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Cage de chasteté

Certains avocats italiens s’obstinent à ne rien vouloir comprendre à l’usage des ceintures de chasteté. Fin juillet 2008, dans Le Parisien, on apprenait que l’un d’eux avait tenté de défendre scandaleusement la théorie selon laquelle une femme portant un jean moulant ne pouvait pas être violée : « le jean moulant, impossible à enlever sans le consentement de la partenaire, étant équivalent à une ceinture de chasteté ». La Cour de cassation italienne ne fut guère convaincue par l’argument. Pourtant, en 1999, des magistrats italiens avaient estimé qu’« il était de notoriété publique que ce type de pantalon ne pouvait être enlevé sans la collaboration active de qui le portait ».

Devant tant d’ignorance, un bref cours sur les cages de chasteté s’impose : cet objet singulier est destiné en large majorité aux hommes, et non aux femmes. Oui, l’origine de la ceinture de chasteté serait un dérivé moins cruel de l’infibulation (couture des lèvres ne permettant plus de rapports sexuels mais autorisant la miction). Ce sont donc bien les femmes qui étaient visées. Mais aucune preuve ne corrobore la théorie de la diffusion de cette forme de chirurgie dans le monde. En fait, en France, c’est au XVIIIe siècle que les ceintures ont commencé à se répandre, sous l’impulsion suisse du docteur Tissot, qui dans son livre L’Onanisme promettait les pires fléaux aux adeptes de la masturbation, garçons ou filles.

Les ceintures de chasteté pour femmes, en tant qu’anti-viol ou instrument contraignant à l’abstinence, n’ont jamais réellement fonctionné : elles étaient à l’origine de graves septicémies si bien que les hommes, à leur retour, trouvaient leurs fidèles épouses mortes, stériles ou très malades ; plus généralement, elles n’ont jamais empêché les attouchements en tout genre. Il y a une dizaine d’années, la marque de lingerie grand public Triumph avait tenté de lancer une culotte féminine métallique qui « hurlait » lorsqu’elle était forcée. Mais ce modèle n’a pas rencontré un grand succès : peu de femmes ont eu envie de penser toute la journée au risque criminel qu’elles encouraient et de payer des fortunes pour cela.

En revanche, ainsi que l’explique le vendeur de la boutique fétichiste Démonia*, à Paris, les cages de chasteté pour hommes, plus pratiques à porter et très hygiéniques, se sont au contraire bien développées et sont aujourd’hui largement majoritaires. Elles représentent 99 % de leurs ventes, contre 1 % pour les modèles féminins. Elles visent surtout des jeux de couple, l’interdit étant un aphrodisiaque puissant. Kevin, vingt-neuf ans, témoigne sur le site spécialisé LockMeUp.com : « Je porte régulièrement une ceinture de chasteté parce que cela accroît mon excitation. Je suis heureux d’offrir ma frustration à ma femme. Nos rapports sont plus vrais et plus passionnés. »

On trouve maintenant des cadenas en plastique, mono-usage et numérotés… Pour les enlever, il suffit de couper le fil. À quoi servent-ils alors ? Serait-ce une question de poids ? D’hygiène ? Pas du tout : sans métal, ils permettent de franchir le portique de l’aéroport avec sa cage sur le sexe. De quoi équiper Monsieur quand il part plusieurs jours en voyage, soumis à toutes les tentations loin du domicile conjugal.

* Entretien avec l’auteur, août 2008.

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Canard

À l’instar des philatélistes, nombreux sont les hommes qui collectionnent les canards. Le groupe de rock Ultra Vomit a même écrit une chanson délirante à ce sujet, intitulée « Je collectionne les canards (vivants) ». Aujourd’hui, ce sont plutôt les seniors qui apprécient d’en avoir plein leurs étagères.

La mode du canard en tant qu’animal de décoration est probablement un legs des expositions de gibier : les chasseurs rapportaient et exposaient leurs trophées, qui pouvaient être des canards. Le canard n’est plus aujourd’hui réservé aux chasseurs, il s’est démocratisé et fait partie des collections communes, avec les timbres ou les fèves d’Épiphanie. On recense de nombreux sites (réels et virtuels) de partage et d’échange ou de vente de canards, d’exposition de figurines en plastique, en plâtre, en tissu et autres matériaux.

Sur Internet, un rapide coup d’œil permet de constater que les amateurs de ces animaux rassemblent aussi bien des adolescentes que des hommes âgés, des personnes habitant en zone rurale ou urbaine. Pourtant, lorsque j’ai affirmé, en 2012, sur un réseau social qu’il était moins traumatisant pour un enfant de huit ans de voir un canard en plastique jaune et vibrant qu’un monstre marronnasse, un internaute m’a rétorqué qu’il était inadmissible d’exhiber ainsi un objet érotique et quelques blogueuses, mères de famille, m’ont écrit leur vive consternation devant autant d’inconscience.

Grâce à, ou à cause de, Sonia Rykiel qui l’a imaginé, le canard en plastique jaune est devenu, officiellement, un jouet destiné à la masturbation féminine. Au point qu’une mère indignée m’a rapporté qu’un enfant, entré dans un bazar qui vendait des canards en plastique jaune (qui font « coin-coin » et ne vibrent pas), a dit à sa mère, croyant reconnaître l’objet du délit : « Maman, on est dans un magasin pour adultes, je veux aller dans un vrai magasin de jouets pour enfants. »

Fleur Breto, du love store Passage du désir, affirme* pourtant que ce jouet s’avère complètement inefficace tant dans la procuration de plaisir que dans « le développement durable du couple » (le slogan de cette chaîne de love stores). De fait, expliqua-t-elle, « il fait mal, il n’est jamais utilisé et, en plus, il coule dans le bain ! À part sa gueule sympa, et le fait qu’on puisse le laisser sur le rebord de la baignoire sans choquer personne, ça n’a vraiment pas d’intérêt. Après deux ans à expliquer à trente clients par jour que, non, on n’a pas de canard vibrant, on a fini par céder. Maintenant, on le vend. Mais c’est nul*. » Le canard vibrant est souvent acheté comme premier sex-toy par une clientèle qui y voit plutôt un rituel de passage : majorité, enterrement de vie de jeune fille, il est l’occasion d’offrir un cadeau pseudo-croustillant, qui n’est réellement utilisé que par quelques fétichistes, comme il en existe qui se masturbent avec une brosse à dents électrique ou une poupée Barbie.

Romy, féministe qui tient le blog Romy.Tetue.net, a été tellement déçue par l’inefficacité érotique du sex-toy qu’elle a écrit : « Reste que je m’interroge vraiment sur les pratiques et préférences de mes contemporaines qui classent Duckie le canard coquin parmi leurs vibros préférés, car ce n’est pas demain la veille qu’on m’entendra gémir sous les coups de bec de ce fichu canard. Pis, je découvre que cette attendrissante mais décevante chose a été élue Meilleur sex-toy de l’année aux Erotic Awards 2002. »

Le canard vibrant, en plastique jaune, est surtout un objet phare de la démocratisation du sex-toy en ce sens qu’il a permis de décomplexer les femmes dans l’achat de jouets destinés à donner du plaisir. Il a introduit auprès d’un large public une certaine légèreté dans la sexualité : son aspect inoffensif et sa forme non phallique ont facilité son acquisition et son exposition (mais pas son utilisation). L’effet secondaire est que le canard jaune vibrant est devenu plus célèbre que l’objet dont il s’est inspiré. Les as du marketing ont réussi l’exploit de transformer un jouet pour enfant en symbole érotique en décidant de le vendre comme sex-toy.

* Entretien avec l’auteur, février 2010.

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Candaulisme

Le candaulisme décrit le sentiment de plaisir ou d’excitation ressenti lorsqu’on voit son ou sa partenaire régulier(e) avoir une relation sexuelle avec une tierce personne. Cela fonctionne dans les deux sens – l’homme voit sa femme se faire prendre ou la femme voit son homme prendre une autre femme. Le candaulisme désigne originellement le ressenti de l’homme qui observe sa partenaire en plein ébat. Dans la situation symétrique, on parle de candaulisme inversé – preuve qu’il est difficile de couper à la prévalence historique de l’homme lorsqu’il s’agit de sexualité.

Ce mot vient de Candaule, roi semi-légendaire de la Grèce antique, qui a été déposé par Gygès, son rival, lequel lui a pris aussi son épouse. Les détails de l’histoire demeurent obscurs – Plutarque, Platon et Hérodote ne sont pas d’accord et il est un peu tard pour les inviter à débattre sur le sujet – mais toujours est-il que Candaule a donné son nom au candaulisme.

On trouve de nombreux forums Internet, tel Forum-candaulisme.fr, qui permettent aux couples tentés par l’aventure d’échanger leurs expériences : « Suis-je normal ? » « Comment en parler à mon/ma partenaire ? » Nombre d’hommes viennent y discuter de la meilleure façon d’être cocu, confondant en cela candaulisme et cuckolding. En effet, l’esprit du candaulisme réside dans le plaisir empathique : la personne profite de la jouissance de l’autre, se délectant qu’un ou une autre puisse donner du plaisir à celui ou celle qui partage sa vie. Le cuckolding vient quant à lui de l’anglais cuckold (« cocu »). La pratique du cuckolding sous-entend que le mari (il s’agirait ici exclusivement de l’homme) soit proprement humilié par la soumission sexuelle de sa femme à un autre homme. Le fantasme ultime du cuckolding consiste à revenir à l’étymologie du mot – il est un dérivé de « coucou », l’oiseau qui pond dans le nid des autres : il s’agit pour le mari cocufié de devoir élever l’enfant qu’a conçu sa femme avec son amant. Le rôle du partenaire additionnel peut varier considérablement, de la simple utilisation comme objet sexuel visant à la réalisation de l’acte jusqu’à une relation amicale ou amoureuse entre les trois parties.

L’industrie du sexe a bien entendu exploité ce filon fantasmatique. Des sociétés, telle Please Bang My Wife (« S’il te plaît, baise ma femme »), proposent des mises en scène entre couples soi-disant mariés, durant lesquelles Monsieur offre Madame à un acteur porno bodybuildé. L’homme y joue parfois le rôle de celui qui finalement ne supporte pas d’observer le plaisir de sa femme, mais y est souvent montré comme étant excité par la situation.

Outre les opportunités offertes par Internet, les clubs libertins sont un lieu rendant possible l’accomplissement de ce fantasme.

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Cap d’Adge

En juin 2012, j’ai un rendez-vous avec mon éditrice, à propos de la sortie de ce dictionnaire. Comme tous les auteurs, je suis un peu en retard sur le planning, mais je me figure qu’un délai supplémentaire dans l’édition, c’est aussi exceptionnel que dans le bâtiment ou l’informatique. « Il n’est pas envisageable de reculer la date de sortie du dictionnaire, me dit-elle alors, donc la date de remise du manuscrit ne peut pas bouger. » Mes rêves de vacances au mois d’août tombent à l’eau comme un matelas gonflable dans une piscine. Elle confirme : « Ah oui, ça, vous pouvez oublier l’idée d’être en vacances le mois qui précède la date finale. »

Au cours de cette conversation, nous abordons le sujet du Cap d’Agde et je lui dis que je n’y ai jamais mis les pieds. « Ah bon ? Ça m’étonne de vous ! » me dit-elle. L’idée se forme alors dans mon esprit : « Vous avez raison, je vais faire une croix sur mes vacances, et je vais aller passer une semaine au Cap d’Agde, dans le but de conduire des recherches purement journalistiques et littéraires. » Une fois cette décision prise, je commence à poser la question autour de moi, au restaurant, à des collègues, à des connaissances : « Êtes-vous déjà allé au Cap d’Agde ? Ça se passe comment ? » Ceux qui s’y étaient déjà rendus, comme les autres, comprenaient très bien le sens de ma question et tous rattachaient instantanément le Cap d’Agde au naturisme et au libertinage. Les réponses étaient variées : « C’est de l’étalage de viande, de la consommation, c’est répugnant, ça n’a rien à voir avec les jeux de séduction du libertinage. » « C’est un spectacle étonnant, on voit des hommes et des femmes dans des vêtements ahurissants, avec des tatouages, des piercings, certaines personnes sont même tenues en laisse. » « Le problème, c’est qu’après quelques jours dans ce milieu il est difficile de se remettre à fréquenter des gens normaux ; c’est trop agréable de pouvoir vivre avec des personnes ouvertes d’esprit, de ne pas avoir à cacher sa sexualité tout le temps. »

Tant de questions restaient sans réponse. Est-on obligé d’être nu au sein du village naturiste ? Quand et comment le village naturiste est-il devenu, au moins partiellement, échangiste et libertin ? Comment s’articule la cohabitation entre naturistes « à l’allemande » (retour au naturel, pas d’épilation, naturisme en famille) et libertins (tenues très évocatrices, pression anti-poil, sexe débridé, exhibitionnisme) ? Qui tire les ficelles et qui tient les cordons de la bourse ? Pour le savoir, rien de mieux que de me rendre sur place.

C’est écrit dans les livres

Ma première rencontre avec le Cap d’Agde, c’est le contact dur et froid d’un microfilm de la Bibliothèque nationale. J’y consulte « 1970-2000 : trente ans d’histoire du Cap d’Agde » : au vu du titre, j’espère y recueillir un foisonnement d’informations sur l’implication de la politique locale dans la transformation de ce petit bout de plage en véritable Mecque européenne du naturisme échangiste. C’est une déception. Cet ouvrage n’est qu’un recueil de photos et d’articles sur les gloires locales et sur le développement de la station durant les années 1970, et fait quasiment l’impasse sur le naturisme au Cap : une seule page y est consacrée. Tout juste peut-on y apprendre que la station balnéaire y a été créée pour répondre en 1963 à la volonté du pouvoir gaulliste d’aménager touristiquement le littoral du Languedoc-Roussillon. Le choix du Cap d’Agde se fit alors sur un lieu géographique « connu pour son naturisme familial et discret », dixit Pierre Leroy-Beaulieu, maire honoraire de la ville.

L’origine du naturisme au Cap remonte selon ce livre à 1958, lorsqu’une caravane de naturistes allemands perdus s’installe sur un terrain sauvage, ancien vignoble dont les pieds ont été arrachés. L’année d’après, ils reviennent à cinq véhicules, puis plus encore l’année d’après… René Oltra, propriétaire du terrain, obtient alors de la préfecture de l’Hérault l’autorisation de créer un camping naturiste. Tentes, puis bungalows, puis constructions en dur sont venus donner corps à ce projet. Oltra est encore aujourd’hui un des acteurs majeurs de la location au Cap. En 1971, la nouvelle station sort de terre. « Les premiers naturistes qui fréquentaient les plages qui bordent celles de la commune du Marseillan regardent éberlués et parfois avec un peu d’inquiétude l’avancée des bulldozers. On les rassure : ici, ils resteront chez eux et entre eux. Mais comment pourraient-ils imaginer que leur « petit coin » va devenir le plus grand centre naturiste d’Europe ? » interroge le livre. J’espère en découvrir plus sur place.

Préparer les bonnes tenues pour être nus

Pour pouvoir raconter mes expériences sans dévoiler mon genre, je décide de partir en couple hétéro. Nous serons Monsieur et Madame.

