Je remontai prendre l’air à Paris une nouvelle fois. Je logeais à Sarcelles, chez les B., ma seconde famille. Je partageais la piaule des frangins. Il y avait G. qu’on ne voyait plus beaucoup. Plus âgé que nous, il avait pris le large ; B., qui faisait des études, chose assez rare pour être signalée ; et S., le relou de service, que j’adorais quand même. Ils avaient une saloperie de berger allemand qui aboyait pour rien et s’incrustait dans les plumards. Tu te levais le matin avec un trou du cul de clebs dans le pif, tu parles d’un réveil ! Comme à chaque fois que je revenais, j’arrivai les mains pleines. L’oseille, ce n’était pas un souci, je leur apportai des survêts, des tee-shirts et des blousons en direct des USA, toutes ces choses qu’on ne trouvait pas encore à Paris. Leur maman m’avait toujours eu à la bonne, malgré quelques coups de gueules occasionnels.
Elle me connaissait depuis l’après puber, à l’époque de mes premières fugues. Avec les frangins, on faisait semblant de prendre le chemin de l’école mais, dès qu’elle partait au taf, on rentrait à la barque se la couler douce. Jusqu’au jour où elle reçut la fameuse lettre signalant que son fils séchait la classe depuis des semaines. Je préfère vous dire que ce jour-là, ça avait sacrément chié.
C’est avec S. que j’ai fumé mon premier joint, à vingt ans ; moi qui faisais du sport tous les jours, je n’avais pas du tout aimé : les cannes en béton, je riais comme un débile, les yeux plissés, on aurait dit un Chinois. Cassés au double zéro, on avait lancé une voiture bélier dans la vitrine d’un petit supermarché et bourré le coffre de bouffe. Puis on s’était arraché en se marrant comme des marsouins.
Chez les B., je retrouvais un peu de cocon familial. Avec les frangins, j’avais une amitié qui me rappelait celle, perdue, des miens. À ce moment-là, les mecs de Garges, dont ils faisaient partie, c’étaient les Fresh Boy, Kenzy, Bouboule, Serge E. (mort depuis), Rodrigue, Josselin, Richard, Alain, Ouaf Ouaf, Saint-Louis, Henri, Sylvain. Tous ces garçons auraient pu être des Requins. Les vannes fusaient et on les prenait un peu pour des intellos et des petits joueurs. Adolescents, un jour de connerie, on avait failli se friter contre eux. Rendez-vous pris, lorsqu’on était arrivé sur place, personne n’avait pu passer à l’acte. Alors, pour rentabiliser le voyage malgré tout, j’avais couru vers Josselin pour en découdre. Il m’avait stoppé tout de suite : « Merde, arrête tes conneries, on va pas se chiffonner. » Je m’étais rabattu sur Rodrigue qui m’avait dit la même chose : « Mais Charles, t’es louf ou quoi ? On se connaît depuis qu’on est môme. » Se ratatiner pour une histoire d’ego…
En réalité, si on avait formé deux bandes, c’était parce qu’ils habitaient trop loin et qu’aucun de nous n’avait envie de prendre ces trains de merde, gare du Nord.
Je profitai de cette semaine en France pour retrouver une petite chérie, Corinne B, à Épinay. Sa mère était blanche et son père d’Afrique centrale. Ses deux frangins, un métis et un Blanc, étaient pompiers. Toute la famille était très sympa, mais j’aimais particulièrement la maman. Corinne, je l’avais à la bonne, mais impossible d’avoir une histoire avec elle : elle avait trop le feu au cul, je risquais les cornes à coup sûr.
Après m’être remplumé, j’étais content de me sauver à Berlin pour y entamer ma deuxième année, et partager un grand appart avec mon ami Alex V., une force de la nature qui soulevait des radiateurs en fonte à pleines pognes. Je m’étais bidouillé une planque pour les trucs délicats – beaucoup de monde passait à la bicoque – ; Alex, lui, adorait le bricolage et réalisait plein de transformations chiadées à la baraque. Le pauvre trouverait la mort à Berlin, « Todesstrafe », sans avoir jamais fait de mal de sa vie. Il me rappelait un de mes frères aînés, travailleur, honnête, le genre qui se lève tous les matins à six plombes pour aller au chagrin… Y a vraiment de la chance que pour la racaille. Le seul tort d’Alex, c’est de s’être commis dans quelques parties de jambes en l’air avec une ressortissante turque, dont la famille était chatouilleuse avec les protocoles communautaristes : chacun chez soi, c’était leur credo, et pareil pour la baise ! Un jour, le patriarche le convoqua pour discutailler d’éventuelles épousailles ; le rendez-vous se transforma en représailles. Alex s’y rendit chichement, et trouva la mort dans les escaliers, abattu lâchement par le frère aîné.
