Chapitre XVIII

Départ pour le Pérou. – Le steamer La Serena. – Mes compagnons de voyage. – Navigation. – L’arche de Noé. – Coquimbo. – Les fonderies de Guayacano. – Un dîner politique. – La ville la Serena. – L’intendant. – L’évêque. – La garde nationale. – Huasco. – Carrizal-Bajo. – La fonderie Gibbs et Cie. – Main-d’œuvre. – Logements. – Les forces de la nature. – Le maestranza. – Encore la Samo-cucca. – La poésie et la musique. – Caldera. – Le désert d’Atacama. – Le chemin de fer de Copiapò. – Le borax. – Chañaral.

Un petit bateau me porte au navire de guerre Le Blanco, corvette de 2 500 tonnes, portant six gros canons Armstrong. Les officiers chiliens me le font visiter avec bienveillance, et de là je passe à la Serena.

Ce navire de la Pacific steam Company déplace 1 900 tonnes et a une machine de 250 chevaux effectifs. Les cabines sont sur le pont où il y a plus d’air ; mais, au-dessous on vient d’installer 200 bœufs, des moutons, des poules ; c’est l’arche de Noé, par trop parfumée sans doute. Je suis heureux de rencontrer des voyageurs de l’Aconcagua, qui vont au Callao, et j’ai pour compagnons de navigation le bon Don Mariano Casanova, gouverneur ecclésiastique de Valparaiso, et deux de ses amis : M. Jean Walker Martinez, qui s’en va à Antofagasta, pour inspecter certaines mines dont il dirige la Société ; et son cousin, M. C. Walker Martinez, avocat, ancien député et ex-ministre du Chili auprès de la République bolivienne. C’est lui qui a négocié et signé avec la Bolivie le traité dont la violation vient de faire naître la terrible guerre qui dure encore entre le Chili d’une part, et le Pérou et la Bolivie de l’autre.

La nuit, le roulis fut très fort ; les 200 taureaux, au-dessous des cabines, ne pouvant tenir debout, roulaient et glissaient tantôt sur leurs jambes de devant, tantôt sur leurs jambes de derrière, et faisaient un bruit peu commode. Les agneaux et les brebis bêlaient, et parfois on sentait le besoin de se cramponner à la couchette pour ne pas être renversé. Un bébé, dans la cabine voisine, ajoutait ses pleurs aux gémissements de la maman. C’est toujours la même scène durant les premières quarante-huit heures de l’embarquement ; ensuite les estomacs s’habituent, et tout le monde retrouve la gaieté. Le lendemain, à la pointe du jour, je demande mon bain, mais on ne donne ici que des bains froids. Le soleil levant nous laisse voir dans la brume une côte dénudée, puis il se voile toute la journée dans les brouillards. Vers une heure nous passons entre des rochers, et peu après on jette la sonde. Ce n’est pas superflu : à quelques pas de nous, on voit dans la baie la carcasse en fer d’un steamer échoué il y a quelque temps. Enfin, à deux heures, le canon annonce que nous sommes arrivés à Coquimbo, et on jette l’ancre à 200 mètres de terre. Le capitaine nous dit qu’on ne repartira qu’à sept heures du soir ; nous avons donc le temps de débarquer.

La baie de Coquimbo, fort gracieuse, est occupée en ce moment par de nombreux navires qui viennent y chercher le minerai de cuivre. J’y vois aussi une frégate espagnole, portant le nom de Navas de Tolosa. Elle vient ici pour saluer les drapeaux du Chili à l’occasion de l’hommage rendu par celui-ci aux soldats espagnols tombés dans la dernière guerre entre les deux pays, et faciliter ainsi la signature d’un traité de paix.

À droite, on voit fumer les hautes cheminées des fonderies de cuivre de Guayacano, qui travaillent avec le charbon de pierre porté des mines de Lebu, entre Lota et Valdivia ; à gauche, nous apercevons la fumée des fonderies Lambert, qui a gagné dans ses mines plus de 50 millions de francs et qui a construit un chemin de fer entre ses fonderies et le port de Coquimbo.