Pour nous trouver un logement, Internet n’est pas d’un grand secours : malgré quelques recherches, je n’arrive pas à déterminer quelles sont les meilleures options qui se présentent à moi. Après discussion avec quelques habitués du Cap, nous optons pour un séjour en deux temps : une journée dans un hôtel-club « interdit aux moins de dix-huit ans » assez luxueux qui comprend toutes les infrastructures (sauna, piscine, etc.), puis cinq jours en location plus classique (un studio) dans une résidence située, elle aussi, dans le village naturiste.

Vient enfin le temps de préparer les valises. Puisque Madame et Monsieur sont tous deux novices, nous ne savons pas quoi emporter. Faut-il emporter quelque chose tout court, d’ailleurs ? Devrons-nous être nus les trois quarts du temps ? Comment s’habiller à la plage, dans la rue ou le soir pour sortir ? J’appelle un ami sociologue qui a fait du libertinage un de ses champs de recherche et se rend quasiment tous les ans au Cap d’Agde. « Il ne s’agit pas de devoir tout montrer à tout prix, mais de mettre sa nudité en valeur. J’ai connu plusieurs cas de femmes qui vivaient une profonde déprime après vingt-quatre heures au Cap, se trouvant mal habillées. Leurs tenues de grandes libertines parisiennes les faisaient passer ici pour des ploucs. Il y a une extravagance, une mode qu’on ne trouve pas ailleurs. Ça, c’est plutôt pour le soir. La journée, on peut se couvrir un peu pour se protéger du soleil ou porter un petit pagne qui suggère des organes génitaux non couverts. Et puis c’est aussi le lieu de l’extravagance : Monsieur pourra mettre une jupe, de nombreuses personnes portent des bijoux génitaux. J’en ai même vu un sur la plage portant par 30 °C une doudoune, des chaussures de ski et une paire de skis sur l’épaule… Une façon de se faire mal voir, c’est par exemple d’être en maillot de bain et d’aller mater ostensiblement ce qui se passe sur la plage. L’essentiel est vraiment de ne pas avoir l’air de venir pour regarder, il faut absolument participer un minimum. » Nous remplissons donc nos valises en tentant de nous inspirer de ces quelques indications, et direction la gare.

Sous le soleil exactement

Dès la descente du train, le cauchemar de nos peaux blanches commence. Un soleil de plomb nous accueille à Agde. Il ne nous lâchera quasiment pas de tout le séjour.

Nous sautons dans un taxi. « Vous allez au village naturiste ? » suggère le chauffeur. Ça doit être la destination de tous les Parisiens qui descendent du TGV. « Oui, c’est notre première fois. » Il est très accueillant et nous donne deux ou trois informations et nous met en garde sur la tenue vestimentaire à la plage : « Si vous y allez habillés, les gens vont vous pointer du doigt et faire “bouuuh”. Quand vous remontez la plage, il y a d’abord les familles, puis le coin des homos, et après c’est la baie des cochons. » Référence historique au lieu de débarquement des forces américaines à Cuba en 1961. C’est le coin de plage où se déroulent les orgies : il faudra aller constater par nous-mêmes. En tout cas, les compagnies de taxi profitent de l’afflux de visiteurs au village naturiste et transportent les cochons avec bonhomie.

Nous arrivons à l’agence AGN (Agence Geneviève Naturisme), qui s’autoproclame « leader européen de l’immobilier naturiste ». L’agence est notre porte d’entrée dans le village, cerné de palissades et dans lequel on ne peut entrer que si l’on s’est acquitté d’une taxe (20 euros la semaine pour l’accès piéton), sauf en cas de location chez AGN où tout est compris. Une fois les formalités accomplies, nous sommes conduits à bord d’une voiturette électrique vers le Jardin de Babylone, une résidence « réservée aux couples » dont les tarifs rendent le lieu sélectif. À l’accueil, on nous explique le fonctionnement : « C’est une résidence libertine. On peut faire l’amour partout, enfin, si on en voit devant le bureau de l’accueil, on va leur demander de bouger un peu plus loin. Il y a surtout une piscine autour de laquelle il faut être nu. Il y a des matelas tout autour et c’est là qu’il y a de l’action. » Nous prenons possession de notre chambre. Madame en ressort pour demander d’autres renseignements et, quand elle revient dans la chambre, annonce : « J’ai discuté avec une Sri-Lankaise au corps totalement hallucinant. Je suis surexcitée. » Il faut faire quelque chose tout de suite pour éteindre l’incendie. Direction l’eau : Madame et Monsieur sonnent l’abordage de la piscine.

Question tenue, il est possible de rester un peu habillé au bar ou aux tables qui le jouxtent mais, autour de la piscine, c’est effectivement le nu intégral. Au moment où nous arrivons, tout le monde est sagement allongé sur les matelas. Peu téméraires, nous décidons que c’est l’occasion de discuter avec Rico, le barman. Accent du Sud et jovialité. « Moi, ça fait vingt ans que je bosse au village. C’est de Gaulle qui a lancé le projet en 1963, là aussi il a dit : “Je vous ai compris” ! » Sa femme travaille avec lui. « On est aussi libertins, on fait des trios, mais seulement avec des femmes. On peut faire des rencontres pendant le boulot, des gens qu’on peut revoir le soir, mais on ne consomme jamais pendant le service. » Et autour de la piscine, alors, il se passe quoi en réalité ? « Il y a des femmes, des hommes, des bisexuels, on tolère tout. Enfin, si plusieurs mecs partent en sucette ensemble, on va laisser faire cinq minutes mais on va vite les arrêter. » Et si ce sont des femmes ensemble ? « Ah ça, non, les nanas, on les laisse faire, au contraire, c’est bien ! » On retrouve là la différence habituelle de tolérance vis-à-vis des homosexualités masculine et féminine dans les lieux libertins. Quant à ce qui se passe dans l’eau, « pour des raisons d’hygiène, on ne veut pas de pénétration dans la piscine ou dans le jacuzzi, mais la fellation est autorisée ». Monsieur, candide, dit que ça doit quand même être difficile pour l’homme à qui on fait une fellation de se retenir d’éjaculer. « Ben non, faut qu’elle avale, c’est tout ! » Évidemment.

Il fait chaud et, après cette discussion enrichissante, Madame est refroidie par les corps nus, l’effet d’une Sri-Lankaise seule s’est dissipé dans la masse, et Monsieur profite de la piscine. Les matelas qui la bordent sont absolument tous occupés, mais la piscine est totalement vide. Monsieur enchaîne les longueurs. Autour de lui, quelques couples se caressent ou font mollement l’amour.

La sortie pour dîner révèle un nouveau décalage. Madame a mis son paréo, Monsieur s’est dit que, dans un village naturiste, il fallait être nu. Dommage : en réalité, après 20 heures, il devient rare de croiser des gens dans le plus simple appareil. Il y a un rythme journalier propre au Cap d’Agde. Le matin, tout le monde dort. Après le déjeuner, c’est la nudité qui prime, dans le village ou sur la plage. Mais à 19 heures la plage se vide, les touristes rentrent dans leurs logements pour se parer de leurs plus beaux atours sexy. Enfin, surtout les femmes. Les hommes sont souvent en simple pantalon-chemise et promènent à leur bras des femmes dont les tenues sont parfois extravagantes, parfois presque inexistantes, mais toujours ostentatoires et à connotation sexuelle. Une fois le dîner ingurgité, les touristes ainsi vêtus sortent au Melrose Café, le bar dansant qui anime les soirées du Cap. Après s’être trémoussés autour des barres de pole dance, ils sortent en boîte jusqu’au petit matin.

Lorsque nous sortons dîner vers 20 heures, nos tenues – elle en paréo et lui à poil – sont donc totalement inadaptées. Nous mangeons rapidement et rentrons nous coucher, fatigués et nous sentant complètement décalés. Au bout d’une journée, il faut admettre que mon ami sociologue avait raison : c’est la déprime, et pas seulement pour les femmes. Nous avons l’impression d’être sur une autre planète et l’excitation est repartie aussi vite qu’elle était venue. La nudité a sur nous un effet totalement désérotisant, ce qui doit certainement faire partie de l’intérêt de la chose pour les naturistes historiques : plus de tension sexuelle, retour apaisant à la nature.

Ibiza imberbe

Les horaires ne sont pas le seul décalage perturbant. Car il y a les poils. Si on est un adolescent qui a connu le Cap d’Agde en vacances, la manifestation la plus troublante de la puberté doit être l’apparition de poils : ici, il a disparu, il a été enlevé, dézingué, annihilé. Malgré quelques exceptions salutaires, l’écrasante majorité des touristes a retiré tout poil de son anatomie : pubis, jambes, torse, aisselles. Voir des femmes totalement épilées n’est pas vraiment une surprise. C’est beaucoup plus étonnant chez les hommes : eux aussi sont complètement imberbes, plus encore que les femmes dont certaines ont des « tickets de métro » ou autres traces de pilosité pubienne. Nous devons avoir l’air d’extrémistes écolos germaniques. De l’aveu d’une personne ayant fait des ménages dans des hôtels du village, « on voit plein de poils dans les bacs de douche le jour où les gens prennent leur chambre. Quand ils arrivent au Cap, ils enlèvent leurs poils. »

D’ailleurs, nous n’avons pas vraiment l’impression d’être revenus à la nature dans une forêt de Bavière. On a plutôt été parachutés à Ibiza. En ce deuxième après-midi, la piscine de notre résidence est le théâtre d’une pool party : de la musique festive et forte, des renforts venus de l’extérieur (chaque résident peut faire entrer des invités), des cocktails écoulés à flots par les barmen et un DJ qui déclenche les « wooohooo » de la foule en délire qui se regarde en train de faire la fête. Il y a bien quelques fellations au bar, mais tout cela est beaucoup plus festif que sexuel.

La baie des cochons

Le sexe à l’air libre et la nature livrée à elle-même sont-ils une utopie naturiste qui a disparu ? Pour en avoir le cœur net, direction la plage et la fameuse baie des cochons. Nous nous y rendons vers 19 heures. Selon le rythme consacré, nous croisons alors un flot continu de personnes qui quittent la plage et rentrent chez elles s’habiller pour les ébats du soir. Pourtant, à l’arrivée, la plage nous semble toujours noire de monde. Nous ne sommes pas nus et marchons tranquillement au bord de l’eau, mais personne ne se met à nous huer. Le chauffeur de taxi avait sûrement exagéré. Ou alors, à l’heure du départ, les gens imaginent que nous sommes rhabillés.

Sur la plage, les couples sont assez sages. Quelques caresses, quelques baisers. Pourtant, près des dunes, nous voyons un attroupement. Cinquante hommes, au bas mot, en arc de cercle, pressés les uns contre les autres. Monsieur se rapproche pour observer – nous sommes venus pour ça, non ? Ils sont quasiment tous en train de s’astiquer, plus ou moins mollement, en tentant d’apercevoir un morceau du spectacle : une femme est assise et prodigue une fellation. Le gros de la troupe essaie d’être au plus près et espère ramasser les miettes. Chaque après-midi, un essaim d’hommes seuls parcourt ces quelques dizaines de mètres de plage où l’exhibitionnisme est, sinon autorisé, toléré par les forces de l’ordre, qui observent parfois de près, parfois de loin ce qui s’y passe. Au moindre signe qu’un couple se met en action, l’essaim accourt, la bite à la main, pour jouir de la vue et espérer que, d’un regard qui signifierait « viens », on l’invite à se joindre aux ébats. Le respect est de mise : personne ne force le chemin. Mais ça ressemble foutrement à un étalage de la misère sexuelle masculine.

D’après certains habitués, cette plage était mieux pourvue de femmes appétissantes avant que Le Glamour, club libertin et véritable place to be du Cap d’Agde, ne se mette à organiser des « après-midi mousse ». Les belles plastiques ont maintenant déserté la baie des cochons et peuvent faire la fête l’après-midi et se farcir la tête de décibels grâce à un DJ qui alterne judicieusement les appels à make some noooise avec de subtils put your hands up in the aaair. Pas con, Le Glamour a trouvé un moyen de rentabiliser une des dernières activités sexuelles qui étaient gratuites au Cap d’Agde : le sexe l’après-midi sur la plage. À l’origine, la participation aux frais était symbolique, on laissait ses tongs à l’entrée, il y avait juste de la mousse pour se frotter aux inconnus et on allait se rincer dans la mer. Année après année, la musique est arrivée, les vestiaires (payants), la petite boîte (payante) qu’on peut porter autour du cou pour trimballer les billets de banque qui serviront à se payer des cocktails au bar, et il en coûte maintenant 20 euros par couple. Le sexe a un prix.

Du naturisme au libertinage marchand

D’après les locaux, le village est de plus en plus « ouvert » depuis une dizaine d’années. En effet, aux logements « naturistes » construits dans les années 1970 se sont adjointes les « résidences libertines » que sont le Jardin d’Éden (construit en 2006) et le Jardin de Babylone (en 2008), ainsi que l’Oz’Inn, hôtel libertin quatre étoiles (2011). Sans compter les boîtes de nuit libertines qui parsèment le village, dont Le Glamour, Le Tantra, Le Jul’s ou Le Clair-obscur (pour les amateurs de SM), et les dizaines de magasins de lingerie et de tenues sexy. Le portefeuille est mis à rude épreuve.

En 1974, le congrès international du naturisme, en présence du maire Pierre Leroy-Beaulieu, définissait ainsi son objet : « une manière de vivre en harmonie avec la nature, caractérisée par la pratique de la nudité en commun, ayant pour conséquence de favoriser le respect de soi-même, le respect des autres et de l’environnement ». En 2012, le village est surtout devenu un lieu où l’on peut obtenir beaucoup de sexe avec beaucoup de partenaires, pourvu qu’on soit en couple, qu’on ait des tenues adéquates et qu’on paie l’entrée dans un club. Car le village draine les touristes du sexe de l’Europe entière, particulièrement au nord de la Loire. Les lignes aériennes, ouvertes à l’envi de Béziers, dont l’aéroport est situé à quelques kilomètres du Cap, desservent Stockholm, Oslo, Düsseldorf ou Londres. Le Cap est surtout pour les Nordiques l’occasion de profiter du soleil du sud de la France tout en « coquinant » (le verbe euphémisant utilisé pour « baiser », là-bas) le plus possible. Ce faisant, ils remplissent hôtels, restaurants et clubs nocturnes pour le plus grand bonheur de l’économie locale.

En fait, les barons du village ne sont que quelques-uns à se tailler la part du lion générée par cette belle machine à sous. En particulier l’Agence Geneviève Naturisme. Gestionnaire de deux résidences libertines (Jardin d’Éden et Jardin de Babylone) et de nombreux appartements dans le village, en cheville avec Le Melrose Café, Le Glamour et Le Tantra, AGN est une affaire familiale qui tient une place centrale dans le business local. Elle veille pourtant à ce que d’autres puissent en profiter. Nous voulions dîner au Jardin de Babylone lors de notre première journée, mais le bar ne sert à manger que le midi. « On ne propose pas de dîner pour que les gens sortent le soir et aillent consommer dans les restaurants. »

À qui profite le cul ?

