JE SUIS ASSISE SUR LE TAPIS noir dans le salon de mon ancienne amante. J’ai un joint à moitié entamé entre le pouce et l’index droits et je songe à ma déchéance en devenir. Le grésillement du joint qui se consume m’apaise un peu lorsque j’en aspire la fumée. Tom s’amuse à ébranler mes convictions en frôlant parfois ma main gauche, en jouant à entremêler ses pieds avec les miens. Son souffle fait frémir le duvet de ma nuque. Les petits poils dansent en riant de mon angoisse.
Mon malaise s’accentue lorsque je surprends Gab à s’adonner au même type d’activité. L’une et l’autre sont-ils conscients de ne pas être seuls dans la course pour ma séduction? Je divague entre deux états seconds. J’ai une envie irrépressible de m’abandonner à Tom. J’ai l’impression d’être la réponse au chaos de sa vie. Ça fait longtemps qu’on m’a fait sentir si importante. J’envisage avec difficulté l’option de déguerpir avec lui en ignorant la présence de Gab. Le fait que je sois chez elle m’enlève toute envie de lui fausser compagnie. Je n’aime pas repousser les gens. J’ai peur de les blesser. Une femme vexée dans son rôle de séductrice peut devenir irrationnelle et vindicative.
À l’aube, Gab se lève pour se rendre à la salle de bain. Elle ne marche pas, elle flotte. Les ondulations que produit son corps complètent l’image idyllique de la femme fatale qu’elle incarne avec un naturel déroutant. Mon cœur se met alors à vriller dans tous les sens lorsque Tom pose sa tête entre mes jambes croisées en indien. Il couine d’aisance en roulant des yeux alors que moi, j’ai l’impression de commettre un acte de haute trahison contre Gab. Je m’attends à voir celle-ci revenir vers nous, le visage déconfit en constatant notre duo en voie de préliminaires. Je ris avec nervosité lorsque Tom caresse mon ventre. Je me dégage de son étreinte jouissive, mon sourire se crispe. Je ne sais plus si j’ai envie de quoi que ce soit.
Tom se lève soudain, prétextant un rendez-vous important tôt en matinée, il ajuste sa chemise et me lance un regard de biche blessée. Il est déçu de ne pas avoir obtenu ce qu’il est venu chercher chez moi. Je le raccompagne à la porte et l’enlace plus érotiquement que je ne l’aurais souhaité en lui susurrant:
— À la prochaine Tom.
— Man, j’espère qu’il y en aura une, prochaine.
Sa sincérité me déroute. Je lui donne une petite tape sur l’épaule en signe de camaraderie mais tout ce que j’ai envie de faire, c’est de le serrer encore dans mes bras pour qu’il m’appartienne. Je dois être désespérée pour avoir de telles pensées.
Gab se tortille d’inconfort en face de notre désir. Elle s’éclipse de nouveau à la salle de bain d’où émerge quelques instants plus tard un bruit de brossage de dents. Elle se prépare pour notre accouplement.
Tom entame quelques pas hésitants dans le couloir désert de l’immeuble et referme la porte derrière lui en me laissant avec mes désirs, mes déceptions et ma pétasserie avortée. Le bruit de la porte qui claque en se refermant a un caractère grave et définitif. Je pose une main sur un des murs du vestibule, sentant monter en moi un mélange de suffocation et d’ivresse nauséeuse. J’ai l’impression de laisser filer le reste de ma vie.
La porte s’ouvre à nouveau et sans que j’aie le temps de répliquer, je suis plaquée contre le mur derrière moi pendant qu’une main audacieuse se faufile jusque sous ma robe. Je sens une apaisante chaleur gagner mon entrejambes.
— J’ai tellement envie de toi putain!
Ces paroles explosent dans ma tête en un millier de particules qui me grisent le cerveau. Je ne sais pas quoi faire. Je suis possédée de désir et pourtant, j’ai l’impression d’avoir douze ans et d’ignorer le fonctionnement d’une séance de préliminaires.
— T’as envie de moi? Dis-moi que tu me veux.
En me tortillant, je regarde en direction de la salle de bain, là où Gab semble s’éterniser. Tom comprend ma position difficile.
— Veux-tu qu’on fasse ça à trois?
— Je ne sais pas, je… peux-tu aller t’arranger avec Gab?
Je ne veux pas avoir le rôle de l’instigatrice du projet érotique à membres multiples. Ça me rend moins coupable.
— Euh, oui, j’imagine. Si ça ne la dérange pas d’inclure un mec.
Lorsque Gab ouvre la porte des toilettes, je me précipite à l’intérieur de la pièce en ignorant ses regards interrogateurs. Derrière la porte, je les entends discuter en toute convivialité.
— Gab, tu me prêtes ta brosse à dents?
J’attends à peine sa réponse avant de fourrer dans ma bouche l’instrument salutaire. Je me mets à frotter avec frénésie pour exorciser mon effroi grandissant.