Dans le Bild Zeitung, l’équivalent du Parisien, l’opinion publique commençait à s’émouvoir de la criminalité à Berlin. Des articles revenaient souvent sur un groupe de braqueurs très actifs – nous. Alors, forcément, ça faisait des émules. Des mecs qui avaient godaillé avec nous avaient retenu la leçon. On serait jusqu’à douze équipes à sillonner Berlin, suivant le même mode opératoire.
C’était l’année où le Mur est tombé et, nous, on avait de l’osier plein les fouilles. On méritait une bonne guinche pour fêter le Jour de l’an 1989, Frohes neue Jahre ! youpi !
On partit se balader sur le Ku’damm pour une tournée des clubs, où j’étais devenu expert dans l’art de passer pour un Ricain ; je marchais avec des balourds (faux papiers) US, carte militaire et permis de conduire. Avec quelques connexions sur les bases américaines, c’était facile de s’en procurer.
« Where you from ?
— Chi town (Chicago).
— Where at ?
— Cabrini Green (un ghetto réputé et la plus grande cité HLM du monde).
— All right bro’. »
Chaque fois, mon petit numéro marchait, les Ricains me claquaient la louche et les Fritz me la léchaient, tout comme les greluches dans les boîtes à Paris. Dès qu’un mec leur susurrait trois mots en angliche dans les feuilles, à tous les coups, elles écartaient les miches.
Un soir, on posa nos frimousses au club Sugarshack. En arrivant, la soirée battait son plein. Roteuses, cigares, spiritueux, banquettes. Fallait leur en jeter plein la gueule : une fois l’ambiance acquise, tu n’avais plus qu’à aller à la pêche aux moules. Les poulettes tournaient, quelques troufions US nous mataient en chien de faïence. Madou et Makan s’accrochaient un peu, or les Ricains, c’était souvent des trompettes. Ils parlaient avec les mains et faisaient du bruit, mais si t’avoinais d’entrée, ils étaient tout étonnés. L’altercation tourna court, on était six ou sept, si bien que les mecs remballèrent. L’événement se dissolva dans le gin tonic, mais en sortant, à trois heures, un petit comité d’accueil nous attendait. C’étaient pas nos troufions, mais Attila et les Huns (des Turcs, des Yougos, des Palestiniens et des Serbes) venus jouer le remake de Mississipi Burning. Par chance, j’étais français et, dans la merde, un plutôt bon acteur. En général, quand je l’ouvrais, tous restaient bouche bée, seulement là je sentis que tout le français du monde ne changerait pas ma couleur de peau. Ils étaient beaucoup plus nombreux que nous, je vis leurs matraques sortir et entendis le clic caractéristique des crans d’arrêt qui s’épanouissent, j’te raconte pas, on était loin des couteaux à peigne de Sim et Patrick Topaloff.
