De ma vieille équipe, nous n’étions plus qu’une chambrée, Théo, Dédé, moi. Dédé s’était mis à picoler et moi, à déprimer. Par loyauté, chaque fois que les petits de Barbès avaient une embrouille avec d’autres gus plus âgés, j’étais là. C’était marrant, mais au bout d’un moment, à trop en faire, ça te met la pression. Les histoires, je préférais les déclencher plutôt que les nettoyer. Je finis par glisser dans une drôle de spirale. Un petit feuj de République, qui se croyait malin et que j’avais mis à l’amende, avait fomenté un contrat sur ma gueule. Il marchait avec des Corsicos qui voulaient me faire dézinguer.
Je revoyais mon pote Théo. Pour lui, les choses s’arrangeaient. Le maigrichon que j’avais connu était devenu costaud, il pratiquait la boxe thaï au Derek Boxing Club, à La Courneuve. Avec sa gueule de playboy, il voulait faire du cinéma. Son père, qui connaissait la terre entière, lui donna un rôle dans le film qu’il était en train de réaliser, j’en étais vraiment heureux pour lui. Je ne lui parlais pas de mes projets ni de mes embrouilles, parce que, chaudard et loyal comme il était, il aurait absolument exigé d’en être, et je m’en serais voulu qu’il parte bouffer la gamelle à cause de moi. Mais, en ce qui concerne le cinoche, il fut le premier à me mettre la puce à l’oreille. On était tous les jours ensemble et, heureusement pour moi, ses parents m’avaient à la bonne. Je pionçais souvent sur place et, pour moi, ces soirées-là étaient exotiques : sa maman était soprano, elle chantait toute la journée, et leur immense baraque était remplie de chats. Là-bas, je passais des moments heureux.
Pour me remettre en jambe, je décidai de taper une grosse station-service que j’avais retapissée. Je la sentais bien, j’aimais pas la tête du proprio – le genre de truc qui me botte, on a toujours besoin de se faire une raison dans la vie.
Avec mon complice L., on avait prévu que je rentrerais le premier pour acheter un truc sous le comptoir et, quand le patron se relèverait, L. interviendrait pour le braquer. Gonflé à l’hélium, j’entrai donc dans le magasin et commençai mon cirque. Quand le mec se releva… mon complice s’était chié dessus, si bien que je me retrouvai seul, calibre en pogne. Je n’eus pas peur, j’étais comme dans un film. Le visage du pompiste changea quatre fois de couleur en l’espace d’une minute. Sans me laisser distraire, je fis le féroce : « La caisse, l’oseille dans un sac plastique, vite ! »
Lorsque je ressortis du magasin, je repérais L. qui m’avait tout de même attendu dans la caisse. Arrivé à Aulnay, ce con réclama une part ; j’avais pris une misère, six cents petits sacs. Je montrai les dents mais lui laissai quand même un Pascal, en souvenir de notre amitié passée. Ça me servirait de leçon, on ne s’équipe pas par affection ou pour aider quelqu’un dans la merde ; à coup sûr, on risque la balance ou la déficience. Seul, en revanche, je n’avais pas à partager.