M. Casanova et ses deux amis m’invitent à descendre à terre dans le même bateau, et à les suivre. Nous parcourons quelques rues fort propres, et arrivons à un estaminet célèbre pour la préparation de la casuela, sorte de soupe chilienne, dans laquelle on découpe de la viande et une poule. La maîtresse vient au-devant de nous, et nous montre la table mise. Avertie par dépêche, elle avait tout préparé. Elle est grande, forte, active, et cause politique comme un ministre. Elle s’est vaillamment battue à la guerre, me dit M. Martinez, qui lui remet plusieurs prospectus à distribuer. On parle de celui-ci et de celui-là, et je suis tout étonné de me trouver à un dîner politique, dans lequel l’agent principal semble être la matrone. Parmi les bonnes choses qu’on me sert, je remarque plusieurs sortes de fruits spéciaux au pays : la popaja, la lucuma, de la grosseur d’une pomme, écorce verte, intérieur jaune, moelleux et goût de marron. Elle a pour noyau une châtaigne qu’on dit vénéneuse, la palta, qui a la forme d’une poire verte : on la coupe en deux, l’intérieur est à demi-creux. On saupoudre de sel et on mange la chair avec une cuiller à café ; elle a le goût de l’olive mûre prise à l’olivier. Après le dîner on monte en voiture et, fouette cocher ! car le temps nous presse. Nous voulons en effet visiter Serena, capitale de la province, ville de 20 000 habitants. Elle est située à une lieue et demie au bout du cap qui forme la baie. Les chevaux suivent la plage sur le sable mouillé ; il me semble refaire le trajet de Caïffa à Saint-Jean d’Acre. Un autre cocher, parti après nous, nous devance ; mais le nôtre, piqué d’orgueil, fouette et dépasse à son tour le rival. Cela dure si bien, que nous courons risque de prendre un bain dans les vagues. Enfin, nous arrivons sains et saufs à la magnifique Alameda de la Serena.

La voiture nous conduit chez l’intendant, M. Domingo de Toro, qui commande la Province. Il a fait la campagne du Pérou comme colonel, et nous accueille avec bonté. Il nous fait passer à la salle à manger, toujours servie chez les grands, et après quelques libations, il me montre une belle collection des minerais que fournit la contrée ; il me donne une grande pierre de cuivre du poids de plusieurs kilogrammes. Ayant sa femme malade, il exprime son regret de ne pouvoir m’accompagner, et me signale comme établissements dignes d’être visités, le séminaire, le collège et l’hôpital. Nous passons devant les bâtiments des deux premiers de ces établissements, et rendons visite à Monseigneur l’évêque de la Serena, le seul survivant des quatre évêques du Chili. Il nous fait bon accueil, mais il est complètement sourd, et il faut recourir à l’ardoise pour lui parler. Pour répondre, il relève la voix d’une manière pénible. Il aurait voulu aller consulter quelques spécialistes en Europe, mais le gouvernement l’en a empêché, en lui imposant des conditions humiliantes. Il nous remet le décret qu’il vient de publier pour exécrer les cimetières laïcisés de son diocèse. On ne pourra plus y faire aucune cérémonie religieuse.

Nous prenons congé de Monseigneur, et en traversant la place, nous voyons défiler le bataillon de la garde nationale, musique en tête. C’est dimanche, les magasins sont fermés ; le matin, on va à la messe, mais l’après-midi les vêpres sont remplacées par l’exercice militaire. Il n’y a pas de conscription au Chili ; les enrôlements sont volontaires. Lorsque le besoin presse, ils se font un peu comme en Angleterre. Les enrôleurs reçoivent tant par homme, et emploient une partie de leur gain à enivrer les candidats pour leur faire signer l’engagement. Ceux-ci, après avoir cuvé leur vin, sont tout étonnés de se réveiller à la caserne ; mais, s’il n’y a pas de conscription, par contre, tout homme valide doit porter les armes, et fait partie de la garde nationale.

