« La femme a des sexes un peu partout. Elle jouit d’un peu partout. »
Luce Irigaray, Ce sexe qui n’en est pas un
Pensez à une insulte. Alors laquelle est-ce ? « Fumier », « ordure », « grosse merde » ? Si tel est le cas, vous aimez la scatologie. Si vous avez trop lu Tintin, vous avez peut-être imaginé un « bachibouzouk » ou un « moule à gaufres ». Les insultes peuvent aussi être à caractère racial (« sale nègre », par exemple), de l’ordre du blasphème ou une comparaison animalière (« gros porc »). Mais une majorité d’entre vous a pensé à sale pute, connard, salope, gros gland, pédé, tafiole, enculé ou quelque chose du même registre. En effet, l’essentiel des insultes dérive d’un organe génital ou d’une orientation sexuelle.
Elles sont souvent précédées d’un emphatique « vieux », « sale » ou « gros ». Certaines travailleuses du sexe revendiquant le fait d’être des putes, il faut bien leur préciser qu’elles sont « sales » pour s’assurer qu’elles se sentent insultées. L’appropriation d’un terme stigmatisant par un groupe, qu’il s’agisse des prostituées, des homosexuels, des « queers » (mot signifiant « bizarre » à l’origine et désignant aujourd’hui une communauté) est un phénomène classique : les « nègres », les « putes », les « chiennes » ou les « pédés » ont repris le contrôle de leur image et affirmé leur identité de cette manière (des « chiennes de garde », par exemple, pour un groupe féministe).
L’usage de termes à caractère sexuel pour humilier une personne n’est pas une spécificité de la langue française. Ainsi, les testicules semblent être une manière internationale d’injurier quelqu’un. En France, on a les couillons. En Italie, mingano, qui signifie « couille », est un juron. En Angleterre, nuts, les « noix » et, par métaphore, les bourses des hommes, désignent également quelqu’un de fou. Le sexe et les organes génitaux sont donc perçus partout dans le monde comme avilissants.
Cette humiliation est parfois utilisée comme un excitant. Les insultes peuvent donner lieu à des formes particulières de sexualité via le dirty talking, ou « parler cru ». Il s’agit d’utiliser les injures (verbales uniquement) dans le cadre d’un jeu pour attiser le désir. Ce concept est très utilisé dans les films pornographiques où beaucoup de femmes sont des salopes qui aiment se faire baiser profondément : car être une sale petite pute est probablement excitant, du moins pour les spectateurs de ce type de film. Lorsque le dirty talking est pratiqué dans le cadre d’un couple, sans entente préalable sur le sens des mots et le plaisir que chacun y trouve, le risque est grand de vivre le passage reproduit dans une bande dessinée grand public intitulée On éteint la lumière et on se dit tout. Le dialogue y est le suivant ; la scène se passe au lit et l’homme semble énergique : « Ah oui, ma petite putain d’amour, je vais te gâter ! Tu vas pleurer ta mère, tu vas voir ça ! Ah, que je les aime tes miches ma petite salooope… Mmm grosse cochonne… Vas-y… dis-moi qu’il te fait du bien mon chibrolo… Vas-y… Dis-moi que tu en veux encore et que t’es qu’une chienne. » La femme, peu excitée, tente tant bien que mal d’être en phase en criant : « Allez vas-y mon salaud ! Vicelard ! Refoulé ! » Sur quoi le chéri, décontenancé, répond : « Mais ? Mais ça va pas ? Pourquoi tu me dis des trucs pareils ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce qui t’arrive ? »
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Interdit
Qui suscite le désir.
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Intersexuation
« Sexe » est un mot d’origine latine : sexus qui vient lui-même de sectus, section, séparation. Dans Le Banquet, de Platon, le sexe coupe en deux les êtres humains : d’un côté les hommes, de l’autre les femmes. Or la nature n’est pas aussi binaire qu’on aimerait le croire. L’anatomie (l’apparence extérieure, désignée sous le nom de phénotype), les chromosomes (le caryotype) et les gonades (les ovaires ou les testicules) ne concordent pas toujours. On trouve des personnes avec un vagin et des chromosomes XY, des gens dotés d’un pénis et de chromosomes XX, des êtres humains qui ont l’apparence de femmes et leurs caractéristiques primaires (vagin, seins, etc.) mais qui possèdent des testicules internes : de nombreuses combinaisons sont possibles. L’intersexuation ou hermaphrodisme recouvre l’ensemble de ces situations. Julien Picquart, auteur de Ni homme, ni femme. Enquête sur l’intersexuation, estime à dix mille le nombre de personnes concernées en France.
Historiquement, dans l’Antiquité, les enfants dont le sexe était douteux ou dont le phénotype était modifié lors de la puberté étaient noyés ou brûlés. Puis, à partir du Moyen Âge, l’existence des hermaphrodites a été admise : le sexe déclaré à la naissance pouvait changer mais une seule et unique fois dans toute la vie. Le plus important, comme le raconte le philosophe Michel Foucault, était l’interdiction d’avoir des relations homosexuelles. Les personnes étaient condamnées non pas pour leur modification de genre mais pour crime de sodomie. Au XVIIIe siècle est apparue la notion de « vrai sexe » : l’intersexuation est alors devenue un « désordre du développement sexuel » et les médecins se sont trouvés responsables de déterminer le « vrai sexe » d’un nourrisson. Outre que cela n’a pas vraiment de sens – ou que le seul sens que l’on peut attribuer à cette notion pour un bébé est celui, performatif, décidé par les médecins –, cette représentation est lourde de conséquences. Lorsque l’on sait les dégâts chirurgicaux causés par les opérations de « réassignation » et l’irréversibilité de la chose, il est presque étonnant que de telles interventions soient autorisées. Et ce d’autant plus que décider quel est le « vrai sexe » d’un nourrisson pourvu de chromosomes XX et d’un pénis est impossible, sans compter les cas où l’enfant possède à la fois un vagin et un pénis.
