voire d’ingénuité et de sexualité. « J’ai embrassé l’aube d’été. […] J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent et les ailes se levèrent sans bruit. […] Je ris au Wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée, je reconnus la déesse. […] En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassées, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois. Au réveil il était midi. » Ce qui pouvait à première vue passer pour une promenade bucolique est désormais considéré par certains exégètes comme une métaphore sexuelle, grâce à laquelle le poète raconta une sieste coquine dont il se réveilla avec une belle érection… le fameux « midi ».

Les légendes autour du poème « H », dont il fut longtemps admis qu’il désignait l’homosexualité, semblent en réalité relever davantage des fantasmes de rimbaldiens excités que d’une réelle intention de l’auteur. D’autant que le terme « homosexualité » n’existait pas encore à l’époque. « H » mentionne une certaine Hortense : « Toutes les monstruosités violent les gestes atroces d’Hortense. Sa solitude est la mécanique érotique ; sa lassitude, la dynamique amoureuse. […] Là, la moralité des êtres actuels se décorpore en sa passion ou en son action. – Ô terrible frisson des amours novices, sur le sol sanglant et par l’hydrogène clarteux ! Trouver Hortense. »

Certains y ont vu une référence à la masturbation (l’habitude), d’où le h puisqu’on retrouve un éloge généralisé de l’onanisme dans l’œuvre de l’adolescent. De fait, Arthur Rimbaud avait dix-huit ans quand il composa les poèmes de ce recueil. Les lecteurs les plus adeptes des Paradis artificiels sont quant à eux convaincus qu’il s’agit d’une ode au haschich. Marin de Charrette propose sur son site Internet une explication moins connue, d’apparence moins sexuelle et plus graveleuse, mais assez séduisante.

Tout le monde est d’accord pour dire qu’Hortense, l’héroïne du poème, n’a jamais existé. Or on sait aussi que ce prénom vient du latin hortus, « le jardin ». En France, on dit parfois « aller au fond du jardin », expression assez proche d’« aller au petit coin ». Arthur Rimbaud était quant à lui originaire des Ardennes, région frontalière avec la Belgique, où la phrase « je vais voir Hortense » est de la même manière synonyme d’« aller au petit coin ». Le mystérieux « H » désignerait en fait les toilettes ! Quand on sait le rôle des vespasiennes pour les homosexuels et la fascination du poète pour ces endroits un peu cachés et un peu crades, il est possible que le terme « H », désignant un lieu isolé où l’on peut lâcher des besoins naturels, soit tout à fait sexuel. En effet, les urinoirs publics furent déployés au cours du XIXe siècle en France et en particulier à Paris. Ils devinrent un haut lieu de drague intensive et de prostitution masculine, notamment en France, jusqu’à ce que, après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement les interdît au motif qu’ils pervertissaient les mœurs.

L’énigme du « H » ne sera jamais résolue avec certitude, toujours est-il que le jeune poète réussit en quelques vers et en une courte vie (il mourut à l’âge de trente-sept ans) à devenir une figure de la littérature française, avec une œuvre sulfureuse bien que peu ouvertement sexuelle. Sa sœur et son frère, héritiers de ses publications, tinrent à cacher son homosexualité afin de le rendre plus fréquentable pour le grand public et de favoriser la diffusion de ses textes.

* Entretien avec l’auteur, février 2012.

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Rockbitch

Rockbitch est le groupe musical qui personnifie le mieux l’expression Sex and rock’n’roll. À l’origine, Amanda, la future bassiste, fonda au Royaume-Uni une communauté matriarcale et féministe qui comptait un homme pour une dizaine de femmes. Les relations de couple exclusives y étaient interdites et les femmes pratiquaient des rituels sexuels avec la nature, tel le earth-fucking, « l’amour avec la terre », qui consiste à tapoter son sexe contre le sol. Mais, jugeant que l’environnement anglo-saxon était trop conservateur pour une communauté de femmes sexuellement libérées, elles décidèrent de venir vivre en France, « parce que la France, c’est l’amour ». Elles prirent une carte de l’Hexagone et, à l’aide d’une fléchette, choisirent au hasard Metz comme point de chute. La communauté s’installa donc dans un ancien monastère de Moselle, à Gorze.

Rockbitch fut un des projets artistiques de cette communauté qui avait pour objectif de mêler sur scène la musique rock et le sexe explicite. Le seul album produit, Motor Driven Bimbo, sorti en 1999, fut une réussite, car la musique n’était pas qu’un prétexte au spectacle sexuel. Selon Julie, la chanteuse, « des gens venaient voir nos seins, d’autres venaient pour écouter la musique. Ceux qui venaient pour les seins se rendaient parfois compte qu’on jouait de la bonne musique et voulaient acheter l’album ». La musique était aussi un moyen d’exposer leur style de vie libéré à un assez large public. Plusieurs femmes de la communauté montaient d’ailleurs sur scène sans jouer d’instrument. Elles tenaient le seul rôle de « prêtresses sexuelles » qui dansaient, s’embrassaient, se fistaient. Le seul homme du groupe passa vite du rôle de guitariste à celui de manager. Les autres membres, exclusivement féminins, étaient quasiment nus sur scène, souvent vêtus de harnais en cuir, et s’en donnaient à cœur joie entre les morceaux, et même pendant, dans une véritable orgie sexuelle.