À l’hôpital, les Sœurs de Charité soignent une centaine de malades et donnent l’instruction à 40 élèves internes qui paient 50 fr. par mois. À six heures, nous sommes à la gare, et montons dans un wagon américain ; à six heures trois quarts nous rentrons au port de Coquimbo, et à sept heures à bord. Quelques passagers, pour tuer le temps, avaient abusé du champagne, et ils abusent de la parole. Un peu de sommeil les guérira.

La nuit a été plus calme ; le matin, à sept heures et demie, le canon annonce que nous arrivons à Huasco, et le navire y jette l’ancre. On fait grande profusion du canon : son bruit se fait sentir à chaque port ; or, nous touchons à treize dans le trajet de Valparaiso au Callao, et mettons ainsi dix jours à parcourir un espace de 1 500 milles, qu’on franchirait aisément en quatre ou cinq jours, si l’on suivait directement. La côte est toujours aride, mais l’embouchure de la rivière le Huasco laisse voir un tapis de verdure entouré de forêts d’eucalyptus. Cet arbre, importé d’Australie, est devenu ici à la mode. On l’a planté et on le plante partout ; son bois sert, dans ces contrées minières, à étayer les galeries. Le Huasco est utilisé pour l’irrigation, et la vallée nourrit de nombreux troupeaux. On y récolte aussi un raisin à gros grains et à peau tendre qu’on fait sécher et qu’on vend dans des petites boîtes sous le nom de pasas ; une vingtaine de filles sont venues à bord et nous poursuivent aux cris de pasas caballero !

Le port de Huasco a été construit le deuxième après la conquête. Il n’a pas progressé, on n’y voit que quelques petites maisons de bois ou de boue. La plupart des toitures, ici comme sur le reste de la côte, vers le nord, sont en terre. L’eau les fond difficilement, parce qu’on les enduit d’une couche de mortier, composé de sable et de chaux de coquillages. À côté du village, on voit quatre cheminées qui indiquent la présence d’une usine, fonderie de cuivre, abandonnée depuis longtemps. Le minerai, qu’on extrait de l’autre côté de la montagne, arrive par une autre vallée plus facilement au port de Pegna-Blanca. Ces mines, qu’on me dit appartenir à M. Dickenson Benett Montt, donnent 25 000 quintaux de cuivre net par an.

À dix heures, le navire a déchargé la farine et la bière destinées à Huasco, et nous suivons notre route.

À deux heures, le canon nous annonce un nouvel arrêt ; nous sommes à Carrizal-Bajo, et nous n’en repartirons qu’à la nuit.

