Masque de la société Troh (Bangwa).

Province de l’ouest, Cameroun. Bois à

patine noire croûteuse, 27 x 19,7 x 27,5 cm.

Musée du quai Branly, Paris.

 

 

La société secrète Troh est formée de neuf notables. Ils sont les gardiens des traditions et doivent superviser le choix d’un nouveau chef, son investiture et ses funérailles. Ce casque, transmis de père en fils, ne peut être porté que par les membres de la société. Théoriquement, chaque chefferie ne possède donc que neuf masques. Cet exemple figure un visage d’homme, légèrement grimaçant, sa bouche ouverte sur des dents limées, et portant une coiffe pointue. Ce masque est fait de formes sphériques formant les sourcils, les yeux, les joues et ainsi de suite. La patine épaisse est le résultat d’années de fumigations rituelles et de libations, ce qui est un témoignage de l’ancienneté de cette pièce. Un membre du Troh a conservé avec soin ce symbole de son pouvoir.

 

 

Carthage tenait des Phéniciens, ses fondateurs, des aptitudes exceptionnelles pour ce que l’on pourrait appeler le négoce à longue portée. Ses citoyens ne tardèrent pas à s’apercevoir des ressources que pouvaient leur procurer des échanges entrepris avec les Noirs qui, par delà le désert improductif, habitaient des régions fertiles, riches en hommes et riches en or. Ils organisèrent des caravanes qui devaient ressembler beaucoup à celles qui ont circulé longtemps à travers le Sahara et qui allaient chercher au Soudan des esclaves, de la poudre d’or, des plumes d’autruche, de l’ivoire, en y portant des tissus, des vêtements, du cuivre, des verroteries. Ces marchands carthaginois faisaient sans doute ce qu’ont fait leurs successeurs tripolitains et marocains : ils ne se contentaient pas d’escorter leurs convois de chameaux, ils séjournaient quelque peu au pays des Noirs, s’installaient en colonies temporaires dans les principaux centres situés en bordure du désert et, de là, comme maintenant les Maures, rayonnaient dans les provinces voisines. Aussi dut-il y avoir, pendant des centaines et des centaines d’années, autre chose que des échanges de produits entre Carthage et le Soudan : il y eut contact entre les Noirs encore très frustes et les représentants de l’une des civilisations les plus raffinées qu’ait connues l’Antiquité. Ce contact ne put pas ne point porter ses fruits.

 

Comme je le suggérais tout à l’heure, il introduisit chez les Noirs, avec des mots nouveaux pour les désigner ou les exprimer, des objets nouveaux et des idées nouvelles. Sans doute le cheval, venu de Libye, était-il déjà connu au Soudan, mais sans doute aussi n’y était-il guère utilisé : les Carthaginois enseignèrent aux Nègres l’art de l’équitation et l’usage du mors, des étriers, de la selle. En même temps qu’ils leur vendaient des tissus et des sortes de chemise, ils leur apportèrent vraisemblablement des semences de cotonnier et leur apprirent à tisser les fibres du coton et à coudre les étoffes. Ils leur montrèrent aussi à travailler cet or que les Nègres s’étaient contentés jusqu’alors d’extraire des alluvions et, par imitation, l’industrie du cuivre et celle du bronze se développèrent, tandis que se perfectionnaient celles du fer et de l’argile et que naissait celle du verre, qui subsistait encore au siècle dernier dans quelques localités du Noupé, sur le bas Niger. Assurément, tout cela n’est que suppositions, mais ce sont des suppositions vraisemblables.

 

 

Les Sémites abyssins et les « Bene Israël »

 

Dans l’est de l’Afrique, une autre civilisation d’origine également sémitique accomplissait une œuvre analogue parmi les populations négroïdes et nègres de son voisinage. Je veux parler de la civilisation abyssine qui, née dans le sud de la presqu’île arabique, passée en Afrique avec des Yéménites émigrés dès une époque très reculée, développée au contact de la civilisation égyptienne sur laquelle elle ne manqua pas à son tour de réagir plus d’une fois, amena chez les Noirs plus ou moins métissés des côtes de la mer Rouge, comme chez les Nègres répandus dans le Soudan oriental et entre les montagnes d’Éthiopie et les Grands Lacs, une transformation comparable à celle que les colonies phéniciennes de la Méditerranée apportaient à distance chez les Noirs du Soudan central et occidental.

 

Les traditions locales ont conservé le souvenir d’autres Sémites, qu’elles qualifient du nom d’Israélites (Bene Israël), sans que nous puissions décider si cette qualification est d’importation musulmane et relativement récente ou si elle répond réellement à l’origine de cet élément demeuré mystérieux. Il est fort possible en effet que les Sémites dont il s’agit pour l’instant provinssent de la patrie d’Abraham et fussent un rameau de cette population en partie hébraïque dont les étonnantes destinées n’ont pas troublé que Bossuet. Faut-il les rattacher aux Hébreux que Joseph, fils d’Israël, fit venir en Égypte et qui ne seraient pas tous retournés en Terre sainte avec Moïse, un certain nombre ayant au contraire fait route vers l’Ouest ? Faut-il voir en eux les restes africains de ces Hyksôs dont nous parlent les annales égyptiennes et qui, après tout, n’étaient peut-être pas distincts des Hébreux de Joseph ? Faut-il les identifier avec les Juifs qui, à la suite de querelles religieuses, émigrèrent de Tripolitaine vers la fin du premier siècle de notre ère dans la direction de l’Aïr et vers le début du siècle suivant dans la direction du Touat et qui n’ont pas laissé ensuite de traces réellement historiques de leur passage ? Faut-il admettre plusieurs migrations successives dont les premières remonteraient à l’époque de Moïse et de la dispersion des Hyksôs, soit à seize siècles environ av. J.-C., et les dernières seulement aux premiers siècles de l’ère chrétienne ?