DEPUIS QUE NINI a parlé avec Tom, il s’implique. J’ignore s’il veut par sa présence m’empêcher de me mutiler. Ça serait désolant. Je préfère me dire qu’une prise de conscience s’est effectuée dans sa tête folle.
Tom a commencé les répétitions du spectacle pour Toronto et il m’a invitée à partager leur espace d’entraînement, qui se situe à une heure de transport en commun de chez moi. C’est un léger désagrément. Tom et moi dînons ensemble tous les jours. Lorsqu’il ne peut pas s’absenter trop longtemps de son entraînement, il me reconduit à l’arrêt d’autobus. Sa main sèche dans la mienne me rassure. L’inégalité de ses ongles rongés au sang, la douceur de son poignet blanc. Parfois, il m’appelle alors que je suis en chemin vers chez moi pour me dire de belles paroles. Ses mots me cajolent les follicules pileux. Tom sait dans quel sens ça pointe, ces choses.
Il a dit à son ex-femme que nous nous voyions. C’est une étape non négligeable dans l’évolution de notre relation. Même s’ils ne sont plus ensemble, je crains sa prestance, son statut officiel de femme. Je ne suis qu’une bâtarde.
Les trente-six ans de Gab se fêtent chez Tom. Il me prend par la main et me guide dans ses appartements nouvellement aménagés. Distrait, il me désigne son bureau, la chambre de sa fille, la salle de séjour.
Au sein des ombrages bleutés qui rôdent dans la noirceur de l’appartement, il plaque mon corps sur un des murs fuchsia et m’embrasse. Sa langue dérive partout sur mon visage, sa salive enveloppe mes pores. Il humecte mon oreille et j’entends son souffle transpercer ma chair. Je baisse la fermeture éclair de son pantalon et glisse ma tête le long de son torse, jusqu’à ce que ma bouche entre en contact avec son membre dilaté. Nous n’avons pas l’habitude de diriger nos ébats ailleurs que dans mon lit et ce détail parvient à nous rendre surexcités, maladroits. Il agrippe ma chevelure et râle. Il attire ma tête à la sienne, nos bouches s’aimantent l’une à l’autre, pendant qu’il me guide vers un matelas de dépannage éventré sur le plancher de la chambre de sa fille.
Lorsqu’il est sur le point de venir, j’ai envie de le supplier de déverser en moi son liquide dilué à force de trop baiser. Je reste coite et me félicite de l’avoir fait, pendant que sur mon ventre coule le sperme aqueux de mon amoureux. Moites, gluants, nous rampons jusqu’à la douche pour que les fêtards qui fument sur le balcon ne puissent pas constater notre nudité. Nous découpons l’obscurité avec nos peaux laiteuses. Lorsque Tom me savonne dans la douche, j’ai encore envie de lui. Il ne reste aucune trace de ces réticences qui m’empêchaient de le voir désirable en tout temps. Les vannes sont ouvertes et je ne pourrai pas les refermer. Les cheveux mouillés, les joues rosies par le sexe, nous hésitons avant de nous mêler à la foule.
Alors que nous marchons autour de son pâté de maisons, nous croisons les voisins de Tom. Ils sont trop éloignés pour nous entendre mais Tom ajoute:
— Et moi je suis là et je me promène avec ma blonde en lui tenant la main.
Je ne sais pas à qui il parle en disant cela. Il semble s’adresser aux arbres, à leurs bourgeons, peut-être. Pas à moi. Si je suis sa blonde, il devrait m’en parler. Peut-être est-ce un moyen détourné de pointer la chose, cette nébuleuse chose qu’est notre relation. Son commentaire me ravit et je sens mon visage s’illuminer d’un halo d’allégresse pendant que nous empruntons les escaliers qui mènent à son appartement.
Nini, qui a remarqué mon absence, me prend d’assaut.
— T’étais où?
— Tom me faisait une visite guidée de sa maison.
— Ouais, en tout cas, vous êtes partis pendant un bon moment.
Nous échangeons un clin d’œil de complicité et j’ajoute à cela un sourire de reconnaissance. Elle ne sait pas à quel point son insertion dans ma vie privée m’a aidée. J’ignore si elle est heureuse pour moi. Je la surprends souvent à condamner mon enthousiasme face à Tom. Elle porte sur elle la prudence que je devrais arborer. Elle fait bien.