Sandales et marrons commencèrent à pleuvoir, je taillai fissa sur la droite. Courage, fuyons ! C’était Waterloo sur le trottoir, j’entendais des « ouch » et des « whao » (« aille » et « ouille »), bruits des Ricains quand ils se font marave – c’étaient donc les potos, les jumeaux Erek et Derek, qui dégustaient. Deux, trois Boches et des Moricauds approchèrent pour nous venir en aide, mais ça surinait sec et on se faisait masser sévère. Erek était en très mauvaise posture quand j’aperçus son frère monter au créneau pour lui prêter main-forte, sans voir qu’un Turc s’apprêtait à le prendre de côté. Je ramassai une bouteille que je brisai par terre, chopai le Turc en latéral à pleine vitesse, façon Bo Jackson, et lui ouvris la tronche comme une pastèque. J’avais du raisiné plein mes grolles. On a soulevé Erek puis on est allés se mettre à couvert. Cependant, tandis qu’on tentait d’arrêter les voitures, les Döner ne nous lâchaient pas d’une semelle. Face à cinq Bamboulas avec des têtes de dératés, personne ne s’arrêtait. La seule qui voulut bien nous faire monter, ce fut une camionnette de la Polizei. C’est comme ça qu’ils nous ont gaulés, pendant que les Turcs essayaient de bloquer leur voiture. Je n’en menais pas large, fausses I.D. en poche : si je me faisais péter par les Ricains, ils étaient capables de m’envoyer dans leurs tôles militaires. Il ne fallait surtout pas que j’arrive jusqu’au poste où la police de l’US Army, les M.P., serait forcément venue me chercher. La camionnette était arrêtée à un feu rouge, la porte n’était pas verrouillée. Juste avant que le feu ne repasse au vert, je tentai ma chance et détalai. Je balançai aussitôt mon survêt retapissable à cent cinquante mètres et pris le U-Bahn (le métro) pour rentrer chez moi. Bonne année 1989 ! Happy new year ! C’était la deuxième fois que j’avais affaire aux poulets. La première, un mec dans la rue, au flan, m’avait montré une médaille au bout d’une chaînette marquée Kripo (Kriminalpolizeilichen), pour un contrôle, j’imagine. Vu qu’il était seul, je l’avais avoiné et m’étais tiré en courant. La troisième fois serait la bonne, ils m’enverraient becter la gamelle.
Pour l’heure, la vie devenait presque trop facile, j’assouvissais toutes mes envies. Je n’avais plus jamais une seconde de réflexion et inaugurais la période la plus violente de ma vie.
Je montai un petit circuit d’armes et arrosai (toutes proportions gardées) la ville de Bobigny. À Berlin, tout le monde savait que le mur venait de tomber, le mouvement s’amorçait et les mecs de l’Est soldaient depuis quelque temps déjà tout ce qu’ils pouvaient. Une grenade coûtait la somme de 5 DM (2,50 euros), un calibre neuf, entre 150 DM (76 euros) et 300 DM (152 euros) selon le modèle. Pour 500 DM (255 euros), n’importe qui pouvait acquérir une Kalachnikov et, pour les mieux connectés, tu la touchais à 300 DM. Arrivé à Paris, je faisais la culbute par dix ou vingt. À cette époque, c’était facile de trafiquer par la route entre les deux pays. La frontière était souple, pas de clebs, que des contrôles sommaires. Je voyageais en avion pendant que des passeurs recrutés par mes soins prenaient le car ; c’était du beurre. L’oseille remontait bien, mais le temps allait bientôt se couvrir et les embrouilles se mettre à pleuvoir.
Mon pote Martial avait trouvé la bonne gâche : au lieu de faire bosser des tapins, avec toute la gestion que ça entraînait, il chapotait quelques occasionnelles qui michetonnaient dans les boîtes ou les rades. À sa demande, je lui donnai un coup de main pour monter le business. Le seul truc qu’on avait à faire, c’était mettre les clients en contact avec les gonzesses et faire gaffe à ce que ça ne parte pas en vrille. On se cala dans le club d’une vieille connaissance, Emilio, sans sa permission : on ne s’était pas sentis obligés. Ce n’était pas un voyou qui jouait les affranchis, et moi, je m’en tapais des gorilles. Quand il capta ce qu’on manigançait, il débarqua pour pousser une gueulante et tenter de taper du poing sur la nappe. Pour désamorcer le conflit, on lui dépêcha une connaissance. Notre émissaire revint avec la tête au carré. Là, c’était mon terrain, j’allais lui parler son langage, sans quoi on serait à coup sûr passés pour des lavettes. Le lendemain, on prit les outils et on alla en caisse arroser sa façade. Sans nouvelle d’Emilio, les filles recommencèrent le turbin. Quelques jours plus tard, les perdreaux pointèrent leur bec au club, à la recherche de deux proxos black qui parlaient français ; ce cloporte d’Emilio nous les avait mis sur les reins. Ils embarquèrent Makan, le petit frère de Madou, qui ressortit dès le lendemain, n’ayant rien à voir dans l’histoire. Contrairement à mon habitude, je décidai de prendre mon temps avant de me venger. Je voulais une sanction qui lui ferait vraiment mal. En attendant, chaque fois que je le voyais, je lui plantais mon sale regard dans les yeux pour qu’il sache qu’on n’en resterait pas là.