À nos heures perdues, avec Théo, on fréquentait les Go, une bande qui connut son heure de gloire à Paris à la fin des années quatre-vingt, fameuse pour ses talentueux voleurs à la tire. Parmi eux, j’aimais bien un Cainfri, Gil, vaillant comme tout et, chose rare, plus petit que moi. Edgar et Capo étaient aussi de bons mecs, mais trop fouteurs de merde à mon goût. Chez eux, je reconnaissais tous les défauts des Requins vicieux, avec les qualités : vaines beuveries, came, jalousie, gonzesses…
Je voyais de nouveau le placard se rapprocher vitesse grande V, alors je pris la tangente. Mais les faits sont têtus et les embrouilles imprévisibles. Un soir, à la sortie du cinéma place d’Italie, Théo, Gil, Poka, Choine et Gaby, un ami à eux qui sortait du gnouf, s’accrochèrent avec une bande du treizième. Les mecs étaient dans leur quartier et, avec l’avantage du nombre, ils leur tombèrent dessus de tous côtés. Ça avoinait à tire-larigot, Gaby reçut un coup de lame dans les éponges et s’effondra à terre. Théo, loyal, alors qu’il ne connaissait le mec que depuis quelques heures, revint sur les lieux pour le défendre. Lui et Gaby se firent littéralement découper à la serpette. Théo morfla de cinq coups de lame dans le dos et le ventre. Quand je passai le voir à l’hosto avec Pépito, ce fut le choc. Il avait un tube dans le bec et respirait à l’aide d’une machine. La rage me serra les tripes ; une des rares fois que je n’étais pas avec lui, on avait fait du mal à mon frère. Ils allaient morfler. Je lui parlais, et le fis rire ; ça tirait sur ses cicatrices, il dégustait. Je ne dis rien devant Pépito, je n’explosai pas, mais je savais ce que j’avais à faire. La vengeance, je la bouffe chaude, je la prends à emporter. Le soir-même, je descendis chez eux place d’Italie, animé de mauvaises intentions et armé d’un cran d’arrêt de vingt centimètres. Je tombai sur un petit groupe qui prenait le frais devant un bloc de bâtiments à Little China. Là, je plantai, taillai, coupai, charcutai tout ce qui bougeait. Je repartis avec du raisiné plein les grolles.
Théo était mon frangin, la relation que j’eus avec lui, je ne l’ai jamais retrouvée avec personne. On avait dépassé le stade de l’amitié ; pour lui, j’aurais tué, et je sais qu’il en aurait fait autant pour moi. Mon pote Dri de Cergy-Pontoise morfla à ma place pour ce que j’avais commis place d’Italie. À cause de sa ressemblance avec ma pomme, et alors qu’il décarrait dans une impasse, ils lui firent subir les divins stigmates, mains plantées à coups de surin et bide ouvert.
Le chemin se rétrécissait drôlement. J’avais pas vingt et un ans et j’étais déjà tombé trois fois. Théo avait pris sa route, Pépito trimait, les Requins étaient prisonniers des mailles d’un filet d’où ils ne sortiraient pas avant longtemps. Pour moi, à part des années en calèche, je ne voyais rien venir.
J’étais un demi-sel et un « crime je m’en branle », ça allait, ça venait. Je ne recherchais pas un blaze, les temps étaient durs pour les Noirauds ; ils avaient mauvaise réput’, passaient pour des indisciplinés et des balances. Et le peu qui arrivaient à s’équiper, on ne leur réservait que des boulots de gros bras. J’avais confiance en personne, alors me mettre en cheville… De toute façon, je n’avais jamais voulu être un voyou, j’aimais pas traîner dans les rades, j’aimais pas les étiquettes. Mon frère Jack, qui était proxo rue Saint-Denis, me dit qu’il était au chômage forcé, les Krouilles et les Fromages ayant fait du nettoyage et dégagé les Antillais et les Africains qui gesticulaient sur le pavé. Pourtant, c’étaient de bonnes équipes, organisées, disciplinées. Coupes au carré, fringués comme un grand prince chez Barracuda à Barbès, ils remontaient pas mal d’oseille. Mon frangin finit par se faire péter à Lyon et à Nice. Il a posé les outils depuis une dizaine d’années. Quand j’étais petit, c’était mon idole.
Le hasard se chargea de me trouver une destination, un jour où je zonais en broyant du noir, porte de Clignancourt. Je rencontrai un mec que je connaissais de vue, Tino N., moitié zaïrois moitié fritz. Je ne le savais pas encore, mais ce mec allait devenir une autre de mes grandes rencontres. Un an de moins que moi et bâti comme un pit-bull, il aimait la baston – encore plus que mézigue. Là où je touchais en anglaise, il excellait en full contact. Il venait de visiter Paris avec sa femme et s’apprêtait à prendre le car du retour. Je ne saurais jamais pour quelle raison il voulut me mettre dans sa valise. Je reluquai autour de moi et ne vis que de la grisaille et des vieux prolos qui traînaient sur le marché aux bagnoles, des cars de poulets, des condés et des keufs. J’avais toujours été du genre impulsif et l’appel du large me chatouillait depuis trop longtemps : 485 francs plus tard, j’étais assis dans un car Holiday Reisen, direction Berlin, avec seulement les fringues que j’avais sur le dos, sans plus me poser de question. Tino m’aurait proposé de partir en Italie ou en Turquie, je l’aurais suivi.