Aujourd’hui, la tendance est à considérer qu’il est plus facile d’être une femme avec un vagin dysfonctionnel qu’un homme avec un petit pénis, et on peut relever des réassignations de nouveau-nés qui avaient simplement des micropénis. Certaines de ces opérations sont des réussites et permettent effectivement un développement harmonieux de l’enfant, mais cette réalité est loin d’être universelle. Le cas le plus dramatique fut probablement celui de David Reimer, né en 1965, qui après une circoncision ratée a été amputé aux alentours de un an de son membre viril, remplacé par un vagin. Élevé « comme une fille », il s’est suicidé à trente-huit ans.
La brochure « Filles ou garçon ? Le développement des organes génitaux », fournie par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris aux parents de nouveau-nés en France, conseille toujours d’opérer les bébés garçons dont le pénis mesurerait moins de 2,5 cm, a priori pour faire grossir l’organe afin que « leur aspect et leur fonction correspondent bien au sexe de l’enfant ».
L’intersexuation pose une question intéressante : qu’est-ce qui fait la femme ou l’homme ? Les cas extrêmes où les phénotypes, caryotypes, gonades, attitude sociale et fonctionnement psychologique correspondent intégralement à ce que la société attend d’une femme ou d’un homme sont simples, mais finalement assez rares : ce sera, d’un côté, la femme, fertile, avec son vagin et ses ovaires, pas de testicules, son caryotype XX qui aime le rose et les tâches ménagères et, de l’autre, l’homme fort et viril avec son pénis, ses poils, une bonne dose d’androgène et de testostérone, capable de chasser l’ours et de dompter la femelle.
Une fois que l’on accepte que les hommes pleurent aussi, situer la limite entre hommes et femmes relève du casse-tête, comme l’a constaté le comité olympique bien en peine de déterminer comment distinguer les hommes et les femmes. Ce comité s’est d’ailleurs dédit à plusieurs reprises et réalise des « tests de féminité » dont les critères demeurent fluctuants. Si le phénotype prime sur le caryotype, alors une personne d’apparence féminine ayant un vagin doit être considérée comme une femme même si elle a des chromosomes XY. C’est généralement le cas. Cependant, certaines sociétés attribuent aux femmes stériles une place d’habitude réservée aux hommes au sein de la communauté. Ainsi l’anthropologue Claude Rivière mentionne-t-il des situations comme celle des Nuer du Soudan où une femme stérile est socialement considérée comme un homme. Elle dispose alors d’argent pour payer la dot de sa future épouse et aura le titre de « mari » ainsi que le respect dû aux hommes dans la tribu. Les enfants issus de cette union seront engendrés par un étranger et regarderont la femme stérile comme un père. Il ne s’agit pas là d’homosexualité féminine mais bien d’une société dans laquelle une personne dont l’utérus n’est pas opérationnel est considérée comme un homme.
Après avoir admis que la notion d’homme et de femme est plus graduelle que ce qu’elle semblait, la question qui se pose est de savoir si ce qui fait l’homme, c’est le pénis, les hormones, ou si le « vrai sexe » est le comportement mâle, le fait de se sentir homme. Julien Picquart explique que plusieurs études ont tenté d’analyser si l’on pouvait déterminer le « vrai sexe » par l’orientation sexuelle. Résultat, les femmes de caryotype XY qui produisent des androgènes ne sont pas spécialement homosexuelles. L’idée qui préside à ces études est que les hormones fondent l’identité de genre et que cette dernière entraîne une attirance vers le genre opposé. Or les hormones sont indépendantes de l’identité de genre (très majoritairement féminine pour les femmes XY) et le fait de se sentir homme ou femme ne change pas non plus l’orientation sexuelle.
Finalement, certaines organisations de lutte pour la reconnaissance de l’intersexuation rejoignent complètement les théories queers et les luttes novatrices d’auteurs tels que Peggy Sastre ou Marcela Iacub : pour elles, il faut séparer la procréation de l’utérus afin de supprimer la notion de genre et les ségrégations afférentes. De ce fait, plutôt que d’opérer l’appareil génital d’un enfant pour qu’il soit conforme à la norme sociale, la société devrait apprendre à s’adapter à la variété naturelle des sexes.
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IST
Le sigle IST, pour infections sexuellement transmissibles, est utilisé depuis 1999 pour désigner toutes les infections qui se transmettent lors de rapports sexuels, qu’il s’agisse de bactéries (chlamydiae, syphilis), de champignons (mycoses) ou de virus (le VIH). Il remplace le sigle MST : le m de « maladie » a disparu au profit du i d’« infection ». Cette nouvelle dénomination permet de prendre en compte les infections qui ne se déclarent pas, ne présentent pas de symptômes, tels les chlamydiae, non détectées chez 60 à 70 % des femmes qui en sont atteintes.
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