Les choses reprirent leur cours et, un soir, dans une boîte, je me fis déboîter la ganache comme jamais de ma vie, pour une histoire de fesses, du banal ! J’étais peinard, en train de baratiner une gonzesse, quand un raclot s’était pointé pour réclamer la préséance. J’avais beau être seul, et tricard dans cette boîte, il n’était pas question que je laisse le premier venu me dicter ma conduite. Je l’envoyai donc poliment valser ailleurs. Quand le gus revint à la charge, je perçus bien trop d’hostilité dans ses paroles. Au moment où je levai la main pour lui rabattre son claque-merde, tout le bar me tomba dessus. Je pris un coup de chaise derrière les oreilles, qui me coucha par terre. Là, ils se payèrent une fête de la chaussure sur ma pomme. Je me fis concasser et, vu la faune qui fréquentait ce bar, c’est un miracle qu’ils ne m’aient pas repassé. Pour finir, ils me pissèrent dessus avant de me balancer sur le trottoir, tel un sac d’ordures.
Une âme charitable me jeta dans un taxi. Après ça, je restai cloué au plumard pendant une semaine. Quand il t’arrive un truc comme ça, tu peux faire le choix de passer la main et vivre avec – ce qui n’est pas la plus mauvaise solution. Tu as aussi le droit de réclamer le talion et de ne pas en assumer toutes les conséquences. Dès que je fus sur pied, je fis rentrer des armes et me pointai devant la terrasse. Une partie de cartes battait son plein, personne ne m’avait vu arriver. Je rassure les âmes sensibles, aucun honnête père de famille ne fréquentait ce bar. J’arrosai tout ce qui bougeait, et ils morflèrent comme il fallait.
Grâce à la logique pervertie de ce monde, je gagnai là mes galons. On me reluquait différemment. Un sale statut, que j’assume. J’étais pas un voyou, juste un aventurier, mais fallait pas me les briser. Tout ce que je faisais, c’était par besoin, et par curiosité. Rien à battre de me plier aux conventions : dans ce milieu, tu es tout sauf libre. Les mecs sont des réacs, pire que chez les bidasses. Faut pas faire ci, faut penser comme ça. J’en ai perdu des potes, Arim, Albrecht et Bosco, parce qu’ils étaient montés sur des coups dont ils n’étaient pas proprios. Des mectons vaillants avaient été zigouillés pour ne pas avoir respecté l’ordre établi. Cosa Nostra, mes couilles ! Je ne risquais pas ma vie et ma liberté tous les jours pour que quelqu’un d’autre prenne les décisions à ma place.
J’étais entré dans un cirque où les mots « chair humaine » ne signifiaient pas grand-chose. J’évoluais avec des individus qui ne respectaient que l’oseille et la poudre. L’engrenage sans fin, dans des embrouilles qu’on n’aurait jamais imaginées. Pressurer des mecs dans des boîtes et casser des gueules pour que des tapins puissent taffer. Défourailler sur des Libanais, des Turcs, des Polacs, des Palestiniens. Et braquer, braquer, braquer sans fin. Il m’arrivait même d’enquiller des affaires pour rendre service. Je tombais souvent de haut par loyauté, j’arrivais toujours à me lier avec des gus pour me retrouver à prendre leurs patins sur des histoires qui ne me concernaient pas. Puis envoyer paître mes principes, au mépris de toute précaution.