Il y a cependant des moyens peu onéreux de faire des rencontres, sans débourser de droit d’entrée dans un club. Le Cap d’Agde est le siège de fameuses « soirées privées », nommées « apéros », données dans les appartements des vacanciers pour réunir un réseau d’amis ou de personnes rencontrées pendant le séjour. L’immeuble Port Nature, un des plus importants, est particulièrement bien agencé : les terrasses de chaque étage sont parcourues d’une coursive que les promeneurs du soir peuvent arpenter. Ainsi, ils observent les « apéros » qui se déroulent et parfois s’y faire inviter. Pour Jean-Michel*, « les soirées privées, c’est un autre moyen de libertiner, de faire des rencontres. Ça fait huit ans que Cécile*, ma compagne, et moi venons au Cap, et ça permet de renouveler le genre. Parce que dans les boîtes comme Le Glamour il faut attendre deux heures du matin pour voir des minettes exhiber leur dernière tenue de chez Machin, et en plus elles ne pratiquent pas. » (Par « pratiquer », entendre « forniquer ».)

Le Glamour est sur toutes les bouches. Construit en 1998 et vite devenu le centre de la nuit du Cap, il a brûlé plusieurs fois, dont la dernière en avril 2008 pour rouvrir en juillet de la même année. Le Tantra, son « concurrent », a été frappé du même « accident » en septembre 2008. Arnaque à l’assurance ? L’incendie du Tantra a eu lieu alors que celui-ci était fermé pour la période hivernale et a pris à l’extérieur du bâtiment avant de ravager le club. Vengeance criminelle ? D’après un journaliste local, l’enquête de la police judiciaire à la suite de ces incendies n’a rien donné. Mais l’assurance du Glamour n’a jamais payé les travaux.

Nous croisons lors d’une soirée en club un couple libertin habitant à Aix-en-Provence. « À Marseille, il n’y a vraiment pas de club digne de ce nom : il y en a quelques-uns, mais on y trouve toutes les vieilles prostituées de Marseille. Pour avoir mieux, il faut descendre à Montpellier. » Voilà qui concorde avec une autre hypothèse entendue de plusieurs bouches : la mafia marseillaise, qui contrôle la prostitution dans la cité phocéenne, désire que le marché ne soit pas en partie perturbé par les clubs libertins. Pour ce faire, elle aurait autorisé le libertinage au Cap, à deux cents kilomètres de ses terres, pour un échange de bons procédés : faites votre business au Cap et laissez-nous le nôtre à Marseille. Un scénario presque hollywoodien, digne de French Connection. Le Cap, lieu de tous les fantasmes ?

La municipalité d’Agde organise le tout. Les permis de construire de résidences libertines, le plan pluriannuel (2012-2017) de travaux de réaménagement, la surveillance policière aux petits oignons, tout semble fait pour que perdure et prospère ce que certains commerçants du Cap nomment avec gourmandise le « Disneyland pour adultes » qui est le leur. Gilles D’Ettore, membre de l’UMP, est maire d’Agde depuis 2001 et député de l’Hérault depuis 2007. Via un arrêté municipal du 17 mai 2011, il a interdit « tout acte d’exhibition, de débauche, de façon générale, tout geste ou attitude à caractère sexuel ». La surveillance policière est en effet assez soutenue dans le village et aux abords de la baie des cochons. Mais les policiers n’entreprennent aucune manœuvre pour faire cesser les actes sexuels dont ils sont témoins sur la plage. On peut comprendre cet arrêté de deux façons : soit le maire veut donner l’impression à son électorat de droite qu’il s’oppose à la sexualisation du village naturiste, soit il permet, par un renforcement de la sécurité, d’éviter les débordements pour que l’activité sexuelle puisse se poursuivre en toute confiance. Et la baie des cochons n’a visiblement pas désempli depuis 2011, surtout depuis qu’elle fait les choux gras des médias. M6 et France Soir en 2011, Les Inrockuptibles en 2012, ont fait à la baie une publicité qui l’a fait « dégénérer suite à l’afflux de curieux », d’après des locaux.

Le doigt dans la charte

Le naturisme a donc perdu de sa substance. À en croire des habitués, on peut observer une augmentation du nombre de personnes qui se promènent dans le village en étant habillées tout à fait normalement. « Il y a de plus en plus de gens qui viennent pour la journée, pour observer la faune du Cap comme un phénomène de foire », me raconte l’un d’eux. À tel point que l’office de tourisme a soumis en août 2011 un projet de charte du village naturiste aux professionnels et aux organisations locales. Par la voix de son président Christian Bèzes (avait-il un patronyme prédestiné ?) l’office de tourisme propose un retour à la nudité et à une sexualité moins omniprésente : « Dans l’enceinte du village, la nudité intégrale doit être appliquée toutes les fois que le climat le permet tout en restant compréhensif vis-à-vis des personnes qui peuvent avoir des appréhensions à la découverte du naturisme, notamment les adolescents. L’esprit familial et naturel du naturisme ne tolère pas les attitudes de voyeurisme, le port de vêtements et les attitudes exhibitionnistes ainsi que tout acte de débauche à caractère sexuel. » Chose qui peut surprendre de prime abord, la nudité ne concerne que les visiteurs et pas le personnel des bars et des restaurants. Nous interrogeons à ce propos un serveur du Baskin, notre cantine du déjeuner : « On est obligés par rapport à l’hygiène. Imaginez un serveur nu, il aurait le sexe à la hauteur des plats, et puis, si un client renverse son café, ça ferait des brûlures. » Ça nous va. En plus, on a trouvé notre excuse pour rester habillés en cas d’envie, « on travaille ici », les saisonniers ont le droit de ne pas être naturistes, on ne ment pas trop.

Loin de vouloir dénuder tout le personnel du secteur, les naturistes historiques, propriétaires dans le village, et les Agathois conservateurs concentrent leurs critiques sur la baie des cochons et Le Glamour. Si ce dernier émet objectivement beaucoup de décibels à deux pas de la plage, on ne peut pas dire que les orgies sur le sable ont de quoi agresser les locaux : tout le monde sait pertinemment quel morceau de plage est à éviter. Le fait de savoir que des exhibitionnistes se livrent à la luxure quelque part sur les terres de la commune doit certainement déranger les conceptions de certains. Mais même les jeunes qui ont grandi à Agde savent très bien à quoi s’en tenir. Christophe*, vingt-cinq ans et ancien Agathois, me l’a raconté : « Au lycée, on fait tous l’expérience de passer un jour par la plage, depuis Marseillan jusqu’au Cap, pour voir ce qui se passe. J’ai essayé une fois avec un pote : on était dégoûtés, il y avait plein de vieux. Tu es à l’âge où tu fantasmes sur ta copine de classe, qui a seize ans comme toi, et là tu vois tous ces vieux fripés qui baisent. » En effet.

Qu’en disent les pros ?

Le Cap d’Agde a aussi des liens privilégiés avec le porno. Sebastian Barrio, ancien hardeur reconverti dans la comédie habillée après quinze ans de bons et loyaux services dans le X, avait été recruté sur une plage du Cap. « Le réalisateur Fred Coppula m’a repéré, j’étais en train de baiser deux femmes. Et voilà, ça m’a valu quinze ans de carrière. »

Mike Angelo, acteur porno depuis 2006 et toujours en activité, est venu passer quelques jours au Cap d’Agde. Grâce à la magie d’Internet et à quelques bonnes connexions, nous le rejoignons au bord de la piscine du Waiki Beach, lieu select du Cap muni d’un réseau sans fil et où les cocktails s’enfilent tout l’été. Mike est un pro du sexe. D’ailleurs, il se dit « acteur porno, et pas comédien. Si j’avais voulu être comédien, j’aurais fait le cours Florent. Les réalisateurs m’aiment pour ma façon naturelle de faire l’amour. » Il affirme par ailleurs que « toutes les femmes sont fontaines » et qu’il peut faire éjaculer n’importe qui en quelques minutes de ses doigts experts : tel un grand maître de l’orgasme, il a dévoré des traités d’anatomie et en fait maintenant profiter toutes celles qui veulent toucher du doigt sa sagesse. Sa description est fascinante. Nous avons envie de le croire, voire de le voir, mais nous ne sommes pas là pour enfiler des perles. Et Mike est venu au Cap en touriste. « Ici, je peux baiser tranquille, comme je veux, sans caméra, c’est vraiment les vacances. Mais je trouve que le Cap a changé. Ça fait plus de dix ans que je viens, et la médiatisation a fait perdre au Cap son caractère élitiste. Tout le monde a vu un reportage sur le Cap à la télévision, ça a amené un public très généraliste et pas forcément de vrais libertins. » L’effet secondaire de la démocratisation des pratiques libertines, c’est effectivement la perte de la sensation d’appartenir à une élite, à un petit groupe de gens qui ne font « pas comme les autres » et qui se sont libérés de la norme sociale. Inondé de nouveaux sympathisants, le libertinage moderne y a perdu de sa transgressivité. Et ses « valeurs » de tolérance et de sincérité se diluent dans le sexe de masse.

Respect et tolérance

La tolérance est un leitmotiv du Cap. Tolérance envers le sexe, envers les physiques, les handicaps, l’âge. Tous les serveurs, restaurateurs et hôteliers mettent la tolérance en avant. Un serveur du Waiki Beach nous le répète : « Le plus marquant, ici, c’est le respect. Je fais la saison estivale depuis deux ans et, au bout d’un moment, on ne prête plus attention au fait que les gens soient nus, on ne distingue plus leur physique, leur taille ou leur poids : il n’y a aucun jugement. » Il est vrai que l’on croise des gens plus ou moins difformes, des personnes en fauteuil roulant, des nains… Hormis l’absence de poils, seul trait commun qui semble s’imposer, il y en a pour tous les âges, tous les goûts, sans discrimination. Et question vêtements, on peut effectivement porter dans la rue des tenues impossibles, ce qui serait inconcevable dans n’importe quelle ville de France, sauf au Cap. C’est agréable de s’habiller sexy pour une sortie en club sans devoir tout emmener dans un sac à dos et se changer sur place, voire se recouvrir d’une surcouche dissimulatrice l’hiver. Ici, les tenues sexy incandescentes vous vaudront au mieux un petit compliment, au pire l’indifférence. Reste que cette valeur de tolérance n’est pas forcément ce qui arrive en premier à l’esprit quand on évoque le Cap d’Agde : débauche et nudité viennent bien avant. Si bien que certains saisonniers cachent à leur famille leur lieu de travail. « J’ai dit à mes parents que je travaillais sur Narbonne », nous a confié un plagiste du Jardin de Babylone.

Les forces de l’ordre adoptent la même stratégie. De retour de notre dernière soirée, nous trouvons en chemin trois policiers en pleine séance photo avec deux jeunes femmes tout à fait charmantes. Les policiers sont hilares, visiblement ravis de l’effet qu’a leur uniforme sur la gent féminine. Est-ce que pour eux aussi le Cap est synonyme de vacances ? « Attention, à partir de deux heures du matin, quand certaines boîtes ferment, on a beaucoup de travail. Mais c’est vrai que d’être affecté ici, c’est un peu la récompense de dix mois de dur labeur. » Leurs femmes sont-elles au courant qu’ils protègent des concitoyens et des concitoyennes peu vêtus ? « Non, pensez-vous ! On ne leur dit pas. On dit qu’on est affectés à la ville d’Agde. Elles ne connaissent pas, c’est mieux comme ça. Mais on ne loge pas sur place, sinon ce serait un festival. » Merci Monsieur l’agent.

Une fois montés dans le train du retour, c’est l’heure du bilan. L’un comme l’autre, nous doutons de revenir un jour en vacances dans le village naturiste. Peut-être en logeant à proximité et en n’y faisant que quelques incursions nocturnes ? J’ai découvert un monde où faire l’amour dans sa chambre avec une personne que l’on aime est transgressif ; et ça, c’est effectivement jouissif ! On peut être pervers à moindre frais. En tout cas, arrivés à Paris, c’est la joie de pouvoir nous habiller à nouveau comme bon nous semble, sans cette culpabilité de ne pas être nus. Pour vivre heureux, vivons cachés.

* Les prénoms ont été modifiés.

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Caputo, Keith Mina

Keith Caputo devint célèbre en tant que chanteur du groupe Life of Agony. Ce groupe fut créé en 1989, sortit son premier album en 1993 – dans une veine plutôt hardcore metal –, puis continua bon gré, mal gré jusqu’en 2011, versant dans un rock aussi alternatif que l’histoire du groupe, ponctuée de séparations et de reformations. Depuis 2000, Keith enregistre aussi des albums solos, beaucoup plus intimistes.

En juillet 2011, Keith a publiquement annoncé son changement de genre. Elle a alors choisi le prénom Mina et déclaré sur son compte Twitter : « Oui, je suis transsexuelle et j’en suis fière. Je n’en ai pas honte. Je remercie vivement tous ceux qui m’ont montré leur soutien ces derniers jours. » Elle continue cependant de répondre au prénom de Keith, si besoin.

La nouvelle a fait plus de bruit aux États-Unis, où Life of Agony et Keith/Mina sont relativement célèbres, qu’en Europe. Mina est, en réalité, plus transgenre que transsexuelle. Elle n’a pas eu recours à la chirurgie pour transformer ses organes sexuels : « Pour votre info, je garde mon pénis ! » confie-t-elle encore sur Twitter. La réaction dans la communauté rock-metal, plutôt masculine et à l’image virile, a été mitigée, certains s’exprimant violemment contre le changement opéré par Keith. Elle en avait pourtant donné des signaux depuis 2008, dans des clips mettant en scène des transgenres ou se montrant elle-même sous son apparence féminine. « Certains musiciens autour de moi étaient au courant, d’autres non. Quant aux fans, j’en ai gagné, j’en ai perdu, j’ai surtout la chance d’avoir des fans fabuleux, avec un cœur gros comme ça, qui sont ouverts et veulent que je sois heureuse, peu importe ce que je fais ou ce que je suis. Ils veulent seulement ma musique et mon âme, et moi, je ne donne pas moins qu’avant », rapporte-t-elle pour ce dictionnaire*.

On peut se demander ce que son changement de genre a modifié chez elle, que ce soit les effets de sa thérapie hormonale ou sa manière de chanter, maintenant qu’elle est publiquement femme. « Je chante chaque chanson différemment de la précédente. Chaque album représentera mon évolution, ma sagesse, ma compréhension de moi-même au moment d’enregistrer. La thérapie hormonale ne change pas la tessiture, j’ai ce contrôle sur moi-même. Certains hommes sonnent comme des femmes, certaines femmes sonnent comme des hommes. C’est l’entraînement qui compte. »

Mina vit à New York, où les transgenres ont moins de problèmes que dans le Midwest. « Les gens te jugent moins. New York te laisse vivre, c’est la diversité qui fait cette ville de toute façon. Mais beaucoup de gens ont encore peur des transgenres. » En 1998, le coming out gay de Rob Halford, chanteur du groupe de heavy metal Judas Priest, et ce après trente années d’une carrière très réussie, avait moins perturbé les fans. Non seulement parce que le look « cuir et clous » du God of Metal, comme ses fans le surnomment, leur avait déjà mis la puce à l’oreille, mais aussi parce que les transgenres sont largement moins présents que les homosexuels dans l’espace public et dans les médias. La démarche du changement de genre est donc loin d’être banalisée et perturbe encore beaucoup l’opinion. En France, Mina devrait consulter des psychiatres et se faire opérer si elle voulait être reconnue comme une femme.