Au bout de dix-huit heures de voyage, le fion qui suintait, on fit une halte devant un poste de gardes éclairé par des projecteurs. Des soldats habillés façon Armée rouge me firent descendre du car : ici, la RDA. On se serait cru dans « Nikita », le clip d’Elton John, sauf que je ne roulais pas en Rolls. Je n’avais qu’une carte d’identité, ils réclamaient un passeport. Je les suivis dans leur cabane ; franchement, je serrais les fesses, je me voyais déjà au goulag. On me prit en photo et me tapa un peu d’oseille, le prix d’un Ausweis, un « sauf-conduit ». Je ne savais pas qu’à l’époque, en 1988, pour aller à Berlin-Ouest, on devait passer d’abord à l’Est. Je remontai dans le car, j’avais perdu trois kilos et Tino était mort de rire.
Nous descendîmes à la gare centrale, Zoologischer Garten, j’ouvrai des yeux comme des soucoupes. Tino me proposa de venir chez lui, il perchait à Spandau, une banlieue au cul de Berlin, célèbre pour sa prison dont le seul taulard était un nazi. Je fis connaissance avec sa daronne et sa frangine. Mais, les relations entre Tino et son beauf n’étant pas au beau fixe, c’était compliqué pour moi de pioncer là-haut. Tino passa quelques coups de fil pour m’arranger la mise et me conduisit chez Brag, un ami qui vivait dans le quartier et qui deviendrait mon turf, Rathaus Neukölln. Brag était moitié allemand moitié ricain, il avait une belle gueule et les yeux bleus. Je l’apprendrais plus tard, c’était un génie du vol à la roulotte. Il avait un taf régul’ dans l’électronique et, le soir venu, il se farcissait dix Mercedes en dix minutes et tirait des stéréos énormes pour l’époque. J’apprendrais plein de trucs sur les différentes polices et sur Interpol, en particulier.
J’étais qu’un petit voleur, mais chez les Boches j’accédais aux études supérieures.
On était en 1989, Berlin pullulait de bases militaires et ça magouillait à tout-va. À Oscar Helen Heim, Tempelhof et Zehlendof, les bases US, canadienne, française et anglaise se partageaient le secteur. Je tombais de haut : je croyais que c’était un pays de moustaches et d’arriérés, en réalité ils étaient dix fois plus en avance que nous. Dans les magasins, le choix était gigantesque, on se serait cru dans des supermarchés américains. J’en prenais plein les mirettes.
La première semaine, je restais empaqueté toute la journée. Patrick travaillait et Tino faisait ses affaires. Ils ne m’avaient pas mis au parfum ; pour eux, je n’étais encore qu’une connaissance. Sur le magnétoscope, je matais une cassette de Highlander trente fois de suite et j’apprenais phonétiquement mes premiers mots en allemand : Ich liebe (« Je vis ») – c’est ce que dit Christophe Lambert quand Sean Connery le pousse à la flotte et qu’il réalise qu’il ne crève pas. Je me gavais de MTV, le top de l’exotisme pour un petit Français. Lorsque je me risquais dehors, je parcourais quatre cents mètres en ligne droite puis rebroussais chemin devant la Commerce Bank que, je ne le savais pas encore, je braquerais des mois plus tard.
Un soir, je partis rôder en métro et, après être descendu au hasard d’une station, je me trouvai complètement paumé sur une putain de nationale. Patrick m’avait dit : « Si tu es perdu, tu suis le mur », mais, sans le savoir, je me dirigeai dans le mauvais sens, si bien que, vers une heure du mat’, je commençai vraiment à baliser. On m’avait raconté de sales histoires sur ce mur, des gens s’étaient évaporés à proximité, enlevés et oubliés pour de bon dans les goulags de l’Est. Je décidai de poser mon derche sur le trottoir et de ne plus bouger, le quartier était vide, j’étais largué, y avait même pas une caisse qui passait. Malgré le désespoir qui me tombait sur les épaules, cette ville de merde, un bordel total, j’esquissai une risette. Et puis, miracle, je vis un gus qui marchait à trois cents mètres. Il dut flipper de me voir débouler en courant, mais l’Allemand sait rester aimable en toutes circonstances. Hors d’haleine, je le branchai en anglais :
« Do you speak english ?