Avec Farid et Madou, on continuait à faire ce que l’on savait faire de mieux, des Überfall (« braquages »). Nous sommes montés sur un bureau de change, tuyautés par un mec, une adresse à côté du Parlement – autant dire cernée par les bourres. Le coup schlinguait, pourtant, on a insisté. On se disait que c’était tellement près des poulets que le danger s’annihilerait. Ce Kaufhaus (« magasin ») avait déjà été braqué l’année d’avant ; j’aimais bien ces plans-là, quand personne ne s’y attendait. On rappliqua sur les lieux, vêtus de noir, avec des uniformes US en dessous. Il était trois heures de l’après-midi, trop tôt ou trop tard. Moi, je préférais bosser à la rosée ou à la tombée du jour. On toqua et, quand la porte s’ouvrit, je mis le pied dans la lourde, cagoule baissée, et repoussai l’employé en arrière. Quand ils virent nos calibres, personne ne pipa mot. On était là sur renseignements, alors on fouilla comme indiqué, mais le coffio était vide. Ça ne me plaisait pas du tout : y avait une misère à gratter dans les tiroirs caisses, 15 000 DM au total (7 600 euros). Quand on est ressortis, l’alarme avait été tirée. Sous un porche, nous virâmes nos sapes et déguerpîmes en joggeurs de l’US Army. Les poulets n’étaient pas à la recherche de Noirs américains en plein jogging, mais de gangsters qui parlaient allemand. Une fois à l’abri, on fit le topo, conscients que nous allions droit dans le muret. Il fallait raquer le Yougo qui nous avait filé le tuyau et je savais d’instinct que ça allait coincer. Nous n’avions rien à nous reprocher mais, « si tu veux la paix, prépare la guerre ». On lui fila rencard dans un bistrot, et moi, de bonne foi, j’apportai les 15 000 DM. Quand il comprit que ce n’était pas sa part, mais l’intégralité du braco, je lus dans ses yeux la conviction qu’on était en train de l’enfiler, à sec, et sus qu’on venait d’entrer dans des temps difficiles. Il commença à nous insulter en yougo, jusqu’à ce que je le fasse taire d’une méchante droite en pleine bouche.
Le lendemain, on reçut de la visite. Farid, qui matait par la fenêtre, vint me signaler la présence des cognes en bas de l’immeuble. Je vérifiai en loucedé, ça sentait le baklava à plein nez. Si ces mecs étaient des poulets, moi j’étais archevêque. Il n’était pas question d’attendre qu’ils viennent frapper à la porte ; nous descendîmes équipés, Sig Sauer pour mézigue, ja, j’ai toujours eu confiance dans la came autrichienne, AK 47 pour brother Farid.
Accroupis, on se rapprocha en longeant les voitures, ces connards regardaient en l’air. Pour valider mon intuition, je gueulai soudain en yougo : Dobré pichka ! (c’est sûrement pas un compliment). Les moustachus tournèrent la tête comme un seul homme. Tacatacatacatac, on les alluma direct. Tassés derrière des voitures, ils ne répliquèrent pas. Généralement, t’arrose, ça court. La réplique était fournie. T’as le palpitant qui veut se faire la malle et il te persuade deux fois que t’as plus de souffle. Tu relèves la tronche et tu craches comme à la kermesse, t’as trois boulons dans la portière, ça se rapproche. Tu veux pas finir dans un sac en plastique, alors tu prends la tangente. On était dans la même merde, mais pas coincés à l’évidence, on était bagués chez Bernitz. On décrocha fissa par les cours d’immeubles. On se barra à l’Est, Pankow, nous réfugier chez des amis. Le temps de laisser retomber la poussière. Au Checkpoint Charlie, il suffisait de payer 10 marks de l’Ouest et, en échange, tu avais un Ausweis pour vingt-quatre heures. Je sentais l’excitation monter, ça faisait un an que j’attendais cette adrénaline. Gamberger une pige à trouver une vraie sucrerie ! Après tout ce tintamarre, il fallait s’arrêter avec le lèg. Je ne me disais pas que nous étions dans la merde, mais plutôt qu’ils étaient in die Scheise.
Nous rentrâmes le lendemain, les bras chargés de plombs et de grenades, comme les Rois mages ; un Apache averti en vaut deux. J’arrivai en ville, soucieux, préparé au pire. Farid avait organisé un rendez-vous pour solder l’affaire, mais les traités de paix, j’ai jamais eu confiance. H., une tête de série chez les Gengis, se porta garant de nous et prit le rendez-vous avec Farid. Ce mec, un colosse, était grossiste en fruits et légumes le jour et la nuit, il gérait ses affaires, magouillait dans la chnouffe et la boxe. Farid revint du rencard le sourire aux lèvres, le Yougo avait reconnu son erreur et s’écrasait sur le coup de poing. Nous pouvions à nouveau sortir prendre le soleil. Dire que je commençais à douter de l’utilité de Farid ; il était temps de lui rendre grâce, ce mec avait un sixième sens dans l’action quand moi j’en avais juste cinq et demi. Nous étions soulagés, ignorant que cette histoire finirait par nous péter à la pomme. Sans nous en rendre compte, nous venions de perdre un peu de notre liberté d’action.