* Entretien avec l’auteur, traduction libre de l’auteur.

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Castrat

Ce qui distingue les castrats des eunuques n’est pas forcément physique : certains eunuques conservaient, à l’instar des castrats, leur pénis. Ils se démarquaient surtout de par le rôle social qui leur était attribué.

Que ce soit dans l’Empire byzantin ou en Chine médiévale, les eunuques étaient dévolus à des fonctions que des pénis et des testicules en parfait état de marche auraient rendues dangereuses pour leurs maîtres. Dans les pays musulmans, ils étaient affectés à la garde des harems et totalement castrés : après l’opération, ils devaient uriner au travers d’une tige de plume. Ainsi transformés, aucun risque qu’ils ne prennent avantage de leur position pour profiter des femmes qu’ils devaient surveiller – si tant est qu’on limite la sexualité à la seule pénétration avec un sexe. En Chine, les eunuques pouvaient accéder au statut de fonctionnaire de haut rang : leur impossibilité à engendrer une descendance rassurait le pouvoir en place, car ils ne nourrissaient pas l’ambition de fonder de nouvelles dynasties.

Les castrats, quant à eux, étaient des chanteurs sacrés. Se fondant sur la lecture de la Première Épître de saint Paul aux Corinthiens, le clergé interdit au Moyen Âge le chœur aux femmes : « Que vos femmes se taisent dans les assemblées. » On doit l’arrivée des castrats dans les chœurs au pape Clément VIII (1592-1605) qui autorisait la pratique de la castration afin de permettre à leurs voix angéliques de venir résonner dans les églises. De nombreux castrats (plusieurs milliers par an) venaient ainsi grossir les rangs des chorales, au nombre desquels quelques-uns sont devenus célèbres. Puis Clément XIV (1769-1774) a proscrit le procédé de castration, ce qui a entraîné la baisse progressive du nombre de castrats. Le dernier grand castrat pontifical, Alessandro Moreschi, a achevé sa carrière en 1913. Il est d’ailleurs le seul castrat dont on possède des enregistrements.

Sous l’Angleterre médiévale, les castrats étaient sélectionnés très jeunes pour leurs aptitudes vocales. Ils étaient privés de développement masculin (par froissement testiculaire ou ablation complète des testicules) dès l’âge de six ou huit ans. Leur faible taux de testostérone modifiait leur développement, empêchant leur voix de muer ou leur pomme d’Adam de se développer. Les garçons gardaient ainsi leur tessiture aiguë d’enfant mais acquéraient en grandissant la puissance vocale que leur conférait leur cage thoracique d’adulte. Cette opération était parfois déguisée en accident (chute, morsure d’un cygne, etc.), voire présentée comme une requête de l’enfant lui-même.

Les castrats, à qui on attribuait une grande endurance dans l’acte sexuel, avaient un certain succès auprès des femmes. À ce propos, le marquis de Sade notait dans son Voyage d’Italie (1775) que « leurs facultés, disent les femmes libertines, sont d’autant plus précieuses qu’elles ont plus de durée. L’ardeur ne les éteint jamais. » Il les qualifiait paradoxalement de « demi-hommes », que Rome « établit sur son théâtre pour éviter le scandale que pouvaient y causer les femmes ». Le succès des castrats auprès de la gent féminine s’explique aussi par leur stérilité, qui permettait à leurs amantes de ne pas encourir le risque d’une grossesse non désirée.

La figure du castrat a notamment été dépeinte, en 1994, dans le film de Gérard Corbiau, Farinelli. Farinelli a vécu au XVIIIe siècle et sa carrière lui a permis de donner des récitals dans toute l’Europe. Le film emprunte largement à la fiction, mais les techniques sonores employées pour recréer sa voix exceptionnelle donnent un aperçu de la fascination que pouvait générer l’organe des castrats.

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Censure

Aucun contrôle de la société n’est possible sans censure, les interdits touchent généralement la politique, la guerre, l’art et la sexualité. Comme le disait un magazine d’art, la censure prouve l’importance d’un sujet et le désordre qu’il peut produire. Elle se met donc en place en même temps que les États. La censure actuelle, qui concerne les images de pédophilie ou de zoophilie récolte un large consensus, mais, à l’image de la peine de mort, il est difficile d’évaluer si elle est la conséquence de l’opinion de la population ou à la source de celle-ci.

Nombreux furent les organes de censure par le passé: l’inquisition, l’index de l’Église catholique romaine, l’enfer de la Bibliothèque nationale de France et le ministère de la Culture concernant la pornographie en France jusqu’en 1974.

Voici quelques exemples célèbres. En 1664, l’archevêque de Paris met Tartuffe de Molière à l’index car la pièce « accuse indifféremment tous ceux qui font profession de la plus solide piété et les expose par ce moyen aux railleries et aux calomnies continuelles des libertins ». Les frères Goncourt ont été, quant à eux, attaqués en justice en 1853 pour avoir cité des vers de Jacques Tahureau, poète du XVIe siècle, dans leur Journal. Ces lignes, qualifiées d’obscènes, leur ont valu d’être assis au tribunal sur un « banc d’infamie, absolument comme des messieurs arrêtés dans une pissotière ». Cela alors qu’au XIXe siècle les contenus lascifs étaient réprimés par l’État, qui organisait des saisies chez des libraires vendant, sous des « couvertures transparentes, des publications licencieuses ».

Internet change la donne depuis le milieu des années 1990 et les succès internationaux que sont Facebook et les produits Apple. On connaît la frilosité de l’entreprise de feu Steve Jobs, qui interdit toute application libidineuse et affirme vouloir « libérer l’humanité de la pornographie ». Facebook est lui utilisé par des centaines de millions de personnes pour l’échange d’informations et de contenus, mais répond à une autorité de censure endogène qui échappe aux États. Faisant de la pudeur une valeur institutionnelle, l’entreprise américaine de Mark Zuckerberg n’hésite pas à retirer toute image qui lui semble dévoiler une nudité indécente. Après avoir censuré en 2011 L’Origine du monde, le tableau de Gustave Courbet, Facebook a récidivé en 2012 en supprimant de la page du Centre Pompidou la photo d’une œuvre de Gerhard Richter, Ema, hommage à Marcel Duchamp, où l’on voit une femme nue, de face, descendre un escalier. La nudité ne sied pas à Facebook, qui applique une politique beaucoup moins rigoureuse sur les contenus violents et impose ainsi une vision américaine de la morale au monde entier. Plus qu’une vision américaine, une source travaillant à San Francisco dans cet univers m’explique* : « Ce sont des gamins de vingt-sept ans qui font ce qu’ils croient être le mieux compte tenu des problèmes techniques et de la culture dans laquelle ils baignent. Ils ne réalisent pas vraiment qu’ils structurent les normes sociales du monde entier. » Bien sûr, il y a des décalages amusants, tel le tableau de Delacroix, La Liberté guidant le peuple, qui, en France, était sur les billets de 100 francs et dans les livres d’histoire des lycéens mais qui, aux États-Unis, a été ôté de bouteilles de bière car on y voyait un sein nu.

Les États ont toujours eu des difficultés à censurer les livres sous le manteau ou les radios libres mais s’y sont toujours employés avec un relatif succès. La télévision, qui était avant l’avènement d’Internet le seul vrai média de masse, était assez facile à contrôler. L’arrivée de la toile mondiale de l’information change la donne et les clefs de la censure deviennent une affaire privée… Le logiciel et les usages se sont substitués à la loi. Ce n’est plus le cadre réglementaire qui décide mais la technique. Si les États voulaient reprendre le contrôle des échanges sur la toile, ils remettraient en cause d’autres principes comme la liberté d’expression et la démocratie. Pour le moment, la Chine est un des seuls États, avec l’Iran, qui s’est construit ce qui est, en quelque sorte, un intranet, c’est-à-dire un réseau interne. La langue chinoise, spécifique dans ces caractères, aide également à cette déconnexion de l’internet mondial. Quand un pays comme l’Égypte a tenté la même censure, l’économie très touristique en a immédiatement souffert et c’est en moins d’une journée que l’accès au réseau externe a été rétabli. Il est, aujourd’hui, techniquement impossible d’interdire un site Internet qui est hors sol. Les gouvernements peuvent via les opérateurs en limiter l’accessibilité mais aucun trafic Internet n’emprunte un seul chemin. La censure n’est donc plus et ne peut plus être, en l’état actuel des moyens techniques et du développement d’Internet, le fait du pays dans lequel se trouve l’utilisateur. Elle devient par là même la responsabilité des États d’accueil et des entreprises émettrices. Ces dernières ont tendance à se restreindre au plus petit dénominateur commun à tous les pays afin de mieux s’exporter, ce qui, de fait, élimine toute forme d’apparition de la sexualité.

* Entretien téléphonique, août 2012.

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Chandelles (Les)

Les Chandelles est un club échangiste plutôt huppé à Paris, d’abord rendu célèbre auprès du grand public par l’animateur Thierry Ardisson, qui mentionnait régulièrement le nom de ce lieu sélect du libertinage dans ses émissions télévisées des années 1990, affirmant même y être un habitué. Plus récemment, les kilomètres d’articles écrits à propos de l’homme politique Dominique Strauss-Kahn en font un client régulier ou, du moins, affirment qu’il l’était avant que sa réputation ne se révèle en deçà de la réalité.

Ouvert en 1993, Les Chandelles a connu un épisode judiciaire à la fin de l’année 2011. Le club a été soupçonné non seulement d’être un lieu de prostitution, où certaines clientes n’étaient pas forcément là que pour les beaux yeux de leur accompagnateur, mais aussi d’orienter les clients demandeurs de prestations tarifées vers un réseau de prostitution partenaire. Sa tenancière et fondatrice, Valérie, assura aux policiers ne pas être au courant de ces activités rémunérées et a été quitte d’un mois de fermeture, sanction relativement clémente. Un autre club parisien, le 2plus2, connut le même sort en 2009, mais écopa quant à lui d’un an de fermeture administrative. Les membres de la clientèle des Chandelles ont-ils eu le bras plus long que ceux du 2plus2 ? Ce problème est rencontré par tous les lieux susceptibles d’accueillir des activités sexuelles, ce qui par ailleurs n’incite pas particulièrement les entrepreneurs à ouvrir des établissements de type love hôtel en France.

Dans le paysage de l’échangisme marchand, Les Chandelles s’impose comme un lieu luxueux, son prix d’entrée et son dress code très strict (pantalons proscrits pour les femmes, élégance exigée) renforcent son côté sélect. C’est en réalité un lieu où les corps sont normés, surtout ceux des femmes, qui s’écartent très peu des canons de beauté standardisés. D’autres clubs, dans un style sauna-hammam, existent aussi à Paris et en Province, et sont souvent plus accessibles financièrement et moins stigmatisants. On y croise M. et Mme Tout-le-Monde, âges et corpulences y sont variés, et l’uniforme (paréo pour tous) rend l’atmosphère plus conviviale – aux dépens toutefois de la tension érotique et de l’excitation de la séduction selon certains.

Ces lieux de rencontres, nombreux et abordables, additionnés aux possibilités de contacts offertes par Internet, ont rendu moins attractifs des endroits autrefois connus pour regrouper les couples ou les hommes seuls en recherche de partenaires de jeu. Aux petites heures de la nuit, la porte Dauphine à Paris ou l’esplanade du Champ de Mars à Lille – pour n’en citer que deux – étaient le théâtre d’intrigants ballets de véhicules, au rythme d’appels de phares et de vitres baissées qui permettaient de signaler son intérêt à des partenaires potentiels. Richard Allan, acteur historique de films pornographiques dans les années 1970 et opportunément surnommé « Queue de béton », raconte dans 8 000 Femmes, son autobiographie, comment se constituaient porte Dauphine des convois de voitures qui, une fois les participants triés sur le volet, se rendaient dans l’appartement d’un hôte pour s’y livrer aux multiples combinaisons que rendaient possibles le nombre de convives.

Si ces lieux, forts de leur réputation, permettent toujours à certains de se retrouver, ils sont aujourd’hui moins courus : pourquoi s’escrimer à tourner en rond des heures durant en voiture quand les contacts peuvent se nouer au chaud devant l’écran ?

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Chatroulette

Le jeune Moscovite Andrey Ternovskiy a créé Chatroulette.com à l’âge de dix-sept ans, en novembre 2009. Contraction de « chat » et de « roulette », le site propose des rencontres instantanées par webcam et met en relation des internautes de façon aléatoire. Il suffit d’appuyer sur « Next » pour changer de partenaire et se trouver connecté avec n’importe qui dans le monde. Une forme de speed-dating, donc.

Le site Internet a connu son heure de gloire en France au début de l’année 2010, lorsqu’il a envahi les médias et reçu plusieurs centaines de milliers de connexions par jour. Plusieurs chanteurs ont même proposé des histoires humoristiques, et « Chatroulette » est aussi bien le titre d’une chanson d’Andréas & Nicolas que de Max Boublil. Ce dernier y raconte un fantasme de Milf : « J’ai cherché la femme de ma vie […], j’ai vu ta mère sur Chatroulette », et annonce à son ami : « entre deux quéquettes, j’ai flashé sur sa tête ». La chanson compte plus de cinq millions de visualisations sur YouTube en septembre 2012.

D’après Guy Birenbaum, chroniqueur dans les médias, qui a testé le site t de son envol, on y trouvait essentiellement trois catégories de personnes : des adolescents mâles, boutonneux, le cheveu sale et l’œil triste, qui attendaient ; des plans fixes sur des messages du type « Montre-moi tes seins » écrits au feutre ; des hommes de tous âges, toutes origines, qui exposaient leurs parties génitales, que leur pénis soit mou ou en érection, qu’il soit petit, gros, grand, mince… À la marge, des femmes y sont également venues pour s’exhiber et des individus « juste » pour se parler.

Chatroulette, théoriquement réservé aux plus de dix-huit ans, s’est vite transformé en un lieu où l’on peut voir des phallus en tout genre. Faute de réunir assez de voyeurs, passée la première phase de grande curiosité, le service est aujourd’hui moins fréquenté.

Ce site qui a été si populaire, notamment grâce à son concept d’une extrême simplicité, a aussi permis quelques expériences intéressantes non sexuelles, en particulier des concerts proposés gratuitement à des spectateurs aléatoires. Aujourd’hui, il est encore visité « pour la déconne » et « parce que ça permet de juger rapidement les gens sur le physique », selon certains fidèles, qui précisent que le site a nettement rajeuni (la majorité de ses visiteurs aurait entre quinze et vingt-cinq ans), qu’il est devenu très mixte (40 % de femmes, d’après les estimations d’une utilisatrice) et que si l’on y croise encore des exhibitionnistes, ils sont largement minoritaires, l’essentiel des habitués de Chatroulette étant une population étudiante, isolée momentanément de sa famille ou de ses amis, qui y voient un moyen d’égayer ses soirées à moindre frais.