Nous pouvons donc aller visiter les fonderies de cuivre dont nous voyons fumer les hautes cheminées ; une d’elles, en effet, a 134 pieds de haut. M. Aniceto Yzaga est parmi les passagers : il se rend à son établissement des mines de Chañarcitos, à six lieues de la côte ; il connaît donc à merveille choses et gens de ces lieux, et s’offre à être mon cicerone. MM. Casanova et Martinez veulent bien être de la partie, et nous montons dans une petite barque. Ce n’est pas sans peine, car les vagues sont hautes, et comme à Jaffa, il faut saisir le moment propice. Nous arrivons à un môle prolongé sur poutrelles en bois ; un insecte, qui aime à vivre dans la mer, les a littéralement rongées à fleur d’eau, et on a dû les doubler de fer. À terre, M. Yzaga nous présente aux directeurs de la fonderie Gibbs and Cy, qui travaillent le minerai de cuivre, amené des mines de Cerro-Blanco, à quelques lieues d’ici. Ces messieurs nous font visiter l’usine. Il n’y a que deux fours, mais ils sont hermétiquement fermés, et la même chaleur qui fond le minerai, par une habile combinaison, sert aussi à calciner le minerai plus fin, opération nécessaire avant la fonte. Puis, par divers conduits souterrains, le calorique va opérer la concentration de l’eau de mer pour la transformer en eau douce. L’eau manque en effet ici : il ne pleut presque jamais sur cette partie de la côte, et l’eau qu’on amène par le chemin de fer se vend quatre sous l’aroba. Les deux fours fondent ensemble 40 tonnes de minerai par jour. Le minerai plus gros est calciné à part dans des compartiments spéciaux, où il brûle par lui-même durant 28 à 30 jours. Il contient, en effet, 45 % de souffre, de l’antimoine et 10 marcs d’argent par cajones de 64 quintaux métriques. Ce minerai, après la calcination et la fonte, perd le souffre, et donne un minerai nouveau appelé mates, et dans le pays eges de cobre, et contient 50 % de cuivre, de l’argent et de l’antimoine. Il est ainsi transporté en Angleterre, où l’usine Charles Lambert, à Swamsea, fait les dernières opérations pour séparer les trois métaux. Le charbon est pris en Angleterre, et mélangé avec partie de charbon de Lota. On paie ici ce dernier 10 pesos la tonne, le charbon anglais 33 schellings. Cent ouvriers sont employés à l’usine ; ils reçoivent de 3 à 4 fr. par jour ; leur logement, comme presque tous ceux du peuple, au Chili, se compose d’une seule pièce pour toute la famille. C’est trop peu pour l’hygiène et la moralité. Les directeurs se proposent de l’améliorer. La charbonnière m’a paru fort ingénieuse pour éviter la main-d’œuvre. Les grues prennent le charbon au navire et le jettent dans un vaste compartiment de bois dont le pavé est à plan incliné, et surélevé de terre d’environ deux mètres. Au centre un chemin de fer conduit les wagonnets sous la charbonnière, et on n’a qu’à ouvrir des trappes pour qu’ils se remplissent seuls : exactement le même système que celui des elevators de Chicago pour le maniement des blés. Ainsi, la seule force de gravité fait le travail de centaines de bras ; il est bon de mettre à profit les forces de la nature. Il restera toujours bien du travail pour les bras ; le difficile est de ménager les transitions.

Les directeurs me munissent de beaux spécimens de métal, nous réchauffent avec le Xérès et nous rafraîchissent avec de la bière ; puis nous visitons le village, qui compte 1 200 habitants. Il a été plus peuplé autrefois, lorsque les mines donnaient plus de produits et plus de travail. Les mines sont et seront toujours une loterie. Les maisons sont en bois ; on peut ainsi les démolir et les transporter lorsqu’une plus grande production de nouvelles mines appelle la population ailleurs.

M. Yzaga nous conduit à la Maestranza (ateliers du chemin de fer) ; les tours, les rabots, les laminoirs travaillent le fer comme s’il était de bois. À côté, un vaste magasin contient tous les approvisionnements nécessaires aux machines ; et, un peu plus loin, on voit une usine pour fondre le plomb argentifère. À la plage, nous recueillons diverses herbes marines qu’ici on mange comme au Japon, et nous retournons à bord pour le dîner.

Le soir, M. Robertson, agent de la Compagnie minière, tient la guitare et joue à merveille, en accompagnant de sa voix la plus belle samo-cueca du pays. Le capitaine donne l’exemple, et immédiatement on organise cette danse moresque que j’ai déjà décrite en parlant de mon séjour en Araucanie. Les assistants battent des mains en cadence pour aider à l’animation de la musique ; et les gens du pays sont étonnés de voir et d’entendre des gringos exécuter si bien leur musique et leur danse. M. Robertson nous chante aussi avec bonne expression plusieurs des chansons locales. Ce sont des amourettes, des chants de départ, des demandes en mariage ; toutes gracieuses et morales. Je regrette de n’avoir pu retenir plusieurs strophes qui m’ont parues remarquables de poésie et de sentiment. Dans une, le jeune homme, avec beaucoup de compliments, s’adresse à une jeune fille, et lui demande sa main. Celle-ci le toise et lui dit : Votre tenue n’est pas complète, vos gains insuffisants. C’est en vain que vous pensez à vous marier : il vous faut avant acquérir plus d’ordre et plus d’amour pour le travail. Vous perdrez donc votre peine en vous adressant à mon père, il sait que le mari doit être un modèle d’application et de vertu. Dans une autre, l’amant part pour la guerre, et les adieux à sa belle sont pleins de nobles aspirations. Voici à peu près le refrain : « La patrie m’appelle, je ne puis être sourd. Ton souvenir me suit, je ne peux vivre sans toi, je reviendrai, je reviendrai plein d’amour et d’honneur, je serai toujours digne de toi. »