— Yes a little », il répond.
J’en pouvais plus, j’aurais pu le prendre dans mes bras.
« Do you know Strasse ?
— Sorry ?
— Do you know Strasse ? »
Il me regarda avec deux yeux ronds, Strasse (« rue ») était le seul mot que j’avais retenu, en croyant que c’était le nom d’une rue en particulier. Bon bougre, il essaya de m’expliquer : « Yes, you have Strasse here, Strasse there… »
J’avais l’impression qu’il se foutait de ma gueule. Alors je lui collai une escalope aller-retour et décarrai aux quatre vents.
À l’aube, j’arrivai enfin chez mes amis, mes déboires les firent rire aux larmes. Ils m’en reparleraient souvent. Avec eux, je commençais doucement à comprendre l’allemand et à manger des Würst et des gebraten Kartoffel.
Au bout de quinze jours, je m’aperçus que beaucoup de monde circulait chez Patrick. Je me rendais bien compte qu’il y avait du micmac qui se maquillait ici. J’étais sûr que le Fritz faisait du business. Je sondai Brag ; ce dernier me répondit en allemand, façon polie de me dire de m’occuper d’mon cul. C’était de bonne guerre (franco-allemande), c’était mon hôte et il me connaissait à peine. Il aurait été inconvenant de chercher plus loin. Tino, lui, était à fond dans le trip ricain. À Berlin, c’était sucré ; dans les bases, c’était les USA en direct. De vraies petites villes américaines, avec feux rouges suspendus, voitures automatiques et school bus jaunes. Tous les produits étaient vendus à moitié prix aux militaires.
Tino m’emmena en boîte. Je guinchai et, question zique, les Boches étaient à envier. Débarque dans une ville où des Turcs font la porte et sourient en vous laissant passer ! À Berlin, il y avait cent boîtes de nuit, cinquante étaient gratuites, cinquante autres payantes. L’entrée était à 5 Deutsche Marks, 17 francs, c’était le paradis. On avait nos habitudes au Flash Dance, au River Boat et au Shalamar. C’était l’époque Keith Sweat, Bobby Brown, NWA, DOC, Just Ice. Le River Boat s’étalait sur deux étages ; au rez-de-chaussée, c’était les Allemands et les Turcs, à l’étage, les Américains. Pendant qu’à Paris on mettait des survêt’ Tachini, eux portaient des vestes Troop avec des Levi’s neige et des Jordan aux pieds (le fin du fin !), c’était un autre monde. Pour accoster, je n’avais jamais été manchot. Une nuit, après avoir fait de l’œil à une petite Bergit bien roulée, je demandai à Tino de m’apprendre une phrase en allemand pour briser la glace.
« Com mit mir ficken in gebusch » (« Viens baiser dans les buissons »). Ce connard de Tino m’avait fait le coup du bizutage, façon Berlin. Je pris une tarte dans la tronche après la lui avoir susurrée à l’oreille. Je levai la main pour lui en retourner une quand deux Turcs me tombèrent sur l’paltot. Je gueulai au regroupement, ça châtaignait en tous sens. On se fit lourder par la grande porte, Tino riait à en pleurer. Je le poursuivis deux kilomètres après qu’il m’eut craché le sens de sa phrase.
Le Flash Dance était situé sur le Ku’damm ; c’était une boîte moyenne, pleine d’Allemands et de Turcs avec des coupes de footballeurs à la Chris Waddle ; beaucoup de troufions y traînaient, tous les Ricains avaient le poing en l’air quand Bruce chantait « Born in the USA ». Dans la boîte, je rencontrai des Français sapés comme des ploucs, reconnaissables entre tous, je compris vite qu’il valait mieux me faire passer pour un Ricain dès que je le pouvais ; j’avais la chance de postillonner en amerloc.