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Chirurgie vulvaire

La chirurgie esthétique s’est relativement démocratisée depuis quelques dizaines d’années. Des milliers de femmes tentent de maintenir une illusion de jeunesse (liftings, injections de botox, etc.) ou se conforment aux canons de beauté qui exercent une pression sur la taille de leurs seins (prothèses mammaires) ou sur la silhouette (liposuccion). Cette chirurgie s’est aussi positionnée sur le marché des hommes, offrant à ceux qui complexent sur la taille de leur sexe les joies de la péniplastie. Le sexe des femmes ne pouvait rester bien longtemps en dehors du champ de la normalisation plastique.

Selon le British Journal of Obstetrics and Gynaecology, l’année 2008 a vu augmenter le nombre de labioplasties de 70 % par rapport à l’année précédente au Royaume-Uni (portant le compteur à 1 118 dans le service public de santé seulement). Cette intervention consiste à raccourcir les petites lèvres des patientes afin que leurs grandes lèvres les recouvrent complètement, de façon plus « esthétique ».

La pornographie entre ici en scène, dans un rôle similaire à celui qu’on lui prête à propos de la disparition du poil. Les vulves des actrices, rendues systématiquement visibles par l’absence totale de pilosité qui les protègent naturellement, se doivent d’offrir une plastique lisse et jeune. Elles offrent un modèle aux femmes qui, découvrant (en même temps que leurs hommes) qu’avec les années leurs petites lèvres sont devenues plus grandes que celles des actrices à l’écran et dépassent les grandes lèvres, peuvent ressentir le besoin de faire appel à la chirurgie. Le phénomène prend de l’ampleur, si bien que des groupes féministes se sont emparés du sujet. Le 10 décembre 2011, le groupe anglais UK Feminista et les artistes de The Muffia (jeu de mots entre muff qui désigne la fourrure et, par extension, le sexe féminin, et mafia) organisèrent une marche à Londres pour avertir des dérives de cette pratique. Les lèvres de la vulve sont riches en terminaisons nerveuses et participent grandement à l’excitation et aux sensations amenant plaisir et orgasme. Elles ne sont pas non plus innocentes dans le plaisir de l’homme, car elles viennent caresser le pénis de tout son long lors du mouvement de pénétration.

Sans nier la possibilité à celles que la forme de leurs lèvres dérange de pouvoir disposer librement de leur corps et de le modifier comme elles l’entendent, il serait dommage cependant que la chirurgie à outrance ne fasse disparaître la diversité des sexes et atténue le plaisir.

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Chlamydiae

Les chlamydiae trachomatis (CT) sont les bactéries responsables de l’infection sexuellement transmissible la plus fréquente chez les femmes, surtout entre seize et vingt-quatre ans. Comme la contamination passe inaperçue chez 60 à 70 % des femmes, elles sont aussi la preuve d’un manque de prise en charge par les politiques publiques de la prévention d’une maladie qui rend stériles 20 % des femmes infectées et fait risquer à 10 % d’entre elles une grossesse extra-utérine.

Les dernières estimations nationales datent de 2006 et ont été publiées en 2010 dans Sexually Transmitted Infection par le groupe de médecins travaillant également sur l’étude Comportement sexuel des Français. Elles dénombrent, pour les 18-24 ans, 2,5 % d’hommes concernés et 3,2 % de femmes. Depuis 1990, ces infections sont en baisse chez la femme et en hausse chez l’homme. Une étude conduite en Écosse et publiée le 24 mai 2003 dans la revue de référence du monde médical The Lancet estimait que la proportion d’hommes infectés était proche de 10 % et montrait que près de 90 % des porteurs de la bactérie étaient asymptomatiques… ce qui laisse penser que les chiffres en France sont sous-estimés.

Alors que de nombreux pays occidentaux faisaient, depuis une dizaine d’années, de grandes campagnes de prévention autour des chlamydiae, que les toilettes des femmes du Trinity College de Dublin par exemple étaient recouvertes de panneaux d’information sur le sujet, la France restait focalisée sur le sida. Les autres IST passaient au second plan. En septembre 2012, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) a (enfin) réalisé une campagne d’information à ce propos. Dans des vidéos diffusées sur Internet, une voix off affirme que les chlamydiae sont la cause la plus fréquente de stérilité et que de très nombreux jeunes en sont porteurs sans le savoir. Un micro-trottoir montre que personne ne connaît cette bactérie. De plus, la seule méthode de prévention est le préservatif (pour toute pénétration, y compris orale). Or les distributeurs ad hoc sont, quand ils existent, plutôt dans les latrines des hommes !

La sensibilisation est peut-être venue de la prise en compte par les politiques d’une étude suédoise qui date de mai 2004, publiée dans Human Reproduction, montrant que loin d’être neutre pour les hommes la bactérie réduit leur fertilité d’un tiers. Avec un peu de cynisme, on peut aussi se dire que les traitements du sida qui entraînent une moindre protection dans la population et une réémergence de la syphilis conduiront certainement les associations de lutte contre le VIH à élargir leur champ d’action. Paradoxalement, même si le risque est important, il est difficile de mobiliser une population sur une maladie plutôt facile à dépister et qui se soigne très bien quand elle est prise à temps.

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Chocolat

D’après un sondage plus amusant qu’instructif du Figaro.fr réalisé en 2008, 53 % des hommes considèrent que si le chocolat avait un sexe il serait du genre féminin, tandis que pour 68 % des femmes le chocolat serait un homme. Malgré tout, toujours d’après la même source, 41 % des femmes considèrent que manger du chocolat leur procure plus de plaisir que faire l’amour (le taux augmente lorsque l’étude est réalisée dans une chocolaterie). Et elles argumentent : « Pour le sexe, il faut trouver quelqu’un de valable alors que le chocolat, on peut faire ça aussi bien toute seule. » Ou, plus scientifique, « le chocolat est déjà un euphorisant, donc il procure chimiquement des orgasmes* ». Il est vrai que le chocolat est une drogue contenant un antidépresseur favorable à la jouissance.

Cette propriété a été exploitée par plusieurs inventeurs de jeux qui, loin d’opposer « manger du chocolat » et « faire l’amour », ont judicieusement considéré que ces deux activités se conjuguaient particulièrement bien. Il existe ainsi des massages au chocolat : les propriétés antioxydantes du cacao sont censées agir sur la peau, l’odeur gourmande profite à tous par la suite. On trouve aussi des pots de peinture comestible au chocolat pour le corps et même des « gloss de corps au chocolat », crèmes brillantes pour exciter l’envie du partenaire. De quoi rendre le chocolat encore plus érotique, y compris en couple.

* Entretiens avec l’auteur au Salon du chocolat, 2008.

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Cicciolina

De son vrai nom Ilona Staller, la Cicciolina est une actrice porno italienne dont la réputation a traversé les frontières et les océans, tant pour sa carrière politique que pour la qualité de ses prestations à l’écran, notamment en compagnie de son célèbre compatriote Rocco Siffredi. La belle sut créer une image dont on se souvient encore aujourd’hui : une chevelure blonde, un bandeau tressé qui lui ceignait la tête et, surtout, une poitrine qu’elle exhibait à la moindre occasion. La Cicciolina fut d’ailleurs la première femme à montrer ses seins en direct à la télévision italienne. Sa prestation, en 1978, sur la chaîne publique RAI, déclencha un scandale national qui participa à la faire connaître rapidement de tous les Italiens. Par la suite, elle fit souvent de ses seins des armes politiques. Ilona Staller débuta une carrière dans ce domaine en 1979, au sein du parti écologiste Lista del Sole, que ne renierait pas Noël Mamère. Elle rejoignit en 1985 le Parti radical, au sein duquel elle put davantage faire entendre sa voix. Les députés italiens étant élus à la proportionnelle intégrale sur des listes de partis, elle obtint un siège à la Chambre lors des élections de 1987. Députée très assidue bien qu’elle ne mît pas pour autant un terme à sa carrière d’actrice X, elle promut nombre d’idées progressistes, dont la sortie du nucléaire pour son pays ou le droit d’avoir des rapports sexuels en prison dans des « love rooms » adaptées.

Chantre de la liberté sexuelle et promotrice d’un monde où l’on ferait surtout l’amour et vraiment pas la guerre, elle offrit en 1990, lors des débats à l’Onu qui précédèrent la première guerre du Golfe, de coucher avec Saddam Hussein afin de rétablir rien de moins que la paix au Moyen-Orient. Elle récidiva en 2003, juste avant l’invasion américaine de l’Irak. Comme elle le disait elle-même à ceux qui se proclamaient choqués par sa façon de montrer ses seins sans façon : « Ma poitrine n’a jamais tué personne, alors que la guerre contre Ben Laden a tué des milliers de personnes dans le monde. » À soixante ans passés, elle est aujourd’hui retraitée parlementaire.

La France a elle aussi sa Cicciolina, certes moins célèbre que l’originale mais tout aussi détonante. Cindy Lee, stripteaseuse professionnelle, est la porte-parole du Parti du plaisir, créé en 2001 pour promouvoir une société « plus participative ». Ancré à gauche, ce parti désire faire souffler un « vent d’hédonisme sur la France » et milite notamment pour l’enseignement de la sexualité dans les collèges, également ancien cheval de bataille de la Cicciolina. Cindy Lee avait essayé de se présenter aux élections présidentielles de 2002 et 2007, mais n’avait jamais recueilli les cinq cents parrainages nécessaires à la validation de sa candidature. Elle tenta à nouveau sa chance en 2012, à la tête d’un programme complet qui ne contenait pas seulement des mesures sur le sexe mais prêchait plus généralement le bien-être et le bonheur de tous. Peu rodée au jeu des médias et de la communication, elle déclara sur la chaîne Canal Plus vouloir « construire une société où on n’est pas frustré car, quand on est frustré, on n’est pas productif ». Cette nouvelle tentative présidentielle ne connut pas plus de succès que les précédentes. Cindy Lee se présenta alors aux élections législatives de 2012 dans la 7e circonscription de Paris. Pas moins de deux cent vingt-quatre électeurs glissèrent son nom dans la fente de l’urne, soit plus que pour le NPA ou Lutte ouvrière. Malheureusement pour elle, malgré une plastique mammaire plantureuse, Cindy Lee risque fort de ne jamais connaître le succès électoral de son aînée italienne, à moins qu’une réforme du mode de scrutin de l’Assemblée nationale n’intervienne.

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Circoncision

L’origine de la circoncision est immémoriale. On en trouve une première mention écrite chez Hérodote, au Ve siècle avant Jésus-Christ, qui ne savait pas s’il fallait l’attribuer aux Égyptiens ou aux Éthiopiens. Il en explique la raison d’être : « Ils pratiquaient la circoncision par souci de la propreté, qu’ils préfèrent à une meilleure apparence. » Il s’agissait donc, au-delà du sacrifice nécessaire au passage à l’âge adulte au cours d’un rite symbolique, de faire barrage aux infections sexuellement transmissibles tel l’herpès. On peut aussi remarquer qu’Hérodote évoque déjà le dilemme esthétique qu’elle implique. Mais l’affirmation de la supériorité esthétique du pénis non circoncis est aussi discutable que le point de vue inverse. Quant aux fonctions du pénis (plaisir, miction, pénétration, masturbation, bifle), elles peuvent toutes être réalisées avec ou sans prépuce.

La circoncision était déjà une pratique courante au moment de l’écriture de la Genèse : alors qu’il propose à Abraham une nouvelle alliance, Dieu lui impose de circoncire tous ses enfants. Abraham s’exécute et pratique alors la circoncision sur lui-même, sur son fils Ismaël âgé de treize ans et sur ses esclaves.

La circoncision, surtout pratiquée sur des enfants, est aujourd’hui une opération très politique et reflète l’incursion du social et en particulier des mondes religieux et médicaux dans la vie sexuelle. Nombreux sont les jeunes hommes, circoncis alors qu’ils n’étaient que des nourrissons ou jeunes enfants, qui considèrent qu’ils ont été mutilés et prônent l’interdiction de l’opération au même titre que l’excision. Ces voix s’élèvent contre ce qui est perçu comme une modification corporelle imposée à des enfants désarmés et comme une privation d’une partie sensible et utile de leur sexe : « Je n’ai plus mon prépuce depuis quelques années déjà. C’était médical. Enfin, avec le recul, ça aurait pu se passer autrement. Et, oui, il me manque*. » Ce n’est évidemment pas l’avis des personnes qui ont dû être opérées à l’âge adulte et qui auraient préféré avoir été circoncises dès leur plus jeune âge, surtout quand cela a généré chez eux des difficultés d’érection ou de fortes douleurs postopératoires. Les opposants à une circoncision systématique arguent qu’une telle politique serait aussi absurde et irrespectueuse du corps humain qu’une opération des amygdales ou de l’appendice imposée à tous les nouveau-nés. Pour eux, il est important que l’enfant puisse participer à une décision qui le concerne. La circoncision, en tant que rite religieux, est parfois vécue comme une fête, quand d’autres la considèrent comme un acte barbare.

En termes de sensations, les avis divergent. Certains circoncis tardifs, qui avaient donc connu une vie sexuelle avant l’opération, estiment qu’ils sont devenus plus sensibles du gland. « En fait, le préservatif pour moi est complètement nécessaire, car j’ai une telle sensibilité du gland qu’elle en devient quasi douloureuse », explique Vincent*. D’autres affirment que, leur gland étant exposé en permanence aux frottements, celui-ci s’est durci pour devenir moins sensible, ce qui rallonge la durée des rapports sexuels avant l’orgasme.

Car pour ce qui est des avantages et des inconvénients des pénis circoncis quand on en vient au sexe, tous les goûts sont dans la nature. L’indifférence est souvent de mise : « Je suis circoncis, mais aucune fille ne m’a jamais fait la réflexion une fois dessapé. Ma copine actuelle s’en est aperçue seulement au bout de trois mois, genre : “Ah bon, t’es circoncis ? J’avais pas remarqué” », raconte Nicolas*. Certaines préfèrent cependant les prépuces (« Je les connais mieux, je me sens plus à l’aise pour les caresser et jouer avec* »), quand d’autres ont une prédilection pour les circoncis (« parce que c’est plus pratique pour les capotes, souvent plus esthétique* »).

Ce dernier argument suggère qu’il existe une certaine pression à la circoncision : « Je confirme la mode, plusieurs potes se sont fait circoncire il y a peu », m’a affirmé un témoin en 2011. Cette année-là, Erik Rhodes, un acteur porno gay, s’est fait circoncire à l’âge de vingt-neuf ans pour des raisons esthétiques. Malheureusement, le résultat n’a pas été à la hauteur des espérances de l’acteur, dont le sexe apparaît légèrement boursouflé aux alentours du gland dans les films qu’il a tournés juste après l’intervention chirurgicale. Son chirurgien en a pris pour son grade : « Il a dit qu’il était “désolé”. Qui a envie d’entendre “je suis désolé” de la part d’un médecin qui vient d’opérer ton pénis ? Je jure sur ma tête, c’est aussi grave que s’il m’avait dit “pardon !” après avoir merdé une opération du visage ! » a assuré Erik sur son blog. Il a fallu l’intervention d’un autre chirurgien pour redonner visage humain au pénis d’Erik, qui a repris sa place parmi les plus beaux membres du porno gay. Ce fut, malheureusement, pour une courte durée : Erik Rhodes est mort le 13 juin 2012 d’un arrêt cardiaque, probablement lié à la consommation des stéroïdes qui avaient fait de lui le colosse fantasmé de ses fans.

