Masque gelede
(Yoruba), Nigéria.

Bois, pigments, 36 x 35 cm.

Musée du quai Branly, Paris.

 

 

Chez les Yoruba, le masque gelede est porté sur la tête. La partie inférieure représente un visage tandis que la partie supérieure figure une scène.

 

 

Influence phénicienne et carthaginoise

 

On est donc en droit de supposer que ces verroteries, peut-être de fabrication phénicienne mais en tout cas abondantes chez les Phéniciens, furent importées tout d’abord par ceux-ci dans les comptoirs qu’ils avaient fondés dès le XIIe siècle avant notre ère sur toute la côte méditerranéenne de l’Afrique ; que leurs colons, Carthaginois et autres, les introduisirent ensuite dans le Sahara et jusqu’au Soudan ; que les marchands berbères, puis arabes ou arabo-berbères, de la Tripolitaine, du Touat, du Tafilalet et du Dara ou Draa continuèrent ce trafic, et qu’en définitive, les hommes à longs cheveux et à teint clair, d’origine soi-disant céleste, dont parlent les traditions des Nègres, ont pu être successivement des caravaniers phéniciens, puniques, berbères et maures.

 

Quant à la trace d’influences égyptiennes que certains voyageurs ont prétendu retrouver dans les maisons de Dienné et dans les minarets pyramidaux des mosquées soudanaises, il me parait inutile d’en démontrer l’inexistence autrement qu’en rappelant que les constructions dont il s’agit sont postérieures à l’islamisation du pays des Noirs et rappellent singulièrement un type d’architecture fort répandu dans les pays arabo-berbères du nord du Sahara. Faut-il mentionner encore la fantaisie de ceux qui ont voulu découvrir l’origine du nom des Foula, Foulbé ou Peuls dans celui des fellah d’Égypte, sans prendre garde que fellah est un mot arabe servant à désigner les paysans de n’importe quel pays et de n’importe quelle nationalité et qu’il n’y a pas plus de fellah en Égypte qu’au Maroc, en Syrie et partout où des gens se livrent à la culture de la terre ?

 

Par contre, une étude attentive des faits m’amène à formuler une hypothèse qui, sans doute, se vérifiera avec le temps et qui tendrait à attribuer à l’activité des colonies phéniciennes de l’Afrique du Nord, et notamment de Carthage, une influence très considérable sur le développement des civilisations soudanaises, beaucoup plus considérable et plus directe aussi, au moins en ce qui concerne l’Afrique occidentale et centrale, que l’influence ayant eu son point de départ en Égypte. Cette hypothèse ne repose pas que sur de simples conjectures.

 

En étudiant les mots d’origine sémitique qui ont acquis droit de cité dans la plupart des langues nègres du Soudan et de son arrière-pays, j’ai constaté qu’ils se divisaient, dans leur ensemble, en deux grandes catégories, très distinctes l’une de l’autre. Les uns se rapportent à peu près exclusivement aux dogmes et aux rites de la religion musulmane ou aux notions de droit, d’hagiographie, de magie, qui constituent le bagage accessoire de toute islamisation ; ceux-ci, de par leur signification même et les idées qu’ils représentent, n’ont pu être introduits que postérieurement à l’hégire ; ils se caractérisent par le fait que, d’origine assurément arabe, ils n’ont pas été empruntés à l’arabe parlé, mais à l’arabe écrit, et sont passés dans les langues soudanaises avec la forme, seulement altérée par la prononciation nègre, qu’ils revêtent dans l’arabe grammatical : ce sont des mots de formation savante. L’autre catégorie comprend des mots servant à désigner des objets matériels — par exemple, des pièces de harnachement, des armes, des outils, des vêtements, etc. — ou des idées générales le plus souvent abstraites, objets et idées que ne possédaient pas les Noirs et qu’ils ont empruntés en même temps que les vocables destinés à les représenter ; ces mots ont bien leurs correspondants en arabe, puisque, comme je l’ai dit, ils sont incontestablement sémitiques ; mais jamais ils ne répondent à la forme grammaticale et, le plus souvent, ils s’éloignent énormément même de la forme populaire ; entre le mot arabe et le mot incorporé dans les langues soudanaises, l’on ne retrouve pas les alternances phonétiques qui sont la loi pour le passage, de l’arabe aux parlers soudanais, des mots de la première catégorie : il semble donc que l’emprunt ait été fait à une langue sémitique autre que l’arabe et, apparemment, à une date bien antérieure à l’introduction de l’arabe en Afrique. Ces mots n’auraient-ils pas été empruntés au phénicien ou au punique ?

 

Quelle qu’ait été l’envergure des expéditions maritimes entreprises par les Phéniciens et les Carthaginois et si loin que soient allés vers le Sud, au delà des Colonnes d’Hercule, Hannon et ses collègues, il n’est pas vraisemblable que Carthage et les autres colonies phéniciennes d’Afrique aient pu nouer par mer des relations suivies avec les Noirs. Mais il n’en fut certainement pas de même par la voie de terre.