Dans la salle, le public était poussé dans ses retranchements : les curieux venus assister à un concert de « métal joué par des filles à poil » se retrouvaient confrontés à une musique très intense, à des revendications féministes libertaires, voire à des actes scatophiles et urophiles. L’assistance pouvait aussi être mise à contribution (les musiciennes embrassaient parfois les membres du premier rang) et à chaque fois le rituel du golden condom était observé : un préservatif doré était jeté dans la foule et celui ou celle qui l’attrapait avait le droit de rejoindre le groupe en backstage pour participer aux ébats post-concert. De l’avis de Rockbitch, « les gagnants étaient répartis à cinquante/cinquante entre hommes et femmes, et si aucune femme n’a fait demi-tour, la moitié des hommes ont prétexté qu’ils croyaient que c’était une plaisanterie pour se débiner. Le golden condom était vraiment un témoignage de sincérité. On n’était pas un produit marketing dénudé, on allait vraiment jusqu’au bout. »

Leurs prestations scéniques posèrent bien entendu quelques problèmes aux autorités. Les promoteurs durent se rapprocher des polices locales pour obtenir des autorisations préalables, et certains concerts furent défendus aux moins de dix-huit ans ou tout bonnement interdits (une tournée complète au Canada fut même annulée faute d’autorisations). Ces problèmes finirent par miner l’enthousiasme du groupe, comme l’explique Babe, l’ex-guitariste : « Le positif qu’on retirait des tournées, c’est-à-dire l’interaction avec les fans, la satisfaction de jouer en live, toute cette joie était siphonnée par la censure, les problèmes financiers, la peur continuelle de ce qui pouvait nous arriver. Au final, c’était plus négatif que positif. » Rockbitch arrêta de tourner en 2002 et reste un ovni scénique encore inégalé à l’heure où paraît ce livre.

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Rose

Depuis le Moyen Âge, les bébés sont vêtus de couleurs très pâles. D’abord, il s’agissait souvent du blanc, considéré comme plus hygiénique, puis, en France, du bleu clair, couleur de la Vierge Marie. À partir de la fin du XIXe siècle, dans l’ensemble de la culture occidentale, les bébés étaient majoritairement habillés de rose et de bleu pastel. C’était une reprise de l’opposition fondamentale entre le rouge et le bleu censée faire écho à celle tout aussi fondamentale entre les deux sexes. Le bleu s’oppose au rouge comme le féminin au masculin. Déclinées en demi-teintes pour les enfants, ces couleurs devinrent le bleu pastel et le rose. En fait, le rose est une demi-couleur, un rouge délavé. Pendant longtemps, le rose n’a pas existé ; on parlait parfois d’« incarnat », couleur de la carnation.

De la même façon qu’un garçon mettait des culottes courtes et qu’il ne portait des pantalons qu’une fois homme, le rose seyait aux vêtements des enfants de sexe masculin. Lesquels une fois adultes s’habilleraient dans la couleur des hommes : le rouge. Ainsi, en 1918, un éditorial du magazine américain Earnshaw, voué à aider les grossistes et les détaillants à faire leurs achats à destination des magasins pour enfants, expliquait que le rose était une couleur plus forte et plus décidée, qui correspondait mieux aux garçons, tandis que le bleu, plus délicat et mignon, convenait mieux aux filles.

À l’origine, le rose était donc la couleur des garçons, des vrais, ceux qui avaient le sang chaud, l’envie de se battre et du tempérament. Aux États-Unis, la bascule du rose vers le bleu pour les vêtements des garçons a été visible dans l’entre-deux-guerres : Time magazine publia dans son édition du 11 novembre 1927 un tableau qui indiquait quel magasin affectait quelle couleur à qui. Les garçons s’habillaient en rose à Boston, à Chicago, à La Nouvelle-Orléans et à San Francisco tandis que cette couleur était réservée aux filles à Philadelphie ou à Los Angeles. Quelques villes étaient plus partagées : à Manhattan, cela dépendait des magasins et, à Cleveland, tous les bébés étaient vêtus de rose. Le processus s’est finalisé pendant la Seconde Guerre mondiale : le rose en tant que rouge adouci est devenu la couleur des filles qui sont, comme chacun sait, des hommes en plus doux. Les homosexuels étaient affublés de rose, stigmatisant leur soi-disant féminité. Ils portaient d’ailleurs un triangle de cette couleur dans les camps nazis. La communauté LGBT lui a préféré le drapeau arc-en-ciel, symbole de la diversité.