L’Organisation mondiale de la santé a publié en 2009 une étude sur la circoncision dans le monde. 660 millions de circoncis de plus de quinze ans y sont recensés, soit 30 % de la population masculine adulte mondiale. Dans certains pays, l’acte est une tradition religieuse, musulmane ou juive, et concerne 100 % des hommes. Dans d’autres, où la plupart sont circoncis, une double pression culturelle et médicale est à l’œuvre (États-Unis, Canada, Corée du Sud). Dans d’autres encore, une faible proportion de la population est circoncise pour des raisons purement médicales (pathologie de phimosis ou autres).

Cette enquête a fait polémique car elle annonçait que la circoncision entraînerait la diminution du nombre de contaminations par le virus du sida. Or certains ont relié un peu vite diminution et absence de risque. De plus, cette recommandation ne concernait que les pays fortement exposés au VIH et peu médicalisés, comme l’Afrique subsaharienne, car cet acte médical systématique permettrait par la même occasion d’établir un dialogue de prévention du virus avec les populations. Cependant, cette baisse du taux de contamination ne concerne que le partenaire masculin lors d’un rapport vaginal et aucun bénéfice n’a été constaté pour les femmes, y compris dans le cas de rapports anaux. La circoncision ne doit donc pas être promue comme un moyen de lutte contre le sida, au détriment de la seule prévention réellement efficace : le préservatif.

* Entretiens avec l’auteur.

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Clitoris

Jean-Claude Piquard raconte, dans son ouvrage La Fabuleuse Histoire du clitoris, une enquête menée auprès de trois cent seize élèves dans un collège dynamique, dont les parents travaillent majoritairement dans le secteur tertiaire. Il était demandé aux élèves de treize et quatorze ans de dessiner un pénis et une vulve. Si 80 % des élèves se montrèrent capables de dessiner assez fidèlement un pénis, seuls 28 % des garçons et 16 % des filles ont pu faire de même avec le sexe féminin, pour des résultats souvent fantaisistes, où le clitoris n’apparaissait que rarement. Au moment d’écrire ce dictionnaire, il reste encore un sujet de découverte.

Son histoire se confond avec celle de la masturbation et de la reproduction. Il y a deux mille cinq cents ans, Hippocrate était à l’origine de la théorie des humeurs, qui décompose l’être humain en quatre éléments (air, eau, feu, terre). Il en tira une conception de la reproduction basée sur l’échange des humeurs. La semence masculine, le sperme, est facile à identifier car visible de façon externe. Le sexe de la femme devenant humide, Hippocrate en déduisit que cette humeur devait se mêler au sperme afin d’engendrer la vie. Cette théorie a perduré jusqu’aux alentours de l’année 1800, lorsque l’ovisme fut reconnu par les scientifiques.

Le clitoris fut quant à lui identifié au XVIe siècle. Les différents ouvrages d’anatomie publiés au XVIIe siècle faisaient preuve d’une relative précision, s’approchant de la forme du clitoris communément acceptée aujourd’hui mais connue d’un nombre d’initiés très restreint. Car le clitoris n’est pas un simple « bouton magique » situé à la commissure des grandes lèvres : il ne s’agit là que de son gland. Cette partie apparente du clitoris se prolonge vers le bas pour se diviser en deux piliers (corps caverneux) qui se déploient de part et d’autre du vagin. Sa taille totale fait environ 10 centimètres. Ceci explique qu’en cas d’excision – pratique qui consiste en l’ablation du gland du clitoris à des fins de contrôle du plaisir féminin – une chirurgie réparatrice est possible : elle consiste à étirer la partie interne du clitoris pour que son extrémité soit à nouveau accessible. Les corps caverneux du clitoris peuvent, à l’instar de ceux du pénis, se gonfler et rendre ainsi le clitoris érectile. Cette correspondance entre les différentes parties des organes génitaux masculins et féminins est un fait : lors du développement de l’embryon, ces organes sont similaires, pour progressivement se différencier ensuite en pénis ou en vulve.

On trouve déjà une définition très complète dans l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert, dont le premier tome a été publié en 1751. L’article consacré au clitoris y contient la phrase suivante : « Il s’est trouvé des femmes qui en ont abusé. » Car le XVIIIe siècle correspond aussi à une période de diabolisation de la masturbation, et ceci pour plusieurs raisons : la condamnation par la religion catholique du plaisir sexuel en dehors du couple, le natalisme toujours à l’œuvre qui privilégie le sexe reproductif aux plaisirs improductifs, le fait que le plaisir clitoridien ne nécessite pas l’indispensable verge, voire la préservation de l’énergie pour le travail plutôt que pour les plaisirs charnels. Cependant, cette condamnation du plaisir solitaire s’accompagne d’une médicalisation de l’orgasme féminin. La théorie des humeurs d’Hippocrate n’étant pas totalement oubliée, le corps médical considérait alors nocif pour les femmes de ne pas libérer leur corps de cette substance sexuelle qu’elles sécrètent. Pour autant, il n’était pas question de les laisser se débrouiller seules… Elles devaient par conséquent se rendre chez le médecin qui leur prodiguait un massage clitoridien (non sexuel, bien entendu) leur permettant d’atteindre l’orgasme et de se sentir mieux. Certains médecins masseurs ont ainsi pu faire fortune grâce à cette activité et ont d’ailleurs industrialisé le procédé en créant les premiers vibromasseurs.

Lorsque, à la fin du XIXe siècle, il a été établi que le clitoris ne participe pas à la reproduction et que la fécondation est possible indépendamment du plaisir féminin, il a disparu peu à peu de la littérature médicale, voire de la sphère publique, pour devenir un secret bien gardé. Même Freud a expliqué dans ses essais sur la théorie sexuelle que la pulsion clitoridienne enfantine devait se structurer avec l’âge et basculer vers le vagin, seule source de plaisir adulte. L’anatomie du clitoris montre pourtant que plaisirs clitoridien et vaginal sont liés : les deux piliers du clitoris, positionnés de part et d’autre du vagin, peuvent être excités par le pénis.

Le début du XXe siècle fut donc une période de profond obscurantisme clitoridien. En témoignent les éditions successives du Gray’s Anatomy, manuel anglais de référence. Le clitoris y était très bien représenté en 1900 avant de disparaître progressivement des schémas jusqu’à être totalement absent dans les années 1930. Il est également possible de constater cette évolution dans les illustrations des dictionnaires grand public.

Depuis, les années 1970 sont passées par là, le « jouir sans entraves » de Mai-68 a porté ses fruits. Mais le clitoris reste souvent un continent obscur ainsi qu’une source de combat politique et féministe. Pour preuve, en 2011, le réseau Osez le féminisme lançait une campagne intitulée « Osez le clito », placardant dans les rues une affiche montrant schématiquement l’anatomie du clitoris. Le but affiché était de populariser la connaissance du plaisir féminin et du clitoris, « parce qu’il est objet d’ignorances, de dénigrements, voire de mutilations ».

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Club échangiste

Un club échangiste est un lieu destiné aux personnes qui souhaitent jouir d’une sexualité collective. Le terme se rapporte généralement à une sexualité hétérosexuelle, sachant que les clubs de sexualité collective homo existent, mais que la notion de « couple homosexuel » étant, pour le moment, moins stricte, on parle plus couramment de « backrooms ». Les clubs échangistes homosexuels ne proposent habituellement pas de prix spécifique du fait que l’on vienne seul ou accompagné, contrairement aux clubs échangistes hétérosexuels ; il est moins question d’y échanger un partenaire que de faire des rencontres. Dans les clubs hétérosexuels, lors des soirées « couples », une femme ne peut pas s’en aller si son accompagnateur reste, alors que l’inverse est possible. Ce genre de discrimination n’existe pas dans les clubs strictement homosexuels.

Pour les hétérosexuels, il existe de nombreuses subtilités entre les exhibitionnistes qui aiment faire l’amour devant des spectateurs, les mélangistes qui se caressent les uns les autres sans qu’il y ait réellement « échange » entre partenaires et les échangistes qui permutent les couples. Certains libertins n’apprécient guère ce côté « troc », d’autant qu’il s’agit souvent de « troc de femmes » ; cependant, certains couples y tiennent, ayant établi comme règle interne de fonctionnement de ne rien faire l’un sans l’autre ou d’être dans une forme de « parité ». Ces derniers s’imposent de « toujours échanger », c’est-à-dire que si un homme plaît à Madame, elle ne peut concrétiser son désir que si la femme plaît à Monsieur. Pour ces couples, la notion d’équilibre est primordiale.

Toutes les combinaisons sont envisageables, de l’homme candauliste qui apprécie d’offrir sa femme à d’autres et de la femme qui aime sentir que son homme est le plus viril et peut « toutes les avoir » aux femmes bisexuelles qui fréquentent ces lieux uniquement pour rencontrer d’autres femmes mais ne souhaitent pas qu’un homme les touche.

En France, les clubs sont majoritairement de deux types : soit boîtes de nuit avec des coins câlins, soit lieux de détente avec sauna, hammam et jacuzzi. Dans le premier cas, les femmes sont tenues de venir en jupe ou en robe, un mini-short peut éventuellement être toléré dans certains lieux, d’autres imposent des talons aiguilles, comme Les Chandelles qui va jusqu’à prêter des paires ad hoc aux femmes qui ne se sont pas préparées selon les codes établis. Dans les clubs « détente », au contraire, tout le monde se retrouve rapidement nu (ou vêtu d’un peignoir ou d’un paréo), si bien que la question de la tenue ne se pose pas. D’autres lieux, dans le monde, proposent des soirées « à deux tenues » : les clubs belges sont notamment connus pour leur organisation en deux temps. Un premier temps plutôt « dîner mondain » permet aux couples de faire connaissance, il est suivi d’une seconde partie de soirée où les participants se retrouvent dans des tenues plus légères encore et batifolent.

Il existe une difficulté majeure pour l’organisation de telles soirées en France, c’est la question du proxénétisme. En effet, la définition de ce délit y est assez large et le fait, pour un club échangiste, d’accepter d’accueillir des couples dont l’un des membres perçoit une gratification en fait partie. Les Chandelles et le 2plus2, deux des clubs parisiens les plus célèbres, ont été condamnés à une amende et à une fermeture provisoire (de un à plusieurs mois) pour avoir accepté des couples dont la femme était une accompagnatrice rémunérée. Sans aller jusqu’à imposer l’interdiction aux couples illégitimes, les gérants de clubs échangistes, à l’instar des hôteliers, cherchent à se protéger d’une loi un peu complexe à appliquer étant donné leur activité. Une des « techniques » employées est d’interdire l’entrée à des couples dont l’écart d’âge est très important ou de décider arbitrairement, en jugeant sur la seule apparence, qui est une prostituée et qui ne l’est pas. Le personnel des clubs échangistes regrette souvent d’avoir à faire ce genre de discriminations dommageables pour de nombreuses femmes, mais leurs membres agissent ainsi par peur de perdre leur emploi. Sauf à croire que l’on peut différencier au premier coup d’œil une femme libertine d’une prostituée ou à décider qu’aucune femme ne peut être libertine, la question restera posée tant que les lois sur la prostitution et le proxénétisme ne seront pas assouplies en France.

Exemple d’un sauna échangiste parisien

Il existe environ trois cent cinquante clubs en France, dont un peu moins de soixante en région parisienne. La capacité d’accueil va d’une centaine de couples à trois cents couples pour les plus grands. « Les chiffres sur la fréquentation, c’est tabou », m’a-t-on expliqué très sérieusement dans différents lieux. Une estimation sommaire, confrontant plusieurs enquêtes à la méthodologie douteuse, permet cependant d’envisager l’existence d’environ deux cent cinquante mille pratiquants réguliers (sur une semaine). Ce chiffre, aussi fiable que le nombre de participants lors d’une manifestation, cadre néanmoins avec les ventes de journaux libertins. On peut donc imaginer qu’il y a deux cent cinquante mille « libertins pratiquant l’échangisme régulièrement » en France et certainement autant, si ce n’est plus, d’amateurs ponctuels, de journalistes curieux et autres spectateurs.

Il existe, dans les grandes villes, des hammam-sauna-jacuzzi tels le Moon City à Paris dans lesquels une femme seule peut entrer pour la somme de 15 euros, soit le même prix qu’une entrée au hammam de la Mosquée de Paris. En revanche, les tarifs sont dissuasifs pour les hommes seuls (128 euros, en juin 2012, pour le même lieu), qui sont par ailleurs interdits de club les lundis et mercredis, réservés aux soirées « 100 % couples ».

Pour les couples, les tarifs sont corrects : 63 euros, soit un peu plus de 30 euros par personne, préservatifs, boisson et buffet à volonté inclus (buffet « pique-nique », sans mauvais jeu de mots). Il est plus probable de rencontrer des chefs d’entreprise et autres cadres supérieurs dans des clubs échangistes dits « classiques » (Les Chandelles, par exemple). Au Moon City, la population est plus jeune (vingt-cinq à quarante-cinq ans) et on rencontre beaucoup de personnes issues de classe moyenne, plutôt des militaires, des maîtres-nageurs et des infirmières, peut-être même des étudiants.

Lorsqu’il entre dans ces lieux, le couple se voit remettre une serviette, un bracelet de piscine contenant la clef du vestiaire, des préservatifs et… un paréo. Affublé de cet uniforme, il peut rejoindre le bar et son buffet. S’ils en ont l’envie, les clients profitent alors du hammam et du sauna, qui sont situés à l’étage avec les salles contenant des matelas, ou du jaccuzzi au rez-de-chaussée. L’ambiance est chaleureuse (40 °C dans le hammam), l’éclairage est rouge et le décor à base de bouddhas en bois verse dans le kitsch.

Le déséquilibre entre les situations et les recherches des hommes et des femmes est palpable. Les premiers donnent facilement leur vrai prénom et leur vrai métier, les secondes se parent de pseudonymes et coupent court à toute conversation sur le boulot : « On n’est pas là pour parler de ça. » Emma*, belle jeune femme qui fait « passeport » pour que Pierre, vingt-sept ans, puisse entrer, m’explique : « Il a besoin de moi pour entrer ici. En général, je fais un hammam et après je m’endors, des fois il me masse ou on va dans un coin câlin. » Il faut dire que les salles « câlins » ferment à clef et disposent de fenêtres vers les couloirs que l’on peut ouvrir ou fermer selon que l’on est exhibitionniste ou non. Certaines salles, très étroites, offrent une grande intimité, d’autres aux murs et plafonds entièrement recouverts de miroirs laissent imaginer des jeux plus explicites. Finalement, après un moment d’échauffement dans le sauna, le hammam ou le jaccuzzi, les couples s’enferment ou attendent l’arrivée de participants pour commencer leurs ébats. Les clients sont respectueux : il est d’ailleurs écrit partout qu’il ne faut pas toucher les gens sans leur permission !