Un jour, au Shalamar, Enzo, le patron, un petit Rital de merde, essaya de me faire marron sur 100 grammes de coke. Comme je dansais pour lui, dans sa boîte, il avait cru qu’il pouvait avoir barre sur moi. Quand je passai le servir, le vicelard tenta de baisser le prix parce que, de son côté, il prétendait pouvoir la toucher moins chère. Je l’envoyai se faire enculer et il ne moufta pas. Je le reverrais en calèche, celui-là. C’était une poukave, là-bas il prenait des coups dans la gueule sans broncher.
Une chose que je fis aussi en arrivant à Berlin fut de retourner à la boxe et, comme d’habitude, j’y nouai vite des relations. Je mettais les gants avec Oktay Urkal, qui deviendrait champion d’Europe et médaille d’argent aux JO en 1992, je tirais aussi avec Sven Ottke, futur champion du monde WBO moyen, et je pris conscience que j’avais un bon niveau amateur, mais que je n’irais pas plus haut. Ce n’était pas forcément une mauvaise nouvelle, j’ai toujours préféré être lucide sur mes limites.
Un matin, je me réveillai avec une chique énorme sur la mâchoire, je n’avais pas d’assurance et j’étais un clando, impossible de me faire soigner. Heureusement, Brag connaissait un dentiste canadien qui pratiquait en loucedé. Il se laissa attendrir par mon accent parigot et par la liasse de biffetons que je lui glissai dans les mains. Il me demanda de lui parler français et, les yeux mouillés de larmes, m’arracha quatre chicots. Par chance, c’étaient les dents du fond ; devant, j’aurais pas eu l’air con. Après le quenottier, je retrouvai Patti, une petite nana que j’avais rencontrée, super-mignonne avec des seins énormes. Sur mon lit, on se bécota, et je descendis tout droit lui bouffer la motte. J’avais moitié la gueule anesthésiée, alors niveau broutage, faudrait qu’elle s’achète une chèvre, persuadée que les bouffeurs de grenouilles étaient tous des lécheurs hors pair.
Je me fis la belle pendant quelques semaines, jusqu’à ce que ma vieille copine l’oseille se rappelle à mon bon souvenir. Mes économies avaient fondu. Tino et Brag ne me parlaient toujours de rien et, comme je ne voulais être une charge pour personne, je sortis bricoler. Chez KDV, le Auchan berlinois, le vol à l’étalage avait l’air très praticable et le rayon vêtements, c’était le fin du fin. Je retombais en enfance, y avait pas de bip, c’était du gâteau. Je me mis à tirer des deux mains. À l’étage, rayon sport, des survêt’ de marque à perte de vue, Fila, Ellesse, Nike. Les portes de secours qui ne sonnaient pas, c’était tellement fastoche, on aurait dit que personne ne chourait ici. Je vivotais grâce aux magasins au cours des semaines qui suivirent. Je revendais à Neukölln ou Steeglitz, je remontais un peu d’oseille, mais j’avais comme une impression de déjà-fait.
Pour me changer les idées, je décidai de redescendre à Paname. J’allai voir mes petits gars, Ous, Ladj, Limer, mon « cousin » Achille, et les autres. Pépito était en vacances aux Antilles, alors je passais pas mal de temps avec une gonzesse, Christie, future mère de ma fille. On se complétait bien, au lit, c’était une bombe et, quand on s’embrouillait, un vrai mec avec une chatte et des seins. Christie avait très mauvais caractère à l’époque (et ça n’a toujours pas changé), ça me plaisait beaucoup (plus maintenant). Mais au bout d’une semaine à Paris, j’étouffai ; je me recassai à Berlin tel un citadin qui revient de la campagne, content de s’y être rendu, mais sans la moindre envie d’y vivre. Là-dessus, Pépito revint des Antilles ; je lui promis de la faire monter à Berlin. Elle bassina sa mère pour m’y rejoindre mais, finalement, je ne lui donnai plus aucun signe de vie. Je sais qu’elle m’en voulut énormément. Excuse-moi, mon ange, mais j’étais en train de changer, je prenais une autre tangente, je pouvais faire ce que je voulais, pas de famille, pas de connaissances. Si je crevais, personne pour miauler trop longtemps, et cet anonymat me plaisait.
Les femmes n’oublient rien, et Pépito s’est chargée de me le faire payer – cher.