Chez tous les peuples, la poésie et la musique ont toujours été un grand moyen pour exprimer les sentiments de l’âme. Un peuple qui sait encore les retracer d’une manière si digne prouve qu’il a en lui des éléments sérieux de solidité. Par contre, les peuples qui abaissent la poésie et la musique pour en faire des instruments de vains plaisirs ou de corruption sont sur la voie de la décadence. À neuf heures, M. Robertson nous quitte, et le navire se met en marche.

14 août. – À sept heures du matin, nous jetons l’ancre dans le port de Caldera. Plusieurs navires viennent y chercher le minerai de Capiapò et des environs, car nous sommes ici dans un des principaux districts miniers du Chili. À terre, nous ne voyons que du sable, et, par-ci par-là, quelques petits buissons. C’est le Sahara ou un des déserts de l’Égypte : c’est ici, en effet, que commence proprement le désert d’Atacama. L’eau féconderait ce sable, mais on peut dire qu’il ne pleut jamais dans ces contrées, et on distille l’eau de la mer pour le service des habitants de la côte. Toutefois, si la nature n’a pas donné la beauté à ces sites, elle leur a prodigué la richesse dans ses minerais d’or, d’argent, de cuivre, de charbon, de borax, de salpêtre et de guano. Comme une bonne mère, la nature ne donne jamais tout à tous, et partage ses dons ; le paon a reçu la plus belle toilette et la plus laide voix ; le rossignol, le moins bien vêtu des oiseaux, donne les sons les plus harmonieux.

La petite ville de Caldera compte environ 2 000 habitants. Elle est un peu en décadence en ce moment, parce que la plupart des mines ont des filons moins riches et donnent peu de dividendes. La place est identique à celle des autres villes chiliennes, les rues sont larges, les maisons en bois, l’église gracieuse. J’y vois une statue de la madone du Carme, au pied de laquelle s’élève un trophée de drapeaux, armes et tambours ; c’est la patronne des armées du pays. Les Chiliens aiment à lui rapporter leurs succès et leurs victoires. Vers la plage s’élève la Maestranza, nom qu’on donne ici aux ateliers de réparation et construction de machines, et du matériel de chemins de fer. Ils sont plus importants que les ateliers de Carrizal-Bajo, que nous avons vus hier. Ce chemin de fer a été le premier construit dans le Chili, et date de 1852. La plupart des actionnaires sont en Angleterre, quelques-uns à Capiapò. Depuis son installation jusqu’à ce jour, il a transporté plus de 2 000 000 de quintaux métriques de charbon, plus de 2 000 000 1/2 de minerai, et autant d’autres marchandises diverses, ce qui, avec le matériel du chemin de fer et autres, forme un total de presque un milliard de quintaux métriques. Il a en outre transporté 650 000 passagers. Son coût a été de 1 600 000 piastres ; les frais d’exploitation se sont élevés, durant les trente ans, à 7 400 000 piastres, mais le produit a été de 18 300 000 piastres, laissant ainsi un bénéfice net d’environ 11 000 000 de piastres ; soit environ 50 000 000 de francs. Ce chemin de fer conduit en deux heures à Capiapò ; et un peu plus haut, à Païpote, il se divise en deux branches : l’une va à Puquios, et reçoit le borax qui vient par charrettes des dépôts de Quebrada, au pied des Andes. Il porte aussi le minerai d’or de Cachiyuyo, de cuivre de Puquios et del Chulo, de charbon de Sierra de la Ternera, et le minerai d’argent des mines de Garin. L’autre branche va à Pabellon, prenant les minerais de cuivre de Ojancas et de Lirios, et le minerai d’argent de Pampa-larga, de Cabeza de Vaca et del Romanero. À Potrero Seco, il se divise encore en deux branches ; l’une va à San-Antonio et reçoit des minerais d’argent des mines de Lomas Bayas, de los Bardos, et del Sacramento ; l’autre va à Godoy, et dessert les mines d’argent de Chañacillo de Pajonales et de plomb de Baudurrias. Son étendue est d’environ 250 kilomètres, et partant de la mer à Caldera, il atteint à Puquios l’altitude de 1 400 mètres.