La population fréquentant ce lieu est très variée, l’âge des participants s’échelonne entre dix-huit et soixante-cinq ans. Il n’y a pas non plus de stéréotype au niveau des corps : les femmes sont loin d’avoir une silhouette uniforme, certaines sont très généreuses tandis que d’autres sont très fines et, si des jeunes hommes affichent fièrement leurs abdominaux, d’autres assument leur embonpoint.

Outre la différence d’intention de pratiques entre les hommes et les femmes, un seul point noir vient ternir cet îlot de tolérance où chacun peut se rendre en « échangeant » ou non : la bisexualité féminine est tolérée, voire encouragée, alors que la bisexualité masculine est pratiquement interdite, même si aucun établissement ne l’affirmera explicitement.

Exemple d’un sauna pansexuel en province

On trouve des sauna-hammam-club libertins gay friendly accueillant hétérosexuels, homosexuels et pansexuels. Des clubs qui ne font pas de ségrégation en plaçant les hétéros d’un côté et les homos de l’autre. Las, malgré une philosophie bienveillante se dessine un univers glauque guidé par des problématiques économiques.

Dans une ville d’une cinquantaine de milliers d’habitants existe un tel club, seul lieu revendiqué « échangiste » à vingt kilomètres à la ronde. L’endroit est tenu par un couple d’homosexuels. Il dispose d’un sauna, d’un hammam, de deux salons vidéo (l’un diffuse des pornos gays, l’autre des pornos hétéros) ainsi que de nombreux coins câlins-cabines qui s’enchevêtrent dans une ambiance assez sombre. Dans le hammam, par exemple, on n’y voit guère, même à vingt centimètres. Pas de quoi reconnaître un homme d’une femme. La proportion hommes/femmes est très déséquilibrée et c’est, de manière générale, le cas dans tous les clubs de la région, me confirment les gérants et les membres réguliers de l’établissement.

Les soirs de week-end normal, une trentaine d’hommes et moins de cinq femmes sont présents. Parmi les hommes, au moins les deux tiers sont purement hétérosexuels. Les gérants ne désespèrent pas que les hommes deviennent bisexuels voire homosexuels en l’absence de personnes du sexe opposé : « Il est vrai qu’il y a souvent ici des morts de faim… L’avantage, c’est que les plus ouverts d’esprit se tournent vers l’homosexualité et deviennent bisexuels », dit l’un d’eux en souriant. Côté femmes, l’hétérosexualité est de mise, comme me l’explique un gérant : « Les femmes qui viennent, mieux vaut qu’elles aient du caractère, qu’elles soient hétéros et qu’elles aiment avoir plusieurs hommes parce que, lorsqu’un couple vient et ne veut pas se mélanger, ça pose des problèmes… S’il y avait des femmes entre elles, ce serait très frustrant pour les hommes et on aurait des difficultés à tout gérer. » De fait, me raconte le barman : « On voulait faire une matinée du dimanche “100 % femmes”, mais ça posait trop de problèmes de logistique, il aurait fallu un personnel 100 % féminin et ça n’était pas possible. »

Ce qui est sûr, c’est que cette proportion très masculine a une conséquence immédiatement visible : sitôt qu’une femme pointe le bout de son nez, accompagnée ou non, elle est immédiatement sollicitée par de nombreux hommes. Le problème est aussi caricatural que cela. Un couple hétérosexuel, entré seul dans le sauna, s’est ainsi retrouvé entourée six hommes très… entreprenants. La femme, engoncée dans son peignoir de bain, s’est aussitôt réfugiée derrière l’homme, se transformant subitement d’exploratrice patentée en ultra-traditionaliste. Son partenaire n’en menait pas beaucoup plus large, à devoir protéger sa compagne qui étouffait sous la chaleur conjuguée du sauna, du peignoir et du stress. Car, si certaines profitent du lieu pour s’offrir à de nombreux inconnus, d’autres peuvent préférer un peu plus de tranquillité et de contact humain. Celles-là ne reviennent pas dans ce lieu puisqu’il est difficile d’y obtenir des discussions, me confie une novice un peu effrayée de son audace. Il est vrai que les hommes regardent mais ne parlent pas ou presque pas.

Une cliente habituée explique qu’il ne faut pas avoir peur : « Bien sûr, ils essaient mais, si on les repousse, ils n’insistent pas. Ça fait bizarre au début, mais on s’y fait. Moi, la dernière fois, y en a un qui me suivait, me sollicitait lourdement, il a fini par essayer de me caresser avec le pied dans le jacuzzi… Du coup, j’ai attrapé son pied, il a bu la tasse et s’est fait virer. » Pour entrer en contact reste le bar, qui ne sert pas d’alcool, peut-être pour éviter les débordements ou pour des raisons de licence (ce qui doit rendre l’équation économique encore plus difficile).

Le lieu était estampillé « 100 % gay » à son ouverture dix ans plus tôt mais, après un an et demi de galère financière, le propriétaire d’origine a dû s’ouvrir à la clientèle hétérosexuelle. Si les gérants actuels sont sincèrement convaincus que la non-ségrégation est une bonne chose, l’argument économique joue à plein : « Vous comprenez, on est dans une petite ville et le marché est trop restreint pour un club 100 % gay ou 100 % hétéro. On est obligés de mélanger les deux, sinon on ne s’en sortirait pas. » C’est évident mais, dans les faits, cette répartition hommes/femmes déséquilibrée crée une pression masculine très désagréable pour les femmes.

Les clubs des plus grandes villes, quant à eux, peuvent se permettre économiquement de ne s’ouvrir qu’à un seul type de public, grâce à un marché plus large. La belle idée de mélange fait donc long feu, car il est évidemment impossible de filtrer les hommes seuls en fonction de leur orientation sexuelle. Reste qu’un club mixant joyeusement gays, hétéros, bisexuels, lesbiennes et creuxpoplitophiles n’est pas encore à l’ordre du jour.

* Le prénom a été modifié.

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CNC

Le Centre national du cinéma est « l’unité de conception et de mise en œuvre de la politique de l’État dans les domaines du cinéma ». Il promeut, réglemente et centralise les informations sur l’exploitation des œuvres et conserve le patrimoine. Cependant, son organe le plus connu est la commission de classification des films. En effet, si la décision d’assortir la sortie d’un film d’une interdiction aux moins de douze, seize ou dix-huit ans, ou de le classer X, revient au ministère de la Culture, ce dernier s’appuie sur les recommandations de cette commission. C’est donc elle qui institutionnalise le rapport de la société à la visualisation de la sexualité au cinéma.

La première est née en 1916, mais la commission nationale de censure ne fonctionne sous sa forme actuelle que depuis 1990. Elle est composée de vingt-huit membres répartis en quatre collèges : les administrations (ministères de l’Intérieur, de la Justice, de l’Éducation nationale, de la Famille et de la Jeunesse) ; les professionnels du cinéma (choisis par le ministre de la Culture après consultation des professionnels) ; les experts (représentants du monde médical ou spécialistes des sciences humaines qualifiés dans le domaine de la protection de l’enfance et de l’adolescence, collège où l’on retrouve aussi les associations de défense des enfants et des familles) ; et les jeunes (âgés de dix-huit à vingt-quatre ans à la date de leur nomination).

D’après un membre de la commission, le processus de visionnage des films se déroule ainsi : « Il y a une première projection, où on est en sous-groupes, avec des membres de chaque collège (il y a des projections tous les jours). Un des membres fait un rapport. Si la recommandation est “tous publics”, on s’arrête là. S’il y a une restriction envisagée, le film repasse en assemblée plénière (deux soirs par semaine). C’est selon le rapport de cette assemblée plénière que le ministère prend sa décision, mais il peut réclamer un nouvel examen par la commission, ce qui est obligatoire s’il envisage de durcir la classification. Le distributeur peut aussi demander un autre examen s’il juge que le résultat est trop restrictif. C’est arrivé à la fin de l’année 2011 pour le film de Julia Leigh, Sleeping Beauty*. »

Le résultat dépend donc de ces experts nommés par le ministère ou par la commission elle-même. On sait que, aux États-Unis, la présence d’un téton féminin promet presque automatiquement un avertissement par la Motion Picture Association of America (équivalent du CNC). La sortie américaine de Kirikou et la sorcière, en 1998, avait d’ailleurs été perturbée par la présence d’Africaines aux seins nus. En France, rien d’aussi automatique, même si la morale pointe parfois le bout de son nez dans les débats de la commission. Le CNC le dit lui-même sur son site Internet : « La classification comprend une part majeure de subjectivité et constitue un exercice difficile à théoriser. » En effet, le rapport au sexe, à la famille, à la violence des membres est mis en jeu, autant que leurs projections sur les réactions des jeunes à ces images. Patricia Bardon, productrice et membre de la commission, ne dit pas autre chose : « Les membres des collèges représentant des institutions ou des ministères ne sont pas tous formés à décrypter l’image. C’est un grave problème car ils réagissent d’un point de vue personnel et émotionnel. Les nouveaux titulaires arrivent le plus souvent en commission sans connaissance d’aucun des critères de classification. Et, depuis 2005, il y a une très grande représentation de la famille et de la santé, d’où un déséquilibre*. »

Les projections sur la jeunesse sont donc nombreuses. Gauthier Jurgensen, membre du collège des experts et précédemment du collège des jeunes, pense ainsi que « l’adolescence, c’est quand même le moment où on se pose beaucoup de questions sur son orientation sexuelle, et moins quand on est adulte* ». Beaucoup d’adolescents traversent cependant leur jeunesse sans questionner leur rapport à la norme sexuelle et certains vont la remettre en question plus tard, à l’âge de trente ou quarante ans, voire lorsqu’ils seront plus âgés encore. Quelques-uns, comme Patricia Bardon, préféreraient que le ministère donne un avis au lieu d’asséner une interdiction, très pénalisante pour l’exploitation du film en salles. D’autant que, aujourd’hui, la grande accessibilité des films sur Internet remet en perspective ce pouvoir d’interdiction.

Il faut préciser qu’en dernier recours le Conseil d’État a le pouvoir d’annuler le visa d’exploitation délivré par le ministère de la Culture. C’est arrivé par exemple pour le film Baise-moi, de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, sorti initialement avec une interdiction aux moins de seize ans. Saisi par Promouvoir (une association de « promotion des valeurs judéo-chrétiennes »), le Conseil d’État a jugé que le film était une succession de scènes de sexe non simulées, de grande violence, « sans que les autres séquences traduisent l’intention, affichée par les réalisatrices, de dénoncer la violence faite aux femmes par la société ». Il a donc déclaré le visa illégal et l’a annulé.

Le cas de Baise-moi mêle sexe et violence, mais on peut souligner une classification à deux vitesses sur ces deux sujets. Si un film comme Sleeping Beauty est interdit aux moins de seize ans, entre autres « parce qu’il présente la prostitution sous un jour favorable », le cas des films qui présentent la délinquance ou la violence sous un jour favorable (on pourra penser à Fast and Furious, par exemple) est rarement promis au même sort. Une scène de sexe « explicite » reste plus « traumatisante pour la jeunesse » aux yeux de la commission qu’une scène de meurtre « explicite ».

* Entretiens avec l’auteur.

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Con

Le mot « con » apparaît, sous cette orthographe, dans le Roman de Renart à la toute fin du XIIe siècle, vraisemblablement dans le sens de « femme ». Il évolue assez rapidement pour désigner le sexe d’icelle. C’est en 1830, dans la correspondance de Mérimée à Stendhal, qu’on le trouve pour la première fois employé comme insulte et, à la fin du XIXe siècle, l’invective se décline au féminin en « conne ».

Pendant des années, il a fallu utiliser l’art de décaler les sons pour prononcer ce terme tabou. François Rabelais, écrivain du XVIe siècle, a donc inauguré la tradition française du contrepet, en situant une des scènes de Pantagruel à Beaumont-le-Vicomte, dont d’aucuns disent qu’on y trouvait des femmes folles à la messe. Luc Étienne, qui publie L’Art du contrepet en 1957, explique alors avoir fait « une belle thèse avec des bons côtés ».

Jusque dans les années 1960, le mot était facilement censuré. D’ailleurs, l’ouvrage érotique et blason du corps Le Con d’Irène du poète Aragon a été interdit en 1928 avant d’être édité sous le titre épuré du terme insultant de « con » en 1968 ; malgré cette modération apparente sur les couverture et pages de faux-titre et de titre, le livre a été saisi pour son contenu jugé érotique. Moins de cinquante ans plus tard, le mot passe finalement dans le langage courant et, désormais, même un président peut dire : « Casse-toi, pauv’con ! »

Entre-temps, Pierre Desproges avait pu s’interroger sur la connerie de Jacques Séguéla dans le « Tribunal des flagrants délires » : « Jacques Séguéla est-il un con ? La question reste posée. Et la question restant posée, il ne nous reste plus qu’à poser la réponse. Jacques Séguéla est-il un con ? De deux choses l’une : ou bien Jacques Séguéla est un con, et ça m’étonnerait tout de même un peu, ou bien Jacques Séguéla n’est pas un con, et ça m’étonnerait quand même beaucoup. » En 1973, Ahmédée, dessinateur satyrique, et Lharidelle, écrivain, ont recensé de nombreux contrepets utilisant le terme « con » dont « j’aime le son du cor » ou « ce bond est digne d’un Comanche » qu’ils publient allègrement dans le livre Sagesse n’est pas folie, dessins et contrepèteries.

Aujourd’hui, le mot « con » et tous ses dérivés, « connerie », « déconner », « connard », sont d’usage courant. Pour autant, l’étymologie de ces mots est plus ou moins connue. Les termes « connerie », « con » (en tant qu’insulte) et « conne » sont des émanations des qualités que l’on prête usuellement aux organes génitaux, à savoir une certaine inertie, une grande passivité, une absence de sentiments et de réflexion. Afin de ne pas y voir de sexisme, il peut être judicieux de rappeler que « gland », « couillon » ou « tête de nœud » sont également des insultes, issues des organes génitaux masculins.

Il est admis que « déconner » était à l’origine (au XIXe siècle) le contraire d’enconner. Le premier signifiait « se retirer » tandis que le second désignait la pénétration. Ainsi, un con pouvait s’enconner et, sur le même principe, un cul s’enculer. Se retirer d’un con a pu être considéré comme une absurdité, ce qui expliquerait le sens du mot « déconner ». « Connard », lui, s’est formé par l’ajout de l’affixe péjoratif ard, peut-être sous l’influence du terme « cornard », qui désigne un cocu. La déclinaison au féminin en « connasse » a servi à caractériser une femme sotte puis une prostituée inefficace.

Les personnes dont les noms de famille sont « Conne », « Connard », « Connart » ne sont pourtant pas des descendants d’imbéciles du village réduits à se faire insulter. Soit ils viennent de la province de Connacht en Irlande, soit il s’agit de personnes qui étaient « braves et dures ». En effet, on trouve aujourd’hui en néerlandais le terme koen qui signifie « courageux » et en anglais hard pour « dur », d’où les fameux Connard, dont le nom élogieux est néanmoins difficile à porter en France.