En France, le tournant s’est produit au XVIIIe siècle. Le rose est alors devenu la couleur des petites filles (qui naissent dans les roses) et l’on a commencé à voir la vie en rose. La passion et le sexe (rouge) « adoucis » symbolisent l’érotisme. Tous les graphismes érotiques sont dans les tonalités roses et le mot même vient qualifier ce qui est un peu osé : le Minitel rose, une vidéo rose, etc.

Depuis le milieu du XXe siècle, la catégorisation n’a pas changé et les jouvencelles peuvent lire la « Bibliothèque rose » (qui n’a que des héroïnes) avant de feuilleter des romans « à l’eau de rose ». Restent les rugbymen du Stade français, ces athlètes aux corps d’acier photographiés tous les ans dans le calendrier des Dieux du Stade, que personne ne se risquerait à taxer de demoiselles, malgré un maillot rose du plus bel effet.

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Rouge

Le rouge est la couleur du sexe, celle des prostituées dans l’Empire romain comme dans le quartier « rouge » d’Amsterdam. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les babouins femelles ont le sexe qui rougit pour séduire le mâle. La couleur attire… le regard en premier lieu.

Nicolas Guéguen, chercheur en sciences du comportement à l’université de Bretagne-Sud, conduit régulièrement des expériences avec des auto-stoppeuses pour étudier les méandres des lois de l’attraction humaine. Il en a conclu que les voitures conduites par des hommes s’arrêtent plus souvent pour des femmes à forte poitrine que pour des femmes moins dotées, plus souvent pour des blondes que pour les autres et… plus souvent pour des femmes vêtues de rouge que pour n’importe quelle autre couleur, car elle continue d’être la plus visible, et la plus attirante. En fait, c’est physiologique : c’est la couleur qui excite le plus le cône de l’œil humain après le jaune ou, dit autrement, c’est la couleur la plus perceptible. Les historiens des couleurs s’accordent à le dire : la notion même de couleur est apparue avec le rouge, dans toutes les cultures, et ce même chez les hommes préhistoriques. Des théories darwiniennes suggèrent que l’importance de ce pigment vient de la nécessité de visualiser rapidement tant le sang que le feu.

En conséquence, cette teinte incarne toutes les allégories : la beauté, la vie, le diable, la sexualité, la traîtrise, le crime, l’amour, la guerre, l’émotion, le rouge aux joues, la honte, la colère. Chez les Grecs de l’Antiquité, on était même rouge de peur ! C’est le symbole de la richesse et du pouvoir, celui du danger aussi : les sens interdits, la passion qui brûle. L’ambivalence destructrice et fondatrice de l’intimité humaine se retrouve pleinement dans sa palette de significations. Cette couleur est d’ailleurs très connotée religieusement… toujours avec la même ambiguïté : si Judas était roux et le diable représenté en rouge, le jour de la Pentecôte, le ciel rougeoyait, tandis que Jésus-Christ était vêtu d’un manteau écarlate.

À l’opposé du rouge se trouve le bleu, qui a longtemps été une non-couleur : c’est l’état naturel du ciel ou de l’eau. Le bleu était originellement perçu comme sournois, et les femmes aux yeux bleus auront une mauvaise vie, dit-on. Or, à partir du XIIe siècle, il devient la couleur de la Vierge Marie, donc de la chasteté et de l’Immaculée Conception. Le bleu est alors assigné aux bébés pour les mettre sous sa protection. Ensuite, le bleu se fait couleur religieuse et quand, grâce à de nouveaux pigments, la gamme chromatique s’élargit y compris pour les vêtements et les tableaux, il passe du côté du divin quand le rouge devient quasi exclusivement diabolique. Lors de la réforme protestante, les calvinistes décident d’exclure les couleurs criardes et obscènes des « papistes ». À partir de ce moment-là, en France, les hommes ne s’habillent plus en rouge. Les femmes, elles, ne s’en privent pas. En particulier, les robes de mariée sont rouges jusqu’au XIXe siècle – c’est encore le cas en Chine –, parce que c’est la couleur la plus belle. En effet, c’est la couleur que les teinturiers maîtrisent le mieux, les étoffes rouges sont généralement les plus chics et sont toujours celles qui se distinguent le plus.

Le bleu se développe en opposition au rouge : le calme contre l’intensité, la douceur contre la passion. C’est probablement cette dichotomie qui explique que l’ensemble des cultures occidentales ont relié le bleu à un sexe et le rouge à un autre, même si cette association a varié d’un pays et d’une époque à l’autre. Le rouge a longtemps été la couleur des hommes. D’ailleurs, le mot « Adam », le nom du premier homme, vient de l’hébreu adama, « rouge ». Aux hommes le sang, la guerre, l’intensité, tandis que les femmes restaient dans la douceur protectrice et raisonnable du bleu de la Vierge Marie.

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