M. Walker nous conduit chez son frère, qui dirige ici la seule usine de borax existant au Chili. Cette matière s’emploie pour la fabrication du verre et de la porcelaine. On vient de trouver le moyen de s’en servir pour la conservation des viandes, et on l’utilise encore pour la fonte des minerais précieux, d’or et d’argent. Ce minerai est très rare ; on ne l’obtient qu’en Toscane, en condensant les vapeurs d’acide borique, et dans la mer de Marmara, où l’on trouve le tinkal ou borax de soude. Les gisements qui fournissent le borax à l’usine Walker sont à plus de 200 kilomètres, à Quebrada, au pied des Andes, et ont une épaisseur qui varie de six pouces à un mètre. Les pierres blanches et légères, portées à l’usine, sont broyées sous la meule et placées dans de grandes cuves, par quantité de 30 à 40 quintaux métriques par cuve ; là le borax bout 2 à 3 heures dans un mélange d’eau mère et d’acide sulfurique, puis on laisse reposer une heure pour que les parties impures se déposent au fond. Le borax s’en va alors par des canaux dans 12 grands réservoirs, où il se cristallise, et on le retire pour le sécher au soleil. On le met alors en caisses et on l’expédie à Liverpool, où il se paie de 60 à 65 livres sterling la tonne, selon qu’il contient plus ou moins de 85 % d’acide borique. Chaque réservoir donne une moyenne de 2 tonnes. L’usine produit 1 000 tonnes par an. L’acide sulfurique, qu’on emploie jusqu’à concurrence de 1 000 kilogrammes par jour, est aussi produit : dans l’établissement. Dans de grands réservoirs de plomb, on introduit le gaz sulfureux produit dans des fours par la crémation de minerais de cuivre et de fer sulfureux. On mélange avec l’acide nitrique, produit du nitrate de soude, et ces deux gaz, mélangés à la vapeur d’eau, donnent le gaz sulfurique.

M. Walker nous présente à sa jeune femme, qui arrive entourée de ses nombreux enfants, puis nous fait remarquer dans la cour de son habitation de nombreuses plantes d’agrément, véritable luxe dans ce pays de sable. Dans une seconde cour nous voyons une vigogne, espèce de huanaco, mais plus petit. Elle est apprivoisée et se laisse volontiers caresser. Je remarque deux magnifiques mules. Celle-ci, me dit M. Walker, m’a porté plusieurs fois en 20 jours au-delà du désert, et est restée jusqu’à trois jours sans boire. Or, je pèse 104 kilogrammes. À toute exposition, cette bête mériterait certainement un premier prix. Après la visite de l’établissement, nous aurions voulu visiter à côté une fonderie de plomb argentifère, mais le temps presse. Mme Walker nous invite à prendre place à sa table : elle nous sert gracieusement un copieux déjeuner, puis nous montons sur un wagon primitif qui nous conduit à la plage, et nous revenons à notre bateau. Le soir, à cinq heures et demie, le canon nous dit encore que nous touchons à un autre port. C’est celui de Chañaral, en tout semblable aux précédents. Quelques maisons de bois sur des rochers nus et quelques cheminées fumantes indiquent la présence de fonderies. Le navire charge et décharge et repart à huit heures du soir.