Les origines du mot « con » sont quant à elles mal connues. Wikipédia hésite sur des racines proto-indo-européennes avec kust (« intestin», « rein», « vessie»), sker (« couper»), keu (« cacher», qui a donné aussi « cul »), germaniques avec kunton (« femme») ou latines avec cuneus (« coin»).

Marcel Zang, écrivain, proposait sur Rue89 que le « con », sexe de la femme, ait la même étymologie que le cum latin, qui signifie « avec ». Cette hypothèse, démentie par des linguistes, ne manque pourtant pas d’intérêt : pour preuve, le mot « congrès », nom masculin apparu en 1611 et qui désigne tout à la fois l’union sexuelle et, antérieurement selon son étymologie grecque, le troupeau. L’écrivain envisage également eikôn, qui veut dire « image » en grec et qui a donné « icône » en français ; le con serait ainsi une sacrée image. Il remarque enfin que le peuple Fangs désigne par kon le sexe… masculin et qu’au Ghana ikûn ou okunu indique plutôt le possesseur du pénis, en général le mari.

L’hypothèse la plus poétique est celle selon laquelle le terme cunnus, qui aurait signifié la femme en latin classique, proviendrait de « con(n)in » ou « con(n)il », le lapin. De la même manière qu’aujourd’hui on parle de la chatte, petit animal doux au toucher malgré son caractère indépendant, il y a quelques siècles, c’est par cette autre bête tout aussi attendrissante, qu’on aime à caresser et à manger, que l’on désignait le sexe féminin, en utilisant toujours une métonymie poilue. À l’époque, la cuniculture, c’est-à-dire l’élevage de lapins, était très en vogue, tandis qu’aujourd’hui n’existe plus que le cunnilingus, lequel ne consiste pas à mettre sa langue dans un lapin mais bien sur une chatte.

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Correspondance

La correspondance amoureuse est rarement ouvertement sexuelle. On a très longtemps évité de nommer les organes génitaux, « la chose », comme l’écrivait l’abbé Gabriel-Charles de Lattaignant, n’était signalée que par des ellipses.

Les femmes étaient peu réputées dire leurs amours. Au XIXe siècle, en plein mouvement romantique, Aurore Dupin (plus connue sous le nom de George Sand), femme de lettre, féministe avant l’heure, écrivain en pantalon et bisexuelle aux nombreux amants et plus rares amantes, a entretenu une correspondance abondante, notamment avec sa maîtresse Marie Dorval, mais aussi avec Gustave Flaubert. Les plus connus sont ses échanges en 1834 avec le poète des Nuits vénitiennes. En effet, elle lisait Alfred de Musset au moins six fois par jour. Leurs jeux étaient à moitié cryptés. Les plus célèbres lettres sont les suivantes (lire une ligne sur deux) :

Avec pour réponse (lire le premier mot de chaque ligne) :

À quoi l’intéressée répondit (toujours le premier mot de chaque ligne) :

Ou l’art des faux-semblants comme le voulait l’époque.

Les correspondances homosexuelles, elles, sont souvent plus crues, comme l’ont montré Verlaine et Rimbaud par exemple.

Les guerres sont des périodes où les couples se font plus explicites. Les lettres des époux Constant et Gabrielle pendant la Grande Guerre affichent une libération progressive de la parole à mesure que la mort et l’horreur deviennent plus présentes. Se ressent alors une urgence à dire ce qu’on ne peut accomplir. Le couple s’envoie quotidiennement des lettres dans lesquelles ils font l’amour par papier interposé, parfois accompagnées d’objets destinés à stimuler l’excitation sexuelle tels que des fioles de sperme ou des poils pubiens. Leur passion n’empêchera malheureusement pas la mort au front de l’être désiré en 1916.

Entre les deux guerres, l’amour est distinct de la sexualité : on peut se marier et ne jamais divorcer sans avoir de rapport sexuel. Ainsi, l’historienne Anne-Claire Rebreyend publie dans Dire et faire l’amour une lettre envoyée par une femme enceinte en 1929 qui a peur que son mari arrête de la toucher et l’exprime à mots couverts : « Combien je te trouve changé le matin, le soir, à peine un baiser rapide et puis plus rien, tu dors ou tu pars. Crois mon amour que je te fais une part de ta fatigue, tu n’as donc pas compris la femme que je suis. Qui a besoin d’être affectionnée. J’en ai besoin comme de l’air que je respire, je ne crois pas être très impliquée pourtant. Je sais peut-être mal exprimer ma pensée et, si je te remets ces lignes ce soir, en riras-tu peut-être. »

Après la Seconde Guerre mondiale, la sexualité s’exprime pudiquement et ponctuellement dans les échanges épistolaires mais reste profondément liée à l’idée d’amour : il s’agit de « faire un », comme en témoigne cet extrait d’une lettre de Roland à Janine, sa femme, en 1950 : « Nous sommes deux amoureux et deux amants. »

Avec la révolution sexuelle, les lettres deviennent explicites : c’est l’époque du film Les Valseuses, le langage se fait cru, direct, le sexe devient politique autant que rock et les jeunes testent les limites et écrivent leurs fantasmes. La provocation devient un mode de vie.

Anne-Claire Rebreyend note avec intérêt l’apparition du préservatif dans les courriers amoureux et intimes des années 1990. Le sida fait des ravages et les relations ont besoin d’être protégées. Les couples commencent à échanger sur la question, y compris dans leurs écrits.

Avec les années 2000, la correspondance sexuelle peut être amoureuse ou non. Elle se dématérialise avec Internet et les téléphones portables, et se diversifie : on envoie des mots plus courts, plus nombreux, plus instantanés mais aussi des chansons, des images, des photos ou des films. On se met à écrire à des inconnus sur Internet, et à n’importe qui.

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Coucougnettes

« Les coucougnettes, vous les préférez au chocolat ? » interroge une internaute qui hésite entre manger les bourses de son compagnon ou une confiserie au nom évocateur. Élue « Meilleur bonbon de France » en 2000, la coucougnette, créée par Francis Miot, se compose d’une succession de trois couches : une amande est recouverte de chocolat issu du cacao de São Tomé puis enrobée de pâte d’amande composée de quelques ingrédients érotisants, tels que le gingembre et l’armagnac. L’ensemble est nappé de framboise ou de cacao pour déterminer la couleur rose ou noire de ce testicule comestible.

Aujourd’hui commercialisée un peu partout en France, fabriquée quotidiennement à trente mille exemplaires et générant environ deux millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, la coucougnette est déclinée sous de multiples formes, jusqu’à sa version blanche à pois rouges que la mairie de Pau offre aux directeurs de course du Tour de France lorsque les cyclistes passent par sa ville. Comme cadeau, « on fait un paquet, les coucougnettes de X, en remplaçant X par le prénom. Ça marche bien, c’est le côté gaulois », commente Francis Miot avec truculence*.

Le bonbon fut agréé comme spécialité régionale du Sud-Ouest en 1999, lors du salon Intersuc, lorsque le confiseur lança sa collection « Chic et polissonne » inaugurée par les coucougnettes. Elles furent suivies des tétons de la reine Margot (des pâtes d’amande), des galipettes (des chocolats) et autres couilles du pape (de la confiture de figue).

Miot a d’ailleurs dans sa besace plusieurs légendes censées prouver l’existence « de longue date » de toutes ses sucreries. Il raconte ainsi à ses clients l’histoire de l’examen des couilles du pape, destiné à vérifier la virilité des Saints Pères après le traumatisme de la nomination de la papesse Jeanne. Cette dernière aurait pris les commandes du Vatican au IXe siècle (ou au Xe, voire au XIe, selon les auteurs) sous une fausse identité masculine. Depuis cet épisode, les ecclésiastiques devraient vérifier manuellement les attributs masculins des papes nouvellement nommés. Enfin, « c’est l’histoire que l’on écrit sur les pots, avoue Miot, je suis parti de l’histoire de Jeanne de Borgia* ». Il combina cette histoire avec une autre apprise lors de son passage en Avignon, où s’était installé un pape dissident, Clément V, qui serait originaire du pays de la coucourelle. Or, précisément, la couille du pape est une confiture d’une variété de figue qui s’appelle la coucourelle. Et, assure Francis Miot, « la coucourelle, on l’appelle déjà la prune du curé car, en séchant, elle devient noire comme la soutane* ». Surtout, comme celles du pape, qui ne s’en sert pas, cette variété peut se flétrir. « Finalement, beaucoup de religieux ou de religieuses en achètent ! conclut Miot. Le curé d’un village voisin en offrait aux bigotes [quand ces dernières l’ennuyaient]* », précise-t-il dans un langage plus fleuri que rigoureusement mon éditrice m’a interdit de reproduire ici.

Les coucougnettes, de leur nom complet « coucougnettes du Vert Galant », seraient quant à elles une reproduction des bourses d’Henri IV, en hommage à ses performances sexuelles et reproductives. Le roi bourbon, né à Pau le 13 décembre 1553, fut en effet surnommé le Vert Galant de son vivant à cause de son ardeur à honorer ses nombreuses maîtresses et de son abondante progéniture (au moins dix-huit enfants). Francis Miot imagina ces bonbons en 1998, à la demande d’André Labarrère, alors maire (PS) de Pau, qui cherchait à créer une spécialité locale comme les bêtises de Cambrai ou le nougat de Montélimar. « Il avait d’abord pensé à la poule au pot, mais il y en a partout, des poules, et Henri IV, originaire de Pau, avait une réputation sulfureuse. Puis j’avais déjà une sacrée renommée [dans ce domaine] grâce à Martine Aubry qui avait dit de mes confitures contenant un peu d’aphrodisiaques que certains au gouvernement feraient mieux d’en manger. » Il ajoute : « Nos coucougnettes sont très protégées au niveau du nom. Leur nom est sympathique, avec roubignolles, ça n’aurait peut-être pas marché*. » Étymologiquement, « coucougne » est une déformation de « coucoune » ; de la même origine que « cocon », « coucouner » signifie « bichonner » et « faire une coucougne », « câliner ». La sucrerie polissonne du même nom est destinée à offrir un peu de tendresse, comme le dénote bien le choix de ce terme enfantin.

Peut-être parce qu’ils n’avaient pas reçu le nom de « zizi à croquer » ou d’un autre terme les éloignant du terrain de la sexualité, des phallus en chocolat confectionnés par le pâtissier Lemoine pour érotiser la Saint-Valentin créèrent quant à eux un mini-scandale en février 2012. Le journal Sud-Ouest rapporta l’irruption des gendarmes de Sarlat dans la boutique de leur inventeur : ils exigèrent la mise au placard des friandises pour protéger les enfants d’« atteinte à la pudeur ». Pour autant, conquises, les forces de l’ordre achetèrent tout de même ce jour-là deux exemplaires de ces confiseries à l’allure très suggestive.

Richard Allan, ex-acteur porno reconverti dans le chocolat à Neubourg, vend quant à lui autant de coucougnettes que de « seins de Zara » ou de « petits culs en pâte d’amande ». Mais il prévient ses clients : « Mon chocolat est interdit aux moins de dix-huit ans. »

* Entretien avec l’auteur, février 2012.

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Cuisine

Parlez du pays des Lumières à un étranger. Si un homme politique n’a pas fait des siennes récemment, c’est cette phrase française, la plus connue au monde, qu’on vous servira : « Voulez-vous coucher avec moi, ce soir ? » Comme le chantait déjà Michel Sardou dans « J’habite en France », les Français sont réputés pour leurs capacités sexuelles et leurs jolies femmes libérées (célébrées par Cookie Dingler, entre autres, dans le morceau éponyme).

Si vous êtes français et que votre interlocuteur n’ose pas parler de sexe avec vous mais vous invite au restaurant, il vous proposera certainement de choisir le vin car, après tout, vous venez de la patrie du vin, du fromage et, plus généralement, de la cuisine. Gastronomie et sexualité sont peut-être ce qui caractérise le mieux l’Hexagone.

Que ce soit en France, ou ailleurs, la cuisine est sensuelle. Les liaisons entre cette dernière et le sexe sont de plusieurs ordres. En premier lieu, la culture, l’hygiène, le rapport au corps et l’histoire les structurent tous deux. Les déviances aux normes corporelles, alimentaires ou sexuelles sont appréhendées de la même façon, que ce soit par les sociologues ou les psychiatres. L’ouvrage collectif Normes, déviances, insertion, écrit par des scientifiques de plusieurs écoles, rassemble d’ailleurs des analyses concordantes sur les troubles de l’alimentation, la sexualité ou même la délinquance. Ces thématiques convergent vers une même idée : les règles en ces matières sont définies par la société et l’on dévie de la norme lorsque l’on a des pratiques qui y dérogent ou qui dérangent. Qu’il s’agisse d’alimentation ou de sexe, le regard de la société se pose de la même façon sur les anorexiques et les abstinents, sur les boulimiques et les sex-addicts.

Le film La Grande Bouffe, qui a fait scandale à Cannes en 1973, raconte d’ailleurs l’histoire de quatre hommes qui décident de se suicider en abusant de nourriture et de sexe. Les gens n’ont pas supporté le miroir qu’on leur avait alors tendu, selon le réalisateur, qui estimait avoir représenté la réalité de la société de consommation. Le terme même d’orgie peut faire référence autant à une partouze qu’à un repas gargantuesque ou au cumul des deux, comme chez les Romains.

Culturellement toujours, les diététiques de la sexualité varient d’un pays à l’autre. Pour le sexe tantrique, des épices particulières sont recommandées. Dans certains pays africains ou asiatiques, les ingrédients d’usage pour améliorer les relations intimes sont le bois bandé, le chocolat ou le gingembre, réputés pour leurs propriétés aphrodisiaques. En fait, la cuisine est souvent considérée comme un préliminaire à la sexualité, car le cadre qui accueille le repas tout comme le partage qu’il implique sont de l’ordre de l’intime. En Algérie, certaines parties de restaurants ou de cafés sont d’ailleurs parfois réservées aux hommes, les femmes mangent dans « les coins familles » : partager un repas est bien trop proche de partager un lit.

L’usage d’aliments peut participer d’un acte sexuel par plusieurs moyens. Soit, comme les concombres, les carottes ou les bananes, ils sont utilisés pour leurs capacités évocatrices, voire pour augmenter les possibilités de pénétration ; soit, comme le chocolat, les sushis ou la chantilly, ils recouvrent le corps d’un partenaire (généralement la femme) et permettent ensuite des jeux érotiques et culinaires. Le sperme peut également être un ingrédient érotique pour une omelette singulière.

En Allemagne, en Chine et au Japon, des hommes sont allés jusqu’à cuisiner des organes sexuels masculins. Si l’Allemand et le Chinois ont été arrêtés pour crimes, la dégustation à Tokyo, le 13 mai 2012, des attributs d’un Japonais de vingt-deux ans, Mao Sugiyama, cuisinés par lui-même et assaisonnés avec du persil, coûtait 200 euros par personne. Asexuel, l’homme a préféré sublimer son pénis et ses testicules par une sauce aux champignons pour des papilles expertes que de les laisser dépérir au fond de